AccueilSituations de vulnérabilité : paroles, savoirs, pouvoirs

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Situations de vulnérabilité : paroles, savoirs, pouvoirs

Situations of vulnerability: speech, knowledge, power

Revue « Éducation et socialisation »

Éducation et socialisation journal

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Publié le vendredi 19 avril 2019

Résumé

L’ambition de ce dossier de la revue Éducation et socialisation n°57 est d’interroger la notion de vulnérabilité telle qu’elle se présente aujourd’hui dans le champ de l’éducation et de la formation tout au long de la vie. Il s’agira de penser la notion de vulnérabilité au prisme des apprentissages expérientiels, de l’action et des politiques éducatives.

Annonce

Coordination

Numéro coordonné par Carole Baeza, Olivia Gross, Godefroy Lansade, Vanina Mozziconacci

Argumentaire

L’ambition de ce dossier est d’interroger la notion de vulnérabilité telle qu’elle se présente aujourd’hui dans le champ de l’éducation et de la formation tout au long de la vie. Il s’agira de penser la notion de vulnérabilité au prisme des apprentissages expérientiels, de l’action et des politiques éducatives.

Il est un idéal pédagogique qui repose sur l’idée selon laquelle toute intervention devrait favoriser le pouvoir d’agir des sujets (Le Bossé, 2003 ; Bacqué et Biewener, 2013) et le maintien de soi en développant des capabilités (Sen, 1985 ; Nussbaum, 2001). Apprendre de son expérience et penser sa vie sont alors des enjeux qui relèvent de l’éducation comme de la formation, si l’on suit le propos de Ricœur (2001) qui définit la vulnérabilité d’un point de vue ontologique comme une réserve anthropologique des différentes figures du négatif déjouant la volonté d’autonomie du sujet. Néanmoins, cette vulnérabilité fondamentale et universelle, en tant qu’humaine condition, ne doit pas masquer les dimensions contextuelles, relationnelles et structurelles des situations de vulnérabilité contingente à l’existence collective (Garrau, 2018).

En France, nombre de rapports récents prenant pour objet l’action publique font usage de la catégorie de « vulnérabilité » et de ses adjectivations, pour désigner les publics cibles de l’action juridique, sanitaire et sociale ou leur situation. Cette catégorie a par ailleurs connu au cours de ces dernières années un succès considérable dans le champ des sciences biomédicales, des sciences environnementales mais aussi dans celui des sciences sociales (Brodiez-Dolino, 2015 ; Martin, 2013) et le droit (Fabre-Magnan, 2018). Le terme se retrouve notamment dans le discours politico-médiatique de la cohésion sociale (à travers des problématiques de réinsertion ou d’intégration) mais ses occurrences sont rares dans les textes officiels de l’Éducation nationale (alors que le vocable est omniprésent dans des textes de référence internationaux). Le concept de vulnérabilité est devenu une catégorie analytique dominante d’expression des difficultés à être en société (Soulet, 2014) ; son usage conduit certains à avancer que nous serions entrés dans une « anthropologie de la vulnérabilité » (Genard, 2009).

Dans ce dossier, nous aborderons la vulnérabilité aussi bien à partir du vécu expérientiel des acteurs que depuis les politiques publiques et leurs effets. Pour ce faire, trois axes de réflexions organisent ce numéro thématique : les paroles individuelles et collectives des personnes ; les professionnels et chercheurs à l’épreuve du terrain et la catégorie de vulnérabilité au regard des pouvoirs qu’elle affronte ou produit.

Axe 1. Les paroles individuelles et collectives des personnes/publics en situation de vulnérabilité : conditions d'émergence, savoirs et limites

Qui est ce « public vulnérable » qui chercherait à s’exprimer, qui est celui qui y aurait renoncé ? N’est-il pas nécessaire de s’assurer que les personnes se définissent elles-mêmes comme vulnérables, pour éviter le résultat paradoxal de contribuer à une stigmatisation a priori de catégories de personnes (qui plus est de plus en plus large, notamment dans le droit) ? Comment organiser ces autodéfinitions ?

Les paroles de ce public peuvent être vues comme un art des faibles (De Certeau, 1980) au service des capacités des personnes, de leur subjectivation, résistance, émancipation, résilience, liens sociaux, de leur rapport à elles-mêmes. Quelles sont les conditions d’émergence et de réception de leurs paroles pour qu’elles se déploient au mieux ? Quels cadres théoriques en permettent le recueil et l’analyse ?

On peut aussi envisager qu’elles desservent ceux qui les expriment, la parole pouvant révéler des caractéristiques sociales ou culturelles et dévoiler à l’insu des personnes des éléments les concernant. Sans compter que pour ceux qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer, les paroles peuvent dépasser, ou trahir, les pensées (Bourdieu, 1982). Tout ceci limiterait alors l’ « extimité » des personnes (Tisseron, 2011), à savoir leur contrôle sur ce qu’elles dévoilent d’elles-mêmes dans l’espace public.

Les émotions et les savoirs croisent la parole qui les traduit dans l’espace public. Les expériences affectives ont tendance à déborder des cadres sociaux, alors que l’intériorité est considérée comme le lieu exclusif de l’émotion (Paperman, 1992). Dans l’espace public, particulièrement régi par des codes et des conventions, les émotions des personnes vulnérables ne sont-elles pas parfois trop bruyantes pour pouvoir être véritablement entendues ? Que disent-elles de ceux qui les expriment ? Comment faire cohabiter les modes d’expression qui respectent les codes sociaux avec ceux qui ne le font pas ?

Les savoirs des personnes dites vulnérables sont souvent considérés comme expérientiels (Jouet, Flora et Las Vergnas, 2010 ; Gross et Gagnayre, à paraître). Il s’agirait de les caractériser plus finement, d’en interroger les facultés émancipatrices, le pouvoir d’agir visé, ainsi que leurs croisements avec les savoirs formels, professionnels. Leur expression sert-elle la métacognition des acteurs ? Quels en sont les statuts, fondements, objets et objectifs ? Leur transmission peut aussi interroger. Les savoirs des uns ont-ils de la valeur pour les autres ? À quelles conditions ? Sous réserve de « coopérations réflexives » (Las Vergnas, Jouet et Renet, 2017) ?

Enfin, il ne faudrait pas oublier la parole collective. Est-elle une cacophonie polymorphe ou peut-elle, et selon quelles modalités, se structurer en une « polyphonie productive » (Rosa, 2018) ? Qu’apporte-t-elle qui fait défaut à la parole individuelle ? Comment passe-t-on de l’une à l’autre ?

Axe 2. Professionnels et chercheurs à l'épreuve de la vulnérabilité

Ce deuxième axe de réflexions se centrera sur les pratiques éducatives/formatives des professionnels (Paul, 2004 ; Rey, 2015) qui interviennent auprès des publics en situation de vulnérabilité (éducateur, accompagnateur, soignant, formateur, enseignant) ; sur les styles de recherches qui accordent une place non négligeable à l’engagement du chercheur et la façon dont celui-ci s’empare des questions de vulnérabilité (Cifali, 2018 ; Hébrard, 2011).

Nous cherchons à mettre à jour tout autant les attitudes des professionnels que celles des chercheurs (Fassin et Bensa, 2008) confrontés aux publics qu’ils côtoient en situation professionnelle ou de recherche. Nous supposons que ce serait à partir des postures adoptées que se déterminerait en premier lieu le sens de l’action ou de la recherche ; et en deuxième lieu, par un effet de ricochet, que cela impacterait la collaboration entre acteurs/public/chercheur avec des spécificités d’intervention, des résultats, des effets et des modes de diffusion sur la scène publique (Morrissette, Pagoni et Pepin, 2017). Il s’agira de mettre l’accent plus particulièrement dans cet axe sur les enjeux pédagogiques, épistémologiques, méthodologiques et éthiques dans l’agir professionnel et de recherche.

Deux orientations sont ici proposées.

La première concerne les recherches menées sur les pratiques éducatives et formatives des acteurs dans leur agir professionnel « auprès », « sur » et « avec » les publics (Dionne, 1998) en situation vulnérabilisante. La diversité dans les approches éducatives et formatives, les formes d’engagement des acteurs et les fondements éthiques sur lesquels se basent l’action seront précisés. Quels styles d’intervention pour quelles manières d’agir ? Quelles formes de réparation et de réversibilités des vulnérabilités visées (une biographie, une performance artistique, une attitude visée, un projet d’insertion, un choix d’orientation personnel ou professionnel, une implication dans la Cité, etc.) ?

La deuxième orientation concerne les effets de l’engagement des professionnels ou des chercheurs dans un tel dispositif. Une attention toute particulière sera accordée aux effets formatifs pour le professionnel ou le chercheur (Dominicé, 2015). A-t-il été constaté un « effet réciproque » (Héber-Suffrin, 1998 ; Labelle, 2017) dans la pratique du chercheur et des acteurs confrontés à la vulnérabilité, et si oui, lequel ? Un autre aspect pourra être également abordé : celui de la diffusion des résultats. Bien souvent, ce sont les chercheurs et les acteurs qui se font « la voix » des publics en situation de vulnérabilité. Comment s’y prennent-ils ? Quelle est la légitimité de la recherche dans le corps social ?

Axe 3. Pouvoirs et vulnérabilité. Catégoriser, nommer et définir les populations cibles de l'action publique

S’inscrivant dans une perspective critique, ce dernier axe portera sur l’émergence de la catégorie de vulnérabilité, sur la diversité de ses usages et des effets de réel qu’elle implique sur les situations et les personnes ainsi désignées.

Il importe de dénaturaliser des associations qui « vont de soi », par exemple celles qui lient certains âges à une vulnérabilité qui serait accrue (bas âge ou grand âge) et qui feraient des domaines de l’éducation ou de la santé les lieux « naturels » d’accueil de la vulnérabilité. Cette dénaturalisation passe par une analyse fine des discours de la vulnérabilité, de leurs usages et leurs effets, en tant qu’ils construisent des populations – par exemple des populations cibles de politiques publiques (santé, éducation, formation), mais pas uniquement.

La vulnérabilité est-elle un élément clef dans certaines définitions de la réalité sociale qui circulent dans les domaines de l’éducation et de la formation ? Lesquelles ? D’autres termes lui sont-ils préférés (précarité, désaffiliation, fragilité, etc.) ? Par exemple, quelles sont les catégories en jeu dans l’ensemble « besoins éducatifs particuliers » (BEP) ? Sans se restreindre à une approche nominaliste, on pourra également analyser les domaines de sens et d’interventions voisins, pour préciser les formes d’articulation ou au contraire de démarcation vis-à-vis de l’idée de vulnérabilité.

Il peut s’agir également de déterminer les présupposés, les connotations et les jugements de valeur qui accompagnent la catégorie. S’agit-il d’un terme « idéologique », c’est-à-dire dont les usages non réflexifs entérinent des interprétations dominantes de la vie sociale qui délégitiment celles des groupes dominés ? La catégorie est-elle le vecteur d’un paternalisme d’État ou encore d’une médicalisation du social (comme cela a pu être dit à propos de la notion de « souffrance », voir Renault, 2008) ? On peut par exemple penser aux processus qui conduisent les élèves en difficulté (dans le cadre) scolaire à être appréhendés comme des individus nécessitant des « soins » et devant ainsi consulter des « spécialistes » exerçant des professions médicales ou dans des établissements sous tutelle médicale (Morel, 2014). Si le caractère déterminant des discours et des dispositifs (Foucault, 1977) liés à la vulnérabilité mérite d’être souligné, il importe toutefois de ne pas perdre de vue les réceptions différenciées et les formes possibles d’appropriation – voire de subversion – par les publics (Revillard, 2018 ; Warin, 2016 ; Duvoux, 2015).

Les propositions pourront partir d’un travail de terrain ou être centrées sur des enjeux de théorisation. Les axes ne doivent donc pas être lus comme des entrées disciplinaires ou des approches exclusives. Sont bienvenues les propositions qui croisent les différents axes ou qui interrogent les présupposés inhérents à la mobilisation même de la notion de vulnérabilité en éducation et formation.

La procédure de participation est la suivante

Tout projet de contribution devra être envoyé à lescahiersducerfee@gmail.com afin que soit donné un accord de principe. Les questions et les projets d’article (sous la forme d’un résumé d’environ 3000 caractères)

seront reçus jusqu’à la fin du mois de juin 2019.

Après accord de principe, toute contribution devra ensuite être présentée en respectant les normes de la revue (soumettre une contribution : https://edso.revues.org/395 ; les recommandations aux auteurs : https://edso.revues.org/624).

Calendrier

  • Date limite d’envoi des projets : fin juin 2019

  • Réponse sur les projets : fin septembre 2019
  • Date limite d’envoi de l’article intégral : décembre 2019
  • Date limite de retour des expertises : mars 2020
  • Date limite d’envoi de l’article définitif : juin 2020

Pour accéder à l'intégralité de l'argumentaire, consulter : https://journals.openedition.org/edso/5667


Dates

  • dimanche 30 juin 2019

Mots-clés

  • vulnérabilité, éducation, formation, paroles, pouvoir d'agir, catégorisation, pédagogie, épistémologie, éthique, politiques publiques, émancipation, émotions, fragilité, voix, soin, santé

Contacts

  • Vanina Mozziconacci
    courriel : lescahiersducerfee [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Vanina Mozziconacci
    courriel : lescahiersducerfee [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Situations de vulnérabilité : paroles, savoirs, pouvoirs », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 19 avril 2019, https://doi.org/10.58079/12h7

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