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School, society and power
École, société, pouvoir
Published on Tuesday, July 30, 2019
Abstract
Où va l’école aujourd’hui ? Où doit-elle, ou peut-elle, aller ? Renonce-t-elle définitivement à sa vocation éducative, en étant complètement soumise au diktat de l’économie de marché, de la compétitivité, de la mondialisation ? Peut-elle, au contraire, reprendre son destin en main ? Quels moyens institutionnels, culturels, pédagogiques, etc. pouvons-nous engager pour l’y aider, si nous ne nous résignons pas à son sort ? Jusqu’à quel point la remise en cause de la spécialisation, le décloisonnement des savoirs et de leur enseignement, sont-ils réalistes, et dans quelles mesures, quelles conditions, etc. sont-ils réalisables ? Autant de questions qui, bien qu’attendues, justifient bien une recherche-action collective et pluridisciplinaire, le hic est qu’elles ne sauraient être résolues, comme le donne à croire l’état des lieux décrit plus haut, indépendamment de l’idée qu’il ne peut y avoir d’idéal éducatif sans idéal politique, que, dans le fond, les deux se confondent.
Announcement
En accord avec sa vocation originelle[i], l’Unité de Recherche Ecole et Littérature (Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université de Sousse, Tunisie) prépare un ouvrage collectif.
Argumentaire
L’Histoire contemporaine de l’école a été marquée par l’émergence, successivement, de deux types de discours critiques à son égard. Le premier met en cause sa soumission à l’idéologie, le second, à l’économie, mais dans les deux cas, aux Pouvoirs.
Le premier a connu son moment fort aux années 60-70. Dans certains milieux intellectuels, il était courant de penser que toute la culture, toutes les valeurs établies étaient celles de la bourgeoisie, dépendaient de l’idéologie bourgeoise dominante (« Notre presse, notre cinéma, notre théâtre, notre littérature de grand usage, nos cérémoniaux, notre justice, notre diplomatie, nos conversations, le temps qu’il fait, le crime que l’on juge, le mariage auquel on s’émeut, la cuisine que l’on rêve, le vêtement que l’on porte, tout, dans notre vie quotidienne, est tributaire de la représentation que la bourgeoisie se fait et nous fait des rapports de l’homme et du monde », Barthes[ii]). En même temps, on considérait que c’était précisément l’école qui propageait ces représentations, du moins pour l’essentiel. Althusser l’a nettement et distinctement établi dans un article retentissant de La Pensée de juin 70, « Idéologie et Appareils Idéologiques d’Etat ». En bon marxiste, il a actualisé la théorie de l’Etat conçue par Marx en remplaçant dans sa topique ternaire bien connue la double instance du « bourreau » et du « prêtre » par celle, respectivement, de l’A.R.E (ou Appareil Répressif d’Etat), et de l’A.I.E. (ou Appareil Idéologique d’Etat), et c’est l’école qui, pour de bonnes raisons (généralisation de la scolarité, devenue obligatoire et gratuite, vulnérabilité de son public, durée de la scolarisation) est désignée comme l’A.I.E. principal, en substitution à l’Eglise. Baignant dans cette mouvance théorique, une recherche ciblée est venue montrer à quel point les analyses évoquées sont bonnes en vérifiant, à partir d’un corpus très large de plus de 300 manuels, jusqu’à quel point le discours pédagogique peut être fondée sur l’idéologie[iii]. Quand on voit les manipulations que lesdits manuels font subir à une oeuvre comme Germinal par exemple, L’Assommoir ou La Terre, les découpages que l’on pratique pour les mettre en morceaux, le balisage des questions, bref tout l’arsenal didactique de ce qui est dûment appelé le discours d’escorte, on se rend bien compte du rôle que joue l’institution scolaire comme appareil de pouvoir, à proprement parler comme Appareil Idéologique d’Etat, qui confond éduquer et domestiquer.
Mais vers la fin du siècle, et en particulier à la faveur des grandes mutations historiques accomplies par les processus de mondialisation, de ce qu’on appelle, précisément, la « fin des idéologies », l’école sera critiquée moins comme A.I.E. qu’en tant que simple rouage de l’économie, en tant qu’institution soumise entièrement au besoin du marché. Réalité nouvelle, impliquée par l’appel des instances décidantes du néolibéralisme à une prétendue « adaptation de l’école à la vie ». On ne parle que de fonctionnalisation de l’enseignement, de professionnalisation des études, l’école n’ayant plus qu’un rôle de service pour des clients de plus en plus divers et de plus en plus exigeants, dans un monde où seul le client est roi. Place donc à l’ « offensive des entreprises sur l’enseignement » (N. Hirtt[iv]), car on croit qu’une « guichetière n’a pas besoin de connaître La Princesse de Clèves » (N. Sarkozy[v]), ou qu’en Sibérie « une paire de bottes vaut Shakespeare » (A. Finkielkraut[vi]). Le savoir ne vaut plus que par son utilité immédiate ou à court terme, il n’y a plus de recherche qu’appliquée, plus de formation qu’immédiatement rentable, bref le sens des apprentissages ne se mesure plus, compétitivité oblige, qu’à l’aune de leurs valeurs marchandes. L’enseignement des lettres, les Humanités en général, en font les frais.
Le sort de l’école s’en est-il amélioré pour autant ? La société y a-t-elle gagné ? Ni ceci, ni cela, semble-t-il, si l’on en juge par certains constats, de plus en plus alarmants, et réaffirmés ici et là. Le niveau baisse, on ne lit plus, taux d’échecs scolaires élevés, décrochages, etc. Parallèlement, résurgence de tous les méfaits de l’inculture et de l’illettrisme : recul, voire effondrement du civisme, augmentation de la violence sous toutes ses formes, développement de toutes les manifestations de l’irrationnel (superstition, parapsychologie, sciences occultes, etc.), exacerbation des extrémismes, des fanatismes de tous bords. Tout se passe, à l’arrivée, comme si la société « se faisait peur à elle-même ou avait peur des problèmes que son propre développement lui pose, car elle se trouve contrainte de constater son impuissance à les maîtriser » (A. Mougniotte[vii]).
Qu’est-ce qui est donc demandé aujourd’hui, qu’attend-on, notamment, de l’école ? – Qu’elle s’émancipe sans doute (l’expression « mission émancipatrice » a été gommée de la Déclaration de Bologne des Ministres européens de l’Education en 1999 !), en échappant surtout à la mainmise des pouvoirs ; qu’elle revienne à un idéal d’humanisation, en évitant de sacrifier le culturel au profit du fonctionnel, l’épanouissement ou le développement personnel, comme on dit, au profit de l’employabilité. En un mot, qu’elle éduque à la citoyenneté, au sens plein du terme. Le problème est, ici, qu’il ne s’agit certainement pas d’une discipline nouvelle, une « matière » nouvelle, à introduire dans les cursus scolaires, à la manière de l’éducation sexuelle, de l’éducation à la santé, ou encore à la sécurité routière. La solution n’est peut-être pas aussi simple (un cours sur la violence ou la drogue tel que demandé par Claude Allègre du temps qu’il était ministre de l’Education suffit-il à empêcher la violence ou à éliminer la drogue ?). Elle nécessite probablement une refondation totale de la pédagogie en cours, et suppose d’abord que soit réhabilité l’enseignement des lettres et des sciences humaines en général. Elle suppose peut-être aussi, et surtout, que soient décloisonnés tous les enseignements et mieux articulés les uns aux autres, avec en particulier l’abolition du grand fossé qui sépare les lettres et sciences humaines des sciences dites dures ou exactes (« Personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement économiste », F. Hayek[viii]). Un grand champ de « recherche-action », dont l’idée remonte à la fin des années 90 avec Morin[ix]. Mais depuis la réflexion n’a pas beaucoup avancé, car on n’a pas vraiment écrit sur la question – comme si, en s’attaquant au principe du cloisonnement des savoirs, on craignait de remettre en cause un héritage cartésien sacré, la spécialisation. Pourtant l’enjeu éducatif ne manque pas d’importance, car seule cette restructuration est garante d’une nouvelle approche du réel, seule susceptible, à son tour, d’en assurer la saisie, parce qu’elle sera plus globale. L’action éducative pourrait ainsi échapper à tous les choix à courte vue et, portée par un idéal d’humanisation et de citoyenneté, s’inscrire dans un projet global de société, voire de civilisation.
L’avenir de la connaissance, qui passe aujourd’hui par l’école, apparaît ainsi dans le projet de double reliance préconisé par Morin[x] : celle des enseignements, et celle des savoirs eux-mêmes. Comment ne pas imaginer, d’ailleurs, qu’il serait beaucoup plus productif de combiner un cours de géographie ou de physique, par exemple sur un phénomène aussi banal que l’éclipse du soleil ou de la lune, avec un cours d’anthropologie, qui évoquera à loisir des histoires de chat mettant sa patte entre la lune et la terre chez las Mandingues d’Afrique de l’Ouest, ou encore de dragons voraces chez les anciens Chinois ? Ne serait-ce pas là la meilleure façon de marquer de jeunes esprits et de stimuler leur désir de la connaissance ? Comment ne pas admettre, pour rester dans le même ordre d’idées, qu’un cours de cosmologie traitant, à une échelle plus élevée, de la position de la planète terre par rapport à son étoile, le Soleil, et de celle-ci par rapport aux milliards d’étoiles de sa galaxie, et de sa galaxie par rapport aux milliards d’autres que compte notre gigantesque univers, gagne très fortement à être articulé avec cette culture humaniste en littérature ou en philosophie qui, telle celle d’un Pascal, aspire à donner à l’homme la juste mesure de lui-même par rapport à l’infini de la création ? Il ne s’agit là bien sûr que d’exemples très simples, sachant qu’il doit y en avoir une infinité d’autres dont nous n’avons pas idée, enfermés que nous sommes dans nos parcelles de savoirs respectifs, qui du côté de la culture littéraire qui du côté de la culture scientifique. Mais une recherche collective y afférente, réunissant les deux camps, pourra aider à y voir plus clair, si modeste soit-elle.
Todorov disait que la réalité pédagogique doit être soumise à un questionnement toujours renouvelé, réactualisé, et en cela il a bien raison. Toutes les considérations présentées ici, et qui ne le sont qu’à titre indicatif, n’ont justement pour ambition que de remettre le débat sur l’école au-devant de la scène, réinitier la réflexion sur l’état des lieux, lequel ne laisse plus personne indifférent. Ledit questionnement semble même, dans la situation du moment, plus urgent que jamais. Où va donc l’école aujourd’hui ? Où doit-elle, ou peut-elle, aller ? Renonce-t-elle définitivement à sa vocation éducative, en étant complètement soumise au diktat de l’économie de marché, de la compétitivité, de la mondialisation ? Est-elle condamnée à ne produire qu’un « enseignement de l’ignorance » (J.C. Michea[xi]), à n’être qu’une « fabrique du crétin »[xii] (J.C. Brighelli) ? Peut-elle, au contraire, reprendre son destin en main ? Quels moyens institutionnels, culturels, pédagogiques, etc. pouvons-nous engager pour l’y aider, si nous ne nous résignons pas à son sort ? Jusqu’à quel point la remise en cause de la spécialisation, le décloisonnement des savoirs et de leur enseignement, sont-ils réalistes, et dans quelles mesures, quelles conditions, etc. sont-ils réalisables ? Autant de questions qui, quoiqu’attendues, justifient bien une recherche-action collective et pluridisciplinaire, le hic est qu’elles ne sauraient être résolues, comme le donne à croire l’état des lieux décrit plus haut, indépendamment de l’idée qu’il ne peut y avoir d’idéal éducatif sans idéal politique, que, dans le fond, les deux se confondent.
Modalités de soumission
Les enseignants et chercheurs désirant participer à cet ouvrage sont priés d’adresser leurs propositions, (200 à 300 mots) selon le calendrier qui suit, aux adresses suivantes :
naimameftahtl@gmail.com
ilfaraonebrutto@yahoo.fr
Calendrier
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Date limite pour la soumission des projets : 31 décembre 2019
- Notification de l’accord de principe : 31 janvier 2019
- Date limite pour la remise du texte intégral : 30 juin 2020
- Parution de l’ouvrage : troisième trimestre 2020
Responsable de l'ouvrage
- Amor SEOUD amorseoud@yahoo.fr
Comité scientifique
- Amor Séoud, Université de Sousse
- Naïma Tlili, Université de Sousse
- Samir Marzouki, Université de La Mannouba, Tunis
- Amor Ben Ali, Université de La Mannouba, Tunis
- Mohamed Miled, Université de Carthage, Tunis
Notes bibliographiques
[i] - Voir L’école et le savoir, la question du sens, Actes du colloque international organisé à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse les 7-8-9 avril 2008, Ed. Sahar, Tunis, 2008, et Ecole, Esprit critique et Emancipation par le savoir, Actes du colloque international organisé à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, les 19-20-21 avril 2012, Ed. du CIPA, Mons, 2013.
[ii] - Mythologies, Seuil, 1970, p. 214.
[iii] - Voir Zola à l’école, Amor Séoud, Thèse de littérature française soutenue en 1979 et publiée aux Editions Salammbô, Tunis, 1987.
[iv] - L’Ecole prostituée, Editions Labor/Espace de libertés, 2001.
[v] - Discours de campagne électorale pour les présidentielles de 2007, Lyon, 23-02-2006.
[vi] - La défaite de la pensée, Gallimard, 1987.
[vii] - Ecole et citoyenneté, un défi multiculturel, Armand Colin, 2006, p.173.
[viii] - La Route de la servitude, 1944.
[ix] - Voir en particulier La tête bien faite, Penser la réforme, réformer la pensée, Seuil, 1999.
[x] - Voit Relier les connaissances, le défi du XXIème siècle, Les Editions du Seuil, 1999.
[xi] - L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Climats, 2006.
[xii] - La Fabrique du crétin, la mort programmée de l’école, Gallimard, J.C. Gawsewiitch Editeur, 2005.
Subjects
- Education (Main category)
- Mind and language > Education > History of education
- Mind and language > Education > Educational sciences
Places
- Faculté des lettres et des Sciences Humaines
Sousse, Tunisia
Date(s)
- Tuesday, December 31, 2019
Contact(s)
- Mohamed Amine Jaballah
courriel : ilfaraonebrutto [at] yahoo [dot] fr
Information source
- Mohamed Amine Jaballah
courriel : ilfaraonebrutto [at] yahoo [dot] fr
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To cite this announcement
« School, society and power », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, July 30, 2019, https://doi.org/10.58079/134h