AccueilLes « Identités » : le concept, ses manifestations, ses évolutions

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Les « Identités » : le concept, ses manifestations, ses évolutions

Identities: the concept, manifestations and evolutions

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Publié le jeudi 21 avril 2016

Résumé

La notion complexe et polysémique d’identité ouvre de vastes perspectives de réflexion. Historiens, géographes, sociologues, ethnologues, politistes, géopoliticiens, économistes, linguistes, philosophes, sémiologues, théologiens…, entre autres, avec les méthodes propres à leur discipline, analysent l’identité, sa formation, ses liens avec le territoire et les populations environnantes, la communication verbale, écrite, symbolique avec les membres du groupe ou des groupes voisins, les évolutions dans le temps et l’espace. Chaque identité apparaît particulière et, pour la comprendre, il faut analyser la combinaison extrêmement variable de multiples facteurs constitutifs qui eux-mêmes évoluent dans le temps et dans l’espace. Si les changements se révèlent rapides et spectaculaires, ils peuvent effrayer certaines couches de la population. Parfois, les mutations s’opèrent sans traumatisme apparent.

Annonce

Argumentaire

"Tunisian-Mediterranean Association for Historical, Social and Economic Studies" & "Tunisian World Center for Studies, Research, and Development" organiseront le 24, 25, et 26 novembre 2016 le neuvième colloque international sur le thème : Les Identités : le concept, ses manifestations, ses évolutions.

La notion complexe et polysémique d’identité ouvre de vastes perspectives de réflexion. Historiens, géographes, sociologues, ethnologues, politistes, géopoliticiens, économistes, linguistes, philosophes, sémiologues, théologiens…, entre autres, avec les méthodes propres à leur discipline, analysent l’identité, sa formation, ses liens avec le territoire et les populations environnantes, la communication verbale, écrite, symbolique avec les membres du groupe ou des groupes voisins, les évolutions dans le temps et l’espace.

I. Le concept d’identité

Le terme d’identité, souvent accolé à l’adjectif « national », apparaît si délicat à cerner que, selon le philosophe Georges Gusdorf, « l’idée de nation semble se refuser à toute définition satisfaisante »[1]. L’historien Pierre Nora, avant de proposer sa définition, prévient : « L’expression, pour un historien, est à éviter ou à n’employer qu’avec des pincettes »[2]. Ainsi s’explique la diversité des interprétations. Si l’on s’en tient à celles qui ont été proposées depuis la Révolution française, on peut citer, parmi beaucoup d’autres, l’analyse de Sieyès qui, en 1789, influencé par Le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, voit dans un groupe identitaire l’association volontaire et contractuelle de citoyens égaux. Au XIX° siècle, Augustin Thierry insiste sur l’unification progressive d’éléments d’abord disparates. Michelet observe la construction du groupe national qui mêle des individus différents dans un  combat contre un adversaire commun. En 1882, Ernest Renan, dans une conférence restée célèbre, fonde la nation sur la libre adhésion des individus concernés : « C’est (…) le consentement actuel, le désir de vivre ensemble (…). Avoir souffert, joui, espéré ensemble (…). L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ». L’écrivain Maurice Barrès voit dans le culte de la terre natale et des ancêtres un principe fédérateur essentiel. Le géographe Paul Vidal de la Blache, dans son Tableau géographique (1903), souligne l’interaction séculaire entre l’homme et la nature : selon lui, plus l’enracinement est ancien en un lieu, plus la force assimilatrice de ce lieu opère. André Siegfried, avec les méthodes de la science politique et de la psychologie sociale, recherche les éléments invariables de l’identité nationale, ce « fond de permanence qui se retrouve toujours »[3]. Car, comme le dit le médecin et esthète Elie Faure, « le climat, l’ossature terrestre, l’atavisme, l’éducation, l’économie locale modèlent petit à petit une langue, une architecture, une littérature, une peinture, une musique et une histoire qui ne sont pas les mêmes s’il s’agit d’un peuple de marins ou d’un peuple de soldats, d’un peuple de cultivateurs ou d’un peuple de nomades »[4].

La réflexion menée dans le passé sur la notion d’identité propose nombre d’idées ou d’intuitions qui, malgré leur diversité, peuvent nourrir la recherche actuelle. Il apparaît d’abord que l’investigation doit relever les traces du passé dans le temps présent, traces objectives ou non. C’est bien le programme que se fixait le grand historien Fernand Braudel dans le cas français : « Alors qu’entendre par identité de la France ? (…) Le résultat vivant de ce que l’interminable passé a déposé patiemment par couches successives (…). En somme un résidu, un amalgame, des additions, des mélanges. Se reconnaître à mille tests, croyances, discours, alibis, vaste inconscient sans rivages, obscures confluences, idéologies, mythes, fantasmes »[5].

Dans son approche classique, on peut définir l’identité à travers trois séries de facteurs : un territoire et ses symboles, l’éducation et des comportements communs.

- L’attachement à une région, souvent celle où l’on a vu le jour, est mis en évidence par les sondages d’opinion. Les paysages, certains villages ou quartiers urbains, des territoires considérés comme sacrés, des lieux de mémoire rappelant un événement important ou symbolisant des valeurs essentielles[6] font naître un sentiment d’appartenance plus ou moins contraignant. Celui-ci s’incarne particulièrement dans des symboles comme un drapeau, des hymnes, un croissant et une étoile pour les musulmans, une croix pour les chrétiens, la faucille et le marteau pour les communistes, parfois un animal comme le fennec algérien, l’okapi congolais, l’éléphant ivoirien, l’aigle allemand, l’ours suisse, le coq gaulois, le « lion indomptable » camerounais, sans oublier le léopard congo-kinois ou encore les animaux-dieux dans les sociétés païennes. Les devises nationales apparaissent aussi lourdes de symbolique, ainsi « Dieu, la patrie, le roi » au Maroc, « L’unité dans la diversité » en Afrique du sud, « D’un océan à l’autre » au Canada, « Nous voulons rester ce que nous sommes » au Luxembourg, « Notre langue est notre trésor » en Moldavie, « Liberté, égalité, fraternité » en France. La devise de ce dernier pays est si chargée de sens que le réactionnaire régime de Vichy la remplaça par « Travail, famille, patrie ».

- Le deuxième élément fort de l’identité réside dans l’éducation. Dès le premier âge, les enfants reçoivent l’empreinte d’un idiome particulier. Il faut souligner l’importance de celui-ci. La linguistique moderne montre en effet que le langage est solidaire de la société et reflète celle-ci. Les travaux de lexicométrie révèlent que le vocabulaire et les associations de mots véhiculent des messages précis[7]. D’ailleurs les hommes politiques s’entourent aujourd’hui de spécialistes en communication qui leur suggèrent les expressions susceptibles de frapper l’opinion et d’entraîner l’adhésion. Emil Cioran, Roumain établi en France en 1937, volontairement détaché de toute forme d’appartenance, avait cependant appris le français et écrivait dans cette langue dont la rigueur, tranchant avec l’exubérance de son idiome natal, le séduisait ; il tirait cette conclusion : « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie c’est cela et rien d’autre »[8]. Cet attachement à la langue est souvent avancé pour justifier et légitimer la fièvre sécessionniste chez les populations camerounaises d’expression anglaise qui préfèrent s’identifier à l’administration de tutelle britannique qu’à la « République »[9].

Dans les sociétés traditionnelles, l’éducation transmise par les anciens construit une identité qui évolue peu tant que les contacts entretenus avec l’extérieur restent limités. Dans les pays modernes, l’enseignement primaire et secondaire dispense aux jeunes une formation généralement définie par des programmes officiels. Certains écrivains, réputés incarner l’âme nationale, en viennent à exercer une influence fondamentale dans certains pays, tels Homère, Virgile, Ibn Khaldoun, Dante, Cervantès, Goethe, Voltaire, Victor Hugo…etc. L’histoire qui fournit nombre d’exemples généralement choisis par les pouvoirs publics offre également à son tour des schémas d’identification. La géographie complète parfois ce processus. Ainsi, sous la III° République française, les manuels enseignaient que la France devait être aimée par ses enfants car elle présentait une forme hexagonale parfaite, se trouvait idéalement située au cœur de la zone tempérée, présentait une remarquable harmonie car elle possédait une moitié de son territoire en plaines et l’autre moitié en montagnes heureusement placées sur le pourtour, était ouverte sur la Méditerranée, chargée d’un exceptionnel héritage de civilisation, et sur l’Atlantique, vecteur de la modernité. L’éducation religieuse complète la formation de l’identité. Les grands textes comme les vedas et oupanishads hindouistes, le Tao To King chinois, la Bible, le Coran, la Torah…etc. transmettent des principes fondamentaux qui modèlent la société.

- L’existence de comportements communs est considérée comme une troisième composante de l’identité. Les théories de chercheurs qui, dans la première moitié du XX° siècle, voulurent prouver que chaque nation possède une mentalité propre sont aujourd’hui considérées avec prudence. Mais l’opinion, sans forcément connaître les travaux érudits, croit qu’il existe bien une personnalité constitutive de chaque groupe humain et se singularisant par des comportements originaux. Les voyages et les contacts avec les immigrés dont on mesure la différence semblent prouver qu’il existe bien des particularités identitaires, souvent relevées, comme la discipline allemande, l’avarice écossaise, la fierté espagnole, la gaîté italienne…etc.  Au fond, peu importe que le portrait possède une valeur scientifique ou qu’il véhicule des stéréotypes : le fait qu’on le croit réel introduit un nouveau niveau d’identification.

Ces trois invariants situent toutefois la question de l’identité du point de vue de l’individu et des groupes dans leur immédiateté expérimentale. Cette approche exclut une carrière compréhensive de l’heuristique et de la pragmatique de l’identité qui, en situant l’analyse dans une perspective géo-historique, dégage un invariant supplémentaire de l’identité qui en fait un marqueur civilisationnel. C’est, par exemple, le nœud de la discorde qui fragilise le projet méditerranéen en opposant une Europe jalouse de sa supériorité socio-économique et techno-scientifique à un Maghreb et un Moyen-Orient dont la fierté est souvent bercée par l’adossement à la mythique nostalgie de l’al-Andalus. Par ailleurs, l’identité différentielle des civilisations a été mise en scène par le célèbre « Choc des civilisations » de Samuel P. Huntington[10], un livre qui, autant que le « Grand échiquier »[11] de Zbigniew Brzezinski, s’efforce de démontrer les caractères particuliers des civilisations et fonde ainsi les critères anthropologique et socio-symbolique comme les constantes essentielles à partir desquelles il est possible de dresser une carte des « habitus » civilisationnels et donc de fixer les identités des peuples dans le temps et dans l’espace. Il est d’ailleurs constant chez ces auteurs de noter la suprématie de la civilisation occidentale à prédominance américaine sur les autres civilisations, des parties du monde, telle que l’Afrique n’existant même pas dans leurs échelles de classification parce qu’étant sans identité.

En Afrique, précisément, et au grand dam de cette approche, la question de l’identité tend à devenir le critérium central de l’explication sociopolitique. A l’identité individuelle et civilisationnelle que nous avons mentionnée plus haut s’accole de plus en plus ce qui pourrait paraître comme une identité politique, soit parce qu’elle agrège le ressentiment d’individus se réclamant d’un groupe socio-anthropologique, une perspective qui est bien observable dans les mouvements de délitements politiques qui vont alimenter la période désormais bien connue des transitions démocratiques en Afrique au Sud du Sahara et, plus récemment encore, le cycle des Printemps arabes, soit parce qu’elle permet, de même que dans tous les systèmes et champs politiques, de désigner les bords politiques, la démocratie offrant le visage de l’identité politique prépondérante. Au-delà, la question soulevée par Achille Mbembe des « frontières mouvantes du continent africain »[12] souligne la résilience des compositions anthropologiques que le travail de la colonisation n’a pas totalement éradiquées. Les manœuvres et tensions de recomposition et d’émancipation des ensembles identitaires anté-coloniaux, à l’intérieur des Etats, à l’image de la poussée indépendantiste du Biafra au Nigeria, comme dans les zones transfrontalières, affecte aujourd’hui la stabilité des Etats africains et tend à imposer la nécessité d’une redistribution des espaces. La question qui se pose alors est de savoir : doit-on procéder à un nouveau partage de l’Afrique, les frontières étatiques suivant le cours sinueux et hétéroclites des lignes identitaires ?

Ainsi, chaque identité apparaît particulière et, pour la comprendre, il faut analyser la combinaison extrêmement variable de multiples facteurs constitutifs qui eux-mêmes évoluent dans le temps et dans l’espace.

II. Les manifestations identitaires

L’identité s’exprime dans le cadre collectif et individuel. L’influence du milieu, des normes et des valeurs qu’il transmet, les comportements qui en résultent apparaissent importants. Dans le cadre collectif, on relèvera les identités tribales, régionales, nationales, les identités des contrées frontalières qui accueillent souvent des traits venus du pays voisin. Dans une  dimension plus large, les identités globales et internationales s’incarnent par exemple dans les aires culturelles arabe, germanique, ibérique, occidentale, africaine…etc. Il faut s’interroger sur l’existence d’ensembles identitaires très larges s’étendant à tout un continent : existe-t-il une identité globale africaine, asiatique, sud ou nord- américaine… ? Si ce concept possède un sens, est-il la résultante ou la moyenne de diverses identités nationales plus étroites ?

L’identité collective entretient aussi des relations très étroites avec les grandes religions qui exercent une influence séculaire. Par opposition, l’agnosticisme et l’athéisme représentent des choix antagonistes. Il sera intéressant d’étudier la relation qui s’établit entre les valeurs religieuses et les valeurs laïques.

Les orientations politiques et syndicales donnent naissance à d’autres identités collectives. Droite, gauche, extrémismes, centrisme encadrent les individus sur le plan idéologique et leur fournissent des grilles de jugement. Les alliances, les ruptures, les affrontements électoraux rythment la vie publique. La coexistence d’identités différentes ou leurs luttes dans un même espace ou à l’intérieur de frontières communes ouvrent de vastes perspectives de réflexion. Certaines régions multiethniques,  comme l’Europe centrale qualifiée souvent de « mosaïque de peuples », ont connu au long des siècles de nombreux combats causés par des incompatibilités identitaires.

Les identités professionnelles sont multiples. Les cultures paysannes, ouvrières, bourgeoises, aristocratiques se fragmentent en de nombreux sous-groupes. Chacun de ceux-ci se singularise par ses valeurs, ses traditions, ses fiertés, ses revendications. Les gestes du travail, le costume, la cuisine, les usages de table, le rapport à l’éducation individualisent, parmi beaucoup d’autres signes, les particularités de ces groupes. La sociologie et l’ethnologie accordent beaucoup d’importance aux codes et aux comportements de la vie quotidienne qui, pour ces sciences, dépassent la signification anecdotique pour devenir des révélateurs de l’identité profonde.

Il est important de rappeler que de nombreuses identités peuvent coexister  chez un même individu et que les innombrables expériences de la vie modifient l’équilibre de ces affiliations personnelles.

III. Les évolutions identitaires

Si l’on met à part quelques communautés isolées, n’entretenant pas de contacts avec l’extérieur, les groupes identitaires connaissent des évolutions plus ou moins rapides. Très lent est généralement le changement des sociétés rurales, fidèles à des usages ancestraux. Les sociétés urbaines et industrielles, accueillant les technologies modernes, marquées par une scolarisation plus précoce et plus large, influencée par la présence des partis politiques, des syndicats, des grands médias et spectacles ayant prise sur l’opinion, connaissent des mutations plus rapides.

Les guerres, les conquêtes, les révolutions peuvent, dans le long terme, amener des transformations qui modifient l’identité des vaincus. Ainsi, la conquête arabe entraîna la disparition progressive du christianisme en Afrique du nord. La colonisation européenne eut pour effet de perturber, voire de disloquer, l’identité des peuples soumis. Par la suite, de nouvelles configurations se dessinèrent amalgamant certains éléments subsistants des cultures autochtones et des apports des puissances dominatrices, souvent la langue. Les résultats se révélèrent très variables. Par exemple, la recherche actuelle montre que la colonisation fasciste italienne fut massivement rejetée en Ethiopie car elle était fondée sur un racisme violent, tandis que, dans l’Erythrée limitrophe, où la présence italienne était plus ancienne et plus libérale – les mariages mixtes y furent permis dès le XIX° siècle – une « mémoire identitaire hybride se constitua » car la présence italienne y apparut « valorisante et valorisée »[13].

A l’époque contemporaine, de vastes transformations sociales, économiques, politiques, culturelles introduisent des remises en cause identitaires importantes. L’effacement de certaines grandes idéologies, comme le marxisme et son incarnation maoïste, affecte la personnalité collective des pays soumis à ces systèmes totalitaires durant de nombreuses décennies.

Le déclin des valeurs religieuses traditionnelles au sein du christianisme en Europe occidentale change les comportements. Si l’espace reste marqué par les croix, les noms de communes, de rues et de quartiers dévolus aux saints, si le temps est ponctué par les fêtes anciennes, Noël, Pâques, l’Ascension, la Toussaint…etc., le poids des églises sur la société décroit ; le magistère ne parvient plus à imposer ses règles, sa morale sexuelle, ses choix idéologiques, l’assistance aux offices religieux ; la connaissance des dogmes se révèle très faible.

La construction de vastes ensembles internationaux comme l’Union européenne, qui tissent de nombreux liens supranationaux, distendent en plusieurs domaines l’indépendance nationale. La mondialisation de la culture, souvent sur le modèle américain, menace les anciennes identités nationales. En ce domaine, l’alerte fut donnée dès l’entre-deux-guerres par des intellectuels, notamment en France, tels Georges Duhamel (Scènes de la vie future, 1930 ; Au chevet de la civilisation, 1938), Robert Aron et Arnaud Dandieu (Le Cancer américain, 1931) qui dénonçaient la naissante société de consommation, la tyrannie de la publicité, le culte de la production, l’invasion de la machine. Il n’empêche que le mode de vie « yankee » s’est répandu, traduit par des mots entrant dans le vocabulaire courant : « jean », « polar », « fast food », « walk man », « rock », « hip hop », « google », « facebook », « twitter », « marketing », « management », « pop art »…etc. L’écrivain congolais Alain Mabanckou observe : « Nous sommes dans une civilisation du métissage »[14]. Le danger d’asphyxie de la culture nationale, donc d’affaiblissement identitaire, s’avère tel que le gouvernement français a élevé une digue depuis 1993. C’est « l’exception culturelle », c’est-à-dire une limitation du libre-échange que les Etats-Unis voulaient imposer en la matière. Aurélie Filipetti, ministre français de la Culture, condamne la logique du marché qui « uniformise, aplanit, simplifie pour plaire au plus grand nombre »[15]. Beaucoup pensent  que la culture reste vivante à condition d’être diverse dans ses expressions.

L’accroissement du temps des loisirs constitue un autre facteur d’uniformisation. L’accélération des contacts par la lecture, le cinéma, la télévision, internet ouvrent de nouveaux horizons. Le tourisme qui s’est démocratisé permet le contact direct avec d’autres cultures. Le tout fait naître des manières de pensée et d’expression originales, conduit à des expériences inédites auparavant, et impose des modes.

L’ampleur des migrations internationales, pour cause de travail ou de refuge politique, suscite de nouveaux brassages humains. Au cours de l’histoire, les colonisateurs européens diffusèrent leur culture qui se juxtaposa à celle des pays soumis. Ainsi se constituèrent de vastes aires linguistiques, francophone, anglophone, hispanophone, lusophone. , etc. Fuyant la folie génocidaire du début de la décennie 90 et ses conséquences, des millions de Rwandais et de Burundais essaimèrent les pays d’Afrique centrale provoquant des révisions réglementaires visant à protéger la citoyenneté et l’identité nationale dans certains pays. Le Cameroun, par exemple, qui connaissait déjà une pression considérable de réfugiés économiques originaires d’Afrique de l’Ouest, fera modifier par sa représentation nationale l’ordonnance de 1982 sur l’état civil pour y introduire un alinéa qui exige désormais de préciser la nationalité d’origine du nouveau-né.

Le peuplement et les mélanges ethniques composent  parfois des pays très bigarrés sur l’identité desquels on doit s’interroger: au Panama, le recensement de 2010 fait état de 55% de métis, 18% de noirs et de mulâtres, 17% de blancs, 6% d’indigènes et 6% d’Asiatiques. En Côte d’Ivoire, la population étrangère passe de 700 000 personnes en 1965, soit 17% des résidents, à 3 039 000 en 1988, soit 22%. En 2010, la France compte 5 406 000 immigrés (étrangers nés à l’étranger), soit près de 9% de la population totale[16]. Ces vastes phénomènes suscitent des évolutions identitaires complexes appelées intégration tant que coexistent des idées et des comportements venus du pays d’origine et des traits acquis dans le pays d’accueil. L’assimilation implique qu’en apparence les individus, abandonnant leur personnalité première, sont devenus semblables aux citoyens du pays de résidence. Même quand les gouvernements essaient de freiner l’évolution de leurs concitoyens émigrés, ceux-ci évoluent, parfois inconsciemment. De nombreux facteurs se liguent pour accélérer ou retarder la mutation : conjoncture économique facilitant ou non l’insertion des nouveaux venus dans l’appareil productif, type de travail, qualité de l’habitat, réussite professionnelle, volonté d’intégration, image offerte par le pays d’accueil, connaissance de sa langue, rencontres politiques, syndicales, religieuses avec les habitants de la nouvelle patrie, intensité des relations quotidiennes, expériences diverses, longueur du séjour[17].

Tous ces phénomènes secouent la société. Quand les changements se révèlent rapides et spectaculaires, ils peuvent effrayer certaines couches de la population. Dans ce cas, le pessimisme et les peurs engendrent un repli et une valorisation des normes anciennes. L’identité devient alors une valeur refuge. De la sorte, certains chrétiens et certains musulmans, désapprouvant l’évolution réelle ou supposée de leur religion, rêvent d’un  retour aux pratiques des premiers siècles.

Cependant, les mutations s’opèrent parfois sans traumatisme apparent. Ainsi l’anthropologue ivoirien Gérard Buokassa relève que la conversion de nombreux Africains sub-sahariens aux religions monothéistes n’a pas fait disparaître les croyances et les mentalités antérieures ; une sorte d’accommodement syncrétique s’est effectué : « Aujourd’hui, la religion africaine n’existe nulle part, mais elle est partout, dans les consciences, dans les opérations spirituelles ou empiriques, dans les représentations, dans les attitudes, dans les gestes, dans les proverbes, dans les légendes, dans les mythes »[18].

Ainsi la mondialisation soulève de nombreuses questions dont l’une des plus complexes concerne la mutation des identités en cours.

Le thème sur « les identités : le concept, ses manifestations, ses évolutions » pourrait être abordé selon les axes suivants :

1. Genèse de l’identité. Du passé au présent

  •  Influence du milieu naturel
  •  Récits d’origine, mythes, légendes
  •  Religion et construction des identités (espaces des religions dominantes, rôle des partis religieux)
  •  Influence de l’histoire

2. La symbolique de l’identité

  •  Emblèmes, héraldique, totems
  •  Devises
  •  Musiques
  •  Lieux de mémoire
  •  Traductions artistiques (architecture, arts plastiques, peinture, sculpture…)

3. L’éducation

  •  Les héritages (legs grec, latin, punique, arabe, sémite, celte, animiste…)
  •  L’école
  •  La langue, la littérature, l’histoire, la géographie…
  •  L’éducation religieuse
  •  Les résultantes culturelles

4. Les identités collectives

  •  Tribus, régions, nations, zones frontalières, aires internationales
  •  Les idéologies politiques
  •  Les appartenances sociales, professionnelles, associatives, religieuses…
  •  Mentalités et comportements quotidiens
  •  Coexistence et affrontements identitaires

5. Les évolutions identitaires

  •  Les facteurs d'évolution
  •  Les mutations politiques, sociales, économiques, culturelles, religieuses
  •  Tradition et modernité, le poids des coutumes locales face à la modernité
  •  l'identité culturelle des pays colonisés
  •  Les migrations internationales (recherche de travail, refuge politique, tourisme...)
  •  La mondialisation
  •  Intégration et assimilation.

[1]. Georges GUSDORF, Traité de l’existence morale, Colin, Paris, 1942. Le terme d’identité peut ainsi prendre le sens de la catégorie psychologique de « caractère » telle qu’adaptée à l’analyse politologique par Edouard Balladur. Voir : Edouard Balladur, Caractère de la France, Plon, Paris, 1997.

[2]. Pierre NORA, Recherches de la France, Gallimard, Paris, 2013.

[3]. André SIEGFRIED, L’Ame des peuples, Hachette, Paris, 1950.

[4]. Elie FAURE, Découverte de l’archipel, Nouvelle revue critique, 1932, réédition Livre de poche, Paris, 1978.

[5]. Fernand BRAUDEL, L’Identité de la France, Arthaud-Flammarion, Paris, 1989.

[6]. Pierre NORA (dir), Les Lieux de mémoire, Gallimard, Paris, 1997.

[7]. Damon MAYAFFRE, Le Poids des mots, Honoré Champion, Paris, 2000.

[8]. Emil CIORAN, Aveux et anathèmes, Gallimard, Paris, 1987.

[9]. Ainsi désignent-ils ce qu’ils appellent « l’Etat francophone » tel qu’il est gouverné depuis Yaoundé.

[10]. Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 1997.

[11]. Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier, Bayart éditions, Paris, 1997.

[12]. Achille Mbembe, « Les frontières mouvantes du continent africain », in Le Monde diplomatique, novembre 1999.

[13]. Fabienne LE HOUEROU, « Le moment colonial italien comme répulsion/attraction dans les imaginaires nationaux érythréens et éthiopiens », in D’Italie et d’ailleurs, Presses universitaires de Rennes, 2014.

[14]. Tribune de France Inter, 17 mars 2016.

[15]. Le Monde, 14 juin 2013.

[16]. Gildas SIMON (dir), Dictionnaire des migrations internationales, Colin, Paris, 2015.

[17]. Ralph SCHOR, Histoire de l’immigration en France, Colin, Paris, 1996.

[18]. Gérard BUOKASSA, Impact de la religion sur l’Afrique d’aujourd’hui, Colloque du Festival mondial des arts négro-africains, Lagos, 1977.

Dates importantes

  •  25 Juin 2016: Date limite pour les soumissions à l’adresse suivante : tunisian.mediterranean.associ@gmail.com

  •  6 juillet 2016: La sélection des communications par le comité scientifique sera rendue publique + information sur les frais d'inscription au colloque.
  •  6 novembre 2016: Date limite pour l’envoi du Texte Final
  •  24, 25, et 26 novembre 2016: 9ème Colloque international

 Modalités de soumission

Ÿ Les propositions de communication pourront être soumises en arabe, en anglais, en françaisou en espagnol.

Ÿ Résumé détaillé: une page au minimum (Police : Times New Roman 12 ; Page: Marges 2,5 cm ; Interligne : simple), avec un C.V. scientifique mis à jour

Ÿ Pour les résumés en français ou en espagnol, une traduction détaillée en anglais est obligatoire (une page au minimum : Police : Times New Roman 12 ; Page: Marges 2,5 cm ; Interligne : simple).

Ÿ Pour les résumés en arabe, une traduction détaillée en anglais ou en français est obligatoire (une page au minimum).

Ÿ Le colloque se tiendra à Béja (Tunisie) : 24, 25, et 26 novembre 2016.

Ÿ Une publication est envisagée à l’issue du colloque après l’évaluation des textes.

 Comité scientifique

  •  Abdennour Sadik (Université Kenitra. Maroc),
  •  Adel Ben Youssef (Université de Sousse. Tunisie), University of Sousse. Tunisia
  •  Adel Zyada (Université du Caire. Egypte),
  •  Ali Toumi (Université de Tunis. Tunisie), University of Manouba. Tunisia
  •  Anne-Claire Bonnevillle (I.N.L.C.O. Paris. France)
  •  Antonio Garrido Almonacid (Universidad de Jaén – Espagne), University of Jaén – Spain.
  •  BA Idrissa (Université Cheikh Anta DIOP de Dakar. Senegal),
  •  Eloy Martín Corrales (Universidad Pompeu Fabra de Barcelona – Espagne), University of Pompeu Fabra de Barcelona – Spain.
  •  Habib Belaid (Université de Mannouba. Tunisie), University of Manouba. Tunisia
  •  Hasan Amili (Université Hassan II. Mohammedia. Maroc), University of Hassan II. Mohammedia. Morocco
  •  Hetcheli Kokou Folly Lolowou (Université de Lomé. Togo) University of Lomé. Togo
  •  Houcine al-Ammari (Université Beni Mellel. Maroc),
  •  Hugon Alain, (Université de Caen Basse-Normandie. France)
  •  Ibrahim Muhammed Saadaoui (Université de Tunisie / T.M.A. for H.S.E.S.), University of Tunisia / T.M.A. for HSES
  •  Ibrahim Saïd al Baidhani (Université al-Mustansiriyya. Bagdad. Irak),
  •  John Chircop (University of Malta),
  •  Khalifa Hammache (Université de Constantine. Algérie), University of Constantine. Algeria
  •  Koffi Brou Emile (Université de Bouaké, Côte d’Ivoire), University of Bouaké, Côte d’Ivoire
  •  Landitiana Soamarina Miakatra (Institut d’Etudes Politiques. Madagascar), IPS. University of Madagascar
  •  Laurence Michalak (University of California, Berkeley. USA)
  •  Mabrouk Bahi (Université de Sfax. Tunisie), (University of Sfax. Tunisia)
  •  Mabrouk Chihi (Université de Jendouba. Tunisie), University of Jendouba. Tunisia
  •  Mbida Onambele Max Zachée Saintclair (Université de de Buéa. Cameroun), University of Buea. Cameroon
  •  Mohamed Bidiwi (Université Assiout. Egypte), University of Assiout. Egypt.
  •  Mohammed Arnaout (Université Al- al Bayit, Jordanie), University of Al- al Bayit, Jordanie
  •  Mohammed Ben Attou (Université Ibn ZOhr, Agadir. Maroc), University of Ibn ZOhr, Agadir. Morocco
  •  Mohammed Ratoul (Université Hassiba ben Bouali, Chlef. Algérie), University of Hassiba ben Bouali, Chlef. Algeria
  •  Ralph Schor (Université de Nice-Sophia Antipolis. France), University of Nice-Sophia Antipolis. France
  •  Tanoh Raphael Bekoin (Université de Bouaké, Côte d’Ivoire), University of Bouaké, Côte d’Ivoire
  •  Salah Haridy (Université Damanhour. Egypte), University of Damanhour. Egypt.

Lieux

  • I.S.E.T. - Route de Tunis
    Béja, Tunisie (9000)

Dates

  • samedi 25 juin 2016

Mots-clés

  • nation, identité, territoire, traditions, éducation, symboles, comportements communs, intégration, assimilation

Contacts

  • Ibrahim Muhammed Saadaoui
    courriel : saadaoui_brahim [at] yahoo [dot] fr

Source de l'information

  • Ibrahim Muhammed Saadaoui
    courriel : saadaoui_brahim [at] yahoo [dot] fr

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CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les « Identités » : le concept, ses manifestations, ses évolutions », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 21 avril 2016, https://doi.org/10.58079/ux1

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