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Mise en (in)visibilité des groupes professionnels

Invisibility among professional groups

Questions de communication, n°39

Questions de communication journal, no.39

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Publié le mardi 22 septembre 2020

Résumé

Questions de communication publie un dossier sur la mise en (in)visibilité des groupes professionnels pour son numéro 39. Le dossier questionnera le rôle et la place des médias dans la représentation et, indissociablement, dans la construction des groupes professionnels et de leurs compétences. Les contributions pourront s’intéresser tant aux « professions prétentieuses » qu’aux « métiers modestes », et à l’ensemble des supports matériels et des genres discursifs où s’opère, selon des intensités variables, leur mise en visibilité.

Annonce

Questions de communication est une revue semestrielle à comité de lecture publiée avec le soutien du Centre de recherche sur les médiations (Université de Lorraine, France) et de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS.

Argumentaire

Les groupes professionnels (entendus ici au sens large, au-delà des professions établies, libérales ou savantes : Demazière et Gadéa, 2009) se donnent ou sont donnés à voir, de façon contrastée, dans tous les secteurs de l’écosystème médiatique. Ce processus de publicisation et de sémiotisation, soutenu par l’émergence des « relations publiques généralisées » (Miège, 1997), leur fournit une tribune privilégiée pour promouvoir leurs activités, affirmer leurs compétences et défendre leurs intérêts. Mais il est tout autant synonyme de vulnérabilité, au sens où il bouscule leur capacité à contrôler leur représentation. Plus les professions et leurs activités suscitent le regard et le débat publics, plus le travail de représentation devient nécessaire mais précaire. Le présent dossier entend ainsi examiner la mise en (in)visibilité (Dayan, 2013 ; Heinich, 2012 ; Voirol, 2005a, 2005b) des mondes du travail dans les espaces publics médiatiques, pour en comprendre les ressorts, le contenu, les modalités et les implications. L’actualité autour de la pandémie de la Covid-19 montre d’ailleurs comment des activités ordinairement invisibilisées, où les femmes sont souvent surreprésentées, peuvent accéder sous certaines conditions à la visibilité publique et à la reconnaissance sociale.

Au demeurant, tout groupe professionnel est le produit d’un travail de représentation, auquel Luc Boltanski (1982 : 57-58) attribue trois sens : des stratégies de dénomination (taxinomie) ; des manœuvres de présentation de soi et de densification symbolique par lesquelles le groupe façonne son image et accède à l’existence publique (autoreprésentation) ; et une représentation politique assumée par des porte-parole auprès des pouvoirs publics (institutionnalisation). Ce travail de représentation engage, indissociablement, un travail d’argumentation (Paradeise, 1985) en vue de revendiquer des compétences et une éthique, d’acquérir une reconnaissance légale et sociale, et d’exercer, sinon monopoliser, une ou plusieurs activités. Cette entreprise s’inscrit dans un vaste système d’interactions où s’exerce une compétition permanente entre professions pour conquérir ou conserver leur « juridiction » (Abbott, 1988). Parmi les « arènes de juridiction », les espaces publics médiatiques représentent « peut-être l’arène la plus familière » (ibid. : 60), dotée de ses modalités propres ; cela recouvre tant les médias d’information que les divertissements de masse, et, désormais, toutes les formes de publicisation en ligne (Convert et Demailly, 2007). Les médias constituent dès lors une scène d’apparition, mais aussi une arène de juridiction (parmi d’autres et articulées aux autres), où se joue la reconnaissance des groupes et de leurs activités aux yeux du plus grand nombre.

À cette aune, les contributions pourront concerner les opérateurs et les opérations de mise en visibilité médiatique. Le travail de représentation est ordinairement assumé par des porte-parole agissant par délégation, ou, de plus en plus, par des communicant·es professionnel·les (Gadéa et Olivesi, 2016 ; Walter, 1995), et s’inscrit dans des pratiques sociales et discursives ritualisées (Bourdieu, 1982). Mais il est aussi l’œuvre de travailleur·euses qui se saisissent du web et des réseaux sociaux pour donner à voir, en dehors de tout mandat officiel et selon des modalités renouvelées, les mondes du travail et leurs coulisses. C’est le cas, par exemple, des récits expérientiels publiés sur les plateformes de blogs par des enseignant·es, des policier·ères, des cadres, des employé·es, etc. (Connan, Le Saulnier et Verdier, 2015), qui se réapproprient leur représentation sur fond d’« emprise de la communication » (Pailliart, 1995) et de crise du syndicalisme.

La « nouvelle visibilité » (Thompson, 2005) des professions est aussi une vulnérabilité. Toute représentation est un édifice fragile, qui suppose un travail d’équipe et reste menacé par des « ruptures » (Goffman, 1973) accidentelles ou intentionnelles. Ces ruptures peuvent provenir, d’une part, des luttes internes pour le contrôle de la représentation. En effet, les groupes professionnels se composent de différents « segments » (Strauss, 1992), porteurs de définitions de l’activité et d’intérêts pratiques concurrents. Ces divisions peuvent être publicisées et saper le travail d’« unification symbolique » (Boltanski, 1982 : 57) par lequel toute profession se donne comme un groupe cohérent et cohésif. La vulnérabilité réside, d’autre part, dans la révélation, par des journalistes ou des lanceur·euses d’alerte, d’erreurs, de fautes ou d’aspects inavouables de la pratique professionnelle. Dès lors, on pourra examiner le travail de présentation de soi opéré via les médias en vue d’établir ou de rétablir une représentation harmonieuse, ainsi que les régimes de justification élaborés en réponse aux controverses ou aux scandales auxquels des groupes (ou certaines de leurs activités) peuvent donner matière.

La visibilité médiatique engage aussi la constitution du rapport à soi et aux autres. Les professionnel·les, à commencer par ceux·celles placé·es au contact du public, font face à des représentations d’eux·elles-mêmes fabriquées et diffusées, à grande échelle et selon leurs modalités propres, par les industries médiatiques. Plus ou moins stéréotypées, ces représentations fournissent potentiellement aux publics des opérateurs de compréhension et des standards d’appréciation des professions et de leur travail. Ainsi, des enquêtes ethnographiques auprès de policier·ères (Perlmutter, 2000 ; Le Saulnier, 2011 ; Meyer, 2012), de médecins ou d’enseignant·es (Chalvon-Demersay, 1999, 2003) montrent qu’ils·elles sont autant de « publics particulièrement concernés » par leur mise en visibilité dans les médias. En effet, les imaginaires médiatiques peuvent « contaminer » les relations des professionnel·les avec leurs publics, et venir s’immiscer, par des modes d’appropriation subtils, dans la construction et la validation des identités au travail. Certains groupes sont davantage confrontés à des mécanismes d’invisibilisation de leur travail, de leur utilité ou de leur condition, à l’instar des éboueur·euses (Bilat et Le Lay, 2016).

Le dossier questionnera le rôle et la place des médias dans la représentation et, indissociablement, dans la construction des groupes professionnels et de leurs compétences. Les contributions pourront s’intéresser tant aux « professions prétentieuses » qu’aux « métiers modestes » (Hughes, 1996 : 123-135), et à l’ensemble des supports matériels et des genres discursifs où s’opère, selon des intensités variables, leur mise en visibilité. Elles pourront notamment s’inscrire dans les axes suivants :

  • Le travail de représentation ou d’argumentation orchestré par les groupes professionnels (ou certains de leurs membres) dans les espaces publics médiatiques ; les régimes de publicisation et de sémiotisation auxquels ils donnent matière ; les pratiques discursives ou les « idiomes figuratifs » (Gadéa, 2016) par lesquels ils se donnent ou sont donnés à voir ; au contraire, les formes et les effets de leur invisibilisation ; les rhétoriques à l’œuvre dans la construction des groupes professionnels et l’affirmation de leur « professionnalité » ; les justifications avancées en réponse aux controverses ou aux scandales autour de leurs activités.
  • Les conditions de production, de diffusion, de circulation et, plus spécifiquement, de réception des représentations concernant les groupes professionnels et leur travail ; la réception de ces représentations (tous supports et genres confondus) par les professionnel·les eux·elles-mêmes, leurs client·es ou les publics ; l’entremise des médias dans la compréhension et l’appréciation des professions et de leurs activités par les publics ; ses implications sur les relations entre les professionnel·les et leurs publics, et sur la constitution des identités au travail.

Coordination

  • Pierre-Yves Connan (Cérep, Université de Reims Champagne Ardenne) : pierre-yves.connan[at]univ-reims.fr
  • Guillaume Le Saulnier (Cérep, Université de Reims Champagne Ardenne) : guillaume.le-saulnier[at]univ-reims.fr
  • Benoit Verdier (Cérep, Université de Reims Champagne Ardenne) : benoit.verdier[at]univ-reims.fr

Recommandations aux auteur·es et calendrier

Voir sur le site de la revue Questions de communication : https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/3074

Date limite de soumission : 11 novembre 2020 (format : 2 à 3 pages)

Retour des décisions aux auteur·es des propositions : 16 novembre 2020

Date limite de remise des textes aux coordinateurs : 14 février 2021 (format : 50 000 signes espaces comprises)

Parution : 1er semestre 2021

Références

Abbott A., 1988, The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, The University of Chicago Press.Bilat L. et Le Lay S., 2016, « Les éboueurs en discours. Enjeux sociaux et linguistiques d’une (in)visibilité socio-professionnelle », colloque international « Les acteurs du discours : de l’énonciateur à l’acteur social », Elliadd, Université de Franche-Comté, Besançon, 11-12 juil.

Boltanski L., 1982, Les Cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Éd. de Minuit.

Bourdieu P., 1982, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard.

Chalvon-Demersay S., 1999, « La confusion des conditions. Une enquête sur la série télévisée Urgences », Réseaux. Communication, technologie, société, 95, p. 235-283.

Chalvon-Demersay S., 2003, « Enquête sur des publics particulièrement concernés. La réception de L’Instit et d’Urgences », dans D. Cefaï et D. Pasquier (dirs), Les Sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, Presses universitaires de France, p. 503-519.

Connan P.-Y., Le Saulnier G. et Verdier B., 2015, « Quand une profession taiseuse se dévoile sur le web : les ethè discursifs élaborés dans les blogs de policiers », Itinéraires, 3. http://itineraires.revues.org/3145

Convert B. et Demailly L., 2007, Les groupes professionnels et l’internet, Paris, Éd. L’Harmattan.

Dayan D., 2013, « Conquering Visibility, Conferring Visibility: Visibility Seekers and Media Performance », International Journal of Communication, 7, p. 137-153.

Demazière D. et Gadéa C. (dirs), 2009, Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, Éd. La Découverte.

Gadéa C., 2016, « L’idiome figuratif des groupes professionnels », Images du travail, Travail des images, 1, http://imagesdutravail.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=377

Gadéa C. et Olivesi S. (dirs), 2016, Professions et professionnels de la communication, Toulouse, Éd. Octarès.

Goffman E., 1973, La Mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, Paris, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par A. Accardo, Éd. de Minuit.

Heinich N., 2012, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Gallimard.

Hughes E. C., 1996, Le Regard sociologique. Essais choisis, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par J.-M. Chapoulie, Paris, Éd. de l’EHESS.

Le Saulnier G., 2011, « Les policiers réels devant leurs homologues fictifs : fiction impossible ? Pour une sociologie de la réception dans la sphère professionnelle », Réseaux. Communication, technologie, société, 165, p. 109-135.

Meyer M. (dir.), 2012, Médiatiser la police, policer les médias, Lausanne, Éd. Antipodes.

Miège B., 1997, La Société conquise par la communication. 2. La communication entre l’industrie et l’espace public, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

Pailliart I. (dir.), 1995, L’Espace public et l’emprise de la communication, Grenoble, Éd. Littéraires et linguistiques de l’université de Grenoble.

Paradeise C., 1985, « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du travail, 1, p. 17-31.

Perlmutter D., 2000, Policing the Media. Street Cops and Public Perceptions of Law Enforcement, Thousand Oaks, Sage.

Strauss A. L., 1992, La Trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, textes réunis et présentés par I. Baszanger, Paris, Éd. L’Harmattan.

Thompson J. B., 2005, « La nouvelle visibilité », Réseaux. Communication, technologie, société, 129-130, p. 59-87.

Voirol O., 2005a, « Les luttes pour la visibilité. Esquisse d’une problématique », Réseaux. Communication, technologie, société, 129-130, p. 89-121.

Voirol O., 2005b, « Visibilité et invisibilité : une introduction », Réseaux. Communication, technologie, société, 129-130, p. 9-36.

Walter J., 1995, Directeur de communication. Les avatars d’un modèle professionnel, Paris, Éd. L’Harmattan.


Dates

  • mercredi 11 novembre 2020

Mots-clés

  • groupe professionnel, profession, média, représentation

Contacts

  • Guillaume Le Saulnier
    courriel : guillaume [dot] le-saulnier [at] univ-reims [dot] fr
  • Benoit Verdier
    courriel : benoit [dot] verdier [at] univ-reims [dot] fr
  • Jacques Walter
    courriel : jacques [dot] walter [at] univ-lorraine [dot] fr
  • Pierre-Yves Connan
    courriel : pierre-yves [dot] connan [at] univ-reims [dot] f
  • Béatrice Fleury
    courriel : beatrice [dot] fleury [at] univ-lorraine [dot] fr

Source de l'information

  • Rudy Hahusseau
    courriel : rudy [dot] hahusseau [at] univ-lorraine [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Mise en (in)visibilité des groupes professionnels », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 22 septembre 2020, https://doi.org/10.58079/15b6

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