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Les méchant·es contre-attaquent

Les personnages de méchant·es dans les littératures francophones et postcoloniales

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Publié le lundi 01 août 2022

Résumé

Quoi de commun entre un meurtrier en cavale, Karaba la sorcière, un dictateur sans scrupule, une mère infanticide, un terroriste et des ogres ? Incarnations de pulsions négatives, d’une violence hyperbolique, d’une marginalité sociale et morale, le méchant et la méchante parcourent les fictions littéraires, habitent les imaginaires et interrogent le rapport de l’être humain au mal. 

Annonce

Argumentaire

Quoi de commun entre un meurtrier en cavale, Karaba la sorcière, un dictateur sans scrupule, une mère infanticide, un terroriste et des ogres ? Incarnations de pulsions négatives, d’une violence hyperbolique, d’une marginalité sociale et morale, le méchant et la méchante parcourent les fictions littéraires, habitent les imaginaires et interrogent le rapport de l’être humain au mal. 

Empruntée à la réflexion sur la littérature de jeunesse et le conte, la catégorie des «méchant·es » permet de penser la relation entre la construction du personnage et l’éthique ainsi que d’interroger les valeurs du héros lorsqu’il est confronté à une figure-repoussoir. « Si les enfants ont besoin, pour trouver leur place dans un conte, de savoir qui sont les ‘‘bons’’ et les ‘‘méchants’’, indique Vincent Jouve, les lecteurs adultes cherchent à ‘‘situer’’ le plus vite possible les personnages d’un récit. [1]» Le critique souligne ainsi le rôle structurant du positionnement éthique des personnages fictifs.

Dans les littératures francophones et postcoloniales, le rôle éthique du personnage possède une force et un sens particuliers. En tant qu’elles interrogent les catastrophes passées, ces littératures se confrontent, en effet, aux formes de la violence, de la domination et du mal produites par l’Histoire : esclavage, colonisation, guerre, génocides, terrorisme… En mettant en scène des figures de méchant·es dans les œuvres, les écrivains et les écrivaines francophones cherchent à penser la question de la responsabilité à partir d’un réel où s’inscrit une histoire de dépossession et de destruction.

Cette dimension éthique est alors inséparable d’une perspective sociale et politique. En effet, les personnages de méchant·es peuvent être envisagés comme l’incarnation et le reflet des éléments qui dysfonctionnent dans la société. En ce sens, le conflit qui oppose le héros et le méchant offre au héros le moyen de s’affirmer dans ses valeurs positives et sa volonté individuelle mais permet également de rendre visibles des contre-valeurs, de mettre en lumière les travers qui existent dans la société, de montrer le poids de l’Histoire dans les échecs du présent. Les figures de méchant·es des littératures francophones livrent alors une représentation particulièrement efficace des maux et des troubles qui imprègnent une société et une époque. De la représentation du personnage de colon (Ferdinand Oyono) au tortionnaire (Wajdi Mouawad) en passant par les missionnaires (Mongo Beti) et les dictateurs (Henri Lopes, Sony Labou Tansi, Ahmadou Kourouma), les œuvres proposent une galerie de méchant·es particulièrement développée qui permet de montrer et de questionner la violence politique et historique, les mécanismes de la domination, la terreur qu’engendrent l’hybris et la soif de pouvoir. Envisagés de façon diachronique, les figures de méchant·es donnent alors la possibilité de saisir les évolutions de l’Histoire et invitent à interroger les transformations de la représentation du mal, du colon de l’époque coloniale au dirigeant corrompu de la période postcoloniale. 

Les enjeux que recoupent les personnages de méchant·es dans les fictions sont également à envisager du point de vue du genre (gender). S’il existe des méchantes, celles-ci semblent cependant moins nombreuses et leurs caractéristiques maléfiques restent tributaires d’un imaginaire qui peut paraître moins riche que pour les personnages masculins. Les méchantes se voient ainsi souvent attribuer certains rôles typiques comme celui de la mauvaise mère ou de la sorcière. Elles peuvent également apparaître comme des séductrices, qui jouent de leurs charmes pour exercer les pires cruautés, à la manière de la Guiablesse ou Diablesse dans l’imaginaire antillais. La fiction peut alors rendre compte de stéréotypes genrés mais aussi raciaux qui orientent les représentations des méchantes, notamment dans des situations coloniales ou postcoloniales. Dans le roman Moi, Tituba sorcière…., c’est le regard européen qui fait de Tituba, une esclave noire, la coupable idéale pour la communauté religieuse de Salem. Le personnage cesse d’être une méchante dès lors que le regard se trouve décentré.

La présence du méchant et de la méchante dans les fictions répond à une nécessité car elle permet d’identifier et de reconnaître l’existence de forces obscures dans la société et dans l’Histoire dont le héros finit par triompher. Cette fonction structurante est celle qui apparaît dans les contes, dans lesquels les personnages de méchant·es constituent les transpositions merveilleuses et imaginaires de figures historiques de la violence. Dans Des fleurs pour les héros d’Anthony Phelps, l’enfant Paula rencontre au carnaval des hommes déguisés en ogres, figures empruntées à l’imaginaire du conte, qui personnifient les tontons macoutes. La leçon du conte de « l’Homme sans odeur », dans Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwartz-Bart, est celle d’une résistance à l’esclavage. L’univers a priori naïf et enfantin du conte, avec ses personnages terrifiants et ses héros, permet alors de figurer, d’une façon détournée, les sources du mal dans le monde réel.

Dans le genre du roman policier, les personnages de méchant·es sont essentiels car ils sont indispensables au bon déroulement du récit qui vise à découvrir l’identité du méchant ou de la méchante. Il faut un·e criminel·le pour que naisse l’histoire du crime et que finisse l’histoire de l’enquête. Dans certains cas, le lecteur peut achever le livre sans avoir le fin mot de l’énigme. Il n’en reste pas moins que l’intrigue demeure tendue vers le dévoilement de l’identité de ce personnage, même s’il reste introuvable. Ainsi en est-il du roman inspiré de faits divers L’Homme au bâton d’Ernest Pépin, dans lequel le fonctionnaire Rigobert cherche en vain l’identité de l’individu responsable de crimes perpétrés contre des femmes dont les corps mutilés ont été retrouvés à Pointe-à-Pitre. Les écrivain·es jouent alors avec les attentes du genre, en déplaçant ou déconstruisant l’identification du personnage maléfique. Dans Anima de Wajdi Mouawad, le meurtrier initial, poursuivi par Wahhch Debch, est finalement une incarnation du mal moins essentielle que celle que finira par découvrir le héros. 

Le jeu sur les genres invite alors à repenser la relation entre l’éthique et l’esthétique puisque le personnage du méchant ou de la méchante n’est pas dénué d’ambiguïté. En même temps qu’il est moralement condamnable, ce personnage est souvent à même de susciter la fascination, celle que crée la figuration de l’impossible, de la transgression de la norme ou de l’intelligence au service du mal. Or cette fascination éthique est aussi une opportunité esthétique puisque les écrivains et les écrivaines ont, avec ce personnage, la liberté de raffiner la représentation du mal qui peut se décliner en une infinité de manières. De la peinture réaliste au portrait grotesque, les méchant·es apparaissent dans les œuvres de façon renouvelée grâce au travail du langage, des images, des registres. Dans de nombreuses fictions, les méchant·es sont alors doté·es d’une aura et d’un charisme tels que le personnage moralement positif finit par se retrouver au second plan. Dans Le Passé simple de Driss Chraïbi, la stature de l’inflexible Seigneur éclipse les maigres victoires du héros. La construction esthétique des méchant·es est ainsi la source d’un plaisir particulier pour le lecteur ou le spectateur.

Dénué de conscience morale, le personnage de méchant ou de méchante est ainsi une figure que les écrivains et les écrivaines nuancent et interrogent tant sur le plan éthique que sur le plan esthétique. Les méchant·es tendent alors à s’humaniser et à incarner une violence que la souffrance a créée. Le puissant chef de guerre Kiro Bizimungu dans Congo Inc. : le testament de Bismarck (In Koli Jean Bofane) est un survivant du génocide au Rwanda, la kamikaze de L’Attentat (Yasmina Khadra) apparaît, en définitive, comme une femme engagée dans la lutte du peuple palestinien tandis que les terroristes de Ciels (Wajdi Mouawad) représentent une jeunesse qui se révolte contre la violence reçue en héritage. Dépassant le manichéisme, les œuvres invitent alors à penser les trajectoires qui conduisent au devenir méchant.

Ce travail de nuance peut prendre la forme de la réécriture, comme le propose Aimé Césaire avec Une Tempête dans laquelle le personnage shakespearien de Caliban est représenté comme un esclave révolté. Dans d’autres œuvres, c’est la construction des points de vue qui figure la monstruosité ou qui permet de révéler l’humanité des méchant·es. Dans Petit pays de Gaël Faye, le choix du point de vue de l’enfant accentue la violence qui s’empare de la mère après qu’elle a découvert le massacre des siens. À l’inverse, dans Bleu nuit de Dima Abdallah, l’accès aux sentiments et aux pensées du personnage-narrateur vient moduler l’horreur de la révélation du meurtre. Comme l’affirme Vincent Jouve, « il n’y a pas toujours une coïncidence entre la positivité émotive […] et la positivité narrative » : un assassin peut devenir attachant, « quand bien même il défend des valeurs condamnées par le récit », parce que « le texte donne accès à son intériorité »[2].

On observe également que, dans certains textes, la figure du méchant ou de la méchante n’est pas individualisée mais se dilue dans un groupe. Il ne s’agit plus alors de présenter la méchanceté hyperbolique sous les traits d’un seul personnage singulier mais de l’associer à un système qui broie les individus : le système esclavagiste dans Moi, Tituba sorcière… (Maryse Condé), le système colonial dans Les Bouts de bois de Dieu (Ousmane Sembène), un groupe djihadiste dans Terre ceinte (Mohammed Mbougar Sarr), des clans qui se livrent une guerre de vengeance dans Le Serment des barbares (Boualem Sansal). 

S’interrogeant sur ce qui engendre les monstres, les écrivains et les écrivaines renouvellent la représentation du méchant et de la méchante. Ce faisant, l’identification du mal et la fonction structurante de la figure qui le symbolise se trouvent modifiées. Quand les victimes peuvent devenir des bourreaux et que les maux qui pèsent sur les individus sont le fait d’un système contre lequel il est impossible de lutter, il devient difficile de reconnaître où se trouve le mal. La possibilité d’une disparition de la figure de méchant·es invite alors à interroger les évolutions de ce personnage dans les œuvres francophones et postcoloniales et à examiner les enjeux sociaux, politiques et éthiques qu’il engage.

Axes suggérés

  • le personnage de méchant·e dans les genres : contes, récits, théâtre, roman policier, fable, cinéma…
  • la construction esthétique des  méchant·es : réalisme, satire, caricature… ; le rôle des points de vue ; les langages de méchant.e ; les ressorts narratifs ou théâtraux au service de la construction du personnage
  • les représentations associées au méchant et à la méchante : stéréotypes, images projetées et/ou déconstruites ; évolutions de ces représentations
  • enjeux éthiques et sociaux des personnages de méchant·es (immoralité / amoralité ?) et des images qu’ils véhiculent
  • les méchant·es et leur réception : du rejet à la séduction, investissement axiologique et émotif du lecteur
  • les méchant·es et le monde : référentialité et fictionnalité ; enjeux politiques du personnage de méchant·e

Modalités de soumission

Date-limite d’envoi des propositions de communication : 1er décembre 2022

Envoyer proposition de communication: titre (provisoire) et résumé. Joindre une présentation bio-bibliographique.

Longueur des propositions de communication : 300 mots au plus

Réponse : janvier 2022

Date de la journée d’étude : 17 juin 2023 - Sorbonne Université Paris. L’événement se tiendra en présentiel.

Durée des communications : 20 minutes

Adresse d’envoi : collectifjeuneschercheurs.cief@gmail.com 

Comité scientifique

Florian Alix, Elara Bertho, Romuald Fonkoua, Céline Gahungu, Mahaut Rabaté, Yolaine Parisot.

Comité d’organisation

Margot de la Chapelle, Marie Lecrosnier—Wittkowsky, Mahaut Rabaté.

Le Collectif des jeunes chercheurs du CIEF est une section du Centre International d'Etudes Francophones, à Sorbonne Université. Il est affilié au CELLF. Le collectif est composé de doctorants et jeunes chercheurs en littératures francophones. 

Notes

[1] Vincent Jouve, Poétique des valeurs, Paris, PUF, 2001, p. 10.

[2] Vincent Jouve, op. cit, p. 87.

Catégories

Lieux

  • Maison de la Recherche, rue Serpente
    Paris, France (75005)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • jeudi 01 décembre 2022

Mots-clés

  • littérature, méchant, francophonie, postcolonial studies, postcolonial

Contacts

  • Marie Lecrosnier--Wittkosky
    courriel : collectifjeuneschercheurs [dot] cief [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Marie Lecrosnier--Wittkowsky
    courriel : collectifjeuneschercheurs [dot] cief [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les méchant·es contre-attaquent », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 01 août 2022, https://doi.org/10.58079/19ch

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