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Les savoirs d'expérience en santé

The knowledge of experience in healthcare

Fondements épistémologiques et enjeux identitaires

Epistemological foundations and identity issues

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Publié le mardi 24 mai 2016

Résumé

La réflexion que ce colloque entend mener sur les savoirs d’expérience s’inscrit dans la continuité des recherches conduites dans les pays des Suds et dans des contextes de changements sociaux et de pluralisme médical. Il s’agira toutefois de les poursuivre dans le contexte occidental en focalisant cette fois le regard sur les savoirs élaborés par les patients et les soignants à partir de leurs expériences respectives de la maladie, qu’elle soit partagée ou non.

Annonce

Université de Lorraine, Metz, 24 et 25 octobre 2016

Argumentaire

Les travaux en anthropologie de la santé et de la maladie ont classiquement cherché à mieux comprendre les formes syncrétiques qui caractérisent les différents savoirs liés à la santé. Cette thématique de recherche trouve notamment ses terrains de prédilection dans des contextes socioculturels tels que l’Afrique, l’Asie, l’Amérique Latine où le savoir biomédical côtoie d’autres savoirs dits « traditionnels » ou « néotraditionnels » (Egrot, Simon, 2012), constituant des systèmes de santé « hybrides » dont les anthropologues ont cherché à décrire les ressorts thérapeutiques et les enjeux sociaux. L’anthropologie du médicament, a ainsi décrit comment les médicaments néotraditionnels indiens, par exemple, sont avancés comme des objets qui s’inscrivent en décalage, d’une part, avec des modèles de développement centrés sur les transferts de connaissances et de techniques des Nords vers les Suds et, d’autre part, avec le paradigme scientifique dominant en biomédecine (Baxerres, Simon, 2013 ; Gaudillière, Pordié, 2012).

La réflexion que nous entendons mener sur les savoirs d’expérience s’inscrit dans la continuité de ces recherches conduites dans les pays des Suds et dans des contextes de changements sociaux et de pluralisme médical. Il s’agira toutefois de les poursuivre dans le contexte occidental en focalisant cette fois le regard sur les savoirs élaborés par les patients et les soignants à partir de leurs expériences respectives de la maladie, qu’elle soit partagée ou non. Penser la maladie à travers l’expérience de ceux qui la vivent ou qui la soignent au quotidien rejoint les prémisses d’une médecine dite empirique et clinique (distincte du modèle dominant de « l’evidence based medicine »)  dans laquelle la trame non maitrisée de « l’événement » conserve une place dans la connaissance en santé.

Les évolutions récentes du champ de la santé dans le contexte occidental conduisent effectivement à repenser les rapports entre les différentes formes de savoirs de santé et en particulier entre les savoirs biomédicaux professionnels et les savoirs d’expérience des patients. À ce titre, ce colloque s’inscrit dans une réflexion transversale au champ de la santé sur l’éducation thérapeutique.La chronicisation des affections, le développement des réseaux de santé, l’affirmation des associations de patients et les mutations de l’information sanitaire via le développement des outils numériques au cours des dernières décennies ont conduit à la remise en cause du modèle paternaliste de la relation de soin contribuant à rééquilibrer cette relation asymétrique ainsi que l’expertise unique du médecin sur la maladie (Lemire, 2010). Cette évolution a permis, entre autres choses, l’émergence d’une nouvelle forme de connaissance, appelée savoir ou expertise « expérientielle » du patient (Caron Flinterman et al. 2005), aujourd’hui cristallisée dans l’émergence d’une nouvelle catégorie de patients : les patients dits experts. Plus profondément, ce changement dans la relation inaugure l’idée selon laquelle le « savoir » ne serait plus exclusivement du côté du soignant tandis que l’ « expérience » ne serait plus l’apanage du seul « patient » ou « malade ». Interroger le « savoir expérientiel » du patient comme du soignant, entendre leur savoir acquis à travers leur pratique de la maladie, ouvre la voie à une réflexion nouvelle qui permettrait non seulement de revisiter les fondements épistémologiques de la dichotomie « savoir/expérience », mais également de dépasser celle qui sépare soignants et soignés  dans leur rapport à la connaissance. Une telle approche relèverait ainsi d’une forme d’anthropologie symétrique (Latour, 1991) appliquée au domaine de la santé, et ne manque pas de soulever une autre question essentielle, à savoir celle de la possibilité et des modalités du partage des expériences dans la relation de soin et de la prise en charge.

Le colloque organisé en partenariat avec l’université de Nice à l'université de Lorraine a pour objectif d’offrir des perspectives d’approfondissement des savoirs expérientiels des patients et des soignants à partir deux enjeux essentiels : les fondements épistémologiques et les enjeux identitaires des savoirs d’expérience en santé.

Les savoirs d’expérience en santé : fondements épistémologiques

Le savoir « expérientiel » (Karazivan, et. al., 2014) renvoie à des savoirs incarnés, issus d’un syncrétisme de savoirs médicaux et de savoirs tirés de l’expérience personnelle de la maladie. « Savoirs experts » et « savoirs expérientiels » (ou d’expérience) ont une étymologie commune : le latin « experiri », c’est-à-dire « éprouver ». Cette notion a pu donner lieu au terme d’« espert » entendu comme « adroit » (celui qui a fait ses preuves). Mais elle comporte une autre signification, celle de « traversée » : cette seconde signification est au cœur de la notion d'expérience qui réside dans le chemin parcouru, dans le temps de l’épreuve (Landa, 2007). La notion de savoirs expérientiels renvoie ainsi au parcours entrepris par les malades et leurs familles, ils sont le fruit de l’intégration de savoirs médicaux dans un vécu quotidien, faisant de chaque malade un « expert » singulier de son affection. Elle nécessite également d’être appréhendée du point des soignants qui participent eux aussi à l’expérience de l’affection. En particulier dans le cas exemplaire des maladies rares où le savoir médical manque ou encore dans celui d’une confrontation à des situations extrêmes (douleur, mort, handicap sévère), le soignant lui-même est invité à faire appel à d’autres formes de rapports au monde et à la construction de savoirs qui n’écartent plus les subjectivités et l’affectivité.

Ainsi le savoir « expérientiel » vient-il questionner la « nature » de même que les limites de ce qu’il convient d’appeler « savoir » dans le domaine de la santé. Une telle approche consiste à appréhender les affections du point de vue expérientiel ; point de vue qui permet de resituer les événements pathologiques à la première personne et au sein d’une trajectoire, non pas épisodique mais diachronique, de la maladie. Les études privilégiées dans le cadre de ce colloque porteront sur le processus de construction de cette forme de savoir sur l’ensemble du parcours vécu des patients et de leur famille, à travers la mise en récit de leurs expériences pathologiques. Les formes de savoir élaborées par les soignants qui accompagnent des patients souffrant d’affections longues et/ou de maladies chroniques seront elles aussi interrogées à l’aune de cette question de l’expérience. Un intérêt particulier sera porté aux témoignages, biographies de patients et/ou de soignants. En second lieu, il s’agira d’analyser les zones d’articulation entre les différents savoirs en santé à l’intérieur de l’espace médicalisé, en observant comment patients et soignants élaborent des savoirs définis non plus nécessairement à travers les oppositions communes savoirs naïfs/savoirs experts ; savoirs profanes/savoirs scientifiques ; savoirs génériques/savoirs spécialisés. Dans quelle limite ces différentes catégories de savoirs sont-elles reconnues ? Par qui le sont-elles, et dans quelles circonstances ? Dans quelle mesure participent-elles d’une « modernité alternative » (Knauft, 2002) ou est-ce qu’au contraire leur cooptation à l’intérieur de l’espace médicalisé contribue à les couper de leurs fondements épistémologiques singuliers ?

Par ailleurs, à la fois produit et moteur de la vie sociale, la communication est plus que jamais partie prenante du champ de la santé et de la maladie, instillant de nouveaux modes de connaissance notamment informés par le numérique et les technologies de l’information et de la communication. L’espace numérique (blogs, forums et autres plateformes numériques) joue un rôle important dans l’élaboration des savoirs de santé et leur circulation, faisant l’objet d’appropriations inégales par les personnes souffrantes. Si les questions de qualité de l’information animent la communauté médicale comme celles des chercheurs en sciences humaines et sociales, il s’agira plutôt ici d’interroger la place des savoirs dits expérientiels dans ce nouvel espace social. Les sciences de l’information et de la communication avancent que  le témoignage et le partage d’expériences joue un rôle singulier dans l’information de santé (Arborio, 2015), notamment telle qu’elle est véhiculée et construite dans l’espace numérique (Romeyer, 2012). Il s’agira d’interroger la place des savoirs d’expérience dans les échanges numériques et de penser en quoi ils contribueraient à l’émergence de nouvelles formes de savoirs expérientiels élaborés en dehors des intermédiations classiques (famille, corps médical, etc.) (Eysanbach, 2008).

Les savoirs d’expérience en santé : enjeux identitaires

Le patient-expert, tel que nous l’entendons ici, inclut donc tout patient ayant acquis un savoir expérientiel socialement reconnu de sa maladie, que ce soit par son entourage familial, ses connaissances ou des groupes de malades, et pas seulement les patients-experts (appelés aussi  pairs aidants) reconnus comme tels ou en voie de reconnaissance dans diverses institutions médicales (Bureau, Hermann-Mesfen 2014).

Un enjeu central pour ces patients est la reconnaissance de leur expertise, qui passe nécessairement par le développement d’une aptitude à percevoir, comprendre puis traduire et faire comprendre à autrui son expérience de la maladie. La légitimité de l’expertise du patient dépendra en grande partie de sa capacité à mettre en mots son expérience de la maladie, que ce soit vis-à-vis des professionnels de la santé ou de ses proches. Cette problématique est au cœur des débats contemporains sur la pédagogie thérapeutique : le rôle des patients formateurs vis-à-vis des pairs, l’institutionnalisation des formes de transmission des savoirs expérientiels, l’élaboration d’un référentiel de compétences intégré, etc. (Flora 2015). Être reconnu comme “expert” n’est pas sans conséquence sur la trajectoire du patient, ainsi que sur les relations qu’il entretient avec ses proches et les professionnels de santé qu’il est amené à côtoyer. Dans son rapport de soi à soi, comme dans son rapport aux autres, le sujet malade aborde la relation à la maladie comme une sorte « d’enjeu identitaire » subit ou, au contraire, comme un moteur de changement. En effet, la maladie participe du et au rapport social comme un lieu d’édification identitaire ; à la fois dans l’idée de prendre soin de soi comme dans celle de prendre soin des autres.

Cette question identitaire pourra être traitée à travers différents terrains, qu’il s’agisse de la reconnaissance du patient-expert à l’intérieur de l’institution médicale comme dans l’espace numérique, les médias ou encore dans l’intimité de la sphère familiale. À ce titre, les modes d’écriture de soi tels qu’ils se développent en ligne (Facebook, blog, forum), à travers la publication de biographies ou encore tout simplement à travers le « colportage » des histoires de patients dans les modalités de transmission entre soignants sont à interroger afin de comprendre en quoi ils participent de ce processus de construction de légitimité du patient expert. En parallèle, la réputation des professionnels de santé, de certains services hospitaliers, voire plus indirectement l’efficacité présumée de certains traitements font partie intégrante des échanges entre patients et participent à la construction d’une identité du corps médical, de ses communautés et de ses réseaux, délivrée cette fois depuis le savoir expérientiel des patients. Et les parcours des acteurs du corps médical peuvent renouer avec l’expérience de la maladie (étape initiatique chez les thérapeutes traditionnels) comme l’illustre le parcours de Giuila Enders auteur du désormais best-seller Le Charme discret de l’intestin.

Pour ce colloque, outre les contributions en anthropologie, nous attendons des propositions issues des sciences de l’information et de la communication, des sciences du langage et de la littérature, des sciences de l’éducation, de la psychologie ou encore de la sociologie.

  • Sophie Arborio (CREM)
  • Emmanuelle Simon (CREM)
  • Arnaud Halloy (LAPCOS)

Références bibliographiques

Arborio S., «  Représentations sociales et culturelles dans l’appréhension des épilepsies », Soins Pédiatrie/puériculture, 2015, Vol. 283, n° 36, p. 37‑39. 

Arborio S., Hascoët JM. « Analyse du risque en néonatalogie », Sociologie et santé, 2014, n°37, p. 195-215.

Baxerres C. et Simon E., « Regards croisés sur l'augmentation et la diversification de l'offre médicamenteuse dans les Suds »,
Autrepart, 2013/1 N° 63, p. 3-29. DOI : 10.3917/autr.063.0003

Bureau E., Hermann-Mesfen J., « Les patients contemporains face à la démocratie sanitaire », Anthropologie & Santé [En ligne], 8 | 2014, mis en ligne le 21 avril 2015, consulté le 20 mai 2016. URL : http://anthropologiesante.revues.org/1342Caron Flinterman et al. 2005

Egrot M., Simon E., « Médicaments néotraditionnels » : une catégorie pertinente ? À propos d’une recherche anthropologique au Bénin, Sciences Sociales et Sante, 2012, Vol. 30 (2). P. 67-91.

Eysenbach, G., “Credibility of Health Information and Digital Media: New Perspectives and Implications for Youth." Digital Media, Youth, and Credibility. Edited by Miriam J. Metzger and Andrew J. Flanagin. The John D. and Catherine T. MacArthur Foundation Series on Digital Media and Learning. Cambridge, MA: The MIT Press, 2008. 123–154. doi: 10.1162/dmal.9780262562324.123

Pordié L. et Gaudillière J.-P., « Industrialiser les médicaments ayurvédiques : les voies indiennes de l'innovation pharmaceutique »,
Autrepart, 2013/1 N° 63, p. 123-143. DOI : 10.3917/autr.063.0123

Karazivan P., Berkesse A., Flora L., Dumez V. " Savoirs expérientiel et sciences de la santé : des champs à défricher", Revue du CREMIS, printemps 2014, Vol 7. N°1, pp. 29-33

Knauft, B., Ed. « Critically Modern: An Introduction ». In Critically Modern: Alternatives, Alterities, Anthropologies. B. Knauft, ed. Pp. 1–56. Bloomington: Indiana University Press.

Downloaded by [Universite de Lorraine] at 00:33 01 August 2012.

Landa F., « Éditorial », Le Coq-héron, 2007, 2(189), p. 7-8
URL : www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2007-2-page-7.htm. 
DOI : 10.3917/cohe.189.0007

Latour, Nous n’avons jamais été modernes - essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.

Lemire M. Application du concept de responsabilité personnelle aux usages sociaux des technologies d’information et de communication en santé. TIC et société. 2008. Vol 2, n°1, http://ticetsociete.revues.org/351

Romeyer, H., « TIC et santé : entre information médicale et information de santé », tic&société [En ligne], Vol. 2, n° 1 | 2008, mis en ligne le 13 octobre 2008, consulté le 20 mai 2016. URL : http://ticetsociete.revues.org/365 ; DOI : 10.4000/ticetsociete.365

Calendrier 

Les propositions de communications (problématique, méthode, résultats) sont à soumettre en français à l’adresse suivante : crem-colloque-experiences@univ-lorraine.fr, en 300 mots maximum,

avant le 6 juillet 2016.

Retour des avis le 01 septembre 2016.

Comité scientifique

  • Driss Ablali (Université de Lorraine, Crem, EA 3476)
  • Sophie Arborio (Université de Lorraine, Crem EA 3476)
  • Jean-Michel Benattar (Maison de la Médecine et de la Culture, Nice)
  • Nicole Biagioli (Université Nice Sophia-Antipolis, I3DL)
  • Luigi Flora (Université Paris 8, Cesol)
  • Arnaud Halloy (Université Nice Sophia-Antipolis, Lapcos EA 7278)
  • Fabienne Héjoaka (Université de Lorraine, Crem EA 3476)
  • Yannick Jaffré (UMI 3189, « Environnement, santé, sociétés », Marseille)
  • Alexandre Klein (Université d'Ottawa, Faculté des sciences de la santé)
  • Célie Méadel (Université Panthéon Assas, CARISM, CSI - I3 - École des mines - CNRS)
  • Isabelle Milhabet (Université Nice Sophia-Antipolis, Lapcos EA 7278)
  • André Quaderi (Université Nice Sophia-Antipolis, Lapcos EA 7278)
  • Anne Piponnier (Université de Lorraine, Crem EA 3476)
  • Jean-Marie Privat (Université de Lorraine, Crem, EA 3476)
  • Hélène Romeyer (Université de Franche-Conté, ELLIAD)
  • Aline Sarradon (Can-Bios, Sesstim, UMR 912)
  • Emmanuelle Simon (Université de Lorraine, Crem EA 3476)
  • Jean-Michel Vives (Université Nice Sophia-Antipolis, Lapcos EA 7278)
  • Jacques Walter (Université de Lorraine, Crem EA 3476)

Comité d’organisation

  • Sophie Arborio (Université de Lorraine, Crem EA 3476)
  • Arnaud Halloy (Université Nice Sophia-Antipolis, Lapcos EA 7278)
  • Fabienne Héjoaka (Université de Lorraine, Crem EA 3476)
  • Emmanuelle Simon (Université de Lorraine, Crem EA 3476)

Lieux

  • Ile du Saulcy
    Metz, France (57)

Dates

  • mercredi 06 juillet 2016

Mots-clés

  • expérience, santé, savoir, patient, soignant

Contacts

  • Emmanuelle Simon
    courriel : emmanuelle [dot] simon [at] univ-lorraine [dot] fr

Source de l'information

  • Emmanuelle Simon
    courriel : emmanuelle [dot] simon [at] univ-lorraine [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les savoirs d'expérience en santé », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 24 mai 2016, https://doi.org/10.58079/v7l

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