HomeNouveaux imaginaires de et sur l’Afrique par l’entrepreneuriat

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Published on Wednesday, June 15, 2022

Abstract

Le présent appel vise une rupture paradigmatique dans la manière de voir l’Afrique sous l’angle de l’extériorité en retrait avec les inconscients coloniaux voire colonialistes et se focaliser sur les dynamiques entrepreneuriales en cours dans leur diversité. Pour cela, l’audace sera privilégiée aussi bien par l’ouverture aux sciences humaines et sociales pour mieux comprendre les fondements épistémologiques de la pensée endogène, mais également l’usage de méthodologies ancrées pour saisir les singularités et complexités entourant le projet entrepreneurial en Afrique.

Announcement

Argumentaire

« Entreprenante Afrique » est le titre de l’ouvrage de Severino et Hajdenberg publié en 2016 pour magnifier des dynamiques entrepreneuriales qui permettraient au Continent noir de s’ouvrir une « nouvelle » page de son histoire vers la prospérité et l’abondance. Cela passerait par l’ingéniosité d’une nouvelle sorte d’entrepreneur.e.s connecté.e.s au monde et capables de dénicher les opportunités d’affaires pouvant contribuer à la transformation structurelle de l’Afrique par des projets d’envergure. Pour Chapus et al. (2021, pp. 14) « cette rehéroïsation de l’entrepreneur.e est révélatrice de dynamiques sociétales plurielles ». D’Afropessimisme, on passe à une forme d’optimisme concernant l’avenir de l’Afrique que d’aucuns pourraient qualifier de suspecte (Copans, 2019), tellement les stigmates de la pauvreté n’ont pas disparu et se seraient renforcés par ailleurs.

Par conséquent, la littérature scientifique dans le domaine des sciences de gestion reste dominée par une image de l’entrepreneuriat en Afrique marquée par le primat de la débrouille, de l’informel, de la microentreprise de survie, des initiatives de femmes financées grâce à la microfinance et aux tontines. Cette réalité constitue certes une face de l’entrepreneuriat en Afrique, mais ne saurait traduire toutes les initiatives sur le continent. Elle pourrait relever d’une vision folklorique ou encore mythologique de l’entrepreneuriat. Pour compléter le spectre, il convient de regarder les autres facettes de l’entrepreneuriat en Afrique : l’émergence d’écosystèmes entrepreneuriaux avec l’État en pivot, la multiplication de startups dopées par les TICs, certains comportements frugaux, la consolidation des projets entrepreneuriaux portés par les générations post-ajustement structurel, etc. Il convient également d’aborder certaines questions propres à l’évolution des entreprises : succession intergénérationnelle, les écarts culturels entre acteurs (jeunes c. vieux ; locaux c. expatriées/« repats » ; instruits c. non instruits ; etc.). Tous ces éléments nous invitent à interroger les imaginaires de l’Afrique d’aujourd’hui par l’entrepreneuriat. Une telle démarche reviendrait à penser, de l’intérieur, l’entrepreneuriat et les PME en Afrique libérés de toute forme d’oeillère découlant des pressions des financeurs et/ou des supports de publication en quête de saveurs exotiques.Le présent appel vise une rupture paradigmatique dans la manière de voir l’Afrique sous l’angle de l’extériorité en retrait avec les inconscients coloniaux voire colonialistes et se focaliser sur les dynamiques entrepreneuriales en cours dans leur diversité. Pour cela, l’audace sera privilégiée aussi bien par l’ouverture aux sciences humaines et sociales pour mieux comprendre les fondements épistémologiques de la pensée endogène, mais également l’usage de méthodologies ancrées pour saisir les singularités et complexités entourant le projet entrepreneurial en Afrique.

Quelques thèmes, sans être exclusifs, peuvent ainsi orienter des collègues intéressé.e.s.

Repenser la diaspora entrepreneuriale et l’entrepreneuriat diasporique

L’« immigré clandestin », l’étudiant international transformant sa société d’origine, ou le sauveur de sa famille sont quelques stéréotypes dont ont été souvent affublés les membres de la diaspora africaine. Or, l’existence des parcours – entrepreneuriaux notamment – singuliers, divers et variés laisse augurer d’un potentiel significatif de cette diaspora à la création de nouveaux imaginaires de/sur l’Afrique. L’entrepreneuriat de la diaspora concerne aussi bien le phénomène des migrants qui entreprennent dans leur pays d’accueil que celui de ceux qui le font dans leur pays d’origine (Ojo et al., 2013). Tandis que le premier phénomène est qualifié de « diaspora entrepreneuriale » (Li, 2018), nous proposons de nommer le second entrepreneuriat diasporique. Le premier est le plus souvent envisagé sous l’angle des communautés, réseaux et pratiques ethniques, et moins souvent en termes de dynamique interculturelle (Tidjani, 2007). Le second mérite qu’on s’y attarde par la complexité des enjeux entrepreneuriaux qu’il soulève.Pour aider à rendre compte de la façon dont la diaspora entrepreneuriale et l’entrepreneuriat diasporique contribuent à façonner les nouveaux imaginaires de/sur l’Afrique, deux pistes semblent particulièrement prometteuses. Il y a d’abord la démarche en trois temps proposée par Édouard Glissant (1981) : « Aller-Détour-Retour ». Dans cette perspective le lieu d’origine (l’Afrique) constituerait le point de départ, le pays d’accueil, le détour, tandis que le retour permet la production de nouveaux imaginaires (Lambert, 1988). Il y a ensuite la métaphore de l’anthropophagie culturelle proposée par Oswald de Andrade (Lambert, 1988 ; Islam, 2012). Celle-ci consiste à considérer, qu’à travers leurs initiatives, les migrant.e.s entrepreneur.e.s installent les imaginaires de/sur l’Afrique à l’oeuvre à la fois dans leur lieu d’accueil et dans leur lieu de départ dans un rapport dynamique à l’issue duquel les derniers s’imposent et dévorent les premiers tout en devenant autres. Aussi, une lecture renouvelée du phénomène diasporique africain soulève différentes interrogations :

  • Comment le détour temporaire par d’autres cultures entraine-t-il des mutations dans la pratique entrepreneuriale au retour ?
  • Comment reproblématiser des enjeux tels que la succession en PME par un.e entrepreneur.e ayant vécu l’« Aller-détour-retour » en termes de déploiement local de nouveaux imaginaires ?
  • En quoi les diasporas entrepreneuriales d’Afrique sont-elles porteuses d’autres imaginaires dans les sociétés d’accueil ou freinées dans cette possibilité ? Comment sont-elles le vecteur d’une africanité dans le monde entrepreneurial qui dépasse les stéréotypes et le folklore ?
  • Quels sont les défis posés en termes épistémiques aux entrepreneur.e.s (création, destruction, altération des connaissances) sans mettre de côté les possibilités d’epistémicide ?

Des imaginaires et des paradoxes de l’héroïsation

Les médias sociaux - vecteurs d’imaginaires puissants – mettent en scène des personnages de pays en développement, aux histoires entrepreneuriales plus que surprenantes. Illac Diaz est l’un de ces personnages1. De nombreux entrepreneur.e.s héroïques, au sens schumpétérien, sont en Afrique à l’origine de modèles d’affaires autosuffisants, à fort potentiel de développement et luttant contre la pauvreté (Defourny et Nyssens, 2010) et des innovations frugales. L’originalité de ces pratiques et innovations entrepreneuriales relève alors d’un entrepreneuriat entre opportunité et nécessité, parfois aussi appelé ‘gazelle’ en contexte d’informalité dominante (Berrou et Girollet, 2019). De même ces entrepreneur.e.s agissent aux frontières entre transformation sociale et projet économique. De fait, ces personnages, acteurs du changement, incarnent désormais l’idéal type de l’entrepreneur.e des ‘développeurs’2 de l’Afrique (Chapus et al., 2021). Dans le domaine de l’entrepreneuriat féminin, il n’est ainsi plus l’heure de valoriser les nana benz mais plutôt les mam-preneures modernes, diplômées, soucieuses d’enjeux sociétaux (Vampo, 2021). La production d’héro(ïne)s, de mythes et légendes, propres à l’Afrique, structure et rend possible de nouveaux imaginaires avec des effets d’encouragement attendus sur les pratiques entrepreneuriales. Un ensemble de questions surgissent dès lors de la production de nouvelles figures héroïques d’une Afrique entrepreneuriale :

  • Que connait-on réellement de ces personnages, de leur quotidien et du mode de fonctionnement de leur modèle de réussite en Afrique ? Incarnent-ils un imaginaire de l’Afrique ou un imaginaire d’ailleurs, global, voire désafricanisé ?
  • Quelle place et quel rôle les médias et la rhétorique occupent-ils dans la fabrication du mythe et dans sa propagation parmi les néo-entrepreneur.e.s ?
  • Ces personnages sont-ils connus et perçus comme héroïques dans l’imaginaire des cibles des développeurs de l’Afrique (étudiants, groupement de femmes, etc.) ? Inspirent-ils réellement ces cibles ?
  • À quels défis sont-ils confrontés au quotidien dans leur recherche d’équilibre entre des enjeux d’ordre économique (nécessaire à la pérennité de leur modèle d’affaires) et socio-environnementaux (qui légitiment leurs actions auprès de bailleurs de fonds et de structures d’appui) ?
  • Quels sont les effets paradoxaux de la production de nouveaux mythes, légendes et figures héroïques ?

Diversité de secteurs : des pratiques émergentes en Afrique

L’Afrique n’est pas un désert d’innovations et diverses pratiques entrepreneuriales émergentes y sont observées (Peprah et Adekoya, 2020). L’entrepreneuriat numérique est l’une de ces pratiques (Friederici et al., 2020). Les startups du secteur apparaissent comme le fer de lance de l’accélération et de la transformation digitale des économies locales (Kolade et al., 2021).

  • Comment les pouvoirs publics, les agences de coopération au développement et les organisations professionnelles du privé oeuvrent-ils à rendre l’écosystème entrepreneurial davantage favorable à l’émergence d’entreprises numériques ?
  • Existe-t-il un accompagnement spécifique destiné aux startups de la fintech, de l’agro-technologie, de la e-santé, etc… ? Si oui, qui en sont les prestataires et selon quelles modalités accessibles ou non au plus grand nombre de startups ?
  • Comment les plateformes numériques et le crowdfunding révolutionnent-ils le financement de l’entrepreneuriat sur le continent ?

Outre le numérique, sont aussi concernées la culture et l’agriculture. Au-delà de son rôle identitaire, la culture est désormais perçue comme un relais de croissance pour les économies locales avec des entrepreneur.e.s culturel.le.s qui ressentent le besoin de diversifier leurs sources de financements pour faire face à la baisse des subventions et une frontière brouillée entre financement public et privé (Röschenthaler et Schulz, 2016). Ils oeuvrent également à développer des approches d’organisation collaborative (Michel, 2018).

  • Comment la volonté d’indépendance vis-à-vis des subventions contribue-t-elle à repenser les modèles d’affaires dans le monde artistique et culturel ?
  • Comment les approches collaboratives contribuent-elles à mobiliser et à cristalliser localement les ressources indispensables au développement de l’entrepreneuriat culturel et artistique ?

L’agriculture continue de son côté d’occuper jusqu’à 80 % de la population dans certains pays en Afrique. Les pouvoirs publics et leurs partenaires internationaux ambitionnent de passer de l’agriculture de subsistance à l’entrepreneuriat agricole en recourant davantage aux mécanismes du marché (Asongu et Odhiambo, 2019). Cela se traduit par l’émergence d’un entrepreneuriat dit inclusif des petits producteurs (Debar, 2019).

  • En quoi le (petit) entrepreneuriat dans les activités post-récoltes est-il porteur d’espoir pour l’agriculture en Afrique, au regard surtout de l’échec de la politique des grands projets industriels sur le continent ?
  • Comment les initiatives de promotion de l’entrepreneuriat inclusif dans le secteur agricole concilient-elles l’impératif de rentabilité des entreprises et l’objectif de lutte contre la pauvreté des bailleurs de fonds ?

Quel(le)s structures, outils, enseignement pour fabriquer de nouveaux imaginaires ?

Au total, les nouveaux imaginaires de et sur l’Afrique s’inscrivent au sein de structures plus ou moins instituées et d’écosystèmes entrepreneuriaux plus ou moins balbutiants. Ils sont aussi façonnés par un ensemble d’outils, de dispositifs et de pratiques créés et véhiculés par un ensemble d’acteurs concernés. À grands traits, les structures d’aide à l’entrepreneuriat ont longtemps été sous le joug de bailleurs de fonds issus de pays du Nord, ce qui a de facto entrainé la répétition décontextualisée de pratiques jugées universelles ou la mise sous tutelle des projets entrepreneuriaux via des pratiques d’accountability (Tsui, 2004 par exemple). Sur une période plus récente, l’émergence d’écosystèmes entrepreneuriaux vient s’enchevêtrer à cette structuration historique, conduisant à des pratiques relativement plus autonomes ou a minima interrogeant l’universalité de pratiques d’accompagnement. Une lentille postcoloniale ou décoloniale, bien plus fréquente dans la littérature managériale sur l’aide au développement, permettrait de mettre au jour les effets des dispositifs entrepreneuriaux, les poches de résistance qui peuvent prendre la forme de détournement, d’hybridation ou de rejet de certaines pratiques. Les nouveaux imaginaires appellent sans doute aussi l’émergence, l’invention, de nouvelles pratiques, d’outils différents, invisibilisés par les recherches dominantes. Il s’agit de mieux comprendre en quoi les institutions sont parfois le copier-coller des écosystèmes entrepreneuriaux du Nord qui fabriquent, empêchent ou au contraire facilitent la production de nouveaux imaginaires. Nous devons aussi porter une attention plus grande à l’émergence des formes alternatives collectives et solidaires d’accompagnement et de financement, aux processus d’autonomisation des pratiques de soutien dans la fabrique des écosystèmes. Quelques enjeux pourront ainsi être abordés :

  • Quels sont les pratiques et outils qui permettent la fabrication de nouveaux imaginaires ? Comment s’organisent les acteurs et les écosystèmes pour rendre ces imaginaires possibles et actionnables ?
  • En quoi la production de nouveaux imaginaires est-elle enkystée dans des héritages ou résurgences coloniales, entretenues par les écosystèmes et financeurs, véhiculées par des outils et dispositifs ? Quelles stratégies de con(dé)tournement sont mises en oeuvre ?
  • Quelles sont les formes collectives de soutien, alternatives, qui sécrètent ces imaginaires et quels sont leurs défis ?

Ce numéro vise donc bien moins à faire le point sur des pratiques entrepreneuriales connues, documentées, parfois folklorisées, ou encore enchâssées dans un ensemble de théorisations dominantes et réputées universelles. Il invite les chercheur.e.s à explorer la manière dont d’autres pratiques, émergentes, déviantes, ou simplement invisibilisées, mais aussi d’autres regards théoriques, permettent la production de nouveaux imaginaires sur et de l’Afrique. Il souhaite aussi mettre l’accent sur les protagonistes de la scène entrepreneuriale en Afrique, comme eux-mêmes producteurs de savoirs pratiques originaux qui défient les cadres de pensée et impliquent l’émergence de nouveaux cadres de référence. Il accueille des contributions qui mobilisent des connaissances en sciences humaines et sociales, en particulier produites en Afrique, et permettant d’éclairer les dimensions sociologiques et anthropologiques de la pratique entrepreneuriale. Il se veut ouvert à des approches post/décoloniales, afroféministes et critiques, qui accompagnent le travail de déconstruction d’imaginaires contraints, d’explorations de nouveaux imaginaires et des conditions concrètes de leur mise en actes.

Conditions de soumission

Notre numéro est ouvert à une variété de formats, de styles et de méthodes dès lors que ceux-là permettent véritablement de se situer dans un projet d’exploration des nouveaux imaginaires tout en s’inscrivant dans les canons de la publication de la RIPME.

Calendrier

  • 21 juin 2022 13 h à 15 h UTC : Webinaire de lancement de l’appel à contributions
  • 30 septembre 2022 : Dépôt d’une intention de 1000 mots

Les propositions de contribution sont à envoyer par courriel à : ripme@uqtr.ca

  • 15 mars 2023 : Soumission des textes complets mis aux normes de la revue (sur la plateforme de la RIPME http:revueinternationalepme.com en précisant dans l’espace commentaire qu’il s’agit d’un texte pour le numéro spécial « Nouveaux imaginaires de et sur l’Afrique » )

Coordinateurs scientifiques

  • Pr. Birahim GUEYE, SERGe, Université Gaston Berger, Sénégal
  • Pr Angélique NGAHA BAH, ERIM, Université Alioune DIOP, Sénégal
  • Pr. Florent SONG-NABA, Université Thomas SANKARA, Burkina Faso
  • Dr. Bilyaminou DAN RANI GUERO, SERGe, Université Gaston Berger, Sénégal
  • Pr. Olivier GERMAIN, GEST, École des Sciences de la Gestion, Université du Québec à Montréal, Canada

Date(s)

  • Friday, September 30, 2022

Keywords

  • entrepreneuriat, Afrique, imaginaire, sociologie, anthropologie

Contact(s)

  • Olivier Germain
    courriel : germain [dot] olivier [at] uqam [dot] ca

Information source

  • Olivier Germain
    courriel : germain [dot] olivier [at] uqam [dot] ca

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Nouveaux imaginaires de et sur l’Afrique par l’entrepreneuriat », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, June 15, 2022, https://calenda.org/1001890

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