Coordination du dossier
- Delphine Mercier
- Sylvia Chiffoleau
- Jens Thoemmes
Argumentaire
Dans l’ensemble, la littérature sur les migrations a abordé la question du temps des migrations sous plusieurs angles. Nous en retenons trois ici à titre d’exemple : les parcours, le transit et l’attente, les catégories institutionnelles.
Les travaux des anthropologues, géographes, historiens et sociologues ont regardé plus spécifiquement les temps des migrations (Sayad, 1999) et des parcours. Les temporalités y sont souvent décrites comme des « fronts pionniers », comme des extensions du temps durant les différentes étapes du parcours migratoire. Évoluant dans un entre-deux et dans un entre-lieux, les migrants, les réfugiés, les étrangers, les travailleurs saisonniers temporaires se regroupent autour « des murs de la mémoire » (Vidal, 2005). Le déplacement devient du temps en négatif, car il n’y a plus d’espace. Nous assistons aussi à un changement de paradigme de la nature des migrations vers les mobilités (Tarrius, 1992 ; Cortès et Faret, 2009 ; Pellerin, 2011) avec des conséquences importantes sur les temporalités. Dans cette perspective, des déplacements réversibles, temporaires ou circulaires, rompent de manière générale avec l’idée d’un départ et d’une arrivée définitive, avec la présomption d’un trajet unique ou d’un chemin tracé préalablement.
Des travaux se sont aussi centrés sur les temps du transit (Bredeloup, 2013) et de l’attente. En décrivant l’allongement des temps d’attente à chaque escale au cours du transit, certains auteurs concluent que la conscience du temps perdu ne l’est pas forcément, car chaque étape est également une expérience qui renforce des apprentissages. D’autres contributions montrent au contraire que dans les temps d’attente le temps devient un temps confiné, et l’absence d’apprentissage et de rencontres rend alors ce temps inutile (Kobelinsky, 2014). On parle de confinement du temps, temps emprisonné, temps privé. Enfin, d’autres auteurs qui étudient le renforcement des politiques de contrôle des migrations en Europe ou aux États-Unis font la démonstration de l’augmentation des « poches » d’attente tout au long du parcours des aspirants à la migration. Ces « poches d’attente » ne concernent d’ailleurs pas seulement les aspirants, mais elles sont également liées à la restriction des conditions d’obtention d’un titre de séjour qui retarde l’accès à un statut régulier des étrangers déjà présents sur le territoire. Ceux-ci sont ainsi condamnés à vivre dans un « éternel présent » avec de multiples recommencements (Courant, 2014). Le temps du passage et des papiers est suspendu et reporte sans cesse d’autres temporalités.
Les institutions imposent également leurs temporalités, et ce sont ces temporalités qui structurent aussi l’espace migratoire. Ces temporalités varient en fonction des institutions, des lois nationales et internationales, des instances intermédiaires (pays de transit) et bien sûr en fonction des échelles, du niveau international au niveau le plus local. De plus, tout un vocabulaire de classifications basé sur des catégories temporelles a été développé : « primo-arrivant », « durablement installé », « visa longue durée » etc. ne sont que des exemples qui renvoient aux temps des institutions.
On voit l’intérêt, à l’intérieur mais aussi au-delà de ces trois ensembles, parcours-attente-institutions, d’élargir la perspective en intégrant des manières objectives et subjectives de concevoir le temps des migrations, en traitant de manière centrale et concrète des concepts qui s’y réfèrent : génération, ennui, attente, âges (minorité/majorité notamment), durée, séparation, événements, etc.
De quelle manière l’état et l’évolution des migrations peuvent-ils être éclairés par une analyse des temporalités ? Le passage des migrations traditionnelles à la mobilité, la réversibilité des déplacements, les allers-retours n’indiquent-ils pas que les temps devraient être désormais un domaine privilégié d’analyse des pratiques migratoires ? Les rapports aux temps des migrants, entre temps courts (urgence des départs, des passages) et temps longs (institutions, transit, projet de vie), ne permettent-ils pas de remettre de l’alternance là où une vision de la linéarité et de la séquence départ/arrivée réduisent souvent la complexité et l’épaisseur des expériences ?
Il s’agit pour ce numéro de ne pas céder à une « linéarité à rebours » (Green, 2002), qui consiste pour les analyses des parcours migratoires à reculer du pays d’arrivée au pays de départ, mais bien de replacer l’analyse des temporalités de la migration comme des temps vécus et non pas seulement comme des temps dont la signification est celle donnée par ceux qui les organisent. Traiter des temps des migrations incluant des aspects objectifs et subjectifs s’avère indispensable.
Ces questions, éléments et concepts ne sont que des exemples d’un débat qui demande à être approfondi et élargi. Face à ces défis méthodologiques et théoriques, nous aimerions inviter des contributions de l’ensemble des sciences humaines et sociales. Des propositions privilégiant l’enquête et la recherche empirique seront particulièrement appréciées.
Envoi des projets d’articles
Les auteurs devront envoyer leur proposition d’article aux coordinateurs du numéro Delphine Mercier (delphine.mercier@univ-amu.fr), Sylvia Chiffoleau (sylvia.chiffoleau@gmail.com) et Jens Thoemmes (jens.thoemmes@gmail.com), avec copie au secrétariat de rédaction de la revue (temporalites@revues.org).
Cette proposition, composée d’un titre et d’un résumé d’une page en français ou en anglais du projet d’article (5 000 signes maximum), ainsi que du nom, des coordonnées et de l’affiliation institutionnelle de l’auteur, est attendue d’ici le 6 avril 2020.
Les auteurs sont invités à consulter les consignes aux auteurs et les procédures de sélection des réponses à cet appel :
- https://journals.openedition.org/temporalites/684
- https://journals.openedition.org/temporalites/683
Calendrier récapitulatif et échéances
-
Réception des propositions (résumés de 5 000 signes maximum) : 6 avril 2020
- Réponse des coordinateurs : 20 avril 2020
- Réception des articles (50 000 signes maximum) : 2 juin 2020
- Retour des expertises des évaluateurs : 10 juillet 2020
- Version révisée : 3 septembre 2020
- Remise des versions définitives : 2 novembre 2020
- Sortie du numéro : 15 décembre 2020
Bibliographie
Baby-Collin Virginie, Mazzella Sylvie, Mourlane Stéphane, Regnard-Drouot Céline, Sintès Pierre (dir.), 2017. Migrations et temporalités en Méditerranée : les migrations à l’épreuve du temps (XIXe-XXIe siècle), Karthala-Maison méditerranéenne des sciences de l'homme, Paris.
Bouagga Yasmine, 2014. « Le temps de punir. Gérer l’attente en maison d’arrêt », Terrain, n° 63, p. 86-101.
Bourdieu Pierre, 1997. Méditations pascaliennes, Paris, Éditions du Seuil.
Bredeloup Sylvie, 2013. « Les temps du transit dans la migration africaine », Journal des africanistes, no 83/2 (juillet), p. 58-90.
Bret Julien, 2012. « Temps migratoires en tension : Les temporalités produites et vécues du travail domestique global au Liban », Temporalités, no 15 (mai). https://doi.org/10.4000/temporalites.2029.
Chantraine Gilles, 2004. « La mécanique du temps vide. Structure sécuritaire et réactions individuelles au temps carcéral en maison d’arrêt », in Sociologie pénale : système et expérience. Pour Claude Faugeron, D. Kaminski et M. Kokoreff (éd.), Coll. Trajets, Érès, p. 257-271.
Cortès G., Faret L., 2009. Les circulations transnationales. Lire les turbulences migratoires contemporaines, Paris, Armand Colin.
Green Nancy L., 2002. Repenser les migrations. 1re Édition. Le nœud gordien. Paris, Presses universitaires de France.
Kobelinsky Carolina, 2010. L’accueil des demandeurs d’asile. Une ethnographie de l’attente, Paris, Éditions du Cygne.
Kobelinsky Carolina, 2014. « Le temps dilaté, l’espace rétréci. Le quotidien des demandeurs d’asile », Terrain, n° 63, p. 22-37.
Leclerc-Olive Michèle, 2015. « Au-delà des épistémologies sédentaires : Les changements urbains au miroir de l’exil », Parcours anthropologiques, no 10 (octobre), p. 24-45. https://doi.org/10.4000/pa.443.
Le Courant Stefan, 2014. « “Être le dernier jeune” : Les temporalités contrariées des migrants irréguliers », Terrain, no 63 (septembre), p. 38-53. https://doi.org/10.4000/terrain.15490.
Pellerin Hélène, 2011. « De la migration à la mobilité : changement de paradigme dans la gestion migratoire. Le cas du Canada », Revue européenne des migrations internationales 27, n° 2, p. 57–75. https://doi.org/10.4000/remi.5435.
Makaremi Chowra, 2008. « Participer en observant : Étudier et assister les étrangers aux frontières », in Fassin Didier, Bensa Alban, Politiques de l’enquête, Paris, La Découverte, p. 165-183.
Sayad Abdelmalek, Bolzman Claudio, Fibbi Rosita, et Guillon Michelle, 2001. « La vacance comme pathologie de la condition d’immigré. Le cas de la retraite et de la préretraite », Revue européenne des migrations internationales 17 (1), p. 11-36. https://doi.org/10.3406/remi.2001.1760
Temime Émile, 2000. « Abdelmalek Sayad. La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré », La pensée de midi 2 (2), p. 159-61.
Vidal Laurent, 2005. Mazagão, la ville qui traversa l’Atlantique : du Maroc à l’Amazonie, 1769-1783, Paris, Aubier.
Tarrius Alain, 1992. « Circulation des élites professionnelles et intégration européenne », Revue Européenne de Migrations Internationales 8, n° 2, p. 27-56. https://doi.org/10.3406/remi.1992.1320
Guest editors
- Delphine Mercier
- Sylvia Chiffoleau
- Jens Thoemmes
Argument
On the whole, the literature on migration has approached the question of the time of migration from several angles. Three of them are given here by way of example: journeys, transit and waiting, and institutional categories.
The work of anthropologists, geographers, historians and sociologists has looked more specifically at times of migration (Sayad, 1999) and journeys. The temporalities are often described as "pioneer fronts", as extensions of time during the different stages of the migratory journey. Migrants, refugees, foreigners and temporary seasonal workers, moving in an in-between and between places, gather around "walls of memory" (Vidal, 2005). Displacement becomes time in negative, because there is no more space. We are also witnessing a paradigm shift in the nature of migration towards mobility (Tarrius, 1992; Cortès and Faret, 2009; Pellerin, 2011) with important consequences on temporalities. From this perspective, reversible, temporary or circular movements generally break with the idea of a definitive departure and arrival, with the presumption of a single route or a previously traced path.
Work has also focused on transit times (Bredeloup, 2013) and waiting times. In describing the lengthening of waiting times at each stopover during transit, some authors conclude that awareness of lost time is not necessarily so, since each stage is also an experience that reinforces learning. Other contributions show, on the contrary, that in waiting times, time becomes a confined time, and the absence of learning and encounters then renders this time useless (Kobelinsky, 2014). We speak of confined time, imprisoned time, private time. Finally, other authors studying the strengthening of migration control policies in Europe or the United States demonstrate the increase in "pockets" of waiting time along the journey of aspiring migrants. These "waiting pockets" do not only concern applicants, but are also linked to the restriction of the conditions for obtaining a residence permit, which delays the access to a regular status for foreigners already present on the territory. They are thus condemned to live in an "eternal present" with multiple restarts (Courant, 2014). The time of passage and papers is suspended and constantly postpones other temporalities.
Institutions also impose their temporalities, and it is these temporalities that also structure the migratory space. These temporalities vary according to institutions, national and international laws, intermediate bodies (transit countries) and of course according to scales, from the international to the most local level. Moreover, a whole vocabulary of classifications based on temporal categories has been developed: "newly-arrived", "permanently settled", "long-term visa", etc. are only examples that refer to the times of institutions.
We see the interest, within and beyond these three sets, pathway-waiting-institutions, to broaden the perspective by integrating objective and subjective ways of conceiving the time of migration, by dealing centrally and concretely with the concepts that refer to it: generation, boredom, wait, ages (minority/majority in particular), duration, separation, events, etc.
How can the state and evolution of migration be informed by an analysis of temporalities? The transition from traditional migration to mobility, the reversal of the trend and the evolution of migration.
The aim of this issue is not to give way to "reverse linearity" (Green, 2002), which for analyses of migratory journeys means going backwards from the country of arrival to the country of departure, but rather to place the analysis of the temporalities of migration as lived times and not only as times whose meaning is that given by those who organize them. It is essential to deal with times of migration that include both objective and subjective aspects.
These issues, elements and concepts are only examples of a debate that needs to be deepened and broadened. Faced with these methodological and theoretical challenges, we would like to invite contributions from the whole range of human and social sciences. Proposals favouring empirical research will be particularly welcome.
Submission of draft articles
Authors should send their article proposals to the guest editors Delphine Mercier (delphine.mercier@univ-amu.fr), Sylvia Chiffoleau (sylvia.chiffoleau@gmail.com) and Jens Thoemmes (jens.thoemmes@gmail.com), with a copy to the journal's copy editor (temporalites@revues.org).
This proposal, consisting of a title and a one-page summary in French or English of the draft article (maximum 5,000 characters), as well as the name, contact details and institutional affiliation of the author, is expected by 6 April 2020.
Authors, please check Journal Procedures here : https://journals.openedition.org/temporalites/3459
Summary timetable and deadlines
-
Receipt of proposals (abstracts of up to 5,000 characters): 6 April 2020
- Guest Editors' reply: 20 April 2020
- Receipt of papers (maximum 50,000 signs): 2 June 2020
- Return of appraisers' expertise: 10 July 2020
- Revised version: September 3, 2020
- Final versions: November 2, 2020
- Release date: December 15, 2020