Published on Wednesday, October 19, 2022
Abstract
Pour son numéro du premier trimestre 2023, la revue Les Cahiers du Travail Social s’attache à porter une réflexion sur la question de la vieillesse et ce faisant, la façon dont sont envisagés l’accompagnement et la prise en compte des personnes âgées. Bien qu’intemporelle, elle a été particulièrement mise en lumière lors de la crise sanitaire et plus encore ces dernières semaines avec le « scandale des Ehpad ». L’objectif est d’analyser ce principe mis à l’épreuve des faits dont il est nécessaire aujourd’hui de rendre compte.
Announcement
Argumentaire
Dans la saison 1 de la série « Better call Saul », deux avocats discutent :
Jimmy McGill : Deux testaments et une assurance vie, youpi, les vieux m’adorent
Kim Wexler : Tu as peut-être un avenir dans le droit des vieux ?
Jimmy McGill : Ai-je une chance de rendre cela glamour ?
Kim Wexler : Je suis sérieuse, j’avais pensé me spécialiser dans les seniors. J’ai veillé ma grand-mère à la fin, c’est atroce ce que les gens subissent, entre les compagnies d’assurance et la famille, ses salopards de cousins lui piquaient ses économies, ses anti-douleurs, ça craint de vieillir, sans avoir quelqu’un pour les défendre.
«Ça craint de vieillir ». Cela « craint » d’autant plus que, selon l’INSEE, la part des personnes âgées de 65 ans et plus représentera d’ici 2070 près de 30%1 de la population (20 % à l’heure actuelle).Pour alarmante qu’elle puisse être, cette recrudescence de personnes vieillissantes ne présume cependant pas de ce que sera ou pourra être un « vieux » d’ici 50 ans ni quel(s) « problème(s) » cela posera au regard des choix politiques et économiques, des progrès médicaux et des transformations sociétales.
Néanmoins, comme le note Maxime Sbaihi2, « le grand vieillissement » a débuté. Le monde moderne a porté un regard nouveau sur la question relative à l’âge. Le développement des sciences (médecine, psychologie, pédagogie, etc.) et des institutions (scolaires, judiciaires, etc.) y ont largement participé.
D’un mode d’accompagnement considéré comme « naturel » et « normal » basé sur une solidarité mécanique au sens d’Émile Durkheim, la modernité a rationalisé la prise en charge des personnes âgées de manière organique en développant des disciplines spécialisées (gérontologie, gériatrie, etc) mais aussi en créant des professionnels de l’accompagnement des personnes vieillissantes (assistant de soins en gérontologie, etc.).
Ainsi, tout pourrait paraître au mieux dans le meilleur des mondes. Cependant, depuis quelques mois, une catégorie de personnes dites « âgées » est, bien malgré elle, au cœur de l’actualité. En effet, dans son livre « Les fossoyeurs », Victor Castanet, à propos des établissements accueillant des personnes âgées, n’hésite pas à dénoncer la maltraitance d’un système qui génère des pratiques que l’on pensait, à tort, appartenir au passé. Ces situation interrogent d’autant plus que des avancées significatives ont été opérées ces dernières années en matière de droits des principaux intéressés : la loi du 2 janvier 2002, au travers du livret d’accueil, de la charte des droits et libertés, du contrat de séjour et du conseil de la vie sociale a permis aux résidents et à leur famille d’avoir davantage voix au chapitre.
Dans le cadre de cet appel à contributions, il s’agira de faire le point sur le sujet des personnes vieillissantes et de leur accompagnement. Trois axes de réflexion pourront être développés.
En premier lieu, il s’agira de réfléchir aux conditions sociales de production de la vieillesse et de porter le regard sur les représentations sociales qu’elles engendrent. De la même manière que Pierre Bourdieu écrivait « la jeunesse n’existe pas »3, par analogie, la vieillesse n’est qu’un mot, car l’âge n’est jamais qu’une«donnée biologique socialement manipulée et manipulable ». La jeunesse et la vieillesse se définissent à travers un rapport de force et d’une certaine façon dans la lutte. Ainsi, il n’y a pas une vieillesse, mais plusieurs, qui se côtoient, s’évitent, se supportent. Il existe donc plusieurs manières d’être « vieux » et tous les vieux ne se ressemblent pas. Et à chaque époque correspond une certaine vision de la vieillesse. La multiplication des euphémismes ces dernières années tendraient à le faire penser : les « vieux » d’antan sont maintenant seniors, jeunes retraités, du 3ème et du 4ème âge...
Par ailleurs, les vieux ne sont pas égaux face à l’espérance de vie à la retraite. Les conditions de vie, de travail et le rapport au corps participent de cette disparité. Aussi, il s’agira à travers cet axe de porter un regard sur ce qui pourrait être qualifié de processus de vieillissement social. Autrement dit comment devient-on vieux aujourd’hui et quels sont les éléments qui participent à la modification des représentations sociales de la vieillesse ? Et à partir de quels indicateurs subjectifs la vieillesse apparaît : le regard, le comportement (verbal et non verbal) des autres, la mise à l’écart sociale ?
En second lieu, il s’agira de s’intéresser à la prise en charge de la vieillesse.Dès l’immédiate après guerre, le souci de cette dernière concernant les « aînés » est réel : en 1961, le rapport de Pierre Laroque, alors Conseiller d’État, pointe un risque croissant de précarisation et d’isolement social parmi la population des personnes âgées.Pour répondre à l’urgence, et durant les décennies suivantes, une série de revalorisations des retraites et du minimum vieillesse vont avoir lieu. Si le maintien à domicile reste la voie privilégiée, notamment au travers d’aides matérielles et de soutien à la vie quotidienne, on assiste peu à peu à l’émergence de la prise en charge « collective » de la vieillesse, via les « maisons de retraite », « résidences- services » ou « foyers logements ».Si les moyens dédiés existent bel et bien, les démarches restent compliquées, et le succès de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie par exemple, instaurée par la loi du 20 juillet 2001, vient confirmer l’attente des personnes âgées et de leurs familles en termes de moyens et d’assistance.Malgré les efforts réels de prise en charge des personnes dites « dépendantes », le début des années 2000 reste marquée par l’austérité budgétaire, et il convient de calculer au plus juste le coût de ce qu’on appellera désormais la «perte d’autonomie ». La mise en place de la grille AGGIR est sans doute l’illustration de cette volonté de rationalisation : six niveaux d’incapacité (GIR 1 à 6) permettent d’évaluer la dépendance de la personne âgée, et de lui accorder l’aide estimée comme correspondante à ses besoins.Si l’on ne peut remettre en cause la légitimité de la prise en charge de la dépendance, certains auteurs (Billé, Martz, 2018)4 s’inquiètent toutefois d’une vision avant tout « techniciste » et « rationnalisée » de l’accompagnement proposé, laissant finalement peu de place aux désirs et à l’avis des personnes concernées.Malgré tout, la prise en charge de la vieillesse par des structures spécialisées a aussi permis aux ayants droits, et aux descendants d’acquérir une certaine liberté. Est-il toujours envisageable de vivre ou revivre avec ses parents vieillissants, et à quel prix ?Se pose ainsi la question de la transformation de la solidarité familiale, quand bien même elle se construise à travers le lien affectif, et est garantie également par la loi.
Autrement dit, il s’agira d’analyser les conséquences existentielles de la prise en charge sur la vie des individus, tant du point de vue des enfants que des parents vieillissants. Par ailleurs, la raison techniciste anéantie-t-elle l’essence même de l’existence ? Comment vivent-elles les dernières années de leur vie ? Quels sont leurs espoirs, leurs envies, leurs regrets ou encore leurs rêves ? Dans quelles mesures la rationalisation de la prise en charge n’a-t-elle pas conduit à des effets pervers ? Mais aussi à une déshumanisation de la prise en charge.
En troisième lieu, il s’agira de s’intéresser à l’économie de la vieillesse et à sa place dans la société et comment elle participe aux bouleversements sociaux.En effet, la vieillesse est devenue un enjeu économique tant dans les dépenses qu’elles supposent que dans les recettes qu’elles engendrent.
Si la vieillesse est un processus inéluctable, il convient de repousser le plus possible le moment de l’entrée dans la dépendance, et l’apparition ces dernières années de « coachs de vie » ou de compléments alimentaires à destination des personnes âgées en est un témoin saisissant. Tout cela prêterait à sourire si la notion de « bienvieillir », que l’on pourrait considérer comme relevant du bon sens, ne se muait finalement en une injonction, voire une tyrannie (Billé, Martz, 2018, op. cit.), faisant les beaux jours d’une silver economy prompte à capter les revenus des personnes âgées les plus fortunées.
Pour les plus dépendants, et les plus démunis, l’avenir semble pour le moins incertain. Certes, les avancées en matières technologiques et médicales participent de l’évolution de l’espérance de vie et témoignent de la qualité des soins prodigués dans les institutions d’hébergement médicalisées recevant des personnes âgées. Pour autant, si ces institutions ont permis de « protéger » les plus âgés, de leur apporter des soins, elles ont également contribué à les rendre invisibles aux yeux de la société (Martz, 2018, op. cit.), peu encline finalement à opérer les distinctions nécessaires parmi la vaste « catégorie » des personnes âgées dépendantes (Amyot, 2019)5.
La création d’une 5ème branche de Sécurité sociale, tant de fois évoquée et systématiquement repoussée, permettrait-elle d’assurer une réelle prise en charge économique de la dépendance ? L’accompagnement des aînés par les aidants familiaux, dont le rôle n’est à l’heure actuelle plus à démontrer, peut-il constituer une solution pérenne ? Comment développer des « habitats alternatifs » qui répondent aux attentes des personnes âgées en termes d’indépendance et d’inclusion dans la société ?
Bien qu’aucune approche disciplinaire ne soit privilégiée, il conviendra cependant que les réflexions reposent sur des travaux de recherche (réalisés ou en cours) ou des témoignages de professionnels analysés et réflexifs relatant leur expérience.Les axes suggérés ne sont pas exhaustifs, et les propositions qui apporteraient une contribution qui ne s’inscrirait pas dans l’un de ces questionnements seront examinées avec la plus grande attention.
Modalités de contribution
Les articles doivent être envoyés pour le 12 mars 2023
aux adresses suivantes : gerard.creux@irts-fc.fr et marc.lecoultre@irts-fc.fr
Elles doivent inclure vos noms, prénoms, votre fonction, le cas échéant votre rattachement institutionnel.
Consignes :
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Le texte pourra faire référence à un travail empirique réalisé ou en cours de réalisation ou des témoignages d’expérience.
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Le texte comportera un minimum de 10 000 caractères et un maximum de 30 000 caractères, espaces compris, notes et informations bibliographiques incluses (soit entre 5 pages et 12 pages d’un texte en interligne simple).
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Conventions bibliographiques (Normes APA)
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Livres : Nom, Prénom (initiales). (Date de publication). Titre complet en italique. Éditeur.
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Articles : Nom, Prénom (initiales). (Date de publication : année, mois). Titre de l’article. Titre de la revue, numéro, pagination.
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Contributions à des ouvrages collectifs : Nom, Prénom (initial). (Date de publication). Titre du chapitre. Dans Initiale du prénom Nom (dir.). Titre de l’ouvrage. (pagination du chapitre). Éditeur.
Coordination
- Gérard Creux : gerard.creux@irts-fr
- Marc Lecoultre : marc.lecoultre@irts-fc.fr
Conseil scientifique
- Gérard Creux (IRTS de Franche-Comté)
- François Hoarau-Geissler (IRTS de Franche-Comté)
- Marc Lecoultre (IRTS de Franche-Comté)
- Nadège Marie (IRTS de Franche-Comté)
- Candice Martinez (IRTS de Franche-Comté)
- Florence Néret (IRTS e Franche-Comté)
- Florian Olivier (IRTS de Franche-Comté)
- Claire Regnier (IRTS de Franche-Comté)
- Nassera Salem (IRTS de Franche-Comté)
Présentation de la revue
« Les Cahiers du Travail Social » est une revue éditée par l’Institut Régional du Travail Social de Franche-Comté. Son objectif principal et fondateur est de rendre compte aussi bien de recherches de professionnels ou d’universitaires, de présenter un point de vue personnel sur des aspects du travail social et de son évolution ou d’exposer une réflexion personnelle sur une étude de cas.
Elle est destinée aux étudiants, professionnels et chercheurs de l’action sociale et est devenue un outil pédagogique ouvert aux réflexions scientifiques et aux témoignages professionnels
Notes
1 Source : Insee. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303333?sommaire=3353488
2 Maxime Sbaihi, M. (2022). Le grand vieillissement. Editions de l’Observatoire.
3 Bourdieu, P. (1984). Question de sociologie. Editions de Minuit, pp.143-154.
4 Billé, M. & Martz D. (2018). La tyrannie du Bienvieillir. Érès.
5 Amyot, J.-J. (2019). Entre idéologie et réalité. Dans C. Eynard (dir.). Les vieux sont-ils forcément fragiles et vulnérables ? Les nouvelles catégories de l’âge (pp. 21-70). Érès.
Subjects
- Sociology (Main category)
- Mind and language > Psyche > Psychology
- Society > Political studies > Political and social movements
- Society > History > Women's history
- Society > Sociology > Sociology of health
- Society > History > Social history
- Society > Sociology > Ages of life
- Society > Sociology > Demography
Date(s)
- Sunday, March 12, 2023
Attached files
Keywords
- personne âgée, agisme, vieillissement, population, droit
Contact(s)
- Gérard Creux
courriel : gerard [dot] creux [at] irts-fc [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Gérard Creux
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To cite this announcement
« De quoi la vieillesse est-elle le nom ? Vieillir dans la société contemporaine », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, October 19, 2022, https://doi.org/10.58079/19q7