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Oralités, de l’enquête à l’écoute
Oralities from investigation to listening
Histoire des collectes et leurs usages (XIXe – XXIe siècle)
The history of fund raising and its uses (19th-21st centuries)
Publié le jeudi 06 juillet 2017
Résumé
Née dans le sillage du romantisme, la collecte des archives orales se répand en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, les efforts ainsi déployés rejoignant ceux des lexicographes du siècle des Lumières qui notaient, au détour de la traduction d’un mot, telles coutume, croyance ou pratique. Président à toutes ces collectes la déploration de mondes en voie de disparition, menacés par l’urbanisation, le désenclavement des campagnes, la scolarisation et l’intrusion de l’écrit. Garder une trace de tous ces « monuments », de toutes ces « survivances » sert alors le projet d’une histoire de l’humanité et d’une élucidation de ses origines, projet commun aux explorateurs, missionnaires et colonisateurs investis outre-mer dans des entreprises ethnographiques.
Annonce
Colloque de l’Ethnopôle GARAE, 12 et 13 septembre 2017, Salles de l’Hôtel de la Cité et de l’Hôtel du Donjon - Cité de Carcassonne
« Le travail de l'ethnographe, comme celui des autres sciences d'observation, est éminemment rémunérateur. Il faut et il suffit qu'on ait le goût de la recherche, la notion des principaux faits et des principales classifications, la connaissance au moins expérimentale de la langue ; il faut et il suffit qu'on rencontre les indigènes qui possèdent eux-mêmes le trésor de traditions de leur tribu, et qu'on ait leur confiance ils vous communiquent alors ces sortes d'archives orales dont aucune tribu ne peut se passer […]. Car c'est en elles que sont enregistrés les préceptes et les idées dont la conscience et l'observance font la conscience que la tribu a d'elle-même et assurent la cohésion sociale » (Marcel Mauss, « L’ethnographie en France et à l’étranger », Revue de Paris, n° 20, 1913, p. 539-540).
Argumentaire
Née dans le sillage du romantisme, initiée en Allemagne au début du XIXème siècle par les frères Grimm, la pratique de la collecte des archives orales (contes, proverbes, croyances…) ne s’est véritablement répandue en France que dans la seconde moitié du XIXème siècle. En Bretagne, le succès du Barzaz Breiz (1839) de Théodore Hersart de La Villemarqué ouvre la voie à une attention renouvelée pour la culture bretonne, illustrée notamment par Émile Souvestre. En domaine occitan, on connaît les recueils de contes de Jean-François Bladé et de Félix Arnaudin, en Gascogne, bientôt suivis par d’autres entreprises plus ou moins similaires : Lambert et Montel à Montpellier, Damase Arbaud en Provence. Ces efforts rejoignent ceux déployés, dès le Siècle des Lumières (Séguier dans les Cévennes, Astruc et Sauvages pour le Languedoc), par certains lexicographes qui notent, au détour de la traduction d’un mot, telle coutume, croyance ou pratique. Parallèlement, outre-mer, les territoires d’exploration, de mission et de colonisation offrent une scène à diverses entreprises ethnographiques de collecte de corpus de « traditions orales ». Passion première de l’œuvre missionnaire, le recueil de contes, mythes et légendes prolonge souvent un travail initié au sein des contrées rurales européennes et alimente l’élaboration de dictionnaires, de catéchismes et de bibles en langues locales.
Président à toutes ces collectes la déploration de mondes en voies de disparition, la nécessité de contrer l’érosion, menacées que sont ces paroles singulières, là-bas par l’européanisation et la christianisation, ici par l’urbanisation, le désenclavement des campagnes, la scolarisation et l’intrusion de l’écrit. Garder une trace de tous ces « monuments », de toutes ces « survivances » que le progrès appelle à fatalement disparaître sert alors le projet d’une histoire de l’humanité et d’une élucidation de ses origines. De l’évolutionnisme au structuralisme, de la dialectologie à la sociolinguistique, les changements de paradigmes, de méthodes et d’objets qui accompagnent la professionnalisation des sciences humaines n’épuisent pourtant pas, par la suite, l’intérêt des chercheurs pour toutes ces expressions orales.
Après la Seconde Guerre mondiale, les entreprises des « folkloristes » et des lexicographes aboutissent à des vastes enquêtes linguistiques et anthropologiques. Si, à la faveur d’un certain retournement réflexif, et grâce à différentes entreprises de recherches collectives ou individuelles, l’on redécouvre aujourd’hui celles conduites sous l’égide du Musée national des Arts et Traditions populaires, l’on connaît moins bien celles menées dans le cadre de la constitution des Atlas linguistiques, notamment avec l’école de dialectologie de l’Université de Toulouse autour de Jean Séguy, Xavier Ravier et l’Atlas linguistique de Gascogne. L’histoire de ces pratiques de collectage n’a jamais été véritablement dressée alors qu’elle mérite d’être interrogée à la lumière des avancées réalisées aussi bien en anthropologie qu’en linguistique.
De même, ne saurait-on faire l’impasse sur le chapitre des mémoires orales, que l’histoire de l’ethnologie partage avec celles d’autres disciplines, à commencer par l’histoire. Succédant au repli sur l’ « ici », corollaire de la décolonisation et de la fermeture des terrains d’outre-mer, la collecte des mémoires n’est cependant pas réductible à un pis-aller : elle correspond plus profondément à l’attention désormais portée à l’individu et, au-delà, au monde contemporain qui est le sien, travaillé en tous sens d’évolutions diverses. Les archives ainsi produites ont nourri et nourrissent toujours la réflexion sur bien des sujets, au premier desquels celui de la mémoire, sa transmission, son instrumentalisation, ses enjeux.
De nos jours, le collectage, facilité par l’enregistrement vidéo, est encore et plus que jamais pratiqué. En ce qui regarde les expressions les plus « traditionnelles », disciplinairement parlant, de l’oralité (langues, littératures orales), quoique la recherche ait pris quelque distance vis-à-vis de ces objets, plusieurs projets ont été récemment menés ou sont en cours : en domaine occitan (Aude, Cévennes, Hérault, Bigorre, Comminges, Aveyron, Massif central, Provence…), en Corse, en Bretagne et dans les régions de l’Ouest… Ce faisant, quoi qu’il en soit de l’oralité saisie (langue, conte, récits de vie), aujourd’hui comme hier, le chercheur n’a pas l’exclusive de la saisie, celle-ci pouvant poursuivre bien d’autres finalités que scientifiques. Les enquêteurs sont parfois animés par le désir de sauvegarder, par le son et/ou l’image, les traces laissées par des modes de vie qu’ils ont le sentiment de voir disparaître à jamais. Leur travail s’inscrit, selon des modalités qui varient d’un projet à l’autre, dans une démarche de conservation, confortée par la valorisation de notions comme celle de patrimoine culturel immatériel, mais confrontée aussi, à l’occasion, à des problèmes de restitution auprès des populations enquêtées.
Cette vue cavalière n’a d’autres prétentions que de donner une idée du caractère aussi riche que contrasté de l’histoire que nous nous proposons de parcourir au cours de ce colloque, ainsi que du bénéfice à attendre de la mise en exergue de ses nuances, que celle-ci ressortissent des types de paroles enregistrées, des interprétations scientifiques que l’on en tire, des modes de valorisation retenus, de leur sémantisation patrimoniale immédiate ou leur requalification différée. Réunissant spécialistes (ethnologues, sociolinguistes, historiens), archivistes, éditeurs, acteurs du patrimoine, ce colloque entend offrir à chacun la parenthèse de réflexivité nécessaire face à un objet qui ne cesse de se réinventer, quoique depuis longtemps et intensément investi.
Programme
12 septembre 2017
Hôtel de la Cité, Salle Villa San Michel, Place Auguste Pierre Pont, Cité de Carcassonne
18h : L’âne qui a bu la lune de Marie-Claude Treilhou, projection présentée par la réalisatrice
13 septembre 2017
9h-12h et 13h30-16h30 : Ateliers Langues, Littérature orale, Mémoires orales
Langues
13 septembre, 9h - 12h et 13h30- 16h 30 Langues, Hôtel Le Donjon, 2 rue Comte Roger, Cité de Carcassonne
Introduction – modération : Yann Lespoux, maître de conférence, Université Paul Valéry - Montpellier III, LLACS.
- Ethnographie et lexicographie occitane au XVIIIe siècle, David Fabié, chercheur associé, EA Patrimoine Lettres, Histoire - Université de Toulouse Jean Jaurès
- L'Atlas linguistique de la France : dans les pas d'Edmont, Guylaine Brun-Trigaud, ingénieur d’études CNRS, UMR Bases, Corpus, Langage - Université Nice Sophie Antipolis
- Les dialectes et le phonographe : les Archives de la Parole de Ferdinand Brunot, Pascal Cordereix, conservateur des bibliothèques, responsable du service des documents sonores au Département de l’Audiovisuel, Bibliothèque nationale de France
- Associer le son aux transcriptions, l’exemple de l’Atlas linguistique du landin des Dolomites et des dialectes limitrophes, Hans Goebl, professeur, Universität Salzburg
- Oralité et savoir linguistique entre 1900 et aujourd’hui : SYMILA (Syntactic Microvariation of in the Romance Languages of France), Patrick Sauzet, professeur, Université de Toulouse Jean Jaurès, CLLE-ERSS (CNRS – UT2J)
- Projet européen de recueil et de valorisation des PCI : re-Tramontana, Fabrice Bernissan, Nosautes de Bigòrra
Littératures orales
13 septembre, 9h - 12h et 13h30 - 16h 30, Hôtel de la Cité, Salle Villa San Michel, Place Auguste Pierre Pont, Cité de Carcassonne
A la mémoire de Marie-Louise Ténèze (1922-2016)
Introduction – modération : Josiane Bru, ingénieur d’études EHESS, UMR LISST – Université Toulouse Jean Jaurès
- Les collectes de contes populaires des XIXème et XXème siècles, sources du Catalogue du conte populaire français, Bénédicte Bonnemason, ingénieur d’études EHESS, LISST – Université Toulouse Jean Jaurès
- La chanson francophone de tradition orale et ses collectes, Marlène Belly, maître de conférences, Université de Poitiers
- L’oralité répertoriée, Carme Oriol, catedràtica de filologia catalana, Universitat Rovira i Virgili, Tarragona
- L’édition des contes : faire lire pour donner à entendre, Fabienne Raphoz, directrice de la collection Merveilleux, éditions José Corti
- Le spectacle de la parole contée, Patricia Heiniger-Casteret, maître de conférences, Université de Pau et des Pays de l’Adour
- De la sauvegarde au PCI, Charles Quimbert, directeur de Bretagne Culture Diversité
Mémoires
13 septembre, 9h - 12h et 13h30 - 16h 30, Hôtel Le Donjon, 2 rue Comte Roger, Cité de Carcassonne
Introduction – modération : Sylvie Caucanas, conservateur du patrimoine, Archives départementales de l’Aude
- Les récits de croyances et leurs (im)possibles restitutions, Pierre Laurence,Chef du service patrimoine, Conseil départemental de l’Hérault
- Récits de résistance : paroles, désoeuvrement politique et acte ethnographique face au récit dominant, Caroline Darroux, coordinatrice de la mission scientifique de la Maison du Patrimoine Oral de Bourgogne, chercheure associée au Centre Georges Chevrier, Dijon
- Mémoires orales et projet de territoire : l’exemple des enquêtes menées autour de l’AOC Roquefort, Katia Fersing, ethnologue, chargée de mission patrimoine et culture pour l’Office de Tourisme du Pays de Roquefort et du Saint-Affricain
- De l’enregistrement à la diffusion : questions juridiques et éthique de l’archive orale. Retour d’expérience d’une phonothèque de recherche, Claire Grégoire-Saint-Pierre, assistante à la phonothèque de la MMSH, Aix-en-Provence
- La parole des témoins au musée, Virginie Soulier, Maître de conférences en muséologie, communication culturelle et artistique, Université de Perpignan Via Domitia
- Théâtres de rue des témoignages oraux : de l’enquête à la restitution artistique des enregistrements ? Richard Lauraire, ethnologue, Atelier de Rencontres et de Recherches comparatives en Ethnologie - Montpellier
Comité scientifique
- Sylvie Sagnes, chargée de recherche CNRS IIAC - Equipe Lahic, Présidente Ethnopôle Garae
- Bénédicte Bonnemason, ingénieur d’études EHESS, LISST – Equipe CAS
- Sylvie Caucanas, conservateur général du Patrimoine, Archives départementales de l’Aude
- Gaetano Ciarcia, directeur de recherche CNRS, IMAF - Aix
- Jean-François Courouau, maître de conférence, Université Toulouse Jean Jaurès
- Agnès Fine, directrice de recherche émérite EHESS, LISST – Equipe CAS
- Philippe Gardy, directeur de recherche émérite CNRS, IIAC – Equipe LAHIC
- André Mary, directeur de recherche émérite CNRS, IIAC – Equipe LAHIC
Catégories
- Europe (Catégorie principale)
- Sociétés > Ethnologie, anthropologie
- Esprit et Langage > Représentations > Patrimoine
- Périodes > Époque contemporaine
- Espaces > Europe > France
- Esprit et Langage > Représentations > Identités culturelles
- Espaces > Europe > Méditerranée
- Esprit et Langage > Épistémologie et méthodes > Approches de corpus, enquêtes, archives
Lieux
- Hôtel de la Cité, Salle Villa San Michel - Place Auguste Pierre Pont
Carcassonne, France (11)
Dates
- mardi 12 septembre 2017
- mercredi 13 septembre 2017
Fichiers attachés
Mots-clés
- oralité, langue, conte, mémoire, collecte, archive sonore
Contacts
- Christine Bellan
courriel : ethnopolegarae [dot] cbellan [at] orange [dot] fr
URLS de référence
Source de l'information
- Sylvie Sagnes
courriel : sylvie [dot] sagnes [at] cnrs [dot] fr
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« Oralités, de l’enquête à l’écoute », Colloque, Calenda, Publié le jeudi 06 juillet 2017, https://doi.org/10.58079/y1v