AccueilTerre et humains : un monde en partage ?

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Terre et humains : un monde en partage ?

Numéro 20 de la revue « Mosaïque »

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Publié le mercredi 07 septembre 2022

Résumé

Ce vingtième numéro de la revue Mosaïque a pour but de s’inscrire dans le champ des humanités environnementales, en faisant appel à la jeune garde de la recherche en sciences humaines et sociales. Les contributions pourront porter sur tous types de territoires et d’échelles géographiques. Elles peuvent s’inscrire dans une discipline en particulier (histoire, littérature, philosophie, sociologie, etc.) ou être transdisciplinaires.

Annonce

Pour le numéro 20 de la revue Mosaïque

Argumentaire

« C’est l’observation de la Terre qui nous explique les événements de l’Histoire, et celle-ci nous ramène à son tour vers une étude plus approfondie de la planète, vers une solidarité plus consciente de notre individu, à la fois si petit et si grand, avec le vaste univers. » C’est par ces mots qu’Élisée Reclus conclut la préface du premier volume de L’homme et la Terre, publié de façon posthume en 1905. Plus d’un siècle plus tard, il peut sembler plus difficile d’envisager la relation entre la Terre et ses habitants sous l’angle de la solidarité. Le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité ou encore l’accroissement de la pollution auraient fait basculer la planète dans l’Anthropocène, l’époque dans laquelle les humains sont la principale force de changement du système-Terre. Après s’être lancés à corps perdu dans une quête de puissance infinie, les humains, croyant dominer la Terre, se trouveraient maintenant à sa merci.

Formulé en 2000 par le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugene Stoermer, le concept d’Anthropocène ne fait toujours pas consensus parmi les géologues, la principale communauté scientifique habilitée à écrire l’histoire de la Terre. Cela n’a pas empêché de nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales de le reprendre et de le travailler. D’après l’historien Dipesh Chakrabarty (2009) il marque « l’effondrement de la vieille distinction humaniste entre histoire naturelle et histoire humaine » : désormais, l’homme ferait autant la première que la seconde. Cette position est partagée par Bruno Latour (2015), pour qui le temps de l’Anthropocène est celui de la fusion entre ces deux histoires.

Malgré son apport indéniable aux travaux des chercheurs, le concept d’Anthropocène est controversé. Certains, comme les « éco-modernistes » du Breakthrough Institute, pensent que cette nouvelle époque peut représenter une opportunité « remarquable » : grâce à la science et à la technologie, nous pourrions enfin maîtriser totalement la nature. D’autres remettent au contraire en cause les discours prométhéens engendrés par le thème du « nouvel âge de l’humanité ». Les philosophes Virginie Maris (2018) et Frédéric Neyrat (2016) y voient une menace pour la « part sauvage » et « inconstructible » de la Terre : contre l’idée de « fusion » entre nature et histoire, ils prônent une « écologie de la séparation ». 

D’autres critiques s’ajoutent à celle-ci. Les historiens environnementalistes ont montré que, sous le vernis de la nouveauté conceptuelle, se cache en fait une idée ancienne, déjà formulée par Buffon en 1778 dans ses Époques de la nature (Fressoz, Locher, 2020). Les anthropologues rappellent pour leur part que l’usage du mot anthropos fait oublier, avec arrogance, « toutes les existences qui n’ont pour l’instant pas ou si peu participé au forçage du climat » (Glowczewski, Laurens, 2018). Ainsi, plutôt que l’anthropos indifférencié, des chercheurs en histoire, en géographie et en écologie humaine tiennent pour responsable le système capitaliste : le nom de la nouvelle époque devrait être « Capitalocène » (Moore, 2016 ; Malm, 2017). Quant aux écocritiques, ils remarquent que, loin d’être un vaisseau spatial que l’on pourrait manœuvrer à notre guise, la planète est co-constituée par une pluralité de puissances d’agir en interaction les unes avec les autres (Iovino et Oppermann, 2014).

La liste est longue des disciplines qui ont contribué à déconstruire le récit anthropocénique. Par ailleurs, les rapports entre la Terre et les humains ne se réduisent pas à une histoire d’impacts, de domination et de catastrophes. Si aujourd’hui l’idée que ces rapports peuvent être fondés sur la solidarité paraît moins évidente que du temps d’Élisée Reclus, elle est toujours d’actualité. Elle l’est d’autant plus qu’il est question de faire face à la double crise écologique et sociale (Larrère, 2017 ; Nixon, 2013). Il s’agit en effet de penser, outre les dégradations environnementales et leurs conséquences, la manière dont les humains peuvent habiter la Terre et cohabiter avec le vivant « au temps des catastrophes » (Stengers, 2013). Pour reprendre les termes de Donna Haraway (2016), comment « apprendre à vivre et à mourir sur une planète endommagée » ?

Cette dernière interrogation en a généré bien d’autres. Faut-il dépasser le dualisme nature/humains ou nature/culture ? Doit-on accorder une valeur intrinsèque à la nature (Routley, 1973), ou bien la perspective anthropocentrique reste-t-elle la plus rationnelle ? Peut-on envisager une voie intermédiaire qui lierait étroitement les intérêts humains à ceux du reste de la nature, en évitant toute « réduction anthropocentrique » (Jonas, 1991) ? Pour y répondre, des anthropologues ont souligné le caractère réducteur de l’anthropocentrisme, qui serait le propre du « naturalisme occidental » (Descola, 2005 ; Viveiros de Castro, 2021). D’autres visions du monde, d’autres « ontologies » ne placent pas l’humain sur le piédestal terrestre ; c’est le cas des « ontologies relationnelles » qui, au lieu d’opposer les humains et la Terre, considèrent que nous sommes tous « en relation continue avec l’ensemble du monde humain et non-humain » (Escobar, 2019). De même, en montrant que les humains sont enchevêtrés dans des réseaux multispécifiques, les spécialistes en écocritique affirment que « nous sommes des êtres perméables, en devenir, dépendants des autres à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières poreuses » (Alaimo, 2010).

Bref, les chercheurs ne se contentent pas d’analyser la réflexivité environnementale des sociétés, c’est-à-dire leurs manières de penser les conséquences de l’agir humain sur la nature (Bonneuil, Fressoz, 2016) : eux-mêmes, par leurs travaux, expriment une telle réflexivité. C’est d’ailleurs l’un des objectifs des humanités environnementales, qui « s’attachent à analyser la façon dont les problèmes environnementaux sont intimement liés aux pratiques sociales et culturelles comme à des questions de politique, de savoir, de sens, de valeur et d’éthique » (Blanc, Demeulenaere, Feuerhahn, 2017).

Du reste, au-delà de l’expression d’une réflexivité sur les problématiques écologiques, des auteurs s’engagent dans des nouveaux modes d’imagination collective. Donna Haraway (2016) et Isabelle Stengers (2013) introduisent à cette fin la notion de « fabulation spéculative » : au lieu de se contenter de récits descriptifs qui constatent l’état des choses, elles proposent de créer un nouveau cadre d’action en suscitant les possibles qui auraient pu être ou pourraient être. La notion de « fabulation spéculative » est éminemment politique : elle se présente comme une première résistance à la tentation de s’adapter à la crise sociale et environnementale, tentation qui peut nous empêcher de transformer nos modes de production ou de consommation. Il est donc ici question d’imaginer le monde autrement ou de concevoir des contre-mondes possibles, lesquels laissent place à une véritable cohabitation avec le vivant et un juste partage des ressources. La notion de monde se présente ainsi comme une représentation ou un « horizon », selon le mot de Husserl. Dans cette perspective, le monde peut correspondre à la Terre dans laquelle nous souhaitons vivre et que nous voulons léguer aux générations futures.

Ce vingtième numéro de la revue Mosaïque a pour but de s’inscrire dans le champ des humanités environnementales, en faisant appel à la jeune garde de la recherche en sciences humaines et sociales. Les contributions pourront porter sur tous types de territoires et d’échelles géographiques. Elles peuvent s’inscrire dans une discipline en particulier (histoire, littérature, philosophie, sociologie, etc.) ou être transdisciplinaires.

Les propositions doivent pouvoir s’intégrer dans un ou plusieurs des axes suivants.

  • Axe 1 : Les différentes façons d’habiter la Terre
  • Axe 2 : Les éthiques environnementales
  • Axe 3 : Les combats politiques et sociaux pour l’environnement
  • Axe 4 : Représentations de la Terre et imaginaires de l’Anthropocène

Modalités de soumission

Les propositions de contributions devront être envoyées à l’adresse suivante : mosaique.numero20@gmail.com

avant le 30 octobre 2022.

Elles ne devront pas excéder 500 mots et devront être accompagnées d’une courte biobibliographie (titre de la thèse, institution(s) de rattachement, directeur ou directrice de thèse, date de soutenance si la soutenance a eu lieu). La revue Mosaïque est une revue jeunes chercheurs et chercheuses : de fait, dans le cadre de cet appel à contributions, les propositions sont réservées aux doctorants, aux postdoctorants et jeunes docteurs sans poste universitaire pérenne.

Les articles rédigés ne devront pas dépasser 45 000 caractères espaces compris. Ils devront respecter les normes de présentation de la revue, disponibles sur le site de la revue.

Calendrier

  • Date limite d’envoi des propositions : 30 octobre 2022

  • Réponse aux auteurs et autrices : 21 novembre 2022
  • Envoi de l’article entièrement rédigé : 26 février 2023
  • Premier retour aux auteurs et autrices : début juin 2023
  • Publication du numéro de la revue : décembre 2023

Comité d’organisation du numéro

  • Samy Bounoua, doctorant en histoire environnementale, Ulille, IRHiS
  • Lucia Della Fontana, doctorante en langues et civilisations, Sorbonne université, ELCI
  • Blaise De Saint Phalle, doctorant en philosophie politique, Ulille, STL

Bibliographie

Alaimo Stacy, Bodily Natures : Science, Environment, and The Material Self,  Bloomington, Indiana University Press, 2010

Bonneuil Christophe, Fressoz Jean-Baptiste, L’événement Anthropocène. L’histoire, la Terre et nous, Paris, Le Seuil, 2016

Blanc Guillaume, Élise Demeulenaere, Wolf Feuerhahn (dir.), Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017

Chakrabarty Dipesh, « The Climate of History : Four Thesis », Critical Inquiry, vol. 35, nº 2, 2009

Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005

Escobar Arturo, Sentir-Penser avec la Terre. Une écologie au-delà de l’Occident, Paris, Le Seuil, 2019

Fressoz Jean-Baptiste, Locher Fabien, Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique, XVe – XXe siècles, Paris, Le Seuil, 2020

Glowczewski Barbara, Laurens Christophe, « Le conflit des existences à l’épreuve du climat », in Beau Rémy, Larrère Catherine (dir.), Penser l’Anthropocène, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2018

Haraway Donna, Staying with the Trouble. Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Press, 2016

Jonas Hans, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Les Éditions du Cerf, 1991

Iovino Serenella, Oppermann Serpil, Material Ecocriticism, Bloomington, Indiana University Press, 2014

Larrère Catherine, Les inégalités environnementales, Paris, PUF, 2017

Latour Bruno, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015

Malm Andreas, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017

Maris Virginie, La part sauvage du monde. Penser la nature dans l’Anthropocène, Paris, Le Seuil, 2018

Moore Gordon, Anthropocene or Capitalocene ? Nature, History and the Crisis of Capitalism, Oakland, PM Press, 2016

Neyrat Frédéric, La Part inconstructible de la Terre. Critique du géoconstructivisme, Paris, Le Seuil, 2016

Nixon Rob, Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Cambridge, Harvard University Press, 2013

Routley Richard, « Is There a Way for a New, an Environmental Ethic ? », Proceedings of the XVth World Congress of Philosophy, 1 : 205-2010, 1973

Stengers Isabelle, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2013

Viveiros de Castro Eduardo, Le regard du jaguar. Introduction au perspectivisme amérindien, Paris, Éditions la Tempête, 2021

Lieux

  • Lille, France (59)

Dates

  • dimanche 30 octobre 2022

Mots-clés

  • environnement, éthique, habiter la terre, politique environnementale, anthropocène

Contacts

  • Samy Bounoua
    courriel : mosaique [dot] numero20 [at] gmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Audran Aulanier
    courriel : revue [dot] mosaique [at] univ-lille [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Terre et humains : un monde en partage ? », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 07 septembre 2022, https://doi.org/10.58079/19g4

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