AccueilMondes hostiles et couplage à la technique

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Publié le lundi 07 mars 2022

Résumé

Protéger les corps en les harnachant et malgré tout les immerger dans des mondes hostiles pour qu’ils y produisent une action relève d’une prise de risque socialement consentie et procède de la mise en équation du rapport, variable dans l’histoire, qu’une société entretient avec le risque, le sacrifice. Nous nous proposons, dans ce séminaire, de travailler sur les environnements qui n’accueillent des êtres humains qu’au prix d’adaptations bio-psycho-sociales et techniques fortes.

Annonce

Argumentaire

Protéger les corps en les harnachant et malgré tout les immerger dans des mondes hostiles pour qu’ils y produisent une action relève d’une prise de risque socialement consentie et procède de la mise en équation du rapport, variable dans l’histoire, qu’une société entretient avec le risque, le sacrifice. Soucieuses de prolonger nos réflexions partagées autour de nos terrain respectifs –auprès des scaphandriers travaux publics et des pilotes de chasse –, nous nous proposons, dans ce séminaire, de travailler sur les environnements qui n’accueillent des êtres humains qu’au prix d’adaptations bio-psycho-sociales et techniques fortes.

Équiper les corps permet le franchissement de ses capacités naturelles : respirer sous l’eau, voler dans les airs, aller au front des incendies, intervenir en milieux radioactifs ou en milieux contaminés par la maladie. Ce couplage aux objets techniques constitué de l’équipement conduit à la transformation des sujets et se double, en retour, d’un nécessaire apprentissage de la technique par le corps, c’est-à-dire de l’acquisition d’une « technique du corps » qui constitue un voyage intérieur aux confins de ses propres limites physiques. Ces limites ne sont pas stabilisées, mais variables d’un individu à l’autre et variables pour un même individu selon sa condition du jour ; il faut donc savoir les évaluer à chaque occurrence. Être au plus près de ses limites, c’est accomplir une belle performance ; les franchir, c’est mourir ou tout du moins se mettre en grand danger. Cet apprentissage est plus ou moins long et plus ou moins difficile selon les professions ou contextes d’intervention ; il se réalise de toute façon graduellement en école de formation, sur le tas, au sein de collectifs qui participent à imprimer dans le corps de chacun de ses membres ses habitudes, ses recettes, ses pratiques et ses représentations (du beau, du remarquable, du courageux, du dangereux, du menaçant).

Les environnements hostiles offrent ainsi un verre grossissant intéressant pour analyser les façons dont les techniques et les gestes sur les matières, comme le harnachement des corps, articulent le vital et le social, pour observer les couplages et découplages entre sujets, objets et environnement.

Nous avons identifié trois pistes comme autant d’invitations à s’approprier la thématique : l’expérience de l’hostilité des environnements dans lesquels évoluent les sujets concernés ; celle des sensations dans les processus de couplage-découplage avec les objets et les environnements ; celle, enfin, des limites de l’humain et de la technique comme possibilité de questionner ce que les collègues géographes, nomment l’écoumène. Nous pourrons nous interroger ainsi : quel équipement pour quelle hostilité ? Quel harnachement bien souvent au service d’une entité supérieure (l’employeur, la mission, le collectif) ? Quel camouflage pour « se glisser » dans l’hostilité ? Quels engagements, apprentissages et techniques du corps sont mobilisés dans l’expérience de l’immersion dans un milieu hostile ? Quelles expériences sensorielles (pas uniquement visuelles ou tactiles) du harnachement, du confinement ? Dans quelle mesure l’articulation aux objets en situation d’hostilité produit-elle un monde viable, même si ça n’est que temporaire et fragile, et forme un sujet particulièrement construit pour ce monde-là ? Qu’est-ce que cela fait de s’immerger dans des espaces hostiles ? Y-a-t-il création d’une disposition sensible à l’environnement concerné ? Comment ces expériences alimentent-elles la question de la terrestrialité des êtres humains ?

Informations pratiques

Le séminaire aura lieu les 22 mars, 24 mai, 28 juin de 14h00 à16h30 au 12, Place du Panthéon 75005 Paris.

Inscription : https://philosophie.pantheonsorbonne.fr/evenements/mondes-hostiles-et-couplages-technique

Organisatrices

Programme

Mardi 22 mars 14h00-16h30

Panthéon, salle 216

  • Stéphane Rennesson et Annabel Vallard, co-éditeurs.trices scientifiques, présenteront « Abîmes, abysses, exo-mondes. Exploration en milieux-limites », Techniques & culture, n°75 (2021).

Le numéro est consacré à l’attrait viscéral des humains pour les mondes lointains, mystérieux et hostiles ainsi qu’aux techniques de confinement que cette fascination induit. À l’heure où se précise le scénario tant redouté d’une Terre peut-être bientôt invivable pour les humains, les seize contributions questionnent l’opportunité d’une course technologique au confinement, la possibilité de nous isoler de notre milieu ambiant ou au contraire d’y plonger à corps perdus. Entre technophobie et technophilie, entre survivalisme et transhumanisme, les explorations proposées dans ce numéro suggèrent chacune à leur façon en quoi les abîmes nous apprennent intensément à nous laisser habiter par le monde autant qu’à l’habiter.

Stéphane Rennesson est chargé de recherches au CNRS (Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative), et s’intéresse aux enjeux anthropologiques des dispositifs ludiques et rituels, notamment en Thaïlande. Il est l’auteur d’un livre sur la boxe thaïlandaise et de nombreux articles sur cette dernière ainsi que sur des jeux qui mettent en scène des collaborations insolites entre humains et animaux non humains (scarabées, poissons et oiseaux). Plus récemment son travail s’est tourné vers des rituels consacrés aux nagas, divinités ophidiennes gardiennes de la circulation des eaux, plus généralement vers les relations que nous entretenons avec la Terre comme entité géophysique, au monde minéral.

Annabel Vallard est anthropologue au CNRS (Centre Asie du Sud-Est) et s'intéresse aux relations sensibles que les humains entretiennent avec leurs milieux, via des techniques et des matériaux en contact étroit avec leur corps, en particulier le long de filières textiles et minérales.

Mardi 24 mai 14h00-16h30

Panthéon salle 419A

  • Thomas Leroux – « Les hygiénistes au chevet des travailleurs (France, XIXe siècle) »

Le mouvement hygiéniste a profondément influencé les politiques de santé publique en France. C’est dans ce cadre qu’ils interviennent de plus en plus, au cours du XIXe siècle, dans les espaces professionnels. Pourtant, loin de défendre des environnements manufacturiers sains et sécurisés, ils déploient majoritairement des politiques d’accompagnement au développement industriel, soit en minimisant les pathologies ouvrières, soit en demandant aux travailleurs de s’adapter aux nouvelles techniques. L’assainissement des ateliers et usines procède ainsi davantage d’un accommodement aux processus de production qu’une réelle protection. Dans cette perspective, ils déploient un arsenal de dispositifs techniques qui réduisent les accidents et pathologies mais dans le même temps contribuent à pérenniser longtemps des processus industriels mortifiées. 

Thomas Le Roux est chargé de recherches au CNRS, directeur du Centre de Recherches Historiques (UMR 8558, CNRS-EHESS). Il travaille sur l’histoire environnementale et, plus précisément, sur l’histoire de l’impact de l’industrialisation sur l’environnement et les questions d’hygiène publique (pollutions, santé au travail, risques et accidents, etc.). Il est notamment l’auteur de : Le laboratoire des pollutions industrielles, Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011 ; avec François Jarrige de La Contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Le Seuil, 2017 (poche 2020) et avec Béatrice Delaurenti, de De la contagion, Paris, Vendémiaire, 2020.

Mardi 28 juin 14h00-16h30

Panthéon salle 419A

  • Julie Patarin-Jossec : « Ethnographie “énactiveˮ de l’apesanteur »

Les entraînements d’astronautes ou de scaphandriers professionnels ont de nombreux points communs, à commencer par l’état de flottaison des corps et artefacts immergés dans l’apesanteur des milieux spatial ou aquatique. Cette similarité des milieux spatial et aquatique est d’ailleurs mise en lumière par les simulations de sorties dans l’espace que les astronautes réalisent en piscine ou en mer durant leur entraînement avant un vol, ainsi que par les corps d’« aquanautes » créés par certaines agences spatiales (dont la NASA) afin de préparer leurs futurs programmes de vols habités. Découle de cette apesanteur un processus de « docilité », au gré duquel les astronautes et scaphandriers apprennent à déconstruire un rapport au corps normé par la gravité terrestre, tout en faisant reposer leur survie sur des dispositifs techniques appelant un certain savoir-faire d’ingénierie (combinaison et scaphandre pour les astronautes ; a minima détendeur, narguilé ou scaphandre pour les plongeurs). Cette « fabrique » des corps rendus dociles à la technique et à l’autorité (par exemple médicale ou hiérarchique) est un processus « charnel » fait d’apprentissage sensoriel et de savoir-faire corporel, mais également moral (car marqué par l’intériorisation de normes sociales et de valeurs telles que la soumission à l’autorité, l’acceptation de la dépendance à autrui et à la technique, une certaine rationalisation du danger physique, l’endurance à la douleur, l’esprit de corps professionnel, etc.). Cette présentation sera particulièrement articulée autour de la démarche méthodologique, corporelle, affective et intellectuelle d’une ethnographie de l’entraînement à l’apesanteur. Proposant notamment une réflexion sur les modalités et limites d’une immersion dans les environnements de travail des astronautes et scaphandriers professionnels en tant que sociologue, l’intervenante reviendra sur le rôle spécifique de l’évolution des rapports au corps, à l’apprentissage technique et aux affects de l’ethnographe au gré de ses mises à l’épreuve corporelles pour mieux saisir l’heuristique de la démarche ethnographique – y compris au-delà de la production de savoirs proprement académiques.

Julie Patarin-Jossec est docteure en sociologie, post-doctorante Fondation Maison des Sciences de l’Homme, chercheuse associée au Centre Émile Durkheim (UMR 5116) et co-responsable de la revue universitaire Visual Studies (Taylor and Francis). En marge de contributions médiatiques et de projets visuels (films documentaires, séries photographiques), elle a enseigné la sociologie en France et en Russie et est à l’initiative de groupes de recherche internationaux en études visuelles, sociologie de l’espace et politique spatiale. Parmi ces dernières publications en date figure l’ouvrage La fabrique de l’astronaute : ethnographie terrestre de la Station spatiale internationale (Petra, 2021). Ancrée dans sa recherche ethnographique et « énactive » sur l’entraînement des astronautes professionnels d’une part, et sa pratique de la plongée sous-marine technique d’autre part, ses travaux en cours s’inscrivent dans une démarche comparative articulant expériences corporelles et rapport aux techniques des espaces extra-atmosphérique et sous-marin.

Lieux

  • Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - 12 place du Panthéon
    Paris, France (75005)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • mardi 22 mars 2022
  • mardi 24 mai 2022
  • mardi 28 juin 2022

Mots-clés

  • corps, technique, hostilité

Contacts

  • Caroline Moricot
    courriel : Caroline [dot] Moricot [at] univ-paris1 [dot] fr
  • Céline Rosselin-Bareille
    courriel : celine [dot] rosselin-bareille [at] univ-orleans [dot] fr

Source de l'information

  • Caroline Moricot
    courriel : Caroline [dot] Moricot [at] univ-paris1 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Mondes hostiles et couplage à la technique », Séminaire, Calenda, Publié le lundi 07 mars 2022, https://doi.org/10.58079/18eg

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