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Revue des sciences sociales journal, no.66

N° 66 de la « Revue des sciences sociales »

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Published on Friday, February 07, 2020

Abstract

Dans ce dossier de la Revue des Sciences Sociales, nous souhaitons interroger les différentes manières dont le secret est socialement produit, transmis et négocié dans l’espace des relations intimes et familiales. Quels sont les sujets les plus difficiles à traiter au sein de la parenté ? Comment le droit régule ce que les personnes sont autorisées à partager et ce qu’on peut cacher ? Comment ces aspects varient selon les cultures, les contextes socio-historiques, la situation sociale et familiale (cf. Williams 1993)? Par quels dispositifs concrets, les secrets sont-ils entretenus, déplacés ou revisités dans les relations familiales ? Et comment les « suintements du secret » (Tisseron 2017) obligent les membres de la parenté à reformuler la parole prescrite ou interdite ?

Announcement

Parution prévue au premier semestre 2021

Responsabilité scientifique

Sous la responsabilité de Nicoletta Diasio (Université de Strasbourg), Magalena Radkowska Walkowicz et Maria Reimann (Université de Varsovie)

Argumentaire

Être à l’écoute de la parole des acteurs sociaux constitue un des fondements des sciences de la société. Mais qu’en est-il quand cette parole est limitée, modifiée ou empêchée par la présence du secret ? Ce numéro de la Revue des Sciences Sociales a l’ambition d’explorer les processus qui permettent de produire, garder et défaire le secret et le silence dans les familles et dans les relations intimes.

Les sociétés européennes contemporaines ont connu une injonction à l’aveu dont Michel Foucault a fait l’histoire. Mais cette « société avouante » (Foucault 1976) se nourrit de mises en récit qui jouent habilement sur les esquives, les reformulations, les malentendus savamment entretenus. Les technologies de communication contemporaines redessinent constamment les frontières du public et du privé et ouvrent de nouveaux espaces et de nouvelles formes de construction du secret. Comme l’oubli (Diasio, Raphaël, Wieland 2010), le secret n’est pas un phénomène unitaire, ni stable. Il ne peut pas être défini par l’absence de quelque chose, mais il constitue une construction sociale complexe et dynamique qui engage des relations de pouvoir (Taussig 1999), donne à lire des conflits et des recompositions et fait recours à de multiples stratégies, techniques et dispositifs. Le mensonge, le non-dit, le flou, le silence sont en effet constitutifs des interactions et le secret amplifie, articule et complexifie la vie sociale (Simmel 1908, Petitat 1998). Les chercheurs peuvent être mis dans la confidence de secrets marquant ainsi leur acceptation dans la société étudiée ou être maintenus dans une ignorance qui prend des contours différents suivant la situation sociale. Ainsi András Zempléni (1976) a montré comment, selon la position qu’il ou elle occupe, l’anthropologue peut être faire face à différents types de secret. Ce dernier constitue un modèle de communication à quatre entrées qui finit par créer des liens spécifiques entre acteurs. Des processus de transmission, révélation, séparation, rétention ou « sécrétion » de signaux, volontaires ou involontaires, permettent d’entretenir ce qui est occulté et de le rendre manifeste aux yeux des autres. Entrer par ce que le secret produit, permet d’interroger moins un contenu, un objet ou une modalité de l’être, que les opérations à travers lesquelles se nouent des formes sociales spécifiques.

Dans ce dossier, nous souhaitons interroger les différentes manières dont le secret est socialement produit, transmis et négocié dans l’espace des relations intimes et familiales. Quels sont les sujets les plus difficiles à traiter au sein de la parenté ? Comment le droit régule ce que les personnes sont autorisées à partager et ce qu’on peut cacher ? Comment ces aspects varient selon les cultures, les contextes socio-historiques, la situation sociale et familiale (cf. Williams 1993)? Par quels dispositifs concrets, les secrets sont-ils entretenus, déplacés ou revisités dans les relations familiales ? Et comment les « suintements du secret » (Tisseron 2017) obligent les membres de la parenté à reformuler la parole prescrite ou interdite ? Nous invitons les contributeurs à s’arrêter sur la place du silence, qui ne recoupe pas exactement le secret, mais qui est, avec lui, dans une tension constitutive. Si silences et secrets peuvent se renforcer mutuellement, il y a toutefois des silences qui trahissent le secret, qui contribuent à son dévoilement, car « dévoiler n’est pas que dire, tandis que cacher ne se résume pas à taire » (Adell 2014). 

Nous invitons les auteur.es à explorer cette tension entre silence et secret, à analyser leurs modalités de production, les relations auxquelles ils donnent lieu. Les recherches présentées dans les articles doivent s’inscrire dans un de ces trois axes :

    1. Le secret constitue une dimension importante de la mémoire familiale, de sa transmission entre continuité et ruptures, de la manière de se rapporter à une généalogie. Les secrets dans l’histoire familiale peuvent aussi être l’écho de conflits historiques et de traumatismes venant du passé : appartenance à des populations persécutées ou discriminées, engagements politiques ou idéologiques, participation à des conflits ou à des guerres, mémoires sensibles, troubles dans la filiation suite aux événements de la « grande » histoire et à sa violence (Argenti, Schramm 2009). Le silence des survivant.es de la Shoah ou d’autres génocides, ainsi que sa transmission intergénérationnelle en constitue un exemple (Lapierre 2001, Kidron 2009).
    1. Dans un contexte de débat sur l’accès aux origines biologiques des personnes adoptées ou nées par dons de gamètes, nous interrogerons les secrets dans la formation de la parenté et dans la production de descendants (adoption, procréation médicalement assistée, naissances considérées illicites) (Théry 2010, Appleby et al. 2012). La configuration de la parenté et des rapports inter-générationnels sont explorés également à travers le silence sur et l’occultation des expériences qui transgressent l’ordre du genre et des sexualités considérées comme non légitimes dans un contexte social ou historique donné.
    1. La médecine contemporaine ayant accentué ou reformulé les questions de la transparence et de l’information (Manderson, Davis, Colwell, Ahlin 2015), les non-dits, les évitements, les esquives autour de la maladie et de la finitude nous semblent intéressants à explorer. Les expériences de maladie suscitent des débats autour de la transmission ou le partage d’expériences sensibles communes qui nous semblent importants à analyser. Un autre domaine à explorer est celui du secret et du silence dans le champ de l’hérédité et des maladies génétiques (Featherstone et al. 2005), et notamment les questions soulevées par les tests et le diagnostic auprès des enfants, mais pas uniquement, dans le cas de maladies héréditaires monogéniques (ex. Wexler 1996 sur la chorée d’Huntigton).

Ces terrains, nous permettent d’interroger plus largement l’usage du secret et du silence dans la recherche en sciences sociale et les méthodologies qui y ont été associées. Quelle est la place du secret sur le terrain, comment les chercheurs sont enjoints au silence et comment s’en saisissent-ils dans la relation d’enquête (Rappert 2010) ? Cette question touche également la distinction entre les interdits sur le dire et ceux sur le savoir (Zempléni 2016) et la manière dont les chercheurs s’insinuent dans ces brèches pour produire des connaissances. Une attention particulière est donnée à la place du corps et de la culture matérielle dans la production du secret : objets, traces corporelles, empreintes en tant que témoins d’une « vérité » occultée, gardiens du secret, mais aussi signatures, sécrétions plus ou moins involontaires de ce qui est caché.

Modalités de contribution

Les résumés – 4000 signes maximum, espaces compris – des articles proposés sont attendus

pour le 31 mai 2020.

Ils doivent être envoyés à l’adresse de la revue : rss@misha.fr. Ils devront mentionner le titre de la proposition, le cadre théorique, les matériaux empiriques, terrains et méthodologie. Le résumé doit comporter également une bibliographie (en dehors des 4000 signes) et une brève notice bio-bibliographique de l'/des auteur.es. Si la proposition est acceptée, l’article doit être remis avant le 15 octobre 2020 pour une parution au deuxième semestre de 2021.

Références citées

Adell Nicolas, « Faire le secret », Mondes contemporains, 2014, 5, p. 3-10

Appleby, J. et al. 2012. Is disclosure in the best interests of the children?, In: M. Richards et. Al. (eds.) Reproductive Donation: Practice, Policy and Bioethics. Cambridge University Press.

Argenti N., Schramm K. (eds.), Remembering Violence: Anthropological Perspectives on Intergenerational Transmission, Oxford, Berghahn Books, 2009

Diasio N., Raphaël F., Wieland K. (dir.), La construction de l’oubli. Revue des Sciences Sociales, 44, 2010.

Featherstone, K. et al., Risky Relations: Family, Kinship and the New Genetics, London, Bloomsbury and Berg Publishers, 2005.

Foucault M., La volonté de savoir, Paris, Seuil, 1976

Kidron, C. “Toward an Ethnography of Silence. The Lived Presence of the Past in the Everyday Life of Holocaust Trauma Survivors and Their Descendants in Israel”, Current Anthropology, 2009, 50, 1, p. 5-27.

Lapierre N., Le silence de la mémoire. A la recherche des Juifs de Plock, Paris, Biblio Essais, 2001.

Manderson L., Davis M., Colwell, Ahlin T., “On Secrecy, Disclosure, the Public, and the Private in Anthropology”, Current Anthropology, 2015, 56, 12, p. 183-190

Petitat André, Secret et formes sociales, Paris, PUF, 1998

Rappert B., « Making Silence Matter : The Place of the Absence in Ethnography », EPIC Proceedings, 2010, p. 260-273.

Simmel Georg, « Le secret et la société secrète » (1908, in Sociologie. Etudes sur les formes de la socialisation, Paris, PUF, 2010, p. 347-405,

Théry I., Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don, Paris, Editions de l’EHESS, 2010.

Taussig M., Defacement: Public Secrecy and the Labor of the Negative, Stanford, Stanford University Press, 1999

Tisseron Serge, Les secrets de famille, Paris, PUF, 2011

Wexler, A. Mapping Fate. A Memoir of Family, Risk, and Genetic Research, Los Angeles University of California Press, 1996

Williams P. (1993), “Nous on n’en parle pas” : les vivants et les morts chez les Manouches, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1993.

Zempléni Andras, « Savoir taire : du secret et de l’intrusion ethnologique dans la vie des autres », Gradhiva, 1996, 20, p. 23-43.

Zempléni Andras, « La communication cryptique », in Gonseth M.-O., Knodel B., Laville Y. Mayor G., Schinz O., Secrets, Neuchâtel, Musée d’Ethnographie de Neuchâtel, 2016, p. 28-41

Subjects

Places

  • Strasbourg, France (67)

Date(s)

  • Sunday, May 31, 2020

Keywords

  • secret, silence

Contact(s)

  • Christophe Humbert
    courriel : humbert [dot] chr [at] gmail [dot] com

Information source

  • Christophe Humbert
    courriel : humbert [dot] chr [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Secrets /silences », Call for papers, Calenda, Published on Friday, February 07, 2020, https://doi.org/10.58079/14db

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