Dans les manuels d’analyse des réseaux sociaux, on distingue les approches par les réseaux personnels, et par les réseaux complets. Si elles permettent de documenter précisément des structures de réseaux, ces enquêtes captent difficilement les situations ponctuelles d’activation des liens « faibles ». Ce dossier a pour objectif de présenter des travaux qui relèvent de l’étude des chaînes relationnelles dans les différents domaines des sciences sociales.

Coordination scientifique

Dossier coordonné par

• Grégori Akermann, INRAE, Département Action, transitions et territoires (ACT), UMR Innovation 0951, Montpellier, France. E-mail : gregori.akermann@inrae.fr
• Michel Grossetti, Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST), CNRS et Université de Toulouse, Toulouse, France. E-mail : michel.grossetti@univ-tlse2.fr

Argumentaire

Ce dossier a pour objectif de présenter des travaux qui relèvent de l’étude des chaînes relationnelles dans les différents domaines des sciences sociales.

Dans les manuels d’analyse des réseaux sociaux (Degenne et Forsé, 1994 par exemple), on distingue habituellement les approches par les réseaux personnels, dans lesquelles on étudie des voisinages relationnels autour d’acteurs choisis sans faire d’hypothèse sur les relations qu’ils pourraient avoir entre eux (et sans se préoccuper de ces relations), et les approches par les réseaux complets, dans lesquelles on part de l’existence de ressources communes entre certains acteurs, et donc de liens probables entre eux, pour sélectionner ceux-ci. Les premières produisent typiquement de grandes enquêtes (plusieurs centaines à plusieurs milliers de personnes ou d’organisations) dans lesquelles la caractérisation des réseaux est assez sommaire (principalement la densité, le nombre de liens, les types de liens). Au contraire, les secondes portent en général sur des ensembles plus modestes (en général inférieurs à la centaine d’unités), sur lesquels elles permettent d’obtenir des informations de façon systématique, ce qui rend possible des analyses très sophistiquées de la structure des réseaux ainsi constitués. Si elles permettent de documenter précisément des structures de réseaux, ces enquêtes captent difficilement les situations ponctuelles d’activation des liens « faibles ».

Il existe une autre façon d’étudier les réseaux, qui présente la particularité d’avoir donné lieu à certains des travaux les plus célèbres du domaine et paradoxalement de ne pas être identifiée en général comme une approche spécifique dans l’analyse des réseaux sociaux, même si des publications récentes y font référence (Neal et Neal, 2022). C’est ce que l’on peut appeler l’étude des chaînes relationnelles, dont des exemples célèbres sont l’enquête de Milgram sur les « petits mondes » (1967), celle de Nancy Howell Lee sur les femmes cherchant un médecin pour avorter dans les années 1960 aux Etats-Unis (Howell Lee, 1969) ou celle de Granovetter sur l’accès à l’emploi (1974). Il existe aussi de nombreux travaux sur la diffusion des informations (par exemple Reingen et Kernan, 1986, Erickson et al., 1978). Dans cette approche, il ne s’agit pas d’analyser des structures statiques mais plutôt l’activation de relations dans des processus d’accès à des ressources ou dans des situations de diffusion d’information. Ne sont prises en compte que les relations effectivement présentes dans des actions concrètes. Le caractère « structurel » des mesures effectuées est restreint : il se limite pour l’essentiel à la longueur des chaînes relationnelles ainsi activées (ou, ce qui revient au même, au nombre d’intermédiaires), afin parfois de mettre en évidence des effets d’homophilie et de stratification sociale (Lin, 2004). En revanche, on cherche en général à qualifier les relations mobilisées de façon assez précise par leur origine, leur « force », le contexte dans lequel elles s’inscrivent, etc. Dans de nombreux travaux, la mobilisation des ressources via les chaînes relationnelles est mise en regard d’autres modalités d’accès afin d’étudier les effets d’encastrement relationnel des processus sociaux étudiés (Grossetti et Barthe, 2008).

Les chaînes relationnelles peuvent être parfois être reconstituées à partir de traces relationnelles, par exemple dans les communications en ligne où l’on peut, dans certains cas, savoir qui a renvoyé un courrier à qui jusqu’à atteindre un·e destinataire avec qui s’est finalement effectué un échange. On peut aussi tenter de reconstituer des chaînes relationnelles au moyen de questionnaires, si le type de ressource auxquels les enquêté·e·s accèdent est suffisamment simple et bien défini et si les processus d’accès sont déjà connus. Enfin, dans d’autres cas, il est possible de recourir à des méthodes mixtes (Small, 2011) en procédant à des codages sur la base de données qualitatives issues d’entretiens, d’observations ou de sources documentaires. C’est le cas de la méthode des « narrations quantifiées » (Grossetti et al., 2011 ; Grossetti, 2011).

Les propositions attendues pourront se situer sur le registre théorique, la synthèse de littérature ou la présentation d’études de terrain et ceci dans l’ensemble des sciences sociales.

Parmi les thèmes qui pourront être abordés figurent par exemple :

• les chaînes relationnelles dans l’accès à divers types de ressources sociales (emploi, logement, information …) ;
• les chaînes de citations dans les publications scientifiques ;
• les chaînes relationnelles dans la mise en relation d’organisations (entreprises, laboratoires, administrations publiques …) ou de lieux ;
• les chaînes de relations dans les processus migratoires.

La Revue

ARCS est une revue scientifique pluridisciplinaire consacrée à l’analyse de réseaux en sciences humaines et sociales. Son comité de rédaction assume la responsabilité scientifique et éditoriale des contenus de la revue. Un certain nombre de principes guident notre démarche éditoriale : respect du travail scientifique, des auteur.e.s et du lectorat, promotion de l’accès libre et des démarches de recherche reproductible.

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Modalités de soumission

Les propositions devront préciser dans quelle catégorie s’inscrit la contribution. Elles doivent être envoyées aux coordinateurs du dossier : gregori.akermann@inrae.fr et michel.grossetti@univ-tlse2.fr

Calendrier

• Réception des propositions (résumés de 5 000 signes maximum) : 30 septembre 2022
• Réponse des coordinateurs : 31 octobre 2022
• Réception des articles (80 000 signes maximum) : 31 Janvier 2023
• Retour des expertises des évaluateurs :  15 mars 2023
• Version révisée : 30 avril 2023
• Remise des versions définitives : 31 Mai 2023
• Sortie du numéro : 30 Juin 2023

Pour la mise en forme des textes, se référer aux normes de la revue.

Format

Conformément aux possibilités offertes par la revue, les formats de contributions possibles sont les suivants :

• Articles de recherche : article présentant une recherche originale, soit mobilisant des méthodes d’analyse de réseaux, soit proposant une réflexion théorique et méthodologique sur l’analyse de réseaux ;
• Data papers : article présentant la construction et l'intérêt thématique d'un jeu de données décrivant des relations (sous forme de liste de liens, matrices...) dans un format standardisé, des métadonnées documentées et un DOI ;
• Software papers : présentation d'un outil, d'un logiciel, d'un package d'analyse de réseaux.

Références

Degenne A. & Forsé M., 1994, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin.

Erickson B. H., Nosanchuk T. A., Mostacci L. & Dalrymple C. F., 1978, « The Flow of Crisis Information as a Probe of Work Relations », The Canadian Journal of Sociology / Cahiers Canadiens de Sociologie, 3(1), 71–87. https://doi.org/10.2307/3339794.

Granovetter M. S., 1974, Getting a job. A study of contacts and careers, Harvard University Press.

Grossetti M., 2011, « Les narrations quantifiées. Une méthode mixte pour étudier des processus sociaux », Terrains et Travaux, n°19, p. 161-182.

Grossetti M. & Barthe J.-F., 2008 « Dynamique des réseaux interpersonnels et des organisations dans les créations d’entreprises ». Revue française de sociologie 49(3), 585‑612.

Grossetti M., Barthe J.-F. & Chauvac N., 2011, « Studying relational chains from narrative material », Bulletin de Méthodologie Sociologique / Bulletin of Sociological Methodology, 110, 11-25.

Howell Lee N., 1969. The search for an abortionnist, Chicago, University of Chicago Press.

Lin N., 2004, « Job search in urban China. Gender, network chains and embedded resources », in H. Flap & B. Völker (Eds.), Creation and returns of social capital. A new program, London/New York, Routledge, p. 145-171.

Milgram S., 1967, « The Small World Problem », Psychology Today, p. 60-67.

Neal Z. P. & Neal P., 2022, « That’ll move the chains: Collecting network chain data », Social Networks, 69, 35-44.

Reingen P. H., & Kernan J. B., 1986, « Analysis of Referral Networks in Marketing: Methods and Illustration », Journal of Marketing Research, 23(4), p. 370–378. https://doi.org/10.2307/3151813.

Small M. L., 2011, « How to Conduct a Mixed Methods Study: Recent Trends in a Rapidly Growing Literature », Annual Review of Sociology, 37, 57-86.