HomeFrontière(s). Altérités et identités saisies par le droit

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Published on Wednesday, June 15, 2022

Summary

Ces journées doctorales visent à étudier la frontière selon une approche historique, juridique et anthropologique. Tant les frontières géographiques que symboliques ou juridiques pourront être abordées dans la mesure où elles permettent la définition d’un soi face à l’autre. Il convient d’interroger quelles sont les justifications de ces limites mais aussi leurs réception et éventuelle adaptation. La vie aux marges peut ainsi être perçue comme une situation précaire mais aussi un moyen de créer de nouvelles solutions juridiques. Finalement, dans un contexte de mondialisation, la question de la pertinence de la frontière doit être posée et, avec elle, la redéfinition de notre rapport au territoire et aux limites.

Announcement

Argumentaire

Flux migratoires, conflits militaires et guerres, interventions paramilitaires, pandémie de la Covid-19 – l’actualité internationale rappelle régulièrement la centralité des frontières dans la construction normative. Leur porosité apparente pour des raisons économiques, idéologiques, politiques, culturelles s’est heurtée à différentes crises et l’urgence a supplanté dans certains cas l’interdépendance étatique découlant de la mondialisation. Loin d’être un phénomène récent, les frontières connaissent dans la longue durée des périodes d’ouverture et de fermeture, de déplacements et de contestations à différentes échelles. Aux frontières territoriales s’ajoutent leurs pendants immatériels et symboliques, reflétant perceptions individuelles, collectives et évolutions sociales. Cette délimitation touchant un espace trouve un parallèle dans le monde juridique avec la création, en apparence nécessaire, d’exceptions à l’élaboration de toute norme. Ainsi, aucune catégorie juridique ne semble satisfaisante pour représenter le réel et une adaptation du droit est constamment recherchée. 

En tant que processus politique, normatif, identitaire visant à délimiter le « soi » face à l'« autre », le discours qui légitime la conception d’une frontière se fonde sur une série de dichotomies idéologiques. Celles-ci opposent le civilisé au barbare, la raison à la déraison, la sécurité à la menace, la promesse d’un avenir meilleur aux oppressions de différentes natures. Les arguments mobilisés dans ce discours sont variés : des faits historiques, des relevés naturels ou géographiques, des similitudes culturelles, confessionnelles, ethniques, des considérations sanitaires, une mobilisation symbolique ou mythologique commune. Il convient d’interroger la construction narrative ou discursive portée par les différents acteurs. En outre, la terminologie sur laquelle s’appuient ces arguments n’est pas neutre. De la qualification même de la limite se dessinent des enjeux politiques et idéologiques, à l’instar de la frontière dite naturelle. Présentée comme objective, concrète, échappant aux rapports de force, cette démarcation idéale, particulièrement théorisée au siècle des Lumières, contribuera pourtant grandement à la légitimation des États-Nations.

Quelles sont les raisons poussant à concevoir une limite tant matérielle que symbolique et immatérielle ? À quel moment la fixation d’une frontière devient-elle nécessaire ? À l’image de l’Empire romain des premiers siècles, une frontière peut s’établir lorsque la puissance en question renonce à étendre davantage son influence et met fin à une politique de conquête. Par ailleurs, un litige ou un conflit opposant deux autorités distinctes peut mettre en évidence la nécessité de matérialiser territorialement les limites de chacune, comme en témoigne la consécration du concept de frontière-ligne dans les traités de Westphalie au XVIIe siècle. La conceptualisation d’une frontière peut également naître de ce qu’une autorité souhaite limiter un processus d’assimilation, d’acculturation et donc marquer concrètement l’altérité. Le concept d’État-Nation émane quant à lui de la volonté d’une puissance d’affirmer sa souveraineté et de faire coïncider les frontières symboliques, religieuses, culturelles, juridictionnelles ou autres avec leurs dimensions territoriales. Sont interrogés les mécanismes mis en œuvre lors du processus de construction : reconnaissance interne, droit international, entrée en vigueur de traités, etc. Quels sont les critères, juridiques ou non, qui rendent une limite opérante ?

Au-delà de son élaboration discursive, la frontière est également un espace vécu et devient un outil de différenciation produisant des effets sur les sujets de droit. Comment le droit se saisit-il des cas limites en ce qu’ils échappent aux régimes communs ? Par le recours aux exceptions - et donc à la “défaisabilité” du droit - ou en élaborant de nouvelles catégories ? Mais penser la frontière ne peut se réduire à envisager les effets séparateurs, réels ou fictifs, qu’entraîne son tracé. Il s’agit également d’une zone de contact constant avec l’autre, un espace de passage poreux et dynamique propice à l’acculturation, à l’hybridation des pratiques et au pluralisme juridique. Le droit, qui pose des catégories juridiques a priori imperméables, se retrouve questionné par le biais de la frontière. Que faire lorsque les divisions pensées par le législateur sont contestées par la pratique ? Au reste, comment matérialiser les cas particuliers des communautés diasporiques ? Comment traiter le lien qui les unit à leur patrie symbolique ou historique ? Ainsi les populations peuvent nier le caractère séparateur de la frontière davantage comme une zone d'échange que comme une limite de passage. 

En cela, il convient d’interroger la zone frontalière comme une interface, une marge permettant mutations et expérimentations. Elle accueille également des pratiques rétives à la légitimation identitaire de la limite, ou remettant en cause un centralisme juridique qui peine parfois à s’y imposer. Car la frontière est aussi la périphérie, voire les confins. Lieu d’une altérité subie, elle est aussi celui d’une marginalité choisie. Par son éloignement du centre, elle nourrit, à l’instar de la frontière occidentale des États‑Unis d’Amérique et de son constant repoussement au cours du XIXe siècle, un imaginaire de libertés face à une autorité apparaissant comme toujours trop centralisée. Zone fructueuse pour le droit, lieu de pratiques alternatives, la frontière questionne tout autant le discours identitaire qu’elle permet de le légitimer. 

Les contestations nées d’une délimitation pointent le caractère illusoire d’une frontière linéaire, d’une séparation nette. Une démarcation imposée par l’appareil étatique peut donner lieu à des objections, voire être le moteur de luttes indépendantistes. Par son lien étroit avec la notion d’État, il n’est pas rare que la frontière s’attire les foudres de mouvements contestant la légitimité de ce dernier. Elle apparaît par ailleurs comme un obstacle à la révolution prolétarienne et disparaît des projets de sociétés idéales marxistes et anarchistes. Mais le rejet des frontières n’est pas l’apanage des idéologies classées à gauche. Ainsi, les libertariens prônent quant à eux l’avènement d’une société régie seulement par l’individu, dans laquelle les frontières sont abattues comme autant de limites à la liberté.

Pendant de certaines religions, le principe d’universalité est porteur d’un dépassement des limites territoriales et ethniques. Dans sa conception économique, il prend la forme d’accords, de collaborations régionales ou d’espaces de libre-circulation. Toutefois, cette trans-frontiérisation des rapports n’est pas absolue : les frontières d’un État sont plus ou moins perméables selon l’acteur du déplacement. C’est alors un autre système qui vient soutenir la persistance de l’altérité en se basant sur des critères matériels ou socio-culturels, mais en se détachant du territoire.

Selon l'anthropologue Michel Agier, les formes élémentaires de la frontière sont multiples : “Frontière des lieux (ici et là-bas), frontière du temps (avant et après) et frontière du monde social et du sensible (de soi et de l’autre, de tout ce qui arrive à exister socialement en délimitant un propre et un différent au sein d’un environnement fini)" (La Condition cosmopolite. L’anthropologie à l’épreuve du piège identitaire, Paris, La Découverte, 2013, p. 32). Loin de se cantonner à la composante géographique, elle présente également des dimensions immatérielles et symboliques. C’est à cela que seront consacrées ces journées doctorales : interroger la frontière en tant qu’objet de droit, admettant la complexité de sa constitution, de son acceptation, de son évolution. Ainsi, c’est le rôle du droit dans la formation de limites immatérielles, de création de catégories juridiques si nécessaires à son effectivité qui sera interrogé. C’est donc la frontière sous toutes ses dimensions qui est ici soumise à l’analyse, de son ancrage géographique à la définition de catégories juridiques. Fonctions de contrôle, définition de l’altérité, constructions et contours de statuts juridiques ou politiques – voilà autant de questionnements autours des limites et des espaces frontaliers qui feront l’objet de débats lors de cette manifestation scientifique. Les communications proposées pourront traiter de cas précis – échelle micro – comme des dynamiques plus générales – échelles méso ou macro –, avec un intérêt particulier pour les imbrications de durées, l’originalité de l’approche et la variété des sujets.

Modalités de soumission

Les journées doctorales se tiendront les 24 et 25 mai 2023. Les intervenants retenus sont invités à présenter une communication de vingt minutes. Celles et ceux le désirant pourront participer à une table ronde le 25 mai dans l’après-midi.

Les propositions de contributions comporteront un titre, cinq mots-clés et n’excéderont pas 3000 signes (espaces compris). Elles devront être envoyées à chad.docs.nanterre@gmail.com

avant le 31 octobre 2022

Le comité scientifique et d’organisation se prononcera sur la sélection des propositions retenues au plus tard le 15 décembre 2022. 

Comité scientifique et d’organisation

  • Claire Laborde-Menjaud
  • Kim-Thao Le 
  • Morgane Fortin
  • Astrid Akopian
  • Etienne Lamarche

Subjects

Places

  • Nanterre, France (92000)

Date(s)

  • Monday, October 31, 2022

Keywords

  • frontière, identité, altérité, limite, territoire, catégorie juridique

Contact(s)

  • Claire Laborde-Menjaud
    courriel : chad [dot] docs [dot] nanterre [at] gmail [dot] com

Information source

  • Claire Laborde-Menjaud
    courriel : chad [dot] docs [dot] nanterre [at] gmail [dot] com

License

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To cite this announcement

« Frontière(s). Altérités et identités saisies par le droit », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, June 15, 2022, https://calenda.org/1002643

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