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Calenda - Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales

L’Apocalypse au pluriel

The Apocalypse in its many forms - "Terrain journal"

Revue « Terrain »

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Publié le mercredi 13 décembre 2017

Résumé

L’Apocalypse est à l’ordre du jour. L’indéniable attrait de ses multiples incarnations littéraires, cinématographiques, religieuses ou autres témoigne de la vitalité actuelle de l’imaginaire cataclysmique, qui a renouvelé par la crise écologique la modalité de notre perte. Les idées de l’Apocalypse sont toujours reliées à une certaine communauté morale, conçue – aux fins de son annihilation – comme un ensemble social et conceptuel forcément total. Chaque Apocalypse anéantit un objet social différent. C’est cette relation entre communauté morale ou objet social et Apocalypse qui nous intéresse ici. 

Annonce

Argumentaire

Il est devenu presque banal de remarquer que l’humanité, avec l’invention de l’arme atomique, s’est trouvée confrontée pour la première fois à la possibilité de son annihilation (cf. Anders 2007). Depuis, au rythme des aiguilles de la célèbre horloge et des COP, la petite chanson de la fin du monde s’est muée en concerto, qui va, accelerando et crescendo, vers notre commun final. En un sens, cette affirmation n’est sans doute pas fausse : l’Apocalypse est à l’ordre du jour (Foessel 2012 ; Hartog 2014). L’indéniable attrait de ses multiples incarnations littéraires, cinématographiques, religieuses ou autres témoigne de la vitalité actuelle de l’imaginaire cataclysmique, qui a renouvelé par la crise écologique la modalité de notre perte. Et l’avènement de l’ère nucléaire marquait peut-être bien le moment fatidique où, pour la première fois depuis que l’humanité s’était mise à se considérer comme Une, nous disposions de la pure capacité de nous éteindre d’un trait. Les visions mélioristes du progrès technique ne pèsent guère face aux images du Ground Zero de Hiroshima ou du no man’s land de Fukushima.

Or, aussi actuelles soient-elles, les idées de l’Apocalypse ou de notre imminente disparition ont une longue, diverse, et vénérable histoire (Hall 2009). Celle-ci se donne le plus facilement à voir dans les formes chiliastiques ou eschatologiques de la pensée religieuse – à savoir, les courants millénaristes qui s’intéressent au Jugement Dernier et à ses suites, qu’elles soient ici-bas ou dans l’au-delà (voir Aubin-Boltanski et Gauthier 2014). Le Jour du Jugement et la dissolution du monde qui le précède évoquent de manière quasi-automatique les religions sémitiques, qui toutes ont cultivé cet imaginaire à outrance : du qari‘ah coranique, où les hommes seront éparpillés comme des papillons et les montagnes réduites à de la laine cardée, à l’avènement de la bête à dix cornes du Livre des Révélations (apokalypsis) et les sept coupes du courroux divin qui répandent du sang et des ténèbres, en passant par l’« abomination de la désolation » du prophète Daniel, père de la pensée apocalyptique. Mais cet imaginaire figure aussi dans un grand nombre de traditions, plus ou moins anciennes : dans le Ragnarök nordique (ce crépuscule des dieux) , le soleil s’esquive et les divinités trouvent la mort ; dans le livre taoïste des incantations divines des grottes abyssales, une armée de fantômes épidémiques met la Chine à feu et à sang ; en Amazonie, mythologie et révélations prophétiques relatent ou prédisent la destruction d’un peuple, d’une tribu ou d’un mode de vie (e.g. Kopenawa et Albert 2010).

Certaines figures de l’anéantissement se retrouvent, (le déferlement des orpailleurs brésiliens sur les terres yanomami rappelle les fantômes épidémiques taoïstes), mais, au moins aussi souvent, les fins du monde diffèrent. Et cette séparation des formes se conjugue avec une différenciation de l’objet de l’annihilation apocalyptique, de ce qui est à détruire. Dans l’Apocalypse chrétienne classique, ce n’est pas tant l’homme – cette créature divine – qui est détruit, que sa propre création : la cité terrestre. L’holocauste nucléaire, par contre, promet l’élimination totale de l’espèce. Et dans le cas des prophéties amérindiennes, il est évident que ce que l’Apocalypse promet à l’anéantissement n’est ni la cité terrestre toute entière, ni l’homo sapiens, mais un autre collectif social qui représente l’étendue en même temps que les limites d’un monde donné. Nous pensons, par exemple, aux travaux de Lawrence Gross (2002), pour qui les autochtones de l’Amérique du nord vivent déjà dans un espace post-apocalyptique, leur propre monde ayant été éradiqué il y a plusieurs centaines d’années. Ce que cette comparaison souligne est le fait que les idées de l’Apocalypse sont toujours reliées à une certaine communauté morale, conçue – aux fins de son annihilation – comme un ensemble social et conceptuel forcément total. Chaque Apocalypse anéantit un objet social différent.

C’est cette relation entre communauté morale ou objet social et Apocalypse qui nous intéresse ici. Est-ce que certaines formes de communauté morale appellent certaines formes de l’Apocalypse ? Ou, inversement, la nature de la menace contribue-t-elle à créer, en tant qu’objet de la pensée, la communauté menacée ? Et par extension, quels sont les possibles usages conceptuels, éthiques ou sociaux de l’Apocalypse ? La menace du changement climatique permet-elle, par exemple, de fondre l’idée classique de l’humanité comme un objet à part dans un ensemble plus large et plus diffus du vivant ? La notion d’une techno-Apocalypse, où l’homme se retrouve en proie à la violence exterminatrice des intelligences silicones, serait-elle une façon subreptice de réaffirmer la primauté de l’humain face à une modernité caractérisée par une hybridité des hommes et des machines ? L’indigénéité des peuples autochtones est-elle le produit du déferlement apocalyptique de la colonisation européenne ? Peut-on enfin habiter l’Apocalypse, en faire un monde ?

Ce numéro de la revue Terrain (http://terrain.revues.org/) invite les contributeurs à réfléchir à ces questions à partir de leur propre empirie, contemporaine ou historique, verbale ou visuelle, pour mettre à jour les soubassements conceptuels et les agencements sociaux de la pensée apocalyptique.

Modalités de soumission

Outre des articles académiques (8000 mots), le numéro comptera comme il est dorénavant d’usage dans la revue papier des « portfolios », conçus comme de courts essais construits sur un corpus d’images. Des récits courts (4000 mots) enfin, prenant la forme de vignettes descriptives, rendront compte d’événements de rencontre documentés dans des archives ou directement observés dans le cadre d’un terrain ethnographique.

Toutes les contributions devront être remises

pour le 15 juin 2018 au plus tard

à la rédaction de la revue : terrain.redaction@cnrs.fr

Comité de redaction

Directeurs de publication / rédacteurs en chef

  • Vanessa Manceron
  • Emmanuel de Vienne

Conseil de rédaction

  • Laure Assaf
  • Gil Bartholeyns
  • David Berliner
  • Matei Candea
  • Matthew Carey
  • Jérôme Courduriès
  • Pierre Déléage
  • Pierre-Olivier Dittmar
  • Emma Gobin
  • Emmanuel Grimaud
  • Christine Langlois
  • Jessica De Largy Healy
  • Olivier Morin
  • Ismaël Moya
  • Sandrine Revet
  • Victor A. Stoichita
  • Anne-Christine Taylor
  • Anne-Christine Trémon

Secrétaire de rédaction

  • Chloé Beaucamp

Lectures

  • Anders, G. 2007. Le temps de la fin. Paris : Plon.
  • Aubin-Boltanski, E & Gauthier, C. (dirs.). 2014. Penser la fin du monde. Paris : CNRS Editions.
  • Fœssel, M. 2012. Après la fin du monde, Critique de la raison apocalyptique. Paris : Le Seuil.
  • Gross, Lawrence W. 2002. « The Comic Vision of Anishinaabe Culture and Religion », The American Indian Quarterly 26(3): 436-459. 
  • Hall, John R. 2009. Apocalypse: From Antiquity to the Empire of Modernity. Malden, Mass.: Polity Press.
  • Hartog, F. 2014. « L'apocalypse, une philosophie de l'histoire ? ». Esprit, juin,(6), 22-32.
  • Kopenawa, D. et Albert, B. 2010. La chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami. Paris : Plon.

Lieux

  • Revue TERRAIN Maison archéologie et ethnologie René-Ginouvès 21, allée de l’université 92093 NANTERRE cedex
    Paris, France (75)

Dates

  • vendredi 15 juin 2018

Mots-clés

  • Apocalypse, Anthropologie, Sciences humaines, Revue Terrain

Contacts

  • Revue Terrain
    courriel : terrain [dot] redaction [at] cnrs [dot] fr

Source de l'information

  • Ismael Moya
    courriel : ismael [dot] moya [at] cnrs [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« L’Apocalypse au pluriel », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 13 décembre 2017, https://doi.org/10.58079/z2v

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