AccueilLes procès politiques : des tribunes ou des tremplins pour l'opposition ?

AccueilLes procès politiques : des tribunes ou des tremplins pour l'opposition ?

Les procès politiques : des tribunes ou des tremplins pour l'opposition ?

Political processes: platforms or springboards for opposition?

*  *  *

Publié le mardi 27 octobre 2020

Résumé

Le colloque entend étudier l’instrumentalisation de la justice, soit par les procureurs, soit par les accusés et le rôle des procès politiques en France depuis 1815 chez les opposants. La politisation des procès ne se fait pas à sens unique et ne bénéficie pas toujours à ceux qui l’on instruit : il s’agit donc d’observer comment les accusés et leurs milieux politiques retournent la situation à leur avantage, parfois plusieurs années après.

Annonce

Argumentaire

Les procès dits politiques sont ceux où la justice est instrumentalisée soit par les procureurs, soit par les accusés. Ils peuvent être instruits par un État qui entend pervertir le droit à son avantage afin de punir un opposant et par là-même le museler mais, dans un État de droit, ils peuvent aussi être utilisés par des accusés qui en profitent pour se victimiser. Sur la longue durée, historiens et juristes ont plutôt interrogé la première forme de politisation de la justice. Depuis Political Justice. The Use of Legal Procedure for Political Ends d’Otto Kircheimer (1961)[1], citons Les procès politiques (XIVe-XVIIe siècle), fruit d’un colloque de l’École de Rome en 2007[2], et plus récemment Le procès politique du XVe au XXe siècle sous la direction de Denis Salas en 2017[3]. Magistrats serviles, absence de débats contradictoires et condamnations pour l’exemple en sont les marques quelle que soit l’époque et quel que soit le régime autoritaire ou démocratique. Or, si les bénéfices et, parfois, les échecs, de ceux qui ont intenté ces mauvais procès ont été étudiés, les effets sur leurs opposants et, plus largement, leur rôle dans l’émergence de contre-pouvoirs et la structuration d’alternatives au pouvoir n’ont pas encore été analysés. Les conséquences dramatiques de ces procès politiques pour leurs victimes sont bien connues, mais l’agency dont surent faire preuve ces milieux politiques dont elles sont issues pour retourner parfois la situation à leur avantage reste à interroger[4]. De même, si la publicisation de grands problèmes sociaux par le droit a été explorée[5], la récupération politique de leurs procès par des accusés dans un État de droit ne l’a guère été. En interrogeant toute la palette des instrumentalisations politiques possibles des procès, il y a donc une double lacune à combler.

Pour ce faire, ce colloque a choisi d’interroger une séquence et un espace précis : la France de 1815 à nos jours. Les régimes s’y succèdent mais tous, y compris la République en temps de crise, recourent à des formes de justice d’exception, telle la Cour de sûreté de l’État, créée en pleine guerre d’Algérie, ou bien sont accusées d’instrumentaliser la justice à leur profit. L’on sait que certains procès ont été de véritables fiascos et qu’ils ont pu se retourner contre leurs auteurs. En 1868, le procès Baudin permet à son avocat, Gambetta, de devenir une figure de l’opposition. D’autres donnent au moins malgré eux parole et consistance à une cause négligée, comme le féminisme défendu par Hélène Brion devant le conseil de guerre en 1918. À l’inverse, en 2019, c’est en vain que Jean-Luc Mélenchon s’est posé en nouveau Lula. La politisation des procès ne se fait donc pas à sens unique et il convient d’évaluer dans quelle mesure des opposants ou des sans-voix peuvent utiliser le prétoire comme une tribune dans différentes configurations politiques de la France contemporaine.

Certains procès politiques font office d’étincelle en déclenchant la mobilisation. Tantôt, ils franchissent le seuil de tolérance de certains individus ou groupes de sorte que ceux-ci ne peuvent plus consentir à laisser faire le pouvoir en place et s’engagent contre lui, tels les dreyfusistes qui créent la Ligue des Droits de l’Homme en 1898. Tantôt, ces procès permettent l’héroïsation de leurs victimes et servent, en définitive, la représentation de soi de l’accusé et son image. Ainsi en 1894, l’anarchiste Émile Henry, très controversé parmi les siens avant son procès, retrouve une certaine légitimité avant de devenir un martyr de sa cause. Et si les procès de l’épuration, à l’instar du plus célèbre d’entre eux, le procès Pétain, semble sans lendemain immédiat, à long terme, ils favorisent une victimisation et une « légende noire » dont se nourrit l’extrême-droite.

Les procès politiques peuvent donc devenir une véritable opportunité qui permet à une opposition encore balbutiante de retourner le stigmate, de catalyser ses forces et de se structurer sur le long terme. Ainsi en 1863, le procès des Treize fédère les défenseurs des libertés nécessaires contre le Second Empire. Comment ces oppositions s’organisent-elles et sous quelles formes ? Dans ces circonstances, les procès politiques favorisent-ils l’émergence d’un leader national – qu’il soit l’accusé ou le défenseur, tel Gambetta - ou bien des instances de résistance locale ?

Dans tous les cas, on interrogera les modalités et les vecteurs (discours, caricatures, presse écrite ou télévisée, réseaux sociaux …) que ces oppositions, censurées ou non, utilisent pour médiatiser l’événement à leur profit. Comment investissent-elles le prétoire, arène ou théâtre, afin de lui donner un sens politique ? On analysera aussi la réception de ces procès, laquelle peut permettre de gagner la bataille de l’opinion à défaut de l’acquittement ou du non-lieu.

Les ondes de choc de ces procès politiques, enfin, doivent être analysées dans l’espace et dans le temps : un procès qui ne fait pas sens ici et maintenant peut avoir un retentissement ailleurs. Censuré dans la France occupée, le réquisitoire de Léon Blum à Riom est publié aux États-Unis et diffusé à l’étranger dès 1943. Son audience peut également être différée et s’accroître avec le temps. C’est donc aussi la mémoire de ces procès et leurs usages politiques qu’il faudra envisager dans les différents milieux engagés, y compris lorsqu’ils ne sont pas devenus des lieux de mémoire, tel le procès de Jean Zay à Clermont-Ferrand en octobre 1940.

Car, enfin, ce n’est pas en déplaçant le regard de l’accusateur aux accusés que, pour autant, cette histoire des procès politiques deviendra une success story, et il sera bon, par conséquent, d’interroger aussi les occasions manquées et, en observant ces milieux de l’opposition, se demander si c’est seulement la vigueur de la répression qui explique leur échec.

Trois axes seront, par conséquent, à privilégier :

  1. Émergence de la contestation, organisation d’une opposition
  2. Médiatisation et réception immédiates des procès
  3. L’accusé à la barre : une plaidoirie pour mémoire ?

Date et lieu

Date : 25-26 novembre 2021

Lieu : Hôtel Dupanloup Orléans

Modalités de communication

Les propositions de communication (5 000 signes maximum), accompagnées d’un bref CV sont à envoyer à l’adresse suivante : noelline.castagnez@univ-orleans.fr

avant le 4 janvier 2020.

Comité d’organisation

Pierre Allorant, Walter Badier et Noëlline Castagnez (POLEN - CEPOC EA4710)

Partenaire(s)

  • Le CHPP
  • Le Barreau d’Orléans
  • L’Institut d’études judicaires (IEJ) d’Orléans
  • Les Amis de Jean Zay
  • Le Cercle Jean Zay
  • Le CERCIL sous réserve
  • Institut des Sciences criminelles et de la Justice (ISCJ - Bordeaux)
  • L’AFHJ

Conseil scientifique

  • Pierre Allorant, Professeur d’Histoire du droit, Université d’Orléans et secrétaire général du CHPP
  • Éric Anceau, MCF-HDR Sorbonne Université, Vice-président du CHPP
  • Noëlline Castagnez, Professeure d’Histoire contemporaine, Université d’Orléans
  • Sophie Delbrel, MCF-HDR Histoire du droit – Université de Bordeaux
  • Catherine Fillon, Professeur de Droit, Université de Lyon
  • Jean Garrigues, Professeur d’Histoire contemporaine, Université d’Orléans, Président du CHPP
  • Pascal Ory, Professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
  • Denis Salas, Magistrat, Président de l’Association française pour l’Histoire de la Justice
  • Anne Simonin Directrice de recherche à l’EHESS, directrice de la Maison française d’Oxford

Pistes bibliographiques

Études d’ensemble ou comparatives

- Baruch Marc-Olivier et Duclert Vincent (dir.), Justice, politique et République, de l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, IHTP, 2002.

- Berce Yves-Maris (dir.), Les procès politiques (XIVe-XVIIe siècle), Rome, École française de Rome, 2007.

- Boltanski Luc, Claverie Élisabeth, Offenstadt Nicolas et Van Damme Stéphane (dir.), Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate à Pinochet, Paris, Stock, 2007.

- Boscher Laurent, Histoire de la répression des opposants politiques (1792-1848) : la justice des vainqueurs, L'Harmattan, 2006.

- Codaccioni Vanessa, Puccio-Den Deborah et Roussel Violaine, Dossier “Des usages politiques de la forme procès”, Droit et Société, 2015/1, n°89.

- Codaccioni Vanessa, Justice d’exception, Paris, éditions du CNRS, 2015.

- Israël Liora, L’arme du Droit, Paris Presses de Sciences Po, 2009.

- Israël Liora et Malatesta Maria, Dossier “Défendre l’ennemi public”, Le Mouvement social, 2012/3 (n°240).

- Salas Denis (dir.), Le procès politique (XVe-XXe siècle), Paris, La Documentation française, AFHJ, 2017.

Études de cas

- Agrikoliansky Éric, « Usages choisis du droit : le service juridique de la Ligue des droits de l’Homme (1979-1990). Entre politique et raison humanitaire », Sociétés contemporaines, n°52, 2003, p. 61-84.

- Allorant Pierre, « Le ‘procès des Treize‘: un procès politique retourné par les ténors libéraux du barreau sous le Second Empire », in Lucien Faggion, Christophe Regina, et Bernard Ribémont (dir.) La culture judiciaire. Discours, représentations et usages de la justice du Moyen Âge à nos jours, Dijon, Presses Universitaires de Dijon, 2014.

- Béteille Pierre et Rimbaud Christiane, Le procès de Riom, Paris, Plon, 1973.

- Blevis Laure, « De la cause du droit à la cause anticoloniale. Les interventions de la LDH en faveur des ‘indigènes’ algériens pendant l’entre-deux guerres », Politix, n°62, 2003, p. 39-64.

- Bredin Jean-Denis, L'infamie : le procès de Riom, février-avril 1942, Paris, B. Grasset, 2012.

- Bredin Jean-Denis, Un tribunal au garde-à-vous : Le procès de Pierre Mendès France, Fayard, 2002.

- Cazals Rémy, Grandes injustices devant l’opinion : Calas, Sirven, Dreyfus, Ferrer, Durand, Sacco, Vanzetti, Carcassone, Archives de l’Aude, 1993.

- Codaccioni Vanessa, Punir les opposants. PCF et procès politiques (1947-1962), Paris, CNRS Éditions, 2013.

- Codaccioni Vanessa, “(Dé)politisation du genre et des questions sexuelles dans un procès politique en contexte colonial : le viol, le procès de l’affaire Djamila Boupacha (1960-1962)”, Nouvelles questions féministes, 2010/1 (vol.29), p.32-45.

- Jankowski Paul (trad. P. Hersant), Cette vilaine affaire Stavisky : histoire d'un scandale politique, Paris, Fayard, 2000.

- Jean Jean-Paul (dir.), Juger sous Vichy, juger Vichy, Paris, La Documentation française, AFHJ, 2018.

- Joly Bertrand, Histoire politique de l’affaire Dreyfus, Paris, Fayard, 2014.

- Kaplan Alice Yaeger, Intelligence avec l’ennemi : le procès Brasillach, (trad. du The collaborator), Le grand livre du mois, 2001.

- Le Naour Jean-Yves, L’Affaire Malvy : le Dreyfus de la Grande-Guerre, Hachette, 2007.

- Loubes Olivier, « Jean Zay : le premier procès politique de Vichy », L’Histoire, n°359, décembre 2010.

- Michel Henri, Le procès de Riom : le procès du Front populaire et la défaite de 1940, Paris, A. Michel, 1979.

- Naquet Emmanuel, Pour l’Humanité. La Ligue des Droits de l’Homme de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940, Rennes, PUR, 2014.

- Simonin Anne, « Rendre une justice politique : l’exemple des chambres civiques de la Seine (1945-1951) », in Histoire de la justice, 2019/1 (n° 29), p. 283-299.

- Vergez-Chaignon Bénédicte, L’affaire Touvier. Quand les archives s’ouvrent, Flammarion, 2016.

Notes

[1] Pour Otto Kirscheimer, un procès politique est « le procès criminel d’un adversaire politique pour des raisons politiques », Otto Kircheimer, Political Justice. The Use of Legal Procedure for Political Ends, Princeton, Princeton University Press, 1961.

[2] Yves-Marie Berce (dir.), Les procès politiques (XIVe-XVIIe siècle), Rome, École française de Rome, 2007.

[3] Denis Salas (dir.), Le procès politique (XVe-XXe siècle), Paris, La Documentation française, AFHJ, 2017.

[4] À l’exception notable, cependant, des communistes avec les travaux de Vanessa Codaccioni, dont Codaccioni Vanessa, Punir les opposants. PCF et procès politiques (1947-1962), Paris, CNRS Éditions, 2013.

[5] Par exemple, Antoine Vauchez, « Introduction. Les arènes judiciaires dans la construction des problèmes sociaux et politiques » et Emmanuel Henry, « Le droit comme vecteur de publicisation des problèmes sociaux. Effets publics du recours au droit dans le cas de l’amiante », dans Liora Israël (et alii dir.), Sur la portée sociale du droit, Paris, PUF, 2005, p. 167-171 et 187-200. 

Lieux

  • Hôtel Dupanloup, 1 rue Dupanloup
    Orléans, France (45)

Dates

  • lundi 04 janvier 2021

Mots-clés

  • procès politique, opposition, France contemporaine

Contacts

  • Noëlline Castagnez
    courriel : noelline [dot] castagnez [at] univ-orleans [dot] fr

Source de l'information

  • Noëlline Castagnez
    courriel : noelline [dot] castagnez [at] univ-orleans [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les procès politiques : des tribunes ou des tremplins pour l'opposition ? », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 27 octobre 2020, https://doi.org/10.58079/15gf

Archiver cette annonce

  • Google Agenda
  • iCal
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search