AccueilLa Chine à portée de clics : la pratique des sciences sociales à distance
Publié le vendredi 30 septembre 2022
Résumé
Avec cette journée d’étude, et sur la base de travaux récents, nous souhaitons questionner l’ouverture de nouveaux horizons dans les études chinoises grâce à l’utilisation de l’Internet et des technologies de l’information et de la communication (TIC), et participer à l’établissement d’un référentiel méthodologique pour la recherche en ligne. Comment le travail à distance nous force-t-il à changer notre manière de pratiquer les sciences sociales, et quelles nouvelles dimensions ces changements donnent-ils aux études chinoises ?
Annonce
Présentation
Les deux dernières décennies ont vu apparaître un intérêt croissant du monde universitaire pour l’Internet, et plus largement pour le numérique en tant qu’outil méthodologique aussi bien qu’objet d’étude. Les départements de sciences de la communication et des médias en particulier ont étendu leur champ de recherche à l’étude de la numérisation des communications. En outre, les outils du numérique et l’Internet sont de plus en plus fréquemment utilisés en sciences humaines et sociales (SHS) pour collecter, identifier, classifier, tester, analyser et visualiser la recherche.
Avec presque 989 millions d’internautes, la Chine possède aujourd’hui la plus importante communauté en ligne du monde (Statista 2021), ce qui justifie la production croissante de recherches sur la manière dont l’Internet influence ou non la société chinoise. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, l’Internet est perçu comme un instrument de démocratisation, permettant aux voix alternatives de s’exprimer dans un nouvel espace et donnant accès au monde extérieur (Yang 2003, 2011). Cependant, dans les années 2010, les universitaires et activistes arrivent rapidement à la conclusion que l’Internet peut également représenter un instrument de répression pour le gouvernement, et servir sa politique de contrôle de la population et de la société chinoise (Creemers 2015).
Nous voulons dépasser cette dichotomie, et penser l’Internet comme un outil efficace et puissant pour étudier la société et l’Etat chinois. Certain·e·s chercheur·se·s ont déjà commencé à se pencher sur les pratiques en ligne, au‑delà de l’activisme politique et de la répression, et explorent comment l’Internet transforme les pratiques religieuses (Palmer2004 ; Campbell and Xu 2018 ; Travagnin 2019), économiques (Yu 2017 ; Loubere 2017), médicales (Huang 2017), et le mode de vie (Woronov 2016) des chinois·e·s. Alors que les réseaux sociaux continuent à se développer, d’autres cherchent également à étudier leur habilité à créer de nouveaux espaces de construction communautaire (Huang 2016 ; Tu 2016), d’échanges commerciaux dans des zones isolées (Wang and Sandner 2019), et d’entretien d’interactions sociales (Meng 2020).
Dans le domaine des études chinoises, l’utilisation actuelle de l’Internet et des outils du numérique pour dialoguer avec la Chine rappelle une période où les chercheur·se·s étranger·ère·s ne pouvaient entrer dans le pays et dépendaient par conséquent de sources indirectes comme le « Foreign Broadcast Information Service » (FBIS) pour recueillir des informations (Stockmann 2010). L’une des autres alternatives adoptées était de mener des recherches de terrain à Taiwan et à Hong‑Kong – une option qui reste valable à l’époque contemporaine. Après l’ouverture de la Chine dans les années 1990, le travail de terrain, et la collecte de données ethnographiques et sur archives ont repris (Heimer and Thøgersen 2006 ;Guiheux 2009 ; Salgues 2009 ; Baptandier 2010), mais l’Internet et ses nombreux dérivés sont entre-temps devenus des éléments essentiels de la boîte à outils des chercheur·se·s en études chinoises. Cette situation a notamment donné lieu à l’émergence d’un terme transdisciplinaire spécifique, celui d’« humanités numériques », à l’intersection des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et des sciences humaines. L’objectif des humanités numériques est aujourd’hui d’étudier l’impact des nouvelles technologies, ainsi que de fournir de nouvelles méthodes et perspectives pour la recherche en sciences sociales (Schreibman, Siemens, and Unsworth 2004 ; Dacos 2011 ; Darbellay 2012).
En 2011, le premier centre consacré aux humanités numériques a vu le jour en Chine, établi par l’Université de Wuhan1. Aux Etats-Unis, les initiatives notables dans ce domaine, appliquées aux études chinoises, comprennent la « China Biographical Database » (CBDB) mise en ligne en 2016 par l’Université de Harvard, le projet « Digital China » lancé la même année par le Centre Fairbank pour les études chinoises, la « Classical Historiography forChinese History » de l’Université de Princeton, ou encore la « Chinese Text Project Application Programming Interface » (CTP API) créée par Donald Sturgeon. En France, on peut notamment relever deux initiatives dans ce domaine, la « Modern China Biographical Database » issue du projet « Elites, Networks and Power in Modern China » (ENP China)6, et la Bibliothèque numérique asiatique (BnAsie) développée par l’IrAsia, toutes deux basées à Aix-Marseille Université.
Toutefois, la transdiscipline émergente des humanités numériques semble actuellement réunir des initiatives qui s’inscrivent en majorité dans les champs de la linguistique, de la littérature, et de l’histoire, et qui ne se penchent que peu sur le contexte spécifique de la Chine. Cette journée d’étude cherche alors à combler ce que nous considérons comme une lacune, en mettant en lumière des recherches innovantes qui mêlent les études chinoises et la pratique des sciences sociales à distance. Cette démarche a d’autant plus de sens que l’accès au terrain est une fois de plus remis en question, à cause de la crise sanitaire mondiale d’une part, mais également pour des raisons d’instabilité politique (Wong 2021). D’autre part, nous avons le sentiment qu’indépendamment de l’établissement d’une liste d’outils numériques, il y a un vrai besoin dans le monde universitaire d’amorcer une discussion internationale autour des questions méthodologiques et éthiques qui peuvent découler du transfert des sciences sociales en ligne, en particulier dans le cas de la Chine (Helland 2005 ; Carlson and Duan 2010, Stockmann 2010). Il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de partager les méthodes, ressources, connaissances permettant l’accès aux données sur la Chine, et de réinventer notre manière de mener des recherches empiriques afin de sortir des situations de « bricolage » dans lesquelles nous nous trouvons souvent. Enfin, nous souhaitons avec cette journée d’étude dépasser la dichotomie qui ne permet d’appréhender l’Internet que comme un outil de démocratisation ou de répression. Nous proposons de l’envisager comme un lieu virtuel où pratiquer les sciences sociales, où observer la Chine en temps-réel, afin de saisir les modes d’expression de la société et de l’État chinois dans toute leur complexité. Il nous faut en effet commencer à penser l’Internet comme un « troisième espace » (Hoover and Echchaibi, 2012) ni complètement public, ni complètement privé, propice à la recherche, utilisé par de nombreux·ses acteur·rice·s dans et hors du domaine universitaire, mais dans lequel il serait également légitime d’interagir avec son terrain, d’échanger entre chercheur·se·s, de collecter les données, de produire du contenu, etc.
Avec cette journée d’étude, et sur la base de travaux récents, nous souhaitons questionner l’ouverture de nouveaux horizons dans les études chinoises grâce à l’utilisation de l’Internet et des TIC, et participer à l’établissement d’un référentiel méthodologique pour la recherche en ligne. Comment le travail à distance nous force-t-il à changer notre manière de pratiquer les sciences sociales, et quelles nouvelles dimensions ces changements donnent-ils aux études chinoises ? Comment établir des relations fécondes avec les chercheur·se·s chinois·e·s sur place, et comment accéder à la connaissance que la Chine produit sur elle-même depuis des siècles (Baptandier 2010 ; Dirlik 2011) ? Plutôt que d’étudier l’impact de l’Internet sur la société chinoise, nous voulons aborder la question plus prosaïque de ce que les chercheur·se·s peuvent retirer de cette présence en ligne, et de la manière concrète d’en dégager les informations pertinentes, de naviguer dans cet espace virtuel, de résoudre les problèmes éthiques qui peuvent se présenter, etc. Nous espérons contribuer au développement d’une attitude réflexive et critique sur les outils et méthodes de recherche en ligne employés aujourd’hui dans le monde universitaire, tout en pensant l’Internet comme un nouvel espace où faire un travail de terrain et récolter des données empiriques.
Programme
Jeudi 3 novembre 2022
Panel 1 De l’ethnographie classique à l’ethnographie en ligne : déplacer et repenser son terrain
14h00-14h20 Mot d’accueil et d’introduction
- 14h20-14h50 Maylis Bellocq (Université Bordeaux Montaigne) : « Quelques difficultés méthodologiques posées par une étude de terrain en ligne. Le cas du cimetière virtuel dédié aux morts dont les cendres ont été dispersées en mer à Shanghai »
- 14h50-15h20 Aurore Dumont (CNRS) : « Enjeux et pratiques de l’enquête ethnographique à distance dans les régions minoritaires de Chine »
- 15h20-15h50 Nolwenn Salmon (Université Jean Moulin Lyon 3) : « Adaptation méthodologique pour une ethnographie en ligne : expériences individuelles et production collective autour d’une communauté de néoruraux »
15h50 - 16h20 Discussion avec la salle
16h20-16h40 : Pause café
- 16h40-17h10 Hou Renyou (Université Paris Nanterre) : « Ethnographie en ligne ou archives numériques ? Pratique « alternative » de terrain dans une étude anthropologique sur la Chine »
- 17h10-17h40 Hong Tao (EHESS) : « Internet, un terrain à part (entière) : Réflexions à partir d’une enquête sur les activismes LGBT en Chine »
17h40-18h00 Discussion avec la salle
Vendredi 4 novembre 2022
Panel 2 Construire sa recherche sur des sources en ligne : questionner la production, l’accessibilité, et la fiabilité des données
- 9h20-9h50 (à distance) Xu Chong (Université Soochow) : « L’ensemble des plateformes chinoises de connaissances payantes comme objet de recherche »
- 9h50-10h20 (à distance) Jean-Maurice Rocher (Université Lumière Lyon 2) : « Les réseaux socionumériques, nouvel accès détourné aux institutions chinoises ? »
10h20-10h40 Discussion avec la salle
10h40-11h00 : Pause café
- 11h00-11h30 (à distance) Sarah Defoin-Merlin (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Le chant en Chine au temps du Covid-19 : un outil géopolitique et de politique interne, qui se révèle sur internet »
- 11h30-12h00 Lucie Sénéchal-Perrouault (EHESS) : « Expliciter le recours aux plateformes d’information »
12h00 - 12h20 Discussion avec la salle
12h20-12h30 Conclusion
12h30-14h00 : Pause déjeuner
- 14h-15h30 Table ronde : « Les nouvelles méthodes de recherche dans le domaine des études chinoises, la question de l’accès au terrain chinois, et l’impact sur les institutions », avec Christian Henriot (AMU), Fiorella Allio (AMU-CNRS), Gilles Guiheux (Université Paris Cité), Ji Zhe (Inalco).
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Catégories
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Lieux
- Salles de colloque 1 & 2, Bâtiment multimédia - 29 avenue Robert Schuman
Aix-en-Provence, France (13000)
Format de l'événement
Événement hybride sur site et en ligne
Dates
- jeudi 03 novembre 2022
- vendredi 04 novembre 2022
Fichiers attachés
Mots-clés
- Chine, humanité numérique, méthodologie, science sociale
Contacts
- Manon Laurent
courriel : manonlaurent3 [at] gmail [dot] com - Amandine Peronnet
courriel : peronnet [dot] amandine [at] gmail [dot] com
Source de l'information
- Manon Laurent
courriel : manonlaurent3 [at] gmail [dot] com
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« La Chine à portée de clics : la pratique des sciences sociales à distance », Journée d'étude, Calenda, Publié le vendredi 30 septembre 2022, https://doi.org/10.58079/19li