AccueilSanté mentale, expériences du travail, du chômage et de la précarité

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Santé mentale, expériences du travail, du chômage et de la précarité

Mental health and experiences of work, health and job insecurity

Appel à projets de recherche 2019

Call for research projects 2019

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Publié le mardi 23 avril 2019

Résumé

La DREES et la DARES lancent un appel à projets de recherche portant sur la santé mentale et les conditions de travail des personnes occupant un emploi, le chômage et la précarité professionnelle. Il a pour but d’encourager et de financer la réalisation de travaux scientifiques en sciences humaines et sociales qui s’intéressent aux conséquences sur la santé mentale des transformations des conditions et de l’organisation du travail, des nouveaux modes de management, des nouvelles formes d’emploi, des emplois précaires et du chômage. Les dispositifs pour prévenir, rétablir ou réparer les atteintes à la santé mentale des actifs sont également au cœur de cet appel.

Annonce

Objectif de l’appel à projets

Cet appel à projets de recherche vise à développer les connaissances sur les interactions entre la santé mentale et les conditions de travail des personnes occupant un emploi, le chômage et la précarité professionnelle. La santé mentale en lien avec le travail et l’emploi a donné lieu à une production riche de travaux en sciences sociales. Toutefois des points méritent d’être davantage investigués. Ils ont été mis en lumière dans le cadre de quatre séminaires organisés par la DARES et la DREES. Le présent appel à projets de recherche a ainsi pour objectif de s’intéresser aux conséquences sur la santé mentale des transformations des conditions et de l’organisation du travail, des nouveaux modes de management, des nouvelles formes d’emploi, des emplois précaires et du chômage. Les dispositifs pour prévenir, rétablir ou réparer les atteintes à la santé mentale des actifs sont également au cœur de cet appel.

Quatre axes de recherche, dont un axe transversal, proposés. Ils sont détaillés plus loin (pages 5 et suivantes).

  • Axe transversal : Réflexions épistémologiques, théoriques et méthodologiques sur la santé mentale chez les actifs
  • Axe 1 : Interactions entre santé mentale, organisation du travail et nouvelles formes d’emploi
  • Axe 2 : Les atteintes à la santé mentale chez les travailleurs précaires et les chômeurs
  • Axe 3 : Les dispositifs de prévention et les procédures de reconnaissance et de réparation

Champ de l’appel à projets

Les projets devront articuler la santé mentale avec au moins une des trois dimensions travail / emploi / chômage.

Critères d’éligibilité des projets

  • Les projets attendus doivent relever des sciences humaines et sociales (sociologie, économie, gestion, sciences politiques, droit, histoire, sciences de la gestion, psychologie, etc.) et devront proposer des approches qualitatives ou quantitatives ou couplant les deux (pour une description de différentes bases de données existantes, se référer à l’annexe 1). Des analyses socio-historiques pourront également être proposées.
  • L’articulation entre la problématique posée par les candidats et l’objectif énoncé au début de cet appel à recherche doit être impérativement et explicitement énoncée.
  • Le projet devra être mené, de préférence, sur une durée maximale de 24 mois à compter de la notification de la convention. Les candidats présenteront un calendrier de recherche compatible avec cette durée.
  • Cet appel à projets de recherche est financé par la DREES et la Le montant total de 400 000 € alloué par la DREES subventionnera quatre à cinq projets. Le montant total de 200 000 € alloué par la DARES subventionnera deux à trois projets. En conséquence, chaque projet ne devra pas dépasser 100 000 euros. Des dépassements de budget pourront, à titre exceptionnel, être accordés pour des projets intégrant des études de terrain approfondies.

Responsable scientifique du projet

  • Le responsable scientifique du projet de recherche doit être membre d’un laboratoire relevant d’un organisme de Est considéré comme organisme de recherche, une entité, quel que soit son statut légal (organisme de droit public ou privé) ou son mode de financement, dont le but premier est d’exercer des activités de recherche et de diffuser leurs résultats par l’enseignement, la publication ou le transfert de technologie ; les profits sont intégralement réinvestis dans ces activités, dans la diffusion de leurs résultats ou dans l’enseignement.
  • Le responsable scientifique peut déposer au maximum deux projets dans le cadre de cet
  • Il peut présenter des projets réalisés en partie par des doctorants, des post-doctorants, etc.
  • Le responsable scientifique ne peut être membre du comité scientifique d’évaluation de l’appel à

Organisme responsable du projet de recherche

  • L’organisme responsable du projet de recherche peut présenter un projet fédérant plusieurs équipes de recherche, relevant de préférence de différentes disciplines (sociologie, économie, gestion, sciences politiques, droit, etc.), étant entendu qu’il sera alors le seul contractant pour l’ensemble des équipes. Le projet peut aussi s’appuyer sur une coopération avec des acteurs de
  • Il est responsable devant la DREES et la DARES de l’avancement du projet, de la transmission des rapports scientifiques et financiers et du reversement des fonds aux parties
  • Un même organisme peut déposer plusieurs projets d’équipes différentes.

Modalités de candidature

Le texte de l’appel à projets et le dossier de réponse sont disponibles :

Le dossier de réponse et le budget financier, ainsi que les pièces justificatives, devront parvenir (l’envoi électronique faisant foi) :

avant le 15 juillet 2019 à 12h,

par messagerie électronique, au format Word pour le dossier de réponse et au format Excel pour le budget  financier,  à  l'adresse  suivante : desprat@sante.gouv.fr

Et 1 original avec les signatures et 3 copies,

Soit par la poste,

avant le 19 juillet 2019 :

À l’attention de Diane Desprat Ministère des solidarités et de la santé DREES

14 Avenue Duquesne, 75007 Paris 07 SP

Soit par dépôt, contre récépissé, le 19 juillet de 9h30 à 12h au Ministère à Montparnasse :

Auprès d’Isabelle Philippon Ministère des solidarités et de la santé

DREES

10, place des 5 martyrs du lycée Buffon, 75014 Paris Tél : 01.40.56.80.68

Procédures de sélection

L’évaluation des projets sera effectuée par un comité scientifique d’évaluation composé de chercheurs, d’experts et de représentants institutionnels (DREES, DARES, etc.), qualifiés sur les questions traitées.

Les projets de recherche seront évalués selon les critères suivants :

  1. l’adéquation de la problématique du projet avec les objectifs de l'appel à projets de recherche ;
  2. la pertinence et l’originalité du projet par rapport aux travaux existants ;
  3. l’adéquation de la méthodologie aux objectifs et aux hypothèses du projet ;
  4. la faisabilité du point de vue de l’accès aux données, du calendrier, de la durée du projet ;
  5. la composition et la qualité de l’équipe projet ;
  6. l’adéquation du budget prévisionnel avec le

Renseignements administratifs et scientifiques auprès de : diane.desprat@sante.gouv.fr

Les résultats de la sélection des projets seront communiqués à partir du 20 septembre 2019.

À l’issue de la procédure de sélection, les projets de recherche retenus feront l’objet d’une participation financière, sous la forme d’une subvention de recherche, de la part des organismes financeurs. La subvention sera allouée à l’organisme porteur du projet pour la réalisation du dudit projet.

Présentation générale de l’appel à projets de recherche

À l’issue d’un séminaire qui s’est achevé en décembre 2018, réunissant chercheurs, experts des administrations centrales, médecins et psychologues du travail, etc., la DREES et la DARES s’associent pour lancer un programme de recherches pluridisciplinaires portant sur la santé mentale en prise avec le travail, le chômage et la précarité.

Le travail, tant dans l’épanouissement qu’il procure que dans l’investissement et les efforts qu’il nécessite et les souffrances qu’il génère, participe à la construction psychique de chaque sujet. Plus largement, le couple emploi-travail constitue un mode de socialisation et d’intégration majeur. Quand il est source de plaisir, le travail peut constituer un lieu d’accomplissement de soi. En cela, le travail peut être bénéfique pour l’équilibre mental, mais il peut aussi se révéler pathogène.

En effet, on sait que l’organisation et des conditions de travail (innovations organisationnelles, restructurations, réductions d’effectifs, augmentation des exigences de flexibilité et de mobilité, etc.), en particulier lorsqu’elles évoluent, peuvent entrainer une intensification et une insécurisation du travail, causant une souffrance psychique chez les individus, notamment lorsqu’elles sont brutales et font insuffisamment sens pour les travailleurs. La montée du débat sur la « souffrance au travail » et les « risques psychosociaux » a amené à partir de la fin des années 2000 une mobilisation importante des pouvoirs publics, des préventeurs et des entreprises, sous la forme de plans de prévention des RPS. Dans la plupart des cas il s’est agi d’initiatives visant à détecter et aider les individus « fragiles » et à former les managers à la gestion de ces situations (Amira, 2017). À côté de ces approches individualisantes, sont aussi apparues des initiatives d’organisation innovante du travail (slow management, management bienveillant, organisations responsabilisantes, entreprises libérées, etc.), visant à favoriser la prise d’initiatives et la coopération des travailleurs. Mais leur diffusion réelle, la diversité des pratiques, leurs impacts sur les conditions de travail sont à ce stade peu connus.

En définitive les enquêtes statistiques récentes montrent à la fois un maintien de fortes contraintes organisationnelles (intensité du travail élevée, déclin de l’autonomie), et une certaine décrue des facteurs psychosociaux (travail empêché, comportements hostiles, manque de reconnaissance) (Beque, Mauroux, 2017). Les travaux qui permettraient d’éclairer ces paradoxes seront particulièrement précieux.

Par ailleurs, les nouvelles formes d’emploi (l’auto-entrepreneuriat, le travail sur les plateformes numériques, les formes de travail non salarié mais économiquement dépendant, etc.), en libérant le travailleur de la subordination à un employeur par le contrat de travail, s’accompagnent souvent de conditions de travail dont les effets sur la santé mentale restent ambigus. À une plus grande autonomie des horaires et des rythmes de travail, se juxtaposent de nouveaux risques potentiels pour la santé mentale (isolement, complexité des relations avec les donneurs d’ordre, morcellement des emplois et des tâches, confusion plus grande entre vie privée et professionnelle, etc.). Enfin, on observe un déplacement de la subordination. Dans le cadre des plateformes, l’activité laborieuse se caractérise par le passage progressif d’une subordination juridique (avec une protection assurée par le droit) à une subordination économique (où le marché est censé assurer, à travers la flexibilité, les transitions entre les différents statuts). Cette évolution mérite d’être interrogée.

Parallèlement, le chômage et la précarité des emplois (contrats courts, à temps réduit, faible rémunération, cumul d’emplois, etc.) exposent également les individus à la souffrance psychique. Ne plus avoir de collègues de travail, ne pas retrouver d’emploi, se sentir inutile, ne pas pouvoir envisager l’avenir, ne plus pouvoir payer son loyer, etc. sont autant de risques liés aux situations de chômage ou de précarité de l’emploi. Même s’il est largement admis que ces situations nuisent à la santé mentale, les mécanismes et les effets psychiques précis en sont rarement décrits (Debout, 2015). Le retour à l’emploi après un épisode de chômage peut à l’inverse ouvrir des possibilités de rétablissement de la santé mentale qui sont sans doute très diverses selon la nature de l’emploi retrouvé. Plus largement, le développement, l’altération ou le recouvrement de la santé mentale dépendent probablement de l’ensemble de la trajectoire professionnelle des personnes, en particulier pour les travailleurs vieillissants. L’identification de réponses stratégiques des travailleurs et travailleuses face aux insatisfactions lancinantes produites par leur environnement de travail mérite également d’être conduite. En particulier, suivant le triptyque classique d’A. Hirschman (exit, voice, loyalty), on peut se demander si des formes typiques d’abandon de carrière – reconversion motivées par un souci de préservation de sa santé mentale, sont aujourd’hui repérables.

Les projets attendus devront donc porter spécifiquement sur le travail et l’emploi, son absence ou sa précarité, et « le vécu » des personnes dans l’analyse de la santé mentale (expérience biographique, construction identitaire, traductions psychosomatiques). Des investigations sur les suicides et tentatives de suicide survenus en lien avec le travail, le chômage ou la précarité pourront être proposées.

Les recherches pourront enfin questionner les dispositifs déployés dans les entreprises en termes de prévention et de reconnaissance des atteintes à la santé mentale. Une attention particulière pourra porter sur les différents acteurs en jeu (syndicats, services de santé au travail, direction, etc.) et sur l’articulation entre actions de prévention et de réparation et entre dispositifs individuels et collectifs.

Des projets de recherche proposant d’exploiter les bases de données statistiques existantes ainsi que les recherches de nature qualitatives sont attendus. Plus précisément, des contributions proposant de mobiliser ces deux types de travaux sont fortement encouragées. Enfin, les recherches s’inscrivant dans une perspective pluridisciplinaire doivent être privilégiées.

Axe transversal : Réflexions épistémologiques, théoriques et méthodologiques sur la santé mentale chez les actifs

Par sa transversalité, ce premier axe vise à attirer l’attention des responsables scientifiques des projets soumis sur l’importance des catégories descriptives de la santé mentale en lien avec l’activité professionnelle ou sa privation, que ces catégories soient profanes ou savantes, sur leurs genèses, leurs usages et circulations. Cette question des catégories d’appréhension de la santé mentale peut faire l’objet de projets spécifiques. Dans les cas de projets s’inscrivant dans les axes suivants, elle doit être explicitement intégrée dans la problématique.

« Pénibilité », « charge mentale », « sentiment de surcharge », « fatigue », « épuisement », « troubles de l’attention », « syndrome dépressif », … le champ sémantique de la sollicitation cognitive, nerveuse et morale, excessive est divers. Cette variété invite, selon la perspective canonique ouverte par Canguilhem (1966), à interroger le caractère intrinsèquement normatif des concepts de santé et les frontières entre l’excès ordinaire et l’excès insupportable.

Le choix des termes pour appréhender les atteintes à la santé psychique diverge d’une discipline à une autre (ergonomie, psychologie, sociologie, etc.). À titre d’exemple, en psychodynamique du travail, le terme de « souffrance au travail » a été retenu. A contrario, est apparu depuis une dizaine d’années en lien avec la publication du rapport Gollac (2011), la notion de « risques psychosociaux » (RPS). Cette catégorisation a contribué à mettre ces risques en débat dans les organisations (entreprises, fonction publique, etc.) et dans la société, mais surtout a permis de progresser dans leur mesure statistique et dans la compréhension de leurs conséquences sur les personnes au travail. D’autres termes, comme « mal-être » ou « malaise », sont  davantage  mobilisés en  sociologie du  travail.  « Harcèlement  moral »  ou « burn-out » ont également connu un certain engouement dans l’espace public. Enfin, dans les pays anglo-saxons et scandinaves, la notion de « stress » a été privilégiée (Loriol, 2014). Des recherches pourraient interroger, dans une perspective socio-historique, les termes employés pour désigner les atteintes à la santé mentale. Cette absence de stabilité et de consensus dans la désignation des atteintes du travail sur la santé mentale doit en effet donner lieu à une réflexion, souhaitée dans le cadre de cet appel à projet. Comment penser l’usage de ces notions ? Que disent-elles des évolutions sociétales dans la perception de la souffrance professionnelle et de leur reconnaissance dans l’espace public ? Dans la continuité, des travaux pourraient questionner les critères et la définition de la santé mentale. À ce titre, des études revenant sur les enjeux des distinctions entre santé perçue (c’est-à-dire la manière dont les individus se perçoivent et vivent leur situation), santé déclarée (qui peut faire l’objet de « biais déclaratifs » pour des raisons à investiguer) et santé objectivée médicalement (jugement porté par des experts sur la santé des individus et des populations), par rapport aux questions particulières du travail et de l’emploi, sont particulièrement bienvenues.

Par ailleurs, des réflexions épistémologiques sur la manière dont les disciplines se sont saisies de cette question sont attendues. En effet, la psychologie envisage avant tout la santé mentale comme une construction qui évolue dans le temps et peut prendre différentes formes (positive ou négative selon le vécu du travailleur) ; alors que la psychodynamique du travail met en lumière la dialectique de la souffrance et du plaisir au travail. L’ergonomie de l’activité a pu, quant à elle, se sentir interpellée par l’émergence de nouveaux troubles au travail, au regard d’une exploration privilégiant les dimensions fonctionnelles de l’activité (De Gasparo et Van Belleghem, 2013). Pour sa part, la sociologie privilégie souvent l’impact délétère du travail sur le psychisme des individus. Le travail serait en premier lieu facteur de souffrance, rarement source de santé et a fortiori, facteur d’émancipation et de reconnaissance.

Comment interpréter et expliquer ces disparités dans l’appréciation de la santé mentale au travail selon les disciplines et les courants de pensée ?

Enfin, une réflexion à mener sur les outils pour mesurer et questionner les effets du travail sur la santé mentale est souhaitée. Le choix des indicateurs statistiques permettant la prise en compte de la souffrance au travail mérite d’être interrogé. Ces derniers ne sont pas neutres et doivent être questionnés et analysés dans une perspective critique et historique. En plus des biais de genre, une critique régulière pointe le fait que ces indicateurs tendent à produire des raisonnements causalistes qui ne prennent pas en compte l’expérience subjective d’individus toujours situés socialement. Par exemple, le travail de nuit peut ne pas être vécu négativement selon sa situation personnelle. Ainsi des travaux pourraient aborder ces questions.

Axe 1 : Interactions entre santé mentale, organisation du travail et nouvelles formes d’emploi

À travers cet axe, les recherches proposées s’attacheront à cerner et à analyser l’évolution de l’organisation du travail et des formes d’emploi et leur impact sur la santé mentale des travailleurs et travailleuses. Des recherches attentives aux effets différenciés selon le genre et/ou abordant le phénomène suicidaire sont souhaitées.

Interactions entre contenu du travail, conditions de travail et santé mentale

Il s’agira dans ce premier axe de placer le contenu du travail au centre des analyses pour comprendre dans quelle mesure et comment le travail impacte la santé mentale des travailleurs. Des recherches attentives à l’activité réelle, c’est-à-dire à « ce que les gens font concrètement (et non ce qu’on les « obligerait à faire ») et « ce que cela leur fait de le faire » (Molinier et Flottes, 2012, 63) sont attendues. Elles devront ainsi s’attacher à décrire finement la manière dont les travailleurs s’investissent dans leur travail mais cherchent également à se protéger de ses atteintes potentiellement négatives. Les travaux pourront ainsi s’appuyer sur l’approche sociologique de l’implication subjective au travail. Ils pourront également mobiliser ce que Dominique Lhuilier nomme le « travail de santé » (à paraitre). La santé est le produit d’un effort, le travail de santé, qui prend sens dans l’espace de travail, dans les interactions avec les collègues et la hiérarchie, mais aussi dans la sphère privée. Quelles sont les ressources, individuelles et collectives, mobilisées, les ressources créées ou les ressources manquantes pour aménager, composer et faire face aux exigences de la situation de travail ? Face aux contraintes du travail, comment les personnes et/ou les collectifs peuvent-ils transformer leur travail ou au contraire qu’est-ce qui les en empêche et quelles en sont les conséquences sur la santé mentale?

Innovations organisationnelles et managériales et impacts sur la santé mentale

Depuis les années 1980, de nombreux travaux ont porté sur la psychopathologie du travail dans le secteur industriel, en lien avec l’automatisation des processus de production. Par la suite, cette prise de conscience de la souffrance mentale liée au travail s’est déplacée vers le secteur tertiaire à l’occasion de l’apparition de nouvelles formes d’organisation du travail, en particulier en lien avec l’informatisation des tâches et le développement du contact avec le public.

À partir de là, de nouvelles formes d’organisation du travail et de pratiques managériales ont émergé. Elles se caractérisent par une tendance globale à l’individualisation de la gestion des salariés et de l’organisation de leur temps de travail. Cette individualisation passe par la fixation d’objectifs de performance individuelle, de rentabilité ou de productivité, qui promettent la reconnaissance de la contribution de chacun mais peuvent aussi mettre les travailleurs en concurrence les uns avec les autres et effriter les solidarités au sein des collectifs de travail. Désormais, les diplômes et compétences de métier ne suffisent plus pour « faire ses preuves », mais les travailleurs doivent constamment prouver leurs qualités personnelles et leur « motivation » (Linhart, 2010, 2015).

Cette individualisation s’accompagne souvent de changements organisationnels (restructuration des services, recomposition des métiers, mobilité imposée, changements de logiciels, externalisations, etc.) – inspirés par le « lean management » - qui visent à « rationaliser » l’organisation par la définition rigoureuse de scripts, de procédures, de contrôles et d’obligations de reporting. Ces changements organisationnels permanents peuvent offrir de nouvelles possibilités de développement mais aussi fragiliser les travailleurs par une remise en cause de leurs compétences et de leur travail.

Parallèlement, ces nouvelles formes de management cherchent à mobiliser la subjectivité des travailleurs au service de la performance organisationnelle. La notion de subordination, qui caractérise traditionnellement le lien entre l’employeur et le salarié dans le contrat de travail, prend alors un autre sens : le management cherche à subordonner les désirs mêmes du salarié au service des objectifs de l’entreprise (Linhart, 2015). Cela n’est sans doute pas sans effet sur la santé mentale et constitue un objet de recherche. Les salariés peuvent trouver des satisfactions dans cet investissement mais aussi devenir vulnérables en cas de déception des attentes, qui peut affecter leur personne toute entière. Ainsi, différentes questions pourront être traitées : comment ces formes de management concilient-elles un contrôle individuel renforcé et l’investissement des personnes dans le travail ? De quelles manières ces nouveaux modes de management tendent-ils à produire des formes spécifiques de plaisir et de souffrance ? Comment éviter le risque de surinvestissement débouchant sur une décompensation ?

Peut-être pour surmonter une possible contradiction entre la standardisation du travail et la subordination subjective, sont apparues plus récemment des innovations visant à relâcher la pression des scripts et des procédures pour libérer l’initiative des salariés. Le slow management, par exemple, s’attacherait à revaloriser l’individu en permettant une meilleure coopération entre les travailleurs et en favorisant leur bien-être. L’ « entreprise libérée », autre modèle d’organisation managériale apparu ces dernières années, reposerait non plus sur une hiérarchie classique (celle-ci est supprimée) mais sur des collaborations horizontales où chacun aurait la possibilité d’organiser soi-même son travail, son temps de travail et ses objectifs personnels. Dans la continuité, se développe un « management humain » avec des responsables « du bonheur » ou « de la bienveillance », qui ont pour fonction d’organiser des événements festifs, de faciliter l’épanouissement au travail mais aussi d’identifier les travailleurs en situation de fragilité et de les orienter vers les services adéquats : ressources humaines, médecin du travail etc. Ces démarches, engagées par les entreprises, sont mal connues et méritent d’être examinées, notamment concernant leur diversité dans la pratique, leur mise en œuvre, leurs caractéristiques et leurs effets sur la santé mentale des travailleurs.

Conditions de travail, nouvelles formes d’emploi et médiations numériques

L’apparition de formes hybrides d’emploi à la frontière du salariat (auto-entrepreneuriat, emplois des plates-formes, micro-travailleurs, etc.), d’une part, l’impact du numérique et de l’intelligence artificielle sur le travail, d’autre part, nécessitent également d’être interrogés en termes d’astreintes inédites ou accrues pour les travailleurs. Pour une part, ces nouvelles formes d’emploi et de travail, qui répondent souvent à une aspiration des travailleurs, se  caractérisent par l’absence de lien de subordination juridique qui se trouve souvent remplacée par une subordination économique. Mais les médiations numériques de l’activité ont une portée plus diffuse qui interroge les capacités ordinaires à faire avec le risque de « dispersion » au travail (Bidet, Datchary et Gaglio, 2017 ; Datchary, 2012).

Les conditions de travail qui prévalent dans l’économie dite de plateforme (systèmes de notation par les clients, rythme de travail imposé par une intelligence artificielle et rémunération à la tâche, morcellement des emplois, multiplicité des lieux de travail, complexité des relations et dépendance économique aux donneurs d’ordre) introduisent diverses formes de dépendance, notamment vis-à-vis des plateformes. On peut en effet s’interroger sur les conséquences de ces nouveaux statuts sur la santé mentale des travailleurs. L’objectif est de saisir dans quelle mesure ces nouvelles formes d’emploi, qui se cumulent souvent à des conditions de travail dégradées (Greenan, 2018), (ré)interrogent de manière spécifique le plaisir et la souffrance au travail. Dans certains cas, les travailleurs des plateformes numériques demandent la requalification de leur statut en salariat. Au-delà des droits à la protection sociale qu’apporte le contrat de travail, ces demandes ne masquent-t- elles pas une souffrance psychique liée à des conditions de travail délétères ?

Conditions de travail et santé mentale des indépendants

Dans la continuité, le cas des indépendants (commerçants, artisans, agriculteurs, autoentrepreneurs, professions libérales, etc.) qui, du fait de conditions de vie et de travail propres, sont exposés à des risques plus ou moins importants pour la santé mentale, rentre dans le champ de cet appel à projet. En effet, être à son compte peut être source de bien-être grâce à l’autonomie dont on dispose dans l’organisation de son travail, mais aussi de stress du fait de l’incertitude du lendemain, du risque de surendettement, d’isolement, de confusion plus grande entre vie privée et professionnelle, etc. Notamment, l’isolement social a été mis en avant comme un facteur nuisible à la santé mentale des personnes (CESE, 2017). Par exemple, les travailleurs indépendants, ceux cumulant plusieurs emplois ou encore ceux de l’économie des plateformes, déjà citée, se retrouvent souvent sans collectif de travail.

Conditions de travail et santé mentale dans la fonction publique hospitalière

Dans le cadre de l’analyse des perceptions des travailleurs, des recherches pourront aussi porter sur des groupes professionnels spécifiques. De ce point de vue, la fonction publique hospitalière (FPH) connait actuellement un certain nombre de changements organisationnels qui pourraient être questionnés davantage. En effet, ce versant de la fonction publique voit depuis plusieurs années, avec le développement des nouvelles technologies et de nouveaux modes de management, une augmentation du nombre d’agents publics soumis à un contrôle

ou un suivi informatisé, parallèlement à un travail morcelé et une exposition aux contraintes de rythme élevé (Dares Analyse, 2017). Ces derniers se retrouvent alors face à une injonction contradictoire : faire plus avec moins. De plus, dans un contexte de réorganisation territoriale, la proportion de salariés craignant pour leur emploi n’a cessé d’augmenter dans la FPH. Enfin, être confronté à la souffrance des patients, à une exigence de souci de l’autre ainsi qu’à des impératifs d’efficience, engage un « travail émotionnel » (Hochschild, 1983) et peut, à terme, entrainer des formes de mal-être et de fatigue. Tout ceci mérite d’être analysé sous l’angle de la souffrance et des conséquences qui en découlent sur l’image de soi. De même, il serait pertinent de questionner le rôle des différents acteurs (encadrement, direction, médecine du travail, etc.) dans la mise en sens des formes de mal-être des professionnels.

Organisation du travail, genre et santé mentale

Les projets de recherches attentifs au rôle du genre dans la compréhension des mécanismes agissant sur la santé mentale sont également fortement souhaités. On sait notamment qu’il existe une différenciation genrée dans les manifestations de la dégradation de la santé mentale : statistiquement, les femmes apparaissent plus exposées au stress, à la détresse psychologique et aux tentatives de suicide, alors que les comportements violents et addictifs ainsi que les suicides sont majoritairement le fait des hommes (Fourcade et Gonzalez, 2013). Par ailleurs, les femmes connaissent des conditions d’emploi qui diffèrent de celles des hommes (CDD, temps partiel, etc.) et elles n’occupent pas les mêmes métiers. Lorsqu’il y a mixité (Fortino, 2002), celle-ci mérite d’être questionnée d’un point de vue des effets du travail sur la santé mentale. Ainsi les personnes exerçant leur activité dans une profession où l’autre sexe est très majoritaire courent plus de risques de discriminations sexistes (Algava, 2016). D’autre part, le travail accompli par les hommes et les femmes n’est pas le même. Or, les spécificités du travail des femmes tendent à être invisibilisées dans les recherches et du même coup, les atteintes à la santé mentale (Bercot, 2015). C’est le cas notamment dans les métiers en contact avec un public, très féminisés, qui nécessitent un « travail émotionnel » (Hochschild, 1983) visant à afficher ou à réprimer certaines émotions dans le cadre de l’activité. Ce travail, discret, est difficilement mesurable mais est pourtant nécessaire pour permettre le bon déroulement de l’activité. Par ailleurs, l’articulation entre la vie au travail et en dehors du travail s’impose pour analyser les variations de risques sur la santé mentale entre hommes et femmes (Avril et Marichalar, 2016). Du fait de l’assignation prioritaire des femmes à la sphère domestique (tâches ménagères, travail parental, etc.), la santé mentale au travail ne peut se comprendre sans la rattacher à la place de la famille dans les parcours professionnels et à ses conséquences sur la charge psychique.

Conditions de travail et suicide

Enfin, des recherches pourraient analyser ce qui, dans le travail, peut conduire au suicide ou aux idées suicidaires. L’organisation du travail influe de manière non négligeable sur la santé mentale des individus ; certaines professions et secteurs d’activité sont davantage touchés par le geste suicidaire (agriculteurs, surveillants pénitentiaires, etc.). Quels sont les déterminants dans le travail d’un passage à l’acte suicidaire ? Comment certaines expositions professionnelles tendent-elles à fragiliser les travailleurs pouvant à terme entrainer un risque suicidaire ? Selon les travaux de Christophe Dejours, le suicide touche des personnes qui n’avaient pas de psychopathologie préalable et des personnes qui étaient très performantes et investies dans leur travail. Dans cette perspective, il s’agirait de mieux comprendre ce phénomène de suicides liés au travail. Dans quelle mesure le suicide lié au travail tient-il à l’organisation du travail et à la surcharge de travail ? La coopération au travail et le lien humain sur le lieu du travail peuvent-ils au contraire constituer une ressource pour faire face?

Axe 2 : Les atteintes à la santé mentale chez les travailleurs précaires et les chômeurs

Ce deuxième axe souhaite porter son attention sur la santé mentale des travailleurs précaires et des chômeurs. Plus précisément, il s’agit d’interroger les spécificités de l’impact de la précarisation de l’emploi et du travail ainsi que du chômage sur la santé mentale des individus et de permettre une meilleure connaissance des enjeux qui s’y jouent. De même, les lacunes de la prise en charge de la santé mentale de ces populations par la médecine du travail en France méritent d’être étudiées.

Santé mentale des travailleurs précaires

Le marché du travail expose à la précarité de l’emploi avec le développement de contrats « atypiques » (contrat à durée déterminée (CDD), emploi-aidé, etc.), un nombre élevé de salariés aux horaires flexibles et irréguliers, à temps partiel. Les salariés cumulant plusieurs emplois représentent 5 à 6% des travailleurs depuis une quinzaine d’années, mais on connaît peu de choses sur leurs conditions de travail, leur vécu du travail et leur santé mentale. Plus généralement, comme le souligne Loïc Lerouge, « la multiplicité des statuts et le nombre de travailleurs précaires qui passent dans l’entreprise sont une autre difficulté rendant très complexe leur suivi médical. Cette inégalité avec les travailleurs en contrat à durée indéterminée perturbe la connaissance des atteintes à la santé au travail et la détection des inégalités sociales de santé. La précarisation du travail a ceci de paradoxal qu’elle occulte ses propres effets sur la santé des travailleurs précaires » (2009, 4). Dans le cadre de cet appel à projets sont attendues des recherches s’intéressant à la santé mentale des travailleurs précaires.

Mais cette situation d’insécurité impacte également des travailleurs aux statuts auparavant protégés. Le contrat à durée indéterminée (CDI), autrefois perçu comme un gage de sécurité et de stabilité, ne garantit plus la pérennité de l’emploi, s’accompagne souvent de réorganisations subies et anxiogènes, et ne protège donc pas nécessairement contre l’insécurité socio-économique (Gollac, 2011). Des études pourraient questionner ces phénomènes en lien avec le vécu des travailleurs.

Par ailleurs, ces précarités de l’emploi et du travail s’accompagnent souvent d’une précarité financière, et tendent à se répercuter sur d’autres aspects de la vie. Elles perturbent l’organisation de la vie à court, moyen mais aussi long terme : difficulté d’accès au logement, aux ressources dites « de base » (se nourrir, s’habiller, etc.), à se projeter dans l’avenir, etc. Il existe peu de travaux permettant de connaître les liens entre précarité financière, précarité professionnelle (de l’emploi et du travail) et santé psychique : des recherches interrogeant les liens mal connus entre toutes ces dimensions sont souhaitées.

Santé mentale des bénéficiaires de minimas sociaux

Dans une autre perspective, le cas des bénéficiaires des minimas sociaux (RSA Activité, ASS, etc.) peut être particulièrement intéressant à étudier. Relativement à des chômeurs, ceux qui occupent un emploi sont-ils protégés des atteintes à leur santé mentale du simple fait qu’ils ont une activité professionnelle, même si celle-ci est faiblement rémunératrice et de courte durée, ou l’occupation d’un emploi précaire ajoute-t-elle des difficultés ? Par ailleurs, au-delà de toutes les précarités déjà citées, les bénéficiaires des minimas sociaux sont souvent soumis à des injonctions en matière d’insertion et à un contrôle régulier de leur niveau de ressources (Paugam et Duvoux, 2013), qui peuvent occasionner du stress. Après plusieurs années en contrat dans des dispositifs d’insertion, certaines personnes basculent vers l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), les éloignant davantage d’un retour à l’emploi. Des recherches pourraient à ce titre éclairer davantage ces processus de désinsertion et leurs conséquences sur la santé mentale, qui peuvent se traduire par un désengagement des personnes vis-à-vis de leur

« travail de santé » (Lhuilier, à paraitre). De même, l’étude de la situation des travailleurs non- salariés aux ressources financières faibles pourrait également être éclairante pour mieux comprendre les mécanismes et les effets psychiques des effets de la forme d’emploi, de la précarité financière et des conditions de travail (ONPES, 2016). Ces travailleurs non-salariés pauvres sont souvent invisibilisés du fait de la difficulté à les saisir au niveau statistique mais aussi en raison des représentations positives accolées au statut d’indépendant. En décalage relativement à cette norme sociale héroïque de « l’entrepreneur », certains non-salariés confrontés à la pauvreté taisent leur situation par honte, rendant plus difficile une possible aide extérieure. Ainsi, la création du régime d’autoentrepreneur, visant à lutter contre la précarité et la pauvreté et à relancer l’économie en encourageant la multi-activité, n’entraine pas l’assurance d’une situation stable : « cinq ans après leur immatriculation, [seulement]   23 % des auto-entrepreneurs déclarés au premier semestre 2010 sont encore actifs sous ce régime » (Insee, 2017).

Plus globalement, il s’agit de replacer au centre des interrogations ces populations trop souvent oubliées des analyses et des statistiques (difficulté à comptabiliser cette population qui se situe dans un entre-deux) et d’objectiver les détresses (formes, caractère potentiellement cumulatif) qui peuvent être associées aujourd’hui à la condition de travailleur et travailleuse précaire.

Santé mentale des chômeurs

Sur un autre versant, le chômage introduit une rupture chez les individus et constitue un risque de désocialisation, cette situation pouvant être vécue comme traumatique, par les circonstances de sa perte d’emploi et/ou la durée de sa recherche d’emploi. En cela, le chômage n’est pas simplement une perte d’emploi mais impacte tous les domaines de la vie (famille, santé, relations sociales) (Lazarsfeld et al., 1982). On sait notamment que l’incertitude du lendemain, la privation de revenus ou encore le sentiment de  « honte sociale » (Demazière, 1995) jalonnent le parcours des chômeurs et peuvent avoir des incidences sur la santé psychique de ces derniers (Herman, 2007 ; Mette, 2015). Il entraine une détérioration de la santé mentale pouvant aller de l’anxiété à la dépression voire dans sa forme la plus dramatique au suicide. En effet, il est attesté que le chômage, consécutif à la crise, impacterait davantage la santé mentale des personnes aux âges intermédiaires de la vie active et entrainerait un risque accru de suicide parmi cette même population (ONS, 2014). Mais l’expérience du chômage a également des effets délétères au niveau physique (troubles du sommeil, etc.) et peut conduire à des comportements de dépendance (consommation

d’alcool, de tabac, etc.). Enfin, la perte de revenu peut amener les individus à renoncer à consulter un professionnel de santé suite à une dépression ou des troubles anxieux. Dans cette perspective, il pourrait être heuristique de s’intéresser aux facteurs exogènes de vulnérabilité et de résilience pour analyser les différences de vécu et d’atteinte à la santé mentale des chômeurs. Des recherches peuvent également porter sur le suicide parmi les chômeurs.

De même, le retour à l’emploi après un épisode de chômage et ses effets sur les possibilités de rétablissement de la santé mentale sont peu investigués. La nature du contrat de travail obtenu (CDI versus CDD, temps complet versus temps partiel, etc.) a-t-elle un impact sur la diminution de la souffrance provoquée par l’épisode de chômage? Plus largement, l’altération de la santé mentale doit sans doute être étudiée à l’aune d’une partie ou de l’ensemble de la trajectoire professionnelle des personnes, en particulier lorsqu’elle se caractérise par une succession d’épisodes d’emploi et de chômage.

Dans cette perspective, des recherches traitant de la santé mentale des travailleurs vieillissants et de l’impact sur l’activité professionnelle des maladies, handicaps ou accidents découlant de la sphère privée sont également attendues. En effet, comme le souligne Dominique Lhuilier, la recherche sur les fins de trajectoires professionnelles qui se caractérisent souvent par des périodes de chômage ou de maladie avant le départ à la retraite, de plus en plus nombreuses du fait à la fois du recul de l’âge de départ à la retraite et des progrès des traitements thérapeutiques, est encore insuffisante. De même, les modalités d’éviction des travailleurs en souffrance ou en situation de handicap psychique pourraient faire l’objet d’études.

Enfin, il importe de mentionner que le chômage n’atteint pas les individus de manière identique. De même qu’il existe plusieurs chômages (court, de longue durée, par intermittence, etc.), le sexe, l’âge ou encore la situation familiale influent sur les effets du chômage et devront être pris en compte dans les projets. À titre d’exemple, trop rares sont encore les travaux cherchant à interpréter les différences de vécu des femmes et des hommes en situation de chômage. Il s’agira de questionner les mécanismes et les effets psychiques précis observés chez les chômeurs mais aussi les ressources qu’ils mettent en place pour surmonter cette épreuve. Ceci soulève également la question de la porosité des frontières entre chômage et inactivité du côté des femmes (certaines femmes se déclarent inactives pour raison familiale alors même qu’elles aspirent à trouver un travail et inversement) (Bereni et al., 2012). Enfin, la dimension territoriale dans la prise en compte du vécu du chômage est également souhaitée dans les recherches. En effet, les expériences du chômage pour des personnes attachées à leur lieu de vie diffèrent selon le caractère plus ou moins dynamique de leur bassin d’emploi en termes d’opportunités d’embauche.

Axe 3 : Les dispositifs de prévention et les procédures de reconnaissance et de réparation

Cet axe a pour objectif de questionner plus spécifiquement le développement des dispositifs de prévention en matière de santé mentale et les enjeux liés aux procédures de reconnaissance et de réparation des maladies psychiques en lien avec le travail.

Prévention primaire de la santé mentale au travail : aspects juridiques

Un premier type de travaux pourrait explorer la question de la prévention de la santé mentale au travail d’un point de vue juridique. Depuis les années 2000, des évolutions de la réglementation ont permis le développement du droit de la prévention de la souffrance mentale occasionnée par le travail. La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 portant, entre autres, sur le harcèlement moral, constitue un tournant. En effet, auparavant, le droit du travail français se focalisait uniquement sur l’aspect physique de la santé au travail, plus précisément sous l’angle de la maladie et de l’aptitude (Lerouge, 2005, 2009). Seuls certains évènements traumatiques étaient pris en charge, comme le cas des troubles psychiques suite à des hold-up. Désormais, l’obligation de prévention porte également sur la santé mentale. À cela s’ajoute l’obligation de résultat. Ce principe constitue une interprétation forte par la jurisprudence française de l’obligation de sécurité, instituée par le droit communautaire. L’employeur est en effet non seulement tenu de prévenir tous les risques au travail, mais il doit aussi faire en sorte d’éviter la réalisation du risque. Cependant, un nouvel arrêt, datant du 25 novembre 2015, tend à infirmer en partie cette obligation, la Cour de cassation considérant que l’employeur justifiant avoir pris les mesures imposées par le Code du travail en matière de sécurité ne peut pas être condamné pour manquement à son obligation de protéger la santé des salariés. Cet arrêt constitue un tournant important dans l’approche de l’obligation de sécurité, puisque que l’employeur peut désormais dégager sa responsabilité par la démonstration du caractère adéquat des mesures de sécurité qu’il a prises. Dans ce cadre, il importe d’étudier les évolutions des cadres juridiques et institutionnels et leurs usages. Bien que rejetées par l’Assemblée nationale, différentes propositions de loi en 2016 et en 2018, sur la reconnaissance en maladie professionnelle du « Burn out » et des pathologies psychiques d’origine professionnelle ou encore le rapport sur la santé au travail de la députée Charlotte Lecocq en 2018 confirment la prise de conscience de ces questions dans la sphère politique. Des recherches pourraient ainsi porter sur les conséquences des cinq ordonnances du 22 septembre 2017 relatives à la réforme du travail avec notamment la fusion des instances représentatives du personnel (comité d’entreprise, délégués du personnel et CHSCT) au sein d’un comité social et économique.

Prévention secondaire : des dispositifs individualisants

Dans cette perspective, l’individualisation des questions de santé mériterait également d’être interrogée. En effet, cette prise de conscience de l’importance de la prévention de la santé mentale a donné lieu à une série de mesures dans les entreprises qui s’est traduite par une identification des facteurs pathogènes afin de rendre possible le recours au dépistage des salariés en difficulté ; une volonté de favoriser l’adaptation des travailleurs, tant au niveau individuel que collectif, face au stress ou aux exigences professionnelles et un objectif de permettre la réintégration de l’individu en situation de mal-être au sein de l’entreprise (Rouat, 2017). Dans ce contexte, les pratiques individualisantes de prévention secondaire des atteintes à la santé mentale au travail se sont développées, les entreprises faisant appel à des experts (coachs, spécialistes en développement personnel, consultants, numéros verts, etc.) afin de repérer les travailleurs perçus comme « fragiles » (Salman, 2008). Ainsi, certains

chercheurs (Clot, 2010 ; Lhuilier, 2017) constatent une tendance à l’individualisation et à la psychologisation des atteintes à la santé mentale au travail qui se traduit par une intervention centrée sur l’individu perçu comme « fragile ». Parfois employé comme une alternative à la prévention primaire (la réforme de l’organisation du travail pour donner aux salariés les moyens de faire un travail de qualité), ce « repérage » des salariés fragiles s’exprime par la mise en œuvre de dispositifs palliatifs (écoute, travail sur soi, développement des capacités à faire face et à s’adapter, etc.). Or, ces actions tendent à refuser toute transformation de l’organisation du travail et faire porter la responsabilité sur le travailleur. L’origine de la souffrance est alors perçue comme individuelle, intrinsèque à la personne en difficulté et donc extérieure au champ professionnel. Ces pratiques débouchent alors parfois vers un renforcement de l’étiquetage de ces travailleurs et leur éviction progressive du collectif de travail jusqu’à la mise au placard (Lhuilier, 2002). Des recherches pourraient ainsi interroger cette individualisation de la souffrance mentale des travailleurs par les directions mais aussi les effets sur les collectifs de travail.

Ces investigations devraient permettre de mieux comprendre le paradoxe évoqué ci-dessus, entre des organisations du travail toujours très contraignantes et le reflux récent de certains risques psychosociaux. Les pratiques de prévention secondaire permettent-elles de soulager, temporairement ou durablement, les souffrances et symptômes psychiques causés par les tensions organisationnelles ? Le « management bienveillant », la formation des cadres, la plus grande attention portée à la reconnaissance des individus facilitent-ils l’acceptation par les salariés de contraintes de travail accrues ? Ou bien observe-t-on un phénomène d’accoutumance des individus à ces tensions organisationnelles ?

Dans la continuité, des recherches pourraient se pencher sur le rôle d’autres acteurs investissant la prévention des atteintes à la santé mentale (CHSCT, CSE, associations, réseaux d’experts, inspecteurs du travail, médecins du travail, etc.). C’est le cas notamment des syndicats, qui voient parfois dans la problématique de la santé mentale une nouvelle manière de porter les revendications salariales et une possibilité de capter une nouvelle branche du salariat réticente à l’action collective (Rhéaume, 2008 ; Mahouche, 2014). Il pourrait également être intéressant d’intégrer aux analyses l'action collective sous des formes moins étudiées telles que les régulations informelles à l'intérieur des collectifs de travail, et ce afin de penser la question de l'évaluation de ces actions de prévention dans leur diversité mais aussi leur rôle dans le « travail de santé » visant à prévenir les souffrances psychiques liées au travail. Enfin, des analyses pourront porter sur l’évaluation des interventions dans les entreprises suite à des cas de souffrances ou de suicide liés au travail. Plusieurs questions mériteraient d’être investiguées, notamment celles portant sur les processus d'institutionnalisation des questions de santé au travail dans les entreprises. Plus largement, comment penser les liens entre pratiques individuelles et mobilisations collectives dans la prévention et la réparation des atteintes à la santé mentale ?

Reconnaissance et réparation

Un deuxième type de recherches pourrait s’intéresser à la reconnaissance et à la réparation des effets du travail sur la santé mentale. Les conséquences de l’ensemble des lois Travail (loi du 17 janvier 2002 de « modernisation sociale » ; loi du 31 janvier 2007 de « modernisation du dialogue social » ; loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi « Travail ») sur la reconnaissance des troubles socio-psychiques pourraient faire l’objet de recherches.

Par ailleurs, des travaux pourraient s’attacher à retracer la manière dont s’est construite la reconnaissance des atteintes à la santé, notamment au travers du cas des accidents du travail et des maladies professionnelles d’origine psychique ainsi que des suicides en lien avec le travail, et la manière dont cette reconnaissance instituée s’exerce via le travail d’expertise. Dans la continuité, des recherches sur le rôle de l’expertise et des préventeurs dans la reconnaissance des souffrances psychiques en lien avec le travail sont attendues. De même, des études seraient utiles sur la place nouvelle prise par le droit à propos de ces questions de santé mentale. D’autres formes de reconnaissances pourraient également être questionnées comme les reconnaissances plus informelles qui apparaissent dans les représentations et les relations de travail au quotidien. Dans cette perspective, des recherches mériteraient d’étudier les obstacles ou les « masques » (Gollac et Volkoff, 2006) qui brouillent et euphémisent la perception des liens entre santé mentale et travail selon les différents acteurs en présence (médecins du travail, travailleurs, collègues, direction, syndicats, etc.)

Plus largement, il pourrait être pertinent de se pencher sur les représentations dans la population française des questions de reconnaissance et de réparation. Enfin, le rôle des directions d’entreprises et d’administrations publiques face aux résultats d’études statistiques présentés dans des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou des comités d’entreprise (CE) pourrait donner lieu à des recherches. Sur le volet de la réparation, il peut être heuristique de s’intéresser à ce que les personnes s'autorisent à demander. En amont, quel est le processus permettant ou faisant obstacle à ces demandes et ces démarches ? Qu'en est-il du « parcours de la réparation » ? Quels sont les effets sur le plan psychique de ces parcours de demandes de réparation ?

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Lieux

  • Paris, France (75)

Dates

  • lundi 15 juillet 2019

Mots-clés

  • santé mentale, travail, chômage, précarité

Contacts

  • Diane Desprat
    courriel : diane [dot] desprat [at] sante [dot] gouv [dot] fr

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  • Diane Desprat
    courriel : diane [dot] desprat [at] sante [dot] gouv [dot] fr

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CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Santé mentale, expériences du travail, du chômage et de la précarité », Appel d'offres, Calenda, Publié le mardi 23 avril 2019, https://doi.org/10.58079/12ib

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