AccueilRé-imaginer l’espace par des trajectoires cartographiques

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Ré-imaginer l’espace par des trajectoires cartographiques

Méthodes, objets et concepts pour une éthique de l’imagination cartographique

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Publié le vendredi 23 septembre 2022

Résumé

Nous lançons cet appel à communication pour une journée d’étude autour des cartes dans le but de réflechir collectivement à la possibilité d’une éthique de l’imagination cartographique. L’hypothèse qu'il s’agirait de tester est la suivante : les cartes aident à repenser nos rapports à l'espace si nous nous y intéressons par le biais de la notion de mouvement. Ce sont donc vers des « trajectoires cartographiques » que nous aimerions porter notre attention, entendant par là aussi bien des cartes qui représentent des parcours, que des mouvements propres aux objets et aux activités cartographiques. 

Annonce

Date et lieu

Université de Bourgogne, Dijon, mercredi 25 janvier 2023, 9h-17h30.

Argumentaire scientifique

Les images cartographiques jouent un rôle dans la manière dont nous envisageons l’espace et dans la façon dont nous nous y insérons pour nouer des relations avec les autres. Elles sont donc porteuses d’une possibilité : nous aider à repenser nos rapports à l’espace s’ils sont délétères en renouvelant l’« imaginaire de l’espace » (Massey, 2005) qui s’en trouve appauvri. Par exemple, on peut attendre des cartes qu’elles interviennent dans « la crise de l’espace » entraînée par la catastrophe climatique, car « [l]e manque d’image et d’imaginaire communs est un obstacle majeur à la compréhension des rôles et des interactions dans les milieux saccagés », (Aït-Touati, Arènes et Grégoire, 2019). La production de nouvelles images cartographiques, conscientes de leur rôle, encourage le développement d’une attention à notre implication dans des espaces de vie, et à notre dépendance vis-à-vis des autres dans cette implication.

On peut alors espérer une éthique de l’imagination cartographique, puisque produire une image de l’espace, c’est proposer une manière de le partager, d’y vivre avec les autres ou au contraire les en exclure, rendre invisibles leurs trajectoires, leurs vécus, en somme la part qu’ils ont dans cet espace. Une carte propose un « partage du sensible » : en changeant d’imaginaire, elle peut ainsi rendre visibles d’autres façons de prendre part à l’espace (Rancière, 2000, cité par Meikjian, Moreau, 2016).

L’idée que cette journée aimerait tester et approfondir est qu’une éthique de l’imagination cartographique gagne à repenser les relations entre les cartes et l’espace par l’introduction d’un troisième terme : celui de mouvement.

1) Mouvement des images cartographiques d’une part, qui doivent cesser d’être

approchées comme des représentations « gelées » d’un territoire (Kitchin et Dodge, 2007 ; November, Camacho-Hübner, et Latour, 2010), pour en retrouver les dynamismes, en proposant une « hodographie » des images cartographiques, comme Bachelard l’appelait de ses vœux au sujet des images poétiques (Bachelard, 1943) : observer la manière dont elles circulent, non seulement comme « mobiles immuables » (Latour, 1985 ; Lammes, 2017), mais aussi comme des images qui naissent et se transforment par bribes, par esquisses successives, à partir d’une série indéfinie de gestes, de parcours et d’échanges. C’est ce qui permettrait de prendre en compte le caractère iconogène de nos interactions spatiales, et de comprendre la tendance « spatiogène » des cartes qui nous font agir, intervenir dans le monde au point d’en remodeler les espaces.

2)  Mouvement des êtres qui parcourent l’espace et par là-même le font apparaître et le façonnent, d’autre part

C’est là supposer qu’une mise en image des trajectoires plutôt que des territoires éviterait un positionnement hégémonique de la cartographie, comme ce qui impose un monde avec son découpage, son « codage » (Pickles, 2004) de ce qui y a droit de cité, et produit un espace tout en feignant de le révéler avec objectivité. Elle assumerait au contraire d’émaner d’une situation mouvante, fragile et éphémère, proposant un espace qui se donne par esquisses et jamais comme une totalité, et où des trajectoires autres sont susceptibles d’être rencontrées. Le modèle cartographique de référence serait ainsi moins celui de la « carte-grille », que celui de la « carte itinéraire » (Besse, 2013), dans laquelle « le parcours crée la carte » (Aït-Touati et al., op. cit.). Une cartographie qui se concentre sur les corps en itinérance, sur les êtres qui façonnent l’espace en même temps qu’ils s’y déplacent, peut abandonner une approche exclusivement représentationnelle de la relation carte/territoire, pour se rendre attentive aux fragments d’espaces expérimentés, pratiqués et modifiés par des agents spatiaux. En s’assumant comme morceau d’espace vécu et parcouru, enregistrement ou proposition d’une expérience spatiale circonscrite dans le temps, elle permet de s’entremêler à d’autres expériences de l’espace, d’autres manières de le regarder, de le produire et de s’y engager, ouvrant la voie à des gestes cartographiques multiples, à une création indéfinie d’images cartographiques dans la mesure où aucune ne peut prétendre « épuiser » l’espace (Lefebvre, 2000).

Si une réflexion sur la mise en mouvement des images cartographiques a déjà été entamée ces vingt dernières années, en épistémologie et en histoire de la cartographie (approches processuelle, pragmatique, performative de la cartographie), avec le développement d’une pensée post-représentationnelle sur les cartes (Kitchin, Gleeson et Dodge, 2013 ; Caquard, 2015 ; Segal et Vannieuwenhuyze, 2020), et un intérêt pour les opérations cartographiques qui ont lieu dans les coulisses ou en dehors des bureaux des cartographes (Laboulais, 2008 ; Besse, Tiberghien, 2017), son prolongement mérite d’accompagner plus étroitement un regain d’intérêt pour des cartes d’itinéraires (Morcrette, 2015, 2018) où les lignes labiles des trajets priment sur les surfaces lisses aux contours rigides, et pour toutes les cartographies où l’« on ne dessine pas “l’espace” », mais où l’« on y raconte comment on y a cheminé » (Olmedo, 2015) : des cartographies sensibles, in situ, qui traduisent aussi une volonté de redonner une visibilité à des itinérances et aux espaces d’ordinaires marginalisés auxquelles elles introduisent (Olmedo, 2021). C’est en se tournant aussi vers le croisement récent entre map studies et mobility studies, qui interroge notamment l’implication des images cartographiques dans les expériences migratoires et les discours sur les migrations, qu’on pourra tester l’intérêt de repenser les cartes à l’aune des mouvements qu’elles subissent, provoquent ou restituent (Bacon et al., 2016 ; Lo Presti, 2020a, 2020b ; Rossetto, 2021).

Axes de réflexion proposés

Cette proposition, pour s’épanouir, a besoin du concours de plusieurs champs disciplinaires : de l’épistémologie de la cartographie et de la géographie, de l’histoire de la cartographie et de la production cartographique contemporaine qu’elle soit scientifique, artistique, ou vernaculaire, de la philosophie des images ainsi que des recherches produites dans les champs plus larges des études visuelles et des études des mobilités.

Lors de cette journée d’études, les communications pourront proposer de réfléchir aux méthodes, aux objets ou aux concepts qu’engage cette approche des cartes par le biais du mouvement et dans la perspective d’une éthique de l’imagination cartographique.

1/ Pour ce qui est des méthodes, il sera possible de questionner aussi bien les manières de faire des cartes, que les façons de les étudier :

Concernant les méthodes de production cartographique, quels moyens graphiques, quels actes cartographiques sont proposés pour renouveler notre imaginaire de l’espace ? Comment produire des images cartographiques qui visibilisent des trajectoires vivantes et vécues d’ordinaire ignorées ?

Concernant les méthodes pour étudier les cartes, il serait pertinent d’interroger les vertus heuristiques d’une pensée du cartographique à partir de la notion de mouvement et de se demander comment cette vision « mobilitaire » peut s’articuler aux approches déjà existantes dans les études des cartes, où celles qu’elle permet de (ré)investir. L’idée de circulation des images cartographiques par exemple, tend à rapprocher l’étude des cartes des études visuelles. L’approche critique semble quant à elle une interlocutrice privilégiée, surtout si on veut prétendre, comme cette dernière, se positionner dans la perspective d’une éthique de l’imagination cartographique. Aussi, nombre d’auteurs ont déjà proposé de se défaire de la compréhension de la carte comme représentation pour la reconsidérer à l’aune de la notion de processus, de performance, d’opération, de matérialité. La vision mobilitaire semble prolonger cette orientation : que peut-elle en tirer, et que peut-elle y ajouter ?

2/ Une autre direction de réflexion possible concerne les objets que cette vision permet de révéler ou qu’elle gagnerait à étudier davantage, ainsi que les relations que les cartes mises en mouvement entretiennent avec d’autres formes et d’autres outils : de quels objets a priori non cartographiques se rapproche l’étude des cartes quand elle les examine par le biais du mouvement ? Les cartes itinéraires incitent par exemple à penser les liens entre cartes et récits (Morcrette, 2016) ; l’image-mouvement que devient la carte avec cette approche peut nous aiguiller vers un rapprochement des images cartographiques et des images cinématographiques (Castro, 2009).

Par ailleurs, quels objets géographiques mobiles ont été cartographiés ou sont susceptibles de l’être pour relancer l’étude des cartes dans la direction d’une éthique de l’imagination cartographique ? Quels savoirs géographiques trop souvent négligés ces cartes permettent-elles de faire émerger ?

3/ Ce sont enfin les concepts mobilisés par cette approche qu’il s’agirait plus généralement d’interroger. Notamment, si la notion de raison cartographique a largement été mobilisée, souvent pour être soumise à la critique et conduisant à une intellectualisation des cartes et à la fabrique du stéréotype de la carte comme adjuvant de la froide rationnalité instrumentale, celles d’imaginaire et d’imagination cartographiques restent moins interrogées, quoique les images qu’elles produisent et regroupent soient souvent explorées et contemplées. Que désignent-elles, quel statut leur accorder, ainsi qu’aux images qui leurs sont liées ? Faut-il en parler au pluriel, et de ce fait envisager une approche comparée des imaginaires cartographiques ? Peut-on rapprocher les imaginaires cartographiques des « régimes scopiques » dégagés dans les études visuelles ?

Pour lier cette réflexion à celle du mouvement, on pourra se demander si l’imagination cartographique est bien une « imagination dynamique » selon la formule bachelardienne, ou si l’étude de trajectoires cartographiques peut nous fournir un enseignement philosophique sur ce que cela signifie qu’être en mouvement, et nous aider à repenser nos rapports aux espaces qui nous environnent.

Des liens entre imagination et éthique ont été tissés par la philosophie morale et la philosophie du care (Pierron, 2015) et les géographes critiques ont pour beaucoup réinvesti la notion de l’imaginaire de l’espace que véhiculent les cartes (comme les travaux de Denis Cosgrove par exemple), invitant à le déconstruire tout autant qu’à le renouveler : on pourrait réfléchir à la façon dont les images cartographiques, approchées sous l’angle du mouvement, peuvent elle aussi contribuer à ce croisement et à ce renouvèlement, en particulier pour penser le rôle des cartes dans le partage de nos espaces de vie : comment des images cartographiques sont-elles susceptibles d’infléchir des comportements spatiaux soutenables, comment invitent-elle à prendre soin de nos environnement communs, lorsqu’elles se font attentives à des trajectoires ?

Modalités pratiques

Les propositions de communication, de 300 mots maximum, sont à envoyer à l’adresse suivante : zoe.pfister@u-bourgogne.fr

pour le 1er novembre au plus tard.

Comité d’organisation

  • Zoé Pfister, (doctorante en philosophie, LIR3S/PACTE, Université de Bourgogne/Université Grenoble Alpes),
  • Laura Péaud (Maîtresse de conférence en Géographie, PACTE, Université Grenoble-Alpes)
  • Jean-Philippe Pierron (Professeur de Philosophie, LIR3S, Université de Bourgogne).

Bibliographie

Aït-Touati, F., Arènes, A., et Grégoire, A., Terra Forma : Manuel de cartographies potentielles, Paris, Éditions B42, 2019.

Bachelard, G., L’air et les songes, Paris, Librairie José Corti, 1943.

Bacon, L., Clochard, O., Honoré, T., Lambert, N., Mekdjian, S., et Rekacewicz, P., « Cartographier les mouvements migratoires », Revue européenne des migrations internationales, vol. 32 - n°3 et 4, 2016, 

Besse, J.-M. (dir.), « Cartographies », Les Carnets du Paysage, Arles, Actes Sud, Versailles, ENSP, nº20, 2013.

Besse, J.-M., Tiberghien, G., Opérations cartographiques, Arles, Actes Sud, Marseille, Versailles, ENSP, 2017.

Caquard, S., « Cartography III: A post-representational perspective on cognitive cartography » Progress in Human Geography, 39 (2), p. 225-235.

Castro, T., « Cinema’s Mapping Impulse: Questioning Visual Culture », The Cartographic Journal, vol. 46, no 1, Taylor & Francis, 1er février 2009, p. 9-15.

Kitchin, R. and Dodge, M., « Rethinking Maps », Progress in Human Geography, 31 (3), pp.331–344, 2007.

Kitchin, R., Gleeson, J., Dodge, M., « Unfolding mapping practices: a new epistemology for cartography », Transactions of the Institute of British Geographers, vol. 38, n° 3, p. 480-496, 2013.

Laboulais, I., (dir.), Les usages des cartes (XVIIème-XIXème). Pour une approche pragmatique des productions cartographiques, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2008.

Lammes, S., « Digital mapping interfaces: From immutable mobiles to mutable images », New Media & Society, 19-7, En ligne, 2017, pp. 1009-1033, mis en ligne en juillet 2017, URL : http://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1461444815625920. 

Latour, B., « Les “vues” de l’esprit. Une introduction à l’anthropologie des sciences et des techniques », Culture technique, nº14, juin 1985.

Lefebvre, H., La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000 (19741).

Lo Presti, L., « Cartografie in movimento: circolazioni, rappresentazioni e navigazioni delle mappe nella transizione digitale », Gnosis: Rivista Italiana di Intelligence, 26 (1) pp.161–169, 2020a.

Lo Presti, L., « The Migrancies of Maps: Complicating the Critical Cartography and Migration Nexus in “Migro-Mobility” Thinking » Mobilities, 15 (6) pp.911–929, 2020b.

Massey, D., For Space, London, SAGE Publications, 2005.

Mekdjian, S., et Moreau, M., « Redessiner l’expérience : Art, sciences et conditions migratoires », antiAtlas Journal, [En ligne], 01-2016, mis en ligne le 13 avril 2016, URL : http://www.antiatlas-journal.net/01/re-dessiner-lexperience-art-science-et-conditions-migratoires, consulté le 20 juin 2021.

Morcrette, Q., « Questions terminologiques sur le sens à donner à la cartographie de l’itinéraire, France/Etats-Unis, 17ème-21ème siècles. », Terra Brasilis (Nova Série) [En ligne], 4 | 2015, mis en ligne le 12 février 2015.

Morcrette, Q., « L’espace récité de la carte d’itinéraire : exemples français et américains », Mappemonde, 118, [En ligne], 2016, mis en ligne en juillet 2016, URL : http://mappemonde.mgm.fr/118as5/, consulté le 27 janvier 2022.

Morcrette, Q., « Tracer la route, Les cartes d’itinéraire du papier à l’écran, usages et représentations : contribution pour une étude diachronique comparée (France/Etats-Unis) », thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2, 637 p., 2018.

November, V., Camacho-Hübner, E. and Latour, B., « Entering a Risky Territory: Space in the Age of Digital Navigation », Environment and Planning D: Society and Space 28 (4) pp.581–599, 2010.

Olmedo, É., « Cartographier l’expérience vécue par la rechercher création », Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbone, 2015.

Olmedo, É., « À la croisée de l’art et de la science : la cartographie sensible comme dispositif de recherche-création », in Mappemonde, [En ligne], nº130, 2021, mis en ligne le 15 mars 2021, consulté le 30 juin 2022, URL : http://journals.openedition.org/mappemonde/5346.

Pickles, J., A history of spaces: cartographic reason, mapping and the geo-coded world,  London, Routledge, 2004.

Pierron, J.-P., « Imaginer plus pour agir mieux. L’imagination en morale chez Carol Gilligan, Martha Nussbaum et Paul Ricoeur », Les ateliers de l'éthique / The Ethics Forum, 10-3, 2015, p. 101-121, URL : https://www.erudit.org/fr/revues/ateliers/2015-v10-n1-ateliers02685/1037653ar/.

Rancière, J., Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La fabrique, 2000.

Rossetto, T., « Not Just Navigation: Thinking About the Movements of Maps in the Mobility and Humanities Field »,  The Cartographic Journal, 2021.

Segal, J., et Vannieuwenhuyze, B., (ed.) Motion in maps, maps in motion: mapping stories and movement through time, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2020.

Lieux

  • Salle à venir - Esplanade Érasme, Dijon
    Dijon, France (21)

Format de l'événement

Événement hybride sur site et en ligne


Dates

  • mardi 01 novembre 2022

Mots-clés

  • cartographie, imaginaire, espace, mouvement, parcours

Contacts

  • Zoé Pfister
    courriel : zoe [dot] pfister [at] u-bourgogne [dot] fr

Source de l'information

  • Zoé Pfister
    courriel : zoe [dot] pfister [at] u-bourgogne [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Ré-imaginer l’espace par des trajectoires cartographiques », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 23 septembre 2022, https://doi.org/10.58079/19l2

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