AccueilDéjouer la gravité : voltiger en apesanteur

AccueilDéjouer la gravité : voltiger en apesanteur

Déjouer la gravité : voltiger en apesanteur

Thwarting gravity : acrobatics and weightlessness

*  *  *

Publié le mardi 16 novembre 2021

Résumé

Le colloque souhaite faire dialoguer des professionnel·le·s de l’apesanteur (astronautes, équipes de recherche, praticien·ne·s) et des artistes de cirque qui éprouvent un effet de suspension à travers la voltige. Il interroge les points communs existant entre les deux types de pratique : chacune permet de mieux comprendre les réactions et sensations internes du corps en situation d’apesanteur. Des vols paraboliques aux dispositifs immersifs terrestres, l’état dans lequel la micro-gravité plonge les praticien·ne·s reste peu documenté, aussi bien physiquement que mentalement. Dans le cadre d’une création spectaculaire, les types de mouvements et les sensations corporelles propres à la suspension doivent également être transmis à un public. De multiples œuvres contemporaines de compagnies de cirque, de danse, ou encore de plasticien·ne·s jouent ainsi avec la gravité pour déplacer les repères des interprètes et du public.

Annonce

Argumentaire

Ce colloque souhaite créer un dialogue entre les professionnel·le·s de l’apesanteur (astronautes, équipes de recherche, praticien·ne·s) et les artistes de cirque qui éprouvent l’effet de suspension dans leur pratique de la voltige. Il est organisé à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Kitsou Dubois, danser l’apesanteur en 2021, co-édité par le Cnac et la revue Alternatives théâtrales. Il s’inscrit dans le cadre de l’axe de recherche « Gestes et mouvements » de la chaire ICiMa – Innovation cirque et marionnette, et plus particulièrement à la suite des travaux menés avec Bernard Andrieu sur le chantier « Vécu corporel de l’artiste ». Chorégraphe et chercheuse en danse, Kitsou Dubois a permis de tisser un lien entre expérience hors gravité et artistes de cirque. Après avoir été lauréate de la bourse de la Villa Médicis hors les murs en 1989 pour un séjour à la NASA, elle collabore avec le Centre national d’études spatiales (Cnes) et, en 1999, soutient une thèse sur l’Application des techniques de danse au vol en apesanteur : une danseuse en apesanteur. L’expérience fondatrice des vols paraboliques l’entraîne vers une étude du mouvement et de la perception du corps en apesanteur, qu’elle approfondit également dans ses créations chorégraphiques. Dans ce cadre, elle fait appel à des circassien·ne·s dont la pratique corporelle rejoint ses interrogations. Ces dernier·ère·s participent alors à des laboratoires et des spectacles aussi bien sur scène qu’en vol, sous l’eau ou dans des dispositifs technologiques immersifs, qu’ils nourrissent de leurs propres connaissances et sensations.

Quels points communs existe-t-il entre l’immersion dans un milieu a-gravitaire et la pratique de la voltige ? En quoi ces expériences peuvent-elles s’enrichir l’une l’autre ? Les communications et interventions attendues pour ce colloque sont destinées à répondre à ces questions en abordant plus précisément les thèmes détaillés ci-dessous – et en les dépassant au besoin.

Adaptation du mouvement

Exercices d’acrobatie en l’air, sauts du trapéziste : la voltige est traditionnellement pensée comme « une véritable traversée des airs[1] ». De fait, les disciplines aériennes et de propulsion comme le trapèze, la bascule, la barre russe et le trampoline font s’envoler les acrobates et leur corps expérimente la parabole, la chute libre et le mouvement pendulaire. Les artistes ont ainsi accès à l’au-delà de la gravité au moment de l’exécution de leur figure. L’exploration de cet espace-temps inédit qu’est la suspension est au cœur de leur pratique quotidienne et de leur entraînement. Les artistes y développent une connaissance sensible de la hauteur, la vitesse, l’angle et la force impulsés par le mouvement de base du ballant. À travers l’étude de la voltige, ce colloque cherche à appréhender la façon dont se pense, s’éprouve et se construit le corps en apesanteur. De quelle manière est-il sollicité ?

En situation d’impesanteur[2] (où les effets de la gravité sont annulés), le poids s’efface : les mouvements peuvent se déployer dans toutes les directions. Néanmoins, la perte de repères visuels et physiques engendrée par l’envol demande la mise en place de nouvelles stratégies pour démarrer un geste. Quels appuis est-il alors possible et nécessaire de développer ? Comment naît le mouvement et selon quels axes évolue-t-il ? La notation en cadre d’horloge développée par le voltigeur Maxime Bourdon donne un aperçu de la manière dont peuvent être représentés et étudiés la mécanique du mouvement aérien et l’espace qu’il apprivoise, à partir des sensations éprouvées par l’acrobate. La voltige circassienne rejoint ici la pratique spatiale, dans la mesure où toutes les deux modifient les réactions du corps et ses tensions internes, dont la compréhension devient un enjeu essentiel. Avant d’être un support gymnique et un agrès de cirque, le trampoline a ainsi été utilisé pour l’entraînement des pilotes de l’US Navy puis des astronautes[3]. Plus récemment, les techniques d’adaptation à un milieu sans gravité proposées spontanément par le corps des danseur·se·s a donné lieu à un projet (jamais réalisé) de formation des astronautes. Dans l’objectif de croiser art et sciences, le colloque est ouvert à la multiplicité des disciplines permettant l’étude du mouvement en apesanteur et des sensations liées : biomécanique, physiologie neurosensorielle, approche chorégraphique et acrobatique du mouvement, études spatiales.

Milieux immersifs

Pour interroger le lien entre apesanteur et naissance du mouvement, ainsi que le rapport entre espace et sensation, le colloque invite les communications à se pencher sur les différents types de milieux impliquant une absence totale ou partielle de gravité. En dehors de la station spatiale internationale, ceux-ci peuvent correspondre à des temps provoqués (vols parabolique zéro-G), à des expériences accessibles sur Terre (eau, dispositifs numériques) ou à des pratiques (cirque et voltige). L’idée d’immersion dans un environnement inédit change la façon de concevoir une gestuelle et de percevoir l’intérieur de soi – en provoquant ensuite de nouvelles impressions sur un public. Des analyses des sensations internes de l’artiste ont été menées par Bernard Andrieu, en proposant aux étudiant·e·s du Cnac de réaliser des dessins de conscience et à travers l’ouvrage Donner le vertige. Les arts immersifs (2014). Émersion, anthropologie sensorielle : l’expérience du vide et du vertige permet à l’artiste de plonger son regard vers l’intérieur de son propre corps, alors même qu’il devient difficile de percevoir la frontière entre soi et l’espace extérieur. Plusieurs artistes de cirque ont mené des recherches en ce sens, notamment Frédéri Vernier et Sébastien Davis-VanGelder. Leur spectacle en apnée joue sur la « frontière mystérieuse entre le connu des capacités biologiques (le savoir du corps médical) et la volonté humaine d’aller chercher toujours un peu plus profond[4] ». L’utilisation de dispositifs scénographiques innovants permet également d’explorer et transmettre des impressions de suspension sur toute la durée d’un spectacle : les interprètes de Mathurin Bolze se déplacent sur des plateaux pendulaires aux mouvements desquels il est nécessaire de s’adapter – lui-même ayant touché à l’apesanteur durant une campagne de vols paraboliques. Le « Space Juggling » d'Adam Dipert explore les trajectoires suivies par des balles en rotation sur un dispositif technique terrestre, et le transforme en performance filmée créant une illusion d'apesanteur. Le colloque s’intéresse ainsi aux dispositifs techniques et technologiques mis en place par les artistes et à même d’approfondir la connaissance de l’impesanteur.

Représentations de l’apesanteur, perception de l’espace

L’exploration sensible de l’impesanteur est à la fois un moyen de récolter des données pour des études en laboratoire et d’agir sur les représentations et rêves liés à la conquête de l’espace aussi bien qu’à la maîtrise des hauteurs. Celle-ci fascine et intrigue, notamment au cirque où les figures exécutées en l’air acquièrent immédiatement une dimension spectaculaire. Si l’invention du trapèze volant par Jules Léotard au XIXe siècle fait souvent figure de date clé dans la conquête des airs, de nombreux numéros d’acrobates ou de danse de corde se caractérisaient déjà auparavant par un défi lancé aux lois de la nature. La voltige touche alors au fantasme icarien et renvoie à un dépassement des limites humaines, autorisant les artistes contemporains à jouer avec ces mythes tout en les reproduisant (Willy Wolf, La Contrebande, 2019). Les communications prenant en compte cet aspect culturel (histoire des représentations) sont bienvenues.

Au-delà de la mise en valeur de la prouesse, les œuvres contemporaines confrontent bien le public à des corps flottants dont les évolutions perturbent sa perception de l’espace. Plusieurs séries de photographies d’art donnent à voir ces corps en vol ou en pleine chute au milieu d’un paysage urbain dont ils brisent les codes, rompant avec les logiques de circulation et d’usage des espaces : La Chute de Denis Darzacq, Falling Through Space de Brad Hammonds, L’envolée (Haïti) de Benoit Aquin. La voltige circassienne se retrouve quant à elle capturée par Christophe Raynaud de Lage, qui transforme en images les propositions des acrobates. Artistes de danse verticale des compagnies Roc in Lichen (notamment Laura de Nercy) et 9.81 ou encore Jorg Müller faisant valser des tubes métalliques : chacun·e compose avec l’espace par un jeu de contre-poids et de forces, en déplaçant soi-même les repères de la verticalité et, pour le public, ceux du regard. Dans quelle mesure les pratiques acrobatiques et circassiennes ouvrent-elles des espaces de recherche sur l’impesanteur, aussi bien au niveau mécanique qu’imaginaire ?

Éprouver et transmettre

Pour les artistes, il s’agit d’apprendre à maîtriser un espace de création permettant d’atteindre l’idéal du geste juste, libéré de la gravité, mais exigeant aussi de nouvelles capacités mentales. L’état dans lequel plonge la microgravité reste à documenter et le colloque souhaite recueillir des témoignages de praticien·e·s à ce sujet. Les écrits existant accordent souvent une attention particulière aux impressions kinesthésiques et aux transferts de poids internes : en suspension, l’acrobate aussi bien que l’astronaute doivent se concentrer sur leurs sensations les plus infimes pour réinventer une centralité du corps. Les chorégraphes Steve Paxton et Ushio Amagatsu en font leur objet d’écoute lorsqu’ils évoquent leur rapport à la gravité[5], de même que Kitsou Dubois s’attache à chaque variation et déséquilibre au niveau des articulations. Pourquoi le travail sur la gravité est-il systématiquement relié, pour ceux qui pratiquent l’apesanteur, aux sensations internes du corps ?

Cette forme d’extrême conscience de soi-même dans l’espace fait correspondre l’apesanteur à un temps dilaté, étiré. Les suspensions d’une artiste comme Chloé Moglia donnent à éprouver cette temporalité dense et étendue, où le rythme et la respiration jouent un rôle significatif. Quels nouveaux états de corps la micro-gravité offre-t-elle ou demande-t-elle aux artistes d’adopter ? Comment sont-ils exploités par et pour la création ?

Transmettre la sensation d’apesanteur et la revivre sont alors des enjeux essentiels auxquels se confrontent les artistes. D’une part, il s’agit de trouver comment réactiver la mémoire d’un état dont il est difficile de se rappeler dès que la gravité terrestre a repris ses droits, puisqu’il implique un rapport au temps et à l’espace totalement différent. D’autre part, quel travail scénique mettre en place pour transmettre l’effet de suspension corporelle à un public, généralement assis et immobile ? La perception du mouvement acrobatique et aérien, aussi bien que celles de certains états par les spectateur·rices, est ainsi un des champs d’étude abordés par ce colloque.

Modalités de soumission

Dans une démarche visant à faire dialoguer art et sciences (aérospatiales, sciences humaines et sociales, etc.), le colloque sera constitué de communications universitaires et de tables-rondes ouvertes. Sont attendues des propositions aussi bien d’artistes que de chercheur·se·s académiques, ainsi que de professionnel·le·s de l’apesanteur. Les propositions en dialogue, les projets interdisciplinaires ou axés sur l’intermédialité sont aussi bienvenus.

Les propositions d’intervention ne devront pas excéder 3000 signes (espaces compris) et devront être accompagnées d’une courte biographie précisant les travaux et textes déjà publiés. Elles sont à envoyer

avant le 13 mai 2022

aux adresses suivantes :

  • bernard.andrieu@u-paris.fr
  • cyril.thomas@cnac.fr
  • marion.guyez@univ-grenoble-alpes.fr
  • secretariatchaireicima@cnac.fr
  • sylvie.martin-lahmani@sorbonne-nouvelle.fr

Le colloque, organisé par la chaire ICiMa - Centre national des arts du cirque et l’I3SP – Université de Paris, avec le soutien de la plateforme CARP, aura lieu du 29 septembre au 1er octobre 2022 au Cnac, Châlons-en-Champagne.

Comité scientifique

  • Bernard Andrieu, professeur en Staps à l'université de Paris, directeur du laboratoire URP 3625 - Institut des sciences du sport-santé de Paris (I3SP).
  • Esther Friess, secrétaire scientifique de la chaire ICiMa au Centre national des arts du cirque.
  • Marion Guyez, maîtresse de conférences à l’Université Grenoble Alpes.
  • Sylvie Martin-Lahmani, professeure associée à la Sorbonne Nouvelle Paris 3, codirectrice éditoriale d'Alternatives théâtrales.
  • Cyril Thomas, responsable du Pôle Ressources - Recherche au Centre national des arts du cirque et co-titulaire de la chaire ICiMa.

Notes

[1] GUYEZ Marion, Carnet de notation voltige aérienne par Maxime Bourdon, Châlons-en-Champagne, publication Cnac/ICiMa, 2019, p. 6.

[2] Les mots « apesanteur » et « la pesanteur » étant trop proches phonétiquement, le Centre national d’études spatiales (Cnes) utilise le terme d’impesanteur pour signifier l’absence de sensation de poids : la gravité existe, mais ses effets sont annulés et le corps ne les ressent plus.

[3] Voir la page dédiée au trampoline sur BnF/Cnac, l’Encyclopédie des arts du cirque : [https://cirque-cnac.bnf.fr/fr/acrobatie/propulsion/le-trampoline].

[4] Description de leur spectacle Out of the blue : [https://www.ay-roop.com/out-of-the-blue/].

[5] Voir AMAGATSU Ushio, Dialogue avec la gravité, Arles, Actes Sud, 2000 et PAXTON Steve, La gravité, Bruxelles, Contredanse, 2018.

Lieux

  • 1 rue du Cirque
    Châlons-en-Champagne, France (51)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • vendredi 13 mai 2022

Mots-clés

  • cirque, gravité, voltige, apesanteur, art, science

Contacts

  • Esther Friess
    courriel : esther [dot] friess [at] u-bordeaux-montaigne [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Esther Friess
    courriel : esther [dot] friess [at] u-bordeaux-montaigne [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Déjouer la gravité : voltiger en apesanteur », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 16 novembre 2021, https://doi.org/10.58079/17n7

Archiver cette annonce

  • Google Agenda
  • iCal
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search