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Mnémotechniques

Cahiers François Viète – volume III.17 (parution novembre 2024)

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Publié le vendredi 15 juillet 2022

Résumé

La nécessité de cultiver la mémoire individuelle a suscité de longue date des méthodes et des « écologies cognitives » particulières, des mnémotechniques visant à faciliter le stockage et la récupération des informations. Depuis l’Antiquité grecque, des « arts de la mémoire » de traditions diverses ambitionnent de l’affermir par le seul travail de l’esprit. Ces techniques intellectuelles ne sont pas les seules à prendre en charge la mémoire. La médecine constitue une autre voie pour remédier à ses insuffisances. Materia medica ou régimes de santé, dès le Moyen Âge, offrent de soigner les mémoires faibles. Ce volume thématique souhaite étudier ces mnémotechniques entre deux pôles, l’un pédagogique et intellectuel, l’autre médical et anatomique, sur un temps long – du Moyen Âge aux Lumières – et en privilégiant le cadre de l’Occident chrétien (sans exclusive toutefois, le comparatisme pouvant se révéler fructueux ici).

Annonce

Argumentaire

La nécessité de cultiver la mémoire individuelle a suscité de longue date des méthodes et des « écologies cognitives » particulières[1], des mnémotechniques visant à faciliter le stockage et la récupération des informations. Depuis l’Antiquité grecque, des « arts de la mémoire » de traditions diverses ambitionnent de l’affermir par le seul travail de l’esprit. En Occident, la plus connue de ces traditions et la plus vivace pendant la première modernité est celle de la mémoire locale, à laquelle une abondante bibliographie a déjà été consacrée et qui se mâtine à la Renaissance de teintes occultistes ou magiques. De nombreux textes, manuscrits puis imprimés, simples fragments ou volumes complets, ont remis au goût du jour et prolongé cet art à la fin du XVe siècle et au XVIe siècle. Si la bibliographie sur ces arts de la mémoire est abondante depuis les travaux pionniers de F.A. Yates et P. Rossi[2], elle ne croise que ponctuellement l’étude des pratiques. L’étude fondatrice de Yates, en effet, est d’abord un monumental travail d’histoire intellectuelle, mais accorde finalement peu d’attention aux usages, aux usagers, et aux lieux de déploiement des constructions théoriques qu’elle aborde. Or, ces arts de la mémoire avaient bel et bien vocation à irriguer la pratique et à perfectionner les mémoires labiles. Ils constituent un ensemble de techniques – « actes traditionnels efficaces » pour reprendre la fameuse définition de Marcel Mauss – dont on oublie parfois qu’elles ont été mises en œuvre[3].

Ces techniques intellectuelles ne sont pas les seules à prendre en charge la mémoire. La médecine constitue une autre voie pour remédier à ses insuffisances. Materia medica ou régimes de santé, dès le Moyen Âge, offrent de soigner les mémoires faibles. Si les techniques de la mémoire, enfin, sont des techniques du corps, ce n’est pas uniquement par le truchement de la médecine et du soin. Comme une historiographie récente le répète volontiers, toute pratique intellectuelle implique en même temps « les mains de l’intellect » et la mobilisation du corps[4]. C’est singulièrement vrai des méthodes de mémorisation. Elles peuvent faire appel à des gestes ou des postures : l’anneau changé de doigt, déjà mentionné par Quintilien, ou le balancement du corps préconisé lors de l’étude du Talmud[5]. Elles peuvent encore mobiliser des parties du corps, comme les phalanges, tellement utiles pour les calculs dans les systèmes duodécimaux. La main dans son ensemble peut servir de support à l’apprentissage de la musique (la « main guidonienne ») et constituera pour l’auteur du xviie siècle Girolamo Marafioti un ensemble tout trouvé de lieux de mémoire. Le joueur de luth, qui selon Descartes possède « en ses mains » une partie de sa mémoire est encore une autre illustration de cette articulation[6]. Les bibliothèques et la spatialisation concrète du savoir qu’elles impliquent – se rappeler un texte, c’est commencer par se rappeler où il est stocké, sur quelle étagère – constituent une autre facette de la matérialité des mnémotechniques[7]. Celles-ci sont donc tout à la fois matérielles, corporelles et intellectuelles et les discours sur la mémoire embrassent souvent ces trois dimensions.

Ce volume thématique souhaite étudier ces mnémotechniques entre deux pôles, l’un pédagogique et intellectuel, l’autre médical et anatomique, sur un temps long – du Moyen Âge aux Lumières – et en privilégiant le cadre de l’Occident chrétien (sans exclusive toutefois, le comparatisme pouvant se révéler fructueux ici). Seront particulièrement considérées les études de cas originales et les contributions s’inscrivant dans l’un des axes suivants.

La place de la mémoire dans les anciennes pédagogies

L’éducation, de façon surprenante, est largement restée en marge de l’historiographie des arts de la mémoire, assise d’abord sur des sources imprimées et érudites[8]. L’univers scolaire, notamment, est pourtant un ensemble d’institutions saturées de pratiques, de dispositifs et de jugements concernant la mémoire, en général peu amènes à son égard. L’apprentissage mécanique est une cible récurrente des auteurs sur l’éducation en Europe, depuis Érasme moquant le temps où l’on « apprenait par cœur Florista et Floretus » jusqu’à certains praticiens actuels des « neurosciences éducatives », en passant par les critiques françaises à l’égard du « psittacisme » et du bachotage au tournant du XIXe et du XXe siècles[9]. A l’époque moderne, alors qu’elle est remise en cause par les pédagogues humanistes, par le ramisme, par le plan des études jésuite, plus tard par les adeptes de Comenius, la mémorisation irréfléchie doit céder la place, pour ses adversaires, à la recherche d’une mémoire souple et vivante. Une attention particulière sera portée à toutes les contributions envisageant la place de la mémoire dans les textes normatifs (règlements), les pratiques (exercices scolaires, environnement matériel, routines d’apprentissage) ou dans les théories pédagogiques.

Les techniques médicales et corporelles de la mémoire

Tout au long du Moyen Âge et à l’époque moderne, les remèdes à la mémoire faible, pour divers qu’ils soient, s’appuient pour l’essentiel sur le cadre hippocratico-galénique et une approche localisationniste des facultés. Les travaux sur les arts de la mémoire n’évoquent souvent qu’en passant ces savoirs. On les trouve plus développés dans les ouvrages portant sur l’histoire des sciences du cerveau[10] ou dans les travaux d’histoire de la philosophie s’attachant aux rapports corps/esprit et à la « neurophilosophie » de l’âge classique[11]. Le panorama est encore lacunaire et pourrait être complété en portant notamment l’attention sur ce qui relève des savoirs populaires, de la littérature des recettes et des remèdes[12].

Les techniques de la mémoire entre éducation et nature

Dans le cadre du déterminisme partiel de la médecine humorale, la force relative des facultés était conçue comme un effet du tempérament et constituait une « nature » contre laquelle il était difficile – et peu souhaitable – de lutter[13]. L’univers scolaire, lieu de perfectibilité de l’individu, devait donc s’accommoder de discours naturalisants. Ce paradoxe est pris en charge par des théories physiologiques (qui sont davantage que de simples métaphores), comme celles de la mollesse du cerveau, des traces, des vestiges ou du pli, qui décrivent une mémoire naturelle façonnée par le travail. Comment les discours médicaux ou anatomiques– eux-mêmes soumis au cours de la période moderne à d’importantes inflexions notamment sous l’influence du mécanisme[14] – marquent-ils l’approche scolaire de la mémoire ? Sur quelles « neurophilosophies[15] », les théories et pratiques pédagogiques nouvelles (le ramisme, le pansophisme de Comenius, le rousseauisme entre autres) étaient-elles fondées ? Quelle place ces théories pédagogiques laissaient-elles aux techniques corporelles et aux techniques médicales ? Les divers renouveaux éducatifs de l’époque moderne sont de fait contemporains de transformations dans l’approche du cerveau et de l’ancrage corporel des facultés de l’âme. Toutes les propositions travaillant cette articulation, à partir d’études de cas, seront particulièrement appréciées.

Notes

[1] TRIBBLE Evelyn et KEENE Nicholas, Cognitive Ecologies and the History of Remembering: Religion, Education and Memory in Early Modern England, Basingstoke, Palgrave/MacMillan, 2011 ; SMALL Jocelyn Penny, Wax Tablets of the Mind. Cognitive Studies of Memory and Literacy in Classical Antiquity, New York, Routledge, 1997.

[2] YATES Frances Amelia, L’art de la mémoire, Paris, Gallimard, 1975 ; CARRUTHERS Mary, Le livre de la mémoire. Une étude de la mémoire dans la culture médiévale, Paris, Macula, 2002 ; ROSSI Paolo, Clavis universalis - Arts de la mémoire, logique combinatoire et langue universelle de Lulle à Leibniz, Lyon, J. Millon, 1993 ; BOLZONI Lina, La chambre de la mémoire. Modèles littéraires et iconographiques à l’âge de l’imprimerie, Genève, Droz, 2005. L’approche des mnémotechniques est aujourd’hui également envisagée sous l’angle de la gestion de l’information. Voir par exemple CEVOLINI Alberto (dir.), Forgetting Machines: Knowledge Management Evolution in Early Modern Europe, Leyde, Brill, 2016.

[3] MAUSS Marcel, « les techniques du corps », Journal de psychologie, XXXII, 3-4, mars-avril 1936.

[4] JACOB Christian, Lieux de savoir 2. Les mains de l'intellect, Paris, Albin Michel, 2011 ; WAQUET Françoise, L'Ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent. xvie-xxie siècle, Paris, CNRS Editions, 2015.

[5] JOUSSE Marcel, L’anthropologie du geste, Paris, Gallimard, 1974 [rééd. 2008] ; JOUSSE Marcel, La manducation de la parole, Paris, Gallimard, 1975.

[6] KIEFT Xavier, « Mémoire corporelle, mémoire intellectuelle et unité de l'individu selon Descartes », Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 104, n°4, 2006. pp. 762-786.

[7] JACOB Christian, « Rassembler la mémoire. Réflexions sur l'histoire des bibliothèques », Diogène, 2001/4 (n°196), p. 53-76.

[8] Une exception notable : ROY Bruno et ZUMTHOR Paul, Jeux de mémoire. Aspects de la mnémotechnie médiévale, Paris, Vrin, 1985.

[9] MARGOLIN Jean-Claude, « Érasme et Mnémosyne », in Recherches érasmiennes, Genève, Droz, 1969, pp. 70-84 ; HERY Evelyne, Un siècle de leçons d'histoire: L'histoire enseignée au lycée, 1870-1970, Rennes, PUR, 1999.

[10] SMITH C.U.M., FRIXIONE Eugenio, FINGER Stanley et CLOWER William, The Animal Spirit Doctrine and the Origins of Neurophysiology, Oxford, Oxford University Press, 2012 ; MARTENSEN Robert L., The Brain takes Shape. An Early History, Oxford, OUP, 2004 ; CATANI Marco, SANDRONE Stefano, Brain Renaissance, from Vesalius to Modern Neuroscience, Oxford, OUP, 2015.

[11] SUTTON John, Philosophy and Memory Traces. Descartes to connectionism. Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

[12] EAMON William, Science and the Secrets of Nature. Books of Secrets in Medieval and Early Modern Culture, Princeton, Princeton University Press, 1994.

[13] RUELLET Aurélien, « Soigner la mauvaise mémoire à l’époque moderne », Histoire, médecine et santé [En ligne], 18 | hiver 2020, mis en ligne le 11 novembre 2021, URL : http://journals.openedition.org/hms/3443 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hms.3443

[14] ANDRAULT, Raphaëlle, La raison des corps. Mécanisme et sciences médicales (1664-1720), Paris, Vrin, Problèmes de la raison, 2016.

[15] SUTTON John, Philosophy and Memory Traces. Descartes to connectionism. Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

Conditions de soumission

Les contributions pourront être proposées en français ou en anglais. Le recueil des contributions se déroulera en trois temps :

  • Avant le 30 septembre 2022 : envoi au coordinateur du volume (aurelien.ruellet@univ-lemans.fr) d’un document d’intention

    Ce texte (.doc ou .odt) expliquera en 5 000 signes (espaces compris) le contenu de l’article en se référant aux termes et aux axes de l’appel à contribution. Il permettra une pré-sélection des articles Les auteur·e·s seront informé·e·s de la recevabilité de leur proposition courant novembre 2022.
  • Mai 2023 : envoi par les auteur.e.s des articles dont les propositions ont été acceptées (entre 30 000 et 50 000 caractères, espaces compris, liste de références non comprise). Les articles seront soumis à relecture et expertise par deux rapporteur·e·s selon la procédure en double aveugle de la revue. Il est demandé aux auteur⋅e⋅s de prendre connaissance de la charte de publication des Cahiers François Viète et de suivre les consignes éditoriales de la revue
  • Juin 2024 : remise des articles finalisés après la phase d’expertise et les échanges avec les rapporteur.e.s. Publication en ligne et papier en novembre 2024.

Conditions d'évaluation

Le coordinateur scientifique, avec deux référents du comité de rédaction, procéderont à une première étude des propositions de contribution. Les propositions retenus seront ensuite soumises à une expertise en double aveugle.

Coordinateur scientifique

  • Aurélien Ruellet, maître de conférences en histoire moderne à Le Mans Université

Dates

  • vendredi 30 septembre 2022

Mots-clés

  • mnémotechnique, éducation, bachotage, apprentissage, savoirs scolaires, comenius, huarte, mémoire, pédagogie, enseignement, médecine

Contacts

  • Aurélien Ruellet
    courriel : aurelien [dot] ruellet [at] univ-lemans [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Aurélien Ruellet
    courriel : aurelien [dot] ruellet [at] univ-lemans [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Mnémotechniques », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 15 juillet 2022, https://doi.org/10.58079/1995

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