AccueilAnalyser l’intersectionnalité au cinéma. Circulation d’un concept, en France et aux États-Unis

AccueilAnalyser l’intersectionnalité au cinéma. Circulation d’un concept, en France et aux États-Unis

Analyser l’intersectionnalité au cinéma. Circulation d’un concept, en France et aux États-Unis

Analysing intersectionality in cinema. The circulation of a concept in France and the United States

Numéro thématique spécial de la revue « Études Cinématographiques »

“Études Cinématographiques” journal special theme issue

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Publié le mercredi 16 janvier 2019

Résumé

Ce numéro d’Études Cinématographiques entend interroger la circulation du concept d’intersectionnalité, sa pertinence et ses limites, dans le champ des études filmiques et médiatiques. En reliant économie du cinéma, cultural studies et approche esthétique, nous souhaitons développer trois angles de réflexion emblématiques de la spécificité du cinéma comme un art, une industrie et un rapport aux différents publics.

Annonce

Argumentaire

Concept forgé en 1989 dans le droit américain par la chercheuse Kimberlé Crenshaw, l’intersectionnalité entendait au départ rendre compte d’un point aveugle dans l’appréhension des violences subies par les femmes noires américaines, exposées à différents types de discriminations. Par la suite, l’intérêt du concept s’est élargi pour penser l’interaction entre différentes formes de dominations pouvant aller du genre, à la sexualité et aux rapports de classes, en passant par l’âge, le handicap ou encore la religion. Trois décennies plus tard, le concept est devenu l’objet d’une circulation grandissante depuis sa naissance dans le cadre d’un militantisme américain pour gagner des champs académiques variés (sociologie, philosophie et science politique…) et toucher des publics différents, comme en atteste sa popularité dans le cyberféminisme.

Dans le cadre des études filmiques et médiatiques, l’intersectionnalité n’a pas encore donné lieu à une exploration de ses possibilités théoriques et pratiques dans les spécificités du cinéma comme art mais aussi comme industrie. Quels sens et quels usages peut-on faire du concept d’intersectionnalité au sein du champ des études filmiques ? Comment le concept d’intersectionnalité permet-il d’explorer les rapports de pouvoir dans les représentations filmiques mais aussi au sein même de l’industrie cinématographique, en France et aux Etats Unis ?

Axe 1 : Production / Industrie

A l’international, l’industrie cinématographique est marquée par une sous-représentation des femmes et des minorités devant et derrière la caméra. Sous l’impulsion des mouvements #MeToo et Time’s Up, le CNC a décidé d’accorder un bonus de 15% aux films intégrant la parité dans ses postes clés à partir de 2019, tandis que de nombreux festivals de cinéma internationaux ont pris des mesures pour favoriser l’égalité hommes/femmes à l’échelle de la programmation (collectif 50/50 au Festival de Cannes).

Aux Etats-Unis, l’ « inclusion rider » (Stacy Smith), une clause contractuelle autorisant les stars à exiger dans leur contrat de film une meilleure représentation des femmes et des minorités, a opéré un changement après la polémique #OscarsSoWhite en 2015. Warner Bros est la première grande société de production et de distribution de films à Hollywood à adopter cette clause. Quelles sont les conséquences de ces politiques incitatives sur le fonctionnement de l’industrie filmique ? Quels changements l’instauration de quotas opère-t-elle sur les représentations ? Black Panther, grand succès de 2018 prouve que la diversité des représentations à l’écran constitue un impact économique fort pour l’industrie. Mais le modèle multiculturel américain est-il transposable en France, où les statistiques ethniques sont interdites en raison de son conflit avec le modèle républicain ? Comment prendre en compte la question de la « race[1] », en tant que concept sociologique, dans un pays où l’utilisation du terme reste problématique ? Quels sont les conséquences de mesures économiques incitatives sur la chaîne de production filmique ?

  • Économie du cinéma et représentations
  • Financement, quotats et discrimination positive
  • Représentativité et impact économique
  • Cas d’études. Ex : succès au box-office USA de films au casting composé d’acteurs.trices noir.e.s. : Get Out (Jordan Peele, 2017), Black Panther (Ryan Coogler, 2018), Girls Trip (Malcolm D.Lee, 2017).

Axe 2 :  Représentations

 Le cinéma peut mettre en scène des inégalités structurant la société, notamment concernant les rapports sociaux de genre, classe et race. Les formes filmiques peuvent renforcer les normes de genre, de classe et de « race », ou au contraire les déconstruire, en proposant des modèles alternatifs (ex: émancipation des femmes, des minorités sexuelles et ethniques). En quoi l’approche intersectionnelle peut fournir de nouveaux outils d’analyse des formes filmiques ? Dans quelle mesure l’intersectionnalité permet-elle d’analyser et de rendre visible d’articulation de rapports sociaux ? En quoi cet outil offre-t-il une nouvelle approche pour analyser les stéréotypes racistes, classistes et sexistes, tout en proposant des antistéréotypes et des contre-stéréotypes (Eric Macé, 2007) ? Le cinéma peut-il redéfinir les rapports de pouvoir et des modèles contre-hégémoniques ? En tant qu’outil théorique pour penser la multiplicité des inégalités spécifiques à un groupe social, comment l’intersectionnalité peut-il être utilisé pour analyser la complexité des représentations ?

Dans l’analyse de l’esthétique et des représentations, la question de la performance est aussi centrale. Le langage, le grain de voix, le choix des costumes peuvent marquer l’appartenance à des catégories sociales. Dans quelle mesure la prise en compte des paramètres intersectionnels complexifie-t-elle l’analyse du jeu d’acteur.trices ? En quoi la persona d’un.e acteur.trice peut-elle être travaillée par ces différentes catégories (classe, genre, race) ?

  • Esthétique, cultural studies, gender studies
  • Réalisme et choix des acteurs
  • Construction du regard au cinéma : “female gaze”, “queer gaze”, “black gaze”
  • Construction et remise en cause des stéréotypes à l’écran
  • L’afro-féminisme au cinéma (ex: Ouvrir la Voix, Amandine Gay, 2017)
  • Les corps queer, enjeux de pouvoir intersectionnels
  • Jeu des acteurs.trices et persona marqués par une classe sociale (ex: la virilité ouvrière de Marlon Brando chez Elia Kazan)
  • Langage, performance et intersectionnalité (ex: le réalisme des acteurs de Shéhérazade, Jean-Bernard Marlin, 2018.)
  • “White-washing” et appropriation culturelle. Ex : Suffragettes (Sarah Gavron, 2015) accusé de “féminisme blanc”.

Axe 3 : Réceptions 

L’analyse intersectionnelle permet de rassembler différentes expériences de cinéma. Comment cette approche peut-elle rendre compte de différentes identifications spectatorielles ? Moonlight (Barry Jenkins, 2016) a par exemple réussi à être reconnu par la culture dominante (récompense des Oscars) comme par différentes communautés (afro-descendants, LGBT). En quoi une critique intersectionnelle peut-elle rendre visible des points aveugles de la critique esthétique traditionnelle, plus attachée aux formes esthétiques qu’à la composante sociologique ?

Sous le prisme des cultural studies, l’intersectionnalité interroge la légitimité des choix d’acteurs et d’actrices pour des personnages appartenant à des minorités ethniques ou sexuelles. Les diverses réceptions du public peuvent remettre en cause la légitimité d’une performance. Peut-on incarner un dominé quand on appartient à une classe sociale dominante ? Pensons par exemple au “white-washing”, qui consiste à faire jouer des personnages d'origine ethnique par des acteurs/actrices blanc.he.s, en témoigne aux Etats-Unis la polémique entourant Ghost in the Shell (Rupert Sanders, 2017) où Scarlett Johansson, actrice blanche, incarne une héroïne japonaise. Cet axe pourra comprendre les questions de réceptions entre le champ académique, la critique cinéphilique et le public (spectateurs ordinaires), mais aussi réceptions militantes ou anti-féministes sous le prisme de l’intersectionnalité, et leur impact sur l’industrie filmique.

  • Critique traditionnelle (académie, journalisme) et critique amateurs (blogs, réseaux sociaux, tumblr…)
  • Influence de la critique intersectionnelle sur la production du film
  • Réception critique, légitimité culturelle et questions éthiques
  • Double lecture : “double meaning” (Stuart Hall)
  • Différences de réceptions entre France et Etats-Unis
  • Prise en compte des critiques par l’industrie
  • Contestations d’un public militant face à la performance de personnages transgenres par des acteurs.trices cisgenres[2] (tandis que les personnages LGBT représentent moins de 1 % des rôles parlants à Hollywood notamment). Ex : Girl (Lukas Dhont, 2018) ; Rub & Tug (Rupert Sanders, 2019).

Modalités de soumission

Merci d’envoyer un résumé de votre proposition (400 mots maximum) accompagnée d’une bibliographie principale, en précisant l’axe de recherche retenu. Vous joindrez également une courte notice biographique. Les fichiers sont à envoyer au format .doc par courriel à l’adresse intersectionnalite.cinema@gmail.com

au plus tard le 15 avril 2019.

Les participants auront une réponse début avril.

Numéro dirigé par :

  • Sabrina Bouarour (Université Paris 3- Sorbonne Nouvelle)
  • Héloïse Van Appelghem (Université Paris 3- Sorbonne Nouvelle)

Bibliographie indicative

BUTLER Judith, Trouble dans le genre, Le féminisme et la subversion de l’identité, Editions La Découverte, Paris, 2006.

CHAUVIN Sébastien et JAUNAIT Alexandre, 2015, « L’intersectionnalité contre l’intersection », Raisons politiques, n°2, p. 55-74. 

CREMIEUX Anne (dir.), Les minorités dans le cinéma américain, CinémAction n°143, Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, 2012.

CRENSHAW Kimberlé Williams, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l'identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du Genre, 2005/2 (n° 39), p. 51-82. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2005-2-page-51.htm 

DORLIN Elsa, Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, PUF, Paris, 2009.

DORLIN Elsa, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, Paris, 2006.

DORLIN Elsa, Black Feminism. Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, L’Harmattan, Paris, 2008.

DUBOIS Régis, Le cinéma noir américain des années Obama : 2009-2016, LettMotif, La Madeleine, 2017.

DUBOIS Régis, Images du Noir dans le cinéma américain blanc (1980-1995), L’Harmattan, Paris, 1997.

FASSA Farinaz, LEPINARD Eléonore et ROCA I ESCODA Marta (dir.), L’intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques, La Dispute, Paris, 2016.

GUERRERO Ed, Framing Blackness. The African-American Image in Film, Philadelphia : Temple University Press, 1993.

GUILLAUMIN Colette, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Mouton, Paris/La Haye, 1972.

LÉPINARD, Eléonore, “Impossible Intersectionality? French Feminists and the Struggle for Inclusion”, Politics and Gender, vol. 10, n°1, 2014, p. 124-130.

MACE Éric, « Des « minorités visibles » aux néostéréotypes », Journal des anthropologues [En ligne], Hors-série | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 30/10/2018. URL : http://jda.revues.org/2967

MASK Mia, Contemporary black American cinema : race, gender and sexuality at the movies, New York ; London : Routledge, 2012.

ROLLET Brigitte, Femmes et Cinéma : sois belle et tais-toi !, Ed. Belin, Paris, 2017.

SMITH Stacy, “The data behind Hollywood’s sexism”, Conférence TEDWomen, octobre 2016, URL : https://www.ted.com/talks/stacy_smith_the_data_behind_hollywood_s_sexism/transcript

[1] Le terme « race » est ici entendu dans une acception sociologique, c’est-à-dire comme construction sociale, dans le cadre d’un rapport social de domination, tout comme le sont le genre et la classe (Colette Guillaumin, 1972).

[2] L’identité de genre d’une personne cisgenre correspond à son sexe biologique, assigné à sa naissance, à l’opposé du terme « transgenre ».


Dates

  • lundi 15 avril 2019

Mots-clés

  • intersectionnalité, cinéma, études culturelles, études visuelles, représentations, genre

Contacts

  • Héloïse Van Appelghem
    courriel : heloise [dot] vanap [at] gmail [dot] com
  • Sabrina Bouarour
    courriel : sabrina [dot] bouarour [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Héloïse Van Appelghem
    courriel : heloise [dot] vanap [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Analyser l’intersectionnalité au cinéma. Circulation d’un concept, en France et aux États-Unis », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 16 janvier 2019, https://doi.org/10.58079/11qw

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