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Étudier la guerre

Perspectives historiographiques et épistémologiques de l’histoire de la guerre des années 1950 à nos jours

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Publié le jeudi 23 juin 2022

Résumé

Depuis le milieu du XXe siècle, l’étude de la guerre a connu une véritable « révolution » historiographique. Elle s’est développée partout dans le monde suivant des rythmes et des modalités variées. Les historiens, les anthropologues ou encore les spécialistes des études littéraires ont rompu avec une histoire militaire décriée, focalisée sur les grandes batailles, étudiées du point de vue de l’État-major et enferrée dans un récit événementiel. C’est sur cette « révolution historiographique globale » des études sur la guerre depuis les années 1950 jusqu’à nos jours, que se penche ce colloque sans restriction spatio-temporelle. Comment l’expliquer ? Par qui a-t-elle été menée ? Quelles en ont été les voies et les étapes ? En quoi ces évolutions historiographiques se distinguent-elles ou se rapprochent-elles d’autres évolutions épistémologiques dans les sciences sociales ? Quels en sont aujourd’hui les approches, les méthodes et les outils de prédilection ? Et quels en seront ceux de demain ?

Annonce

Argumentaire

Après les deux conflits mondiaux, l’histoire militaire a connu des fortunes diverses. Discréditée dans une partie de l’Europe, elle a mieux résisté dans le monde anglophone. Elle n’a toutefois jamais disparu complètement du monde académique comme en témoignent les tentatives d’Hans Delbrück[1] ou de Karl Demeter[2] en Allemagne pour lier l’histoire de la guerre et l’histoire générale dès les années 1920 et 1930 ; l’édition posthume de L’étrange défaite de Marc Bloch en 1946 ; la place occupée par la guerre dans le second volume de La Méditerranée […] à l’époque de Philippe II de Fernand Braudel parue trois en plus tard[3] ; ou encore le livre de Pietro Pieri sur la Renaissance et la crise militaire italienne éditée en 1952[4].

Depuis les années 1950, l’histoire de la guerre a toutefois trouvé un nouvel essor. Trois générations d’historiennes et d’historiens ont œuvré au renouvellement de ses objets et de ses méthodes en s’emparant des sources, des problématiques et des méthodes des courants historiographiques qui ont traversé l’histoire. Ils se sont inscrits dans l’histoire sociale et économique, ont adopté la perspective du soldat pour comprendre le rapport de l’armée aux sociétés[5], pour comprendre le poids de la guerre sur celles-ci[6]ou encore l’expérience vécue par les hommes ou les femmes du rang[7]. En Afrique francophone, une littérature abondante a été consacrée à la nature et au rôle de l’Armée en lien avec les nombreux coups d’État qui ont marqué le continent depuis les années 1960[8]. L’accent y a été mis sur la nature de la guerre et sur l’organisation militaire des sociétés précoloniales[9]. Plus récemment, les chercheurs ont adopté à son égard le prisme de l’histoire religieuse[10], du genre[11], de la violence[12], du droit ou des savoirs. L’histoire environnementale invite aujourd’hui à réfléchir aux liens entre les hommes de guerre et leur milieu, entre les évolutions des formes de la guerre et celles des milieux naturels, mais aussi des ravages de la guerre sur la nature.

Ce renouveau est aussi venu du croisement des disciplines. Les chercheuses et chercheurs ont trouvé dans l’anthropologie, dans la sociologie[13] ou encore dans la linguistique de nouveaux regards pour comprendre la guerre, les hommes et les femmes de guerre et leurs rapports avec les non-combattants. Ces disciplines ont contribué au développement d’une histoire militaire au ras du sol et sensible à l’expérience de la guerre ; une histoire de la motivation, de la violence, des émotions, et des pratiques de et dans la guerre[14]. Ce changement d’échelle a également soutenu l’introduction du paradigme culturel dans l’étude de la guerre et le développement d’une attention à la manière dont s’articulent pratiques et représentations[15]. Cette attention met en lumière les tensions naissant de la confrontation des processus de rationalisation et de professionnalisation de l’armée, d’une part, et des transformations politiques, culturelles et sociales affectant les sociétés[16], d’autre part. Une véritable histoire sociale et culturelle de la guerre s’est ainsi développée au tournant du XXIe siècle, attentive aux violences, cultures, ou encore aux mémoires et aux représentations de la guerre. Aujourd’hui, de jeunes disciplines, comme l’archéologie des conflits et le droit international humanitaire, mais aussi de nouvelles approches, comme en histoire de l’art, permettent de poursuivre ce renouvellement. L’histoire expérimentale de la guerre, non sans lien avec l’histoire des sciences et l’archéologie, incarne parfaitement ce renouveau fondé sur la pluridisciplinarité, voire l’interdisciplinarité. Elle place le corps au centre de ses réflexions et rejoint ainsi l’histoire de la santé et des émotions, dans une approche plus sensible de la notion de combat.

Les travaux réalisés depuis les années 1950 ont ainsi démontré combien l’histoire militaire gagnait à se nourrir des méthodes et des concepts issus d’autres types d’histoire ou d’autres sciences humaines et sociales[17]. À tel point que l’on peut s’interroger pour savoir si ce qui fait sa singularité aujourd’hui est son objet ou sa méthode. Il n’est ainsi pas anodin de remarquer qu’après s’être fait « nouvelle histoire militaire » ou « nouvelle histoire Bataille », l’histoire militaire est devenue histoire de la guerre. Il ne s’agit ni d’un remaniement cosmétique ni d’un simple glissement sémantique. Car, alors que l’adjectif « militaire » renvoie à ce qui est relatif à l’armée, à son organisation ou à son action, à la nature d’une fonction, d’un territoire, d’une technique, d’un comportement ou encore d’un sentiment, le substantif « guerre » évoque un contexte, un conflit de nature ou de forme variée ou encore un ensemble de processus qui touchent tout autant ceux qui la font que ceux qui la subissent. Et si on l’utilise parfois comme un synonyme de militaire pour définir des opérations, des prisonniers ou encore des tactiques, voire un art, le caractère englobant du terme de « guerre » définit plus justement la diversité des thèmes abordés par les chercheuses et chercheurs qui s’en revendiquent aujourd’hui. Il souligne leur manière de la considérer comme un fait social et historique majeur, comme un moment particulier dans laquelle se nouent des relations spécifiques entre États, peuples, groupes sociaux et individus, et comme un prisme au travers duquel il est possible de comprendre la vie, l’organisation et l’évolution des sociétés du passé.

Ce colloque propose de revenir sur la manière dont l’histoire militaire est devenue histoire de la guerre (1) en établissant le bilan de sa riche historiographie depuis le milieu du XXe siècle, (2) en dressant un tableau de ses méthodes et de ses objets, (3) et en esquissant les contours des perspectives qui s’offrent pour l’avenir de champ de recherche. Car, si ce qui fait la singularité de l’histoire de la guerre réside dans son objet d’étude plutôt que dans sa méthode, cela ne signifie pas qu’elle ne possède ni son historiographie, ni ses concepts et ses méthodes, ni son avenir.

Axes thématiques

Les propositions devront donc s’inscrire dans l’un des trois axes proposés ci-dessous.

Historiographie de la guerre

Cet axe vise à établir un bilan des transformations de l’histoire militaire depuis le milieu du XXe siècle. Les propositions pourront privilégier les approches par aires géographiques, linguistiques ou culturelles ; choisir de les croiser sur des aspects thématiques particuliers ; ou encore souligner les voies empruntées pour renouveler les approches et les thématiques de la recherche. Il s’agira ici de faire ressortir les domaines exploités depuis près de 70 ans, les spécificités des traditions historiographiques locales, ou encore les convergences et les divergences entre ces traditions historiographiques.

Épistémologie de la guerre

Cet axe vise à dresser un tableau des concepts, méthodes et sources de l’histoire de la guerre en examinant le dialogue entre l’histoire et les autres sciences sociales et humaines. Les propositions pourront revenir sur un concept particulier, les manières dont il a été mobilisé, les adaptations qui ont été nécessaires pour le transposer d’une discipline à une autre ou entre périodes historiques, ainsi que sur ses apports et limites pour l’histoire de la guerre. Elles pourront également réfléchir aux sources traditionnellement utilisées, à leur élargissement depuis les années 1950, à ce qu’elles apportent à la compréhension de la guerre, ou encore aux méthodes spécifiques qui ont été établies pour les exploiter à nouveaux frais.

Perspectives de la recherche en histoire de la guerre

Cet axe vise à esquisser les contours des perspectives thématiques et méthodologiques qui s’ouvrent à l’histoire de la guerre. Les propositions pourront aborder l’ouverture de nouvelles voies thématiques et de nouvelles méthodes, explorer les apports de nouveaux croisements entre historiographies ou disciplines, ou encore souligner l’intérêt qu’il puisse y avoir à rompre les frontières disciplinaires, géographiques ou chronologiques. Elles pourront également envisager les tendances de la recherche la plus récente menée par les jeunes chercheuses et chercheurs ou encore dans des travaux émergents.

Modalités de soumission

Les communications à plusieurs voix sont les bienvenues. Elles pourront se faire en français ou en anglais. Cependant, afin de garantir des échanges fructueux la compréhension du français est exigée.

Le colloque se tiendra à l’Université du Québec à Montréal les 23, 24 et 25 octobre 2023. Les propositions de communications (1500 caractères), accompagnées d’un bref curriculum vitae, doivent être adressées  par voie électronique à :

  • Benjamin Deruelle - Département d’histoire - Université du Québec à Montréal, deruelle.benjamin@uqam.ca
  • Jonas Campion - Département de sciences humaines - Université du Québec à Trois-Rivières, jonas.Campion@uqtr.ca
  • Pauline Lafille – CRIHAM - Université de Limoges, pauline.lafille@unilim.fr

avant le 1er décembre 2022

Information importante

Dans toute la mesure du possible, les organisateurs chercheront à assurer le transport et le logement des participants au colloque. Cependant, tous ceux ou toutes celles qui peuvent assurer leur financement, par la voie de leurs universités ou de centres de recherche, sont invités à le faire savoir au moment de l’envoi du dépôt de leur proposition. L’existence de tels financements externes (même encore non assurés), en effet, est un important prérequis pour la demande de subvention générale qui sera déposée pour l’organisation du colloque.

Comité scientifique

  • Deborah Barton (U de Montréal)
  • François Cadiu (U. Bordeaux-Montaigne)
  • Jonas Campion (UQTR)
  • Emmanuel Debruyne (U. Louvain)
  • Benjamin Deruelle (UQAM)
  • Émilie Dosquet (CY Université)
  • Patrick Dramé (U. de Sherbrooke)
  • Stéphane Gal (U. Grenoble)
  • Christopher Goscha (UQAM)
  • Pauline Lafille (U. de Limoges)
  • Julie Le Gac (U. Paris Nanterre)
  • Marie-Adeline Le Guennec (UQAM)
  • Silvia Mostaccio (U. Louvain)
  • Christophe Masson (U. de Liège)
  • Nicolas Patin (U. Bordeaux-Montaigne)
  • Quentin Verreycken (U. Saint-Louis Bruxelles)

Comité d’organisation

  • Jonas Campion (UQTR)
  • Benjamin Deruelle (UQAM)
  • Pauline Lafille (Université de Limoges)

Notes

Notes

[1] Hans Delbrück, Geschichte der Kriegskunst im Rahmen des Politischen Geschichte, Berlin, G. Stilke, 1907-1920, 4 vols.

[2] Karl Demeter, Das deutsche Offizierskorps in Gesellschaft und Staat (1650-1945), Berlin 1930.

[3] Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, A. Colin 1966 [1949].

[4] Piero Pieri, Il Rinascimento e la crisi militare italiana, Torino, Einaudi, 1952.

[5] André Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère Choiseul. Le soldat, Paris, PUF, 1964 ; Jean-Paul, Bertaud, Valmy : La Démocratie en armes, Paris, Julliard, 1970 ; Jean Chagniot, Paris et l’armée au XVIIIe siècle : étude politique et sociale, Paris, Economica, 1985.

[6] Fritz Redlich, The German Military Enterpriser and his Work Force. A study in European Economic and Social History, Wiesbaden, 1964.

[7] Paul Fussel, The Great War and Modern Memory, Oxford, Oxford University Press. 1975 ; John Keegan, Anatomie de la bataille : Azincourt 1415, Waterloo 1815, La Somme 1916, Paris, Robert Laffont, 1993 (1976).

[8] Ade Ajayi et Robert Smith, Yoruba Warfare in the 19th Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1964; Yves Person, Samori, une révolution dyula, Dakar, IFAN, 1970.

[9] Ibrahim Baba Kaké, Les armées traditionnelles de l’Afrique, Paris-Libreville, Lion, 1980 ; Jean Bazin et Emmanuel Terray, Guerres de lignages et guerres d’État en Afrique, Paris, Éd. Archives contemporaines, 1982 ; Thierno Mouctar Bah, Les armées peul de l’Adamawa au XIXe siècle, Paris, EHESS, 1982.

[10] Catherine Wolff et Yann Le Bohec (dir.), L’armée romaine et la religion sous le Haut-Empire romain, Lyon, Éditions de Boccard, 2009 ; Xavier Boniface, Histoire religieuse de la Grande Guerre, Paris, Fayard, 2014 ; Laurent Jalabert et Stefano Simiz (dir.), Le soldat face au clerc. Armée et religion en Europe occidentale (XVe-XIXe siècle), Rennes, PUR, 2016.

[11] Fabrice Virgili, La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, rééd. 2004 [2003] ; Luc Capdevila, Les Bretons au lendemain de l’Occupation. Imaginaire et comportement d’une sortie de guerre 1944-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999 ; Sophie Cassagnes-Brouquet, Chevaleresses, une chevalerie au féminin, Paris, Perrin, 2013.

[12] Stéphane Audoin-Rouzeau, 1914-1918. La violence de guerre, Paris, Le Seuil, 2014.

[13] Michael Howard, The Franco-Prussian War : The German Invasion of France, 1870-1871, New York, Macmillan Company, 1961 ; Philippe Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Étude sur les armées des rois de France (1337-1494), Paris, Mouton, La Haye, 1972 ; Thierno Mouctar Bah, Guerres, pouvoir et société dans l’Afrique précoloniale (entre le lac Tchad et la Côte du Cameroun), Paris, Thèse de doctorat, 1985.

[14] Georges Mosse, De la Grande guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999 (1990) ; Stéphane Audoin-Rouzeau, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècles), Paris, Seuil, 2008.

[15] Jay Winter, Sites of memory, sites of mourning: the Great War in European cultural history, Cambridge, Cambridge university press, 1995.

[16] John Lynn, The Bayonets of the Republic. Motivation and Tatics in the Army of Revolution France, 1791-1794, Urban and Chicago, University of Illinois Press, 1984; Olivier Chaline, La bataille de la Montagne Blanche (8 novembre 1620). Un mystique chez les guerriers, Paris, Noesis, 1999 ; Hervé Drévillon, L’impôt du sang. Le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 2005.

[17] Voir ici la récente Histoire de la guerre : du XIXe à nos jours, Paris, Le Seuil, 2018 dirigé par Bruno Cabanes et les 4 volumes de la série Mondes en guerre, Paris, Passé Composé, 2019-2021 dirigés par Hervé Drévillon.

 

Lieux

  • 405 Rue Sainte-Catherine Est
    Montréal, Canada (QC H2L 2C4)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • jeudi 01 décembre 2022

Fichiers attachés

Mots-clés

  • étude sur la guerre, interdisciplinaire, historiographie, épistémologie

Contacts

  • Benjamin Deruelle
    courriel : deruelle [dot] benjamin [at] uqam [dot] ca

Source de l'information

  • Benjamin Deruelle
    courriel : deruelle [dot] benjamin [at] uqam [dot] ca

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Étudier la guerre », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 23 juin 2022, https://doi.org/10.58079/194n

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