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Entre ancrage local et carrière nationale : René Monory, un notable en République

Between local anchoring and national career: René Monory, a Republic notable

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Publié le jeudi 23 janvier 2020

Résumé

Les approches biographiques et monographiques constituent des clés de compréhension incontournables pour les historiens qui s'intéressent au rapport pouvoir et territoire. De ce point de vue, l'absence de travaux sur René Monory ne manque pas d'interroger. Son exceptionnelle emprise sur la vie politique poitevine durant un demi-siècle, tout comme l'exercice de responsabilités nationales font pourtant de son parcours un champ d'observation idéal des mutations politiques contemporaines et de l'articulation du pouvoir central et des pouvoirs locaux. C'est la raison d'être de ce colloque qui se propose de faire l'état des connaissances sur le sujet et d'ouvrir de nouveaux chantiers à la lumière d'archives et de témoignages inédits.

Annonce

Poitiers, 12-13 novembre 2020

Organisateurs

François Dubasque et Eric Kocher-Marboeuf, maîtres de conférences en histoire contemporaine à l’université de Poitiers

Comité scientifique

  • Christine Bouneau (université Bordeaux Montaigne),
  • Fabien Conord (université Clermont Auvergne),
  • Sylvie Guillaume (université Bordeaux Montaigne),
  • Laurent Jalabert (université de Pau et des Pays de l’Adour),
  • Emmanuelle Picard (Ecole normale supérieure de Lyon),
  • Laure Quennouëlle-Corre (CNRS-CRH).,
  • Gilles Richard (université de Rennes 2),
  • Dominique Royoux (université de Poitiers)

Structures organisatrices

Laboratoire CRIHAM (EA 4270), Fédération de recherche Territoires

Dans le cadre du programme régional ELURENAQ (« Les élus régionaux de la décentralisation, 1986-2016 »)

Soutiens et partenariats

Région Nouvelle-Aquitaine, conseil départemental de la Vienne, Archives départementales de la Vienne, Espace Mendès France-Poitiers, Société française d’histoire politique

Argumentaire

Les travaux récents sur l'histoire politique de la Ve République[1] ont mis l’accent sur les nouvelles conditions d’exercice de la vie politique. Ils ont notamment montré comment le retour au mode de scrutin uninominal de circonscription a façonné des carrières particulières, révélant ainsi la permanence de certaines formes de notabilité encore renforcées par les transferts de compétence issus des lois de décentralisation de 1982. Ce phénomène résulte avant tout de la territorialisation des élections. Nombreux sont les exemples d’association entre une personnalité politique et un terroir, une localité ou une région, que l’on songe au lien de Jacques Chaban-Delmas avec Bordeaux[2] ou celui de François Mitterrand avec la Nièvre[3]. Les approches biographiques et monographiques constituent ainsi des clés de compréhension incontournables pour les historiens qui s’intéressent aux rapports pouvoir et territoires. De ce point de vue, l’absence de travaux sur René Monory ne manque pas d’interroger. Son exceptionnelle emprise sur la vie politique poitevine durant un demi-siècle, tout comme l’exercice de responsabilités nationales font pourtant de son parcours un champ d’observation idéal des mutations politiques contemporaines et de l’articulation du pouvoir central et des pouvoirs locaux.

Le caractère disparate et parfois difficilement accessible des sources a sans doute constitué un obstacle à toute analyse approfondie jusqu’à présent. Mais le dépôt récent d’un fonds Monory aux Archives départementales de la Vienne constitue une occasion unique de combler une lacune historiographique. C’est la raison d’être de ce colloque qui se propose de faire l’état des connaissances sur le sujet et d’ouvrir de nouveaux chantiers à la lumière de ces archives inédites.

La construction d’une notabilité à la jonction du local et du national

Né le 6 juin 1923 à Loudun, dans le nord de la Vienne, René Monory devient apprenti mécanicien dans le garage de son père à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Réfractaire au STO, il rejoint les Forces françaises de l’Ouest qui encerclent la poche de défense allemande de La Rochelle à l’automne 1944. À la fin des années 1940, il reprend l’entreprise familiale, la développe et l’étend au négoce des automobiles, des machines agricoles et des carburants.

À trente ans, il se lance dans la politique. Élu conseiller municipal de Loudun en 1953, il en devient maire en 1959. Conseiller général de la Vienne en 1961, René Monory est sollicité par Pierre Abelin, maire centriste de Châtellerault, pour devenir son suppléant aux élections législatives de 1962. Après un premier succès, ce ticket est reconduit aux élections de 1967. C’est donc sous le parrainage d’une figure du centrisme poitevin opposé au régime gaulliste qu’il fait son entrée dans la vie politique nationale. En octobre 1968, René Monory se présente avec succès aux élections sénatoriales sous l’étiquette de l’Union des républicains démocrates et s’engage aussitôt contre la loi référendaire en préparation visant à réformer le Sénat. Son engagement indéfectible en faveur de la haute Assemblée contribuera bien des années plus tard à son élection au « Plateau » du Palais du Luxembourg. Sans être un homme de parti mais fidèle à la famille centriste, il occupe tout au long de sa carrière des fonctions dans les instances dirigeantes des différentes formations qui la compose.

Apprécié pour son pragmatisme par le président Giscard d’Estaing, il est nommé ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat en 1977, puis ministre de l’Économie et des Finances dans le troisième gouvernement de Raymond Barre de 1978 à 1981. Il donne alors son nom aux populaires « SICAV Monory » qui permettent à plus d’un million de petits épargnants d’investir en bourse dans des conditions fiscalement avantageuses et à moindre risque par rapport à l’investissement dans des titres vifs.

Après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République et la victoire de la gauche aux élections législatives qui suivent, il est réélu sénateur de la Vienne à la faveur d’une élection partielle dès le mois de juillet 1981. Soucieux de son ancrage local, il est devenu président du conseil général de la Vienne en 1977, à la suite de la disparition de Pierre Abelin. Il cherche alors à tirer profit des nouvelles lois de décentralisation en appuyant son action d’élu national d’opposition sur ses réalisations d’élu local. Conscient des enjeux économiques que représentent les nouvelles technologies, il met à l’étude un projet de « cité du futur » conçue à la fois comme un parc de loisirs, un outil de développement économique et d’aménagement du territoire, et un espace dédié à l’éducation et à la recherche. Le Futuroscope est ainsi inauguré en 1987. Fort de ses succès dans la Vienne, ce départementaliste conquiert la présidence de la région Poitou-Charentes en 1985, avant de l’abandonner un an plus tard du fait de la législation sur le cumul des mandats.

En mars 1986, à la faveur du retour de la droite au pouvoir, Jacques Chirac le nomme ministre de l’Éducation nationale, chargé de la Recherche et de l’Enseignement supérieur dans le premier gouvernement de cohabitation. René Monory s’amuse alors du paradoxe de s’être vu confier le ministère du savoir, lui qui n’est titulaire que du seul certificat d’études primaires. Quelques mois après son arrivée rue de Grenelle, il doit affronter la première révolte de masse de la jeunesse depuis mai 1968 lors de la présentation du projet de loi visant à modifier les conditions d’accès à l’enseignement supérieur présenté par son ministre délégué Alain Devaquet.

Réélu sénateur de la Vienne en 1988, puis en 1995, il assure de 1992 à 1998 la présidence du Sénat, avant d’en être écarté au profit de Christian Poncelet (RPR). Il prend alors progressivement ses distances avec la vie politique nationale et locale. Il démissionne de la mairie de Loudun en 1999, mais conserve en 2001 la présidence du conseil général, notamment pour assurer l’avenir juridique et financier du Futuroscope. En 2004, il ne se représente ni aux élections cantonales ni aux élections sénatoriales. Il décède quatre plus tard, à l’âge de 85 ans.

Au-delà de l’affirmation durable d’un leadership territorial[4], c’est donc l’image d’un homme politique attentif aux problèmes de sa circonscription qui traverse sa carrière d’élu local. Ses responsabilités nationales au plus haut niveau de l’État apportent une dimension nouvelle. À partir de son itinéraire personnel, il est possible d’éclairer les modalités de l’action publique dans de nombreux domaines, en particulier en matière économique et sociale.

L’ancrage territorial

Examiner le parcours de René Monory à travers le prisme de l’ancrage territorial présente un indéniable intérêt et ouvre plusieurs pistes de réflexion. Les élections sénatoriales, fondées sur un mode de scrutin pourtant spécifique à bien des égards, apportent ainsi un témoignage de la prégnance du facteur personnel dans l’élaboration du fief. La constitution de son pouvoir local implique de prêter attention à la question du cumul des mandats, à son savoir-faire électoral, sa notabilité et son charisme. À travers les logiques constitutives de fief et leurs conséquences, c’est plus largement la question de la personnalisation des différents vecteurs de pouvoir dans un territoire électoral qui est ici posée[5]. Une attention particulière sera accordée à la place du pouvoir local dans l’opposition à la gauche mitterrandienne dans les années 1980 : si l’ancrage territorial a permis à René Monory de survivre politiquement, a-t-il cherché à ériger le pouvoir local en contre-pouvoir ? Il s’agira donc d’interroger les processus de l’émergence d’une nouvelle fonction d’élus. À cet égard, l’analyse de son parcours politique peut constituer un outil intéressant d’histoire comparative. Sa trajectoire semble en effet représentative de celles de nombreux élus de la Ve République qui donnent à cette époque, à côté des mandats parlementaires, priorité aux fonctions de maire ou de président de conseil général face à une fonction exécutive régionale qui peine à s’imposer. Tout comme Jean François-Poncet en Aquitaine, il reste très peu de temps à la tête du conseil régional Poitou-Charentes (1986-1988). Il importe donc de mesurer de quelle façon le territoire modèle sa vision et son comportement politique. Le sénateur Monory est-il porteur d’un discours spécifique sur les territoires ? Quelle a été sa réflexion sur les questions relatives à la décentralisation ? Au-delà d’une analyse en termes d’élections et de pouvoir, il convient aussi de s’intéresser au politique comme instrument de territorialité. La volonté précoce de René Monory de favoriser l’intercommunalité à travers la création en 1973 du Syndicat intercommunal de solidarité pour l’expansion du Loudunais (SISEL), tout comme son empreinte très forte sur le projet du Futuroscope, constituent des exemples qui méritent ici d’être approfondis.

Conceptions politiques et modalités de l’action publique

À une indispensable approche localisée, il convient par ailleurs d’associer d’autres focales. S'imposant progressivement comme l'un des leaders de la droite et du centre, Monory expose dans différents ouvrages[6] sa vision de la France et de ce que devrait être son avenir. Comme ministre, puis comme président du Sénat, il tente d'imposer les thématiques qui lui sont chères : l’adaptation de la France aux mutations économiques, l'emploi et la formation professionnelle, la décentralisation et son corollaire l'aménagement du territoire, l'Europe et la monnaie unique, la promotion de l'institution sénatoriale et de son rôle législatif. Il est dès lors possible de mesurer son poids dans le débat public et de mettre en rapport ses convictions et ses réalisations, d’autant que les principaux axes de son action politique nationale s’inscrivent dans une époque charnière de transformation du pays. Dans le cadre de ce colloque, trois champs d’analyse seront privilégiés : les questions touchant aux finances et au développement économique dans un contexte de crise, la politique éducative marquée notamment par l’échec de la loi Devaquet en 1986, et le rôle du Sénat dans le cadre général d’une réflexion sur la réforme de l’Etat. L’étude de l’exercice du pouvoir et de l’activité décisionnelle de René Monory permet en outre l’observation des composantes de sa culture politique, des chemins de son influence, ou des contours de son image publique, autant de paramètres utiles pour jauger l’état des rapports de force dans le champ politique et replacer ainsi l’itinéraire individuel de René Monory dans un environnement collectif.

Quel héritage ?

Dans le sillage des Lieux de mémoire de Pierre Nora, interroger en historien le parcours politique de René Monory, c’est pour finir s’intéresser à la vie posthume du personnage et s’attacher à restituer ses traces dans la mémoire collective, autrement dit déplacer le regard d’une recherche causale aux effets en aval. Au-delà de la figure de Jean-Pierre Raffarin que l’on présente souvent comme l’héritier désigné à qui Monory aurait transmis son fief de la Vienne, il convient de rechercher l’existence d’une fidélité aux idées, d’un héritage politique à la fois local et national, et des traces physiques de son œuvre. Quelle est ainsi la postérité, au sein de la famille centriste, d’un homme qui en a été longtemps l’un des chefs de file tout en s’efforçant de maintenir des liens avec l'ensemble des dirigeants de son camp par-delà les attaches partisanes. En 2002, Monory avait ainsi souscrit au projet de créer un grand parti de la droite et du centre et rejoint le groupe de l'Union pour un mouvement populaire (UMP).

Au cœur des préoccupations de ce colloque, se situe donc la problématique du pouvoir : sa dévolution, son exercice, ses représentations. Or, le parcours politique de René Monory constitue un champ d’observation idéal des évolutions politiques de la Ve République, notamment en termes d’articulation du local et du national. Il permet de mener une réflexion très contemporaine sur le caractère territorialisé de la République française.

Comme indiqué précédemment, ce colloque se donne pour objectif de faire un état des connaissances historiques tout en ouvrant de nouveaux terrains d’analyse. À cet effet, il entend croiser les archives accessibles dans les fonds parisiens avec le nouveau fonds désormais disponible aux Archives départementales de la Vienne et s’appuyer sur les archives orales en sollicitant acteurs et témoins locaux et nationaux. L’histoire politique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui a largement mis en évidence tout l’intérêt scientifique de varier les échelles en associant le point de vue local et national afin de complexifier l’analyse historique. Elle a également montré, depuis plusieurs années, l’intérêt du dialogue histoire et mémoire. Professionnels des archives et témoins seront donc étroitement associés aux historiens pour tenter d’éclairer cette figure quelque peu oubliée de la vie politique française et régionale du dernier quart du XXe siècle.

Quelques axes non exclusifs peuvent d’ores et déjà être tracés :

L’ascension et la carrière politique

  • Le premier engagement en politique
  • René Monory et la famille centriste
  • L’image de René Monory dans les médias
  • Entourage et réseaux

 L’enracinement local

  • René Monory en campagnes
  • Pierre Abelin et René Monory, itinéraires croisés
  • Monory maire de Loudun
  • Monory, président du conseil général de la Vienne
  • La parenthèse régionale
  • René Monory et le Futuroscope

 Action nationale et dimension internationale

  • De l’Industrie à l’Économie dans les gouvernements Barre
  • Le pilotage de l’Éducation nationale sous la première cohabitation
  • Défense et illustration du Sénat
  • La diplomatie parlementaire du président du Sénat
  • Jumelages et voyages de René Monory

 Héritage et mémoire

  • Les Mémoires de René Monory
  • Jean-Pierre Raffarin, un héritier ?
  • Empreinte locale, empreinte nationale

Modalités de soumission

Les propositions de communication (une page maximum accompagnée d’une présentation succincte de l’auteur sont à adresser

avant le 1er mars 2020

  • François Dubasque (francois.dubasque@univ-poitiers.fr) 
  • Éric Kocher-Marboeuf (eric.kocher.marboeuf@univ-poitiers.fr)

Les auteurs seront avisés avant le 1er avril 2020.

Notes

[1] Cahiers d’histoire immédiate n° 50, dossier spécial : « La Ve République en perspectives » (sous dir. L. Jalabert), automne 2017.

[2] B. Lachaise (dir.), Chaban et Bordeaux, Bordeaux, éditions Confluence, 2010.

[3] J. Vigreux, François Mitterrand, la Nièvre et le Morvan, Dijon, EUD, 2017.

[4] M.-A. Montane, Leadership politique et territoire, des leaders en campagnes, Paris, L’Harmattan, 2001.

[5] Dans le prolongement de la réflexion déjà engagée par les auteurs, cf. F. Dubasque et É. Kocher-Marboeuf, Terres d’élections. Les dynamiques de l’ancrage politique (1750-2009), Rennes, PUR, 2014 et F. Dubasque et A.-L. Ollivier, colloque « François Mitterrand et les territoires. Sensibilité et pouvoirs », université de Poitiers, 29-30 mars 2017 (Actes à paraître).

[6] R. Monory, Combat pour le bon sens, Paris, Albin Michel, 1983 ; Id., Des clefs pour le futur, éd. Futuroscope, 1995 ; Id., La volonté d’agir, Paris, Odile Jacob, 2004.

Catégories

Lieux

  • université de Poiters, UHR SHA - Hôtel Fumé
    Poitiers, France (86)

Dates

  • dimanche 01 mars 2020

Mots-clés

  • pouvoir, élections, décentralisation, sénat, centrisme, politiques publiques, aménagement du territoire

Contacts

  • Eric Kocher-Marboeuf
    courriel : eric [dot] kocher [dot] marboeuf [at] univ-poitiers [dot] fr
  • François Dubasque
    courriel : francois [dot] dubasque [at] univ-poitiers [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • François Dubasque
    courriel : francois [dot] dubasque [at] univ-poitiers [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Entre ancrage local et carrière nationale : René Monory, un notable en République », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 23 janvier 2020, https://doi.org/10.58079/147i

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