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La violence en prison
Sixièmes journées internationales de la recherche en milieu pénitentiaire
Published on Monday, July 04, 2022
Abstract
Le caractère variable et subjectif de la notion de violence entraîne des discours et des conceptions également variables : relativisation du phénomène pour les observateurs extérieurs du milieu carcéral ou alerte sécuritaire pour les acteurs internes. Sous cet angle, la violence concentre l’attention des acteurs institutionnels et appelle des mesures sécuritaires plus robustes et toujours plus nombreuses. Mais elle invite aussi à requestionner la fonction de la peine privative de liberté en démocratie et ses modalités d’exercice.
Announcement
23-24 novembre 2022 Énap - AGEN
Argumentaire
La violence en prison est un sujet constant de préoccupation pour l’administration pénitentiaire devenu aujourd’hui un enjeu majeur des politiques pénitentiaires (avec un plan de lutte du directeur de l’administration pénitentiaire présenté en 2022). Mais la violence est un objet glissant, dont la définition n’est jamais établie définitivement. Le caractère variable et subjectif de la notion entraîne des discours et des conceptions également variables : relativisation du phénomène pour les observateurs extérieurs du milieu carcéral ou alerte sécuritaire pour les acteurs internes. Sous cet angle, la violence concentre l’attention des acteurs institutionnels et appelle des mesures sécuritaires plus robustes et toujours plus nombreuses. Mais, elle invite aussi à requestionner la fonction de la peine privative de liberté en démocratie et ses modalités d’exercice. En d’autres termes, en se consacrant aux violences en détention, les 6es journées internationales de la recherche en milieu pénitentiaire visent à penser et repenser la violence à partir de la fonction et des modalités de la peine en démocratie, ainsi que les pratiques et les dispositifs de gestion de la violence selon les cadres généraux qui les sous-tendent, les logiques qu’ils suivent et le sens qui les anime ou les constitue.
Ainsi, le choix d’interroger la violence sous l’angle politique, institutionnel et praxéologique permet non seulement de renverser les conceptions naturalistes et fatalistes de la violence en prison, mais ouvre sur des réflexions et des propositions innovantes qui rompent ou renouvellent les cadres de pensée et d’action dans la lutte contre les violences.
Axe 1 : privation de liberté et violence
Dans la superbe étude qu’elle a réalisée sur la violence carcérale, Antoinette Chauvenet précise que « La privation de liberté est elle-même une violence. » (Chauvenet et al. 2005). Cette affirmation est fondamentale car elle pose et expose la nature politique de notre rapport à la prison et nous laisse déjà entrevoir la nature socio-politique de notre rapport au criminel.
En effet, la peine, la punition est une mesure de justice imposée, par opposition aux mesures de probation qui sont « contractualisées », bien que sur le fond d’une menace de la prison. Dans ce sens déjà la peine est une violence dans la mesure où il s’agit bien de forcer quelqu’un à faire quelque chose contre sa volonté. Par ailleurs, cette punition est imposée au nom de la société. Aux Assises, elle l’est au nom du peuple français. Or, cette punition d’un individu, au nom de son appartenance à une communauté politique en tant que citoyen responsable, a pour conséquence une exclusion politique et physique du reste de la société (Chauvenet et al. 2005).
En ce sens, la peine moderne conserve toujours sa dimension classique originelle d’exclusion du corps politique d’une part, et de construction du détenu en figure d’altérité d’autre part :
- Exclusion car la peine consiste encore à enfermer les délinquants pour protéger la société – c’est à la fois une exclusion et une protection : protéger la société de la menace que représentent les délinquants en les enfermant, et ce même si la peine est, aujourd’hui, dotée de multiples fonctions : sanction (c’est-à-dire la punition), éducation (sous la formulation de « vie responsable » proche de l’ancienne formulation « d’amendement »), réinsertion, protection de la société, prise en compte de la victime. C’est donc une philosophie répressive en termes d’exclusion et de protection défensive qui fonde notre rapport sociopolitique au criminel, et en conséquence, les personnes détenues se voient doublement exclues de l’espace démocratique et de la liberté qui lui est associée. En cela, la peine de prison par exclusion est la première violence que constitue l’enfermement.
- Altérité car cette conception sécuritaire défensive crée des distances et des exclusions, interdit un espace commun et place la peur au cœur des relations sociales. Ainsi, cette conception exclusive et non inclusive de la sécurité s’appuie sur, tout autant qu’elle produit une représentation du détenu comme ennemi de l’intérieur qu’il faut neutraliser.
En conséquence, cette conception défensive et répressive de la sécurité ouvre la voie aux violences en prison, produisant ainsi les effets inverses de ceux escomptés. Dans ces perspectives sont principalement attendues des contributions susceptibles de mettre en discussion la violence à partir de la peine d’enfermement et de la notion de privation de liberté. Par exemple, des contributions pourront réinterroger les fonctions de la prison moderne à partir de l’impératif de neutralisation ou encore questionner les rapports socio-politiques au détenu dans la voie notamment tracée par Antoinette Chauvenet et son équipe.
Axe 2 : dispositifs et pratiques de gestion de la violence
Le deuxième axe s’intéresse quant à lui aux dispositifs et aux pratiques développés dans les détentions pour gérer la violence. Plus exactement, l’axe ambitionne de questionner les pratiques à partir des expériences concrètes et quotidiennes des acteurs pénitentiaires. Les contributions proposées dans cet axe pourront s’intéresser notamment aux normes (juridiques, culturelles, sociales) qui président à l’organisation des pratiques professionnelles et aux manières dont les acteurs s’y adaptent, se les approprient voire les refaçonnent. Par exemple, pour que les personnels de surveillance puissent convenablement accompagner les personnes qui leur sont confiées, ils doivent bénéficier d’une analyse approfondie des problèmes que rencontrent les justiciables, mais aussi ils doivent être informés des difficultés ou des points forts de la structure à laquelle ils appartiennent. Corrélativement, ces contributions pourraient interroger la participation de ces personnels aux instances officielles œuvrant au traitement des violences (Commission Pluridisciplinaire Unique, Commission de discipline ou d’application des peines, etc.) pour saisir le fonctionnement de l’institution sur ces questions : en quoi ces instances permettent-elles aux personnels de mieux comprendre les stratégies arrêtées par les directions des établissements pour lutter contre les violences ? Comment les acteurs adhérent-ils aux objectifs de ces mêmes stratégies ? On peut penser que cette compréhension est indispensable non seulement pour alimenter la motivation des personnels dans leur travail d’observation et de suivi, mais aussi pour les rendre davantage acteurs de l’évaluation des stratégies et des objectifs fixés par les directions, comme :
- Recenser les problèmes de l’établissement et les objectiver par le recueil de données propres à l’établissement ;
- Analyser les incidents et interpréter les conséquences sur la gestion des détenus, les pratiques professionnelles et la qualité de travail des personnels ;
- Établir les priorités et les objectifs en lien avec la prévention des violences ;
- Mettre en œuvre des modalités de traitement des violences ;
- Envisager les besoins des personnels en formation, réflexion indispensable pour concrétiser un plan d’action avec les différents professionnels.
D’autre part, c’est à partir de ce dernier point, celui de la formation, que des contributions sont également souhaitées. La formation des personnels lors de leur entrée dans l’administration pénitentiaire - et tout au long de leurs parcours professionnels - doit leur permettre d’appréhender efficacement les méthodes de travail permettant la prévention des violences. La formation initiale ou continue des personnels pénitentiaires pose la question de l’acquisition des compétences professionnelles nécessaires pour appréhender les relations interpersonnelles avec la population pénale. Il conviendrait d’en examiner le contenu et d’évaluer quelles sont les nouvelles compétences acquises ou étayées en lien avec la gestion des violences. Le repérage de certaines compétences et leur apprentissage doit faciliter l’exercice des fonctions dans les prisons où s’exercent différents régimes de modalités de privation de liberté en fonction des longueurs de la peine ou des profils des condamnés. Si nous prenons, par exemple, les contextes de formation des élèves surveillants en France, nous savons que les mises en situation demeurent insuffisantes pour leur permettre d’être formés aux techniques de désescalade lors de situations particulières avec des détenus. Ils n’ont pas nécessairement la possibilité de s’exercer à des techniques d’entretien ou de personnalisation des relations avec les détenus, permettant d’adapter des réponses aux situations et aux personnes. En revanche, ils sont mieux aguerris aux techniques physiques de maîtrise des personnes en situation de rébellion ou de passage à l’acte violent. Dans cette perspective, des contributions pourront interroger des outils professionnels qui abordent la prévention des violences ou qui traitent de leurs conséquences sans pour cela se situer uniquement sur le registre de procédures de sécurité active en vue du maintien de l’ordre sécuritaire. Précisément, nous pourrons nous demander ce que l’existence de pratiques professionnelles nouvelles, fondées sur la relation positive avec le détenu, apportent comme plus-value pour rechercher et comprendre les causes principales des violences ou des conflits (Belliard, 2021).
Axe 3 : enjeux, innovations et prospective
Autre constat : les violences, leur analyse, le diagnostic des causes et les réponses institutionnelles ainsi que celles qui proviennent des personnes détenues interrogent les représentations des uns et des autres, ou plus exactement des uns envers les autres. Par exemple, il est commun de remarquer que, tout autant les personnels pénitentiaires que les personnes détenues, sont pris en otage par des représentations négatives - et réciproques - qui affectent directement la nécessité de nouer des relations sociales mutuelles et sereines pour créer « la » relation de base pour la sécurité et la tranquillité des établissements. Presque toujours, le détenu incarne la figure de l’ennemi dont il faut se méfier plutôt que celle d’un interlocuteur valable qui a la maîtrise de son expérience. À partir de là, deux séries de questions se posent au regard du contexte carcéral :
- Comment accompagner les personnes dans une démarche de non-violence, tout en essayant de résoudre le paradoxe de vouloir les réinsérer en leur retirant leurs droits à l’expression, à la reconnaissance identitaire et à la vie autonome ?
- Comment valoriser le métier des acteurs de première ligne (principalement les surveillants de coursive ou encore les professionnels chargés de l’insertion et de la probation) dans leur face-à-face avec les justiciables tout en faisant en sorte que ces personnels puissent investir le temps, l’espace et les activités de ces personnes pour leur faciliter l’acceptation du sens des règles d’usage d’un espace commun ? De surcroît lorsque nous savons que la peine de privation de liberté constitue d’abord un ensemble d’entraves à la liberté de s’associer et de contraintes qui pèsent sur les relations sociales (Chauvenet, 2006).
Sont attendues ici des contributions qui pourraient présenter les pratiques ou les projets de politiques pénitentiaires innovantes centrées sur la transformation des rapports sociaux entre professionnels pénitentiaires et personnes condamnées. En effet, dans une démarche prospective, c’est-à-dire qui s’intéresse à l’évolution future des pratiques, il serait pertinent d’interroger les possibilités de transformation réelles des rapports sociaux en détention à l’aune de leur plus ou moins forte proximité avec le cercle des pratiques instituées. Des évaluations récentes des politiques publiques indiquent que la transformation sociale, comme moteur de l’engagement des individus, est rendue d’autant plus possible qu’elle s’éloigne du cercle des pratiques habituellement instituées (Teruel, 2021). Ce résultat singulier invite à tout le moins à sortir des cadres de réflexions habituels pour questionner plus largement le rapport des individus aux institutions contemporaines, quelles qu’elles soient (Le Blanc, 2022). Cette analyse rompt ainsi avec une vision figée des institutions au profit de la prise en compte de changements profonds affectant le système symbolique de celles-ci (Dubet, 2002) et de ses formes d’autorité (plus de normes claires, des perspectives professionnelles et sociales incertaines, l’impression d’exercer des métiers de plus en plus difficiles, voire dangereux, etc.). Pour l’institution carcérale, l’enjeu est ici de trouver (d’inventer ?) un nouveau langage, un autre vocabulaire, des pratiques « dynamiques », essentiellement en phases avec les enjeux actuels portés, par exemple, par la figure du « surveillant-acteur ».
En miroir à cela, pourquoi ne pas imaginer, également, mettre l’accent sur l’accompagnement de la personne détenue vers des formes d’émancipation et d’actions conflictuelles en prenant acte que l’individu n’est jamais totalement « déterminé ». Dans cette conception singulière du sujet, ici les catégories d’expériences sont diverses, éclatées, hétérogènes, et l’individu demeure imprévisible. Dans ces conditions, le « surveillant-acteur » constitue une belle opportunité pour conduire le propos vers une économie de la singularité et du possible, contre une économie de la régularité et du probable. Le surveillant-acteur, vecteur de socialité par la contemporanéité des conflits qui la qualifient ? On peut imaginer d’en dire la raison, et aussi d’en expliciter la nécessité à partir d’un partage d’expériences nationales et internationales.
Modalités de soumission des propositions
Les intitulés d’interventions (en français ou en anglais), les résumés (en français ou en anglais, 2000 signes maximum espaces compris) et les mots-clés (en français ou en anglais) doivent être envoyés aux adresses suivantes :
- guillaume.brie@justice.fr
- cecile.rambourg@justice.fr
avant le 1er septembre 2022.
Comité Scientifique
- Guillaume BRIE, sociologue, enseignant-chercheur et responsable du Cirap.
- Nicolas DERASSE, maître de conférences en histoire du droit à l’Université de Lille.
- Aurélie FILLOD -CHABAUD, sociologue, adjointe au chef de bureau laboratoire de recherche et d’innovation de la DAP, Ministère de la Justice.
- Michel FLAUDER, DPIP, chef du département probation et criminologie (Énap).
- Jean-Charles FROMENT, professeur des universités agrégé de droit public, chargé de mission/conseiller à la Direction de l’Administration pénitentiaire.
- Astrid HIRSCHELMANN, professeur des universités en psychologie clinique et pathologique à l’Université de Caen.
- Christophe LERAT, directeur adjoint de la recherche et de l’innovation pédagogique à l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
- Jean-Philippe MAYOL, directeur-adjoint de l’Énap.
- Paul MBANZOULOU, HDR, directeur de la recherche, de la documentation et des relations internationales (Énap).
- Cécile RAMBOURG, sociologue, enseignante-chercheure au Cirap.
- Marion WAGNER, chargée d’études en droit au Laboratoire de recherche et d’innovation de la Direction de l’Administration pénitentiaire.
Références bibliographiques
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Paul Mbanzoulou, Hélène Basex, Olivier Razac, Josefina Alvarez (dir.), Les nouvelles figures de la dangerosité, Paris, Harmattan, 2012.
Dan Kaminski, Michel Kokoreff (dir.), Sociologie pénale : système et expérience, Toulouse, Érès, 2004.
Boris Teruel, En gage de jeunesse. Pratiques d’engagement des jeunes en dehors des cadres institués, Étude et sociologie visuelle, Mouguerre, LMDG Éditions, 2021.
Alain Touraine, Nous, sujets humains, Paris, Seuil, 2015.
Michel Wieviorka, La violence, Paris, Balland, 2004.
Subjects
- Modern (Main category)
- Mind and language > Thought > Philosophy
- Mind and language > Psyche > Psychology
- Society > Ethnology, anthropology > Political anthropology
- Society > Political studies
- Society > Law
- Society > Sociology > Criminology
Places
- ENAP (Ecole nationale d'administration pénitentiaire) - 440 avenue Michel Serres
Agen, France (47916)
Event attendance modalities
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Thursday, September 01, 2022
Attached files
Keywords
- violence, détention, peine, pratique professionnelle, relation sociale, sécurité, sûreté, surveillant
Contact(s)
- Guillaume Brie
courriel : guillaume [dot] brie [at] justice [dot] fr - Cécile Rambourg
courriel : cecile [dot] rambourg [at] justice [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Guillaume Brie
courriel : guillaume [dot] brie [at] justice [dot] fr
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To cite this announcement
« La violence en prison », Call for papers, Calenda, Published on Monday, July 04, 2022, https://doi.org/10.58079/197e