Published on Thursday, December 22, 2022
Abstract
La journée d’étude « Trajectoires individuelles, trajectoires collectives » s’adresse aux jeunes chercheurs (masterants, doctorants et jeunes docteurs) en histoire, histoire de l’art, archéologie et musicologie. Le renouveau du genre biographique et le succès de la prosopographie ont montré le caractère heuristique de la notion de trajectoire dans les sciences historiques. Elle s’impose comme un outil de synthèse entre l’étude des structures sociales et la prise en compte des expériences et des chemins de vie individuels. Il s’agira de réfléchir à l’articulation entre l’individu ou le groupe et la société à partir d’exemples précis de trajectoires individuelles ou collectives.
Announcement
Argumentaire
Si la notion de trajectoire définit dans son acception première « la courbe décrite par le centre de gravité d’un mobile »[1]– d’une planète par exemple –, son emploi dans les sciences humaines et sociales est plus abstrait. La trajectoire désigne les positions sociales successives occupées par un individu ou un groupe au sein d’une société ou d’un espace défini[2]. Appliquée à l’histoire, cette notion invite à appréhender le passé en favorisant l’étude du parcours des acteurs sociaux, seuls ou en groupe, ainsi que de leurs expériences. Se distinguant d’une simple narration, elle propose de dépasser l’« illusion biographique » dénoncée par Pierre Bourdieu[3], c’est-à-dire l’impossibilité de retracer la vie linéaire d’un individu ou d’un groupe au risque de tomber dans une lecture téléologique. La trajectoire individuelle ou collective est alors davantage un outil reconstituant, par traces, les éléments causaux autant que les éléments indépendants qui conduisent à l’action des acteurs et à l’évolution des contextes sociaux dans lesquels ils s’insèrent[4]. Cette notion encourage ainsi à appréhender le passé en observant à la fois le rôle déterminant de la société ou de l’espace – géographique, social, etc. – dans les actions d’une personne ou d’un groupe, et la place irréductible des hasards, des contingences de la vie, ou de la part d’irrationnel des protagonistes. Ces deux dimensions prises en compte permettent de voir comment « des individus dotés au départ de propriétés et de chances à peu près identiques [peuvent avoir] des trajectoires et des destins sociaux de plus en plus divergents [produisant] une variété particulière de "frères ennemis" »[5].
Au cours des cinquante dernières années, l’historiographie française s’est largement intéressée à cette notion de trajectoire individuelle ou collective. Sans remettre en cause le poids de la société et de ses normes, le tournant critique des années 1980 a entraîné un retour, toujours d’actualité, à l’échelon individuel[6]. De la sorte, les études fines sur les individus ou les portraits de groupes reconstituant moins des vies que des trajectoires sociales se sont multipliées sous l’effet du renouveau de la biographie historique, des apports de la microhistoire ou encore des méthodes prosopographiques. La biographie historique connaît, en effet, à partir des années 1980-1990, un renouveau la définissant désormais d’après les méthodes des sciences historiques[7]. Des figures importantes comme Louis IX ou encore Odon de Cluny[8] font l’objet de travaux dans lesquels le parcours d’un individu, ses positions successives dans la société, son vécu servent à construire des réflexions plus larges. Elles peuvent alors porter sur des sujets multiples : le rôle du contexte (social, économique, intellectuel) dans la vie des individus, les relations des individus entre eux ou au sein de groupes sociaux, les représentations posthumes notamment des « grands » personnages, etc. En jouant sur les échelles d’analyse et en travaillant en particulier sur l’échelon local, la microhistoire a permis, quant à elle, de recomposer des vies discrètes, souvent oubliées, mais aussi de dresser des portraits de groupe[9]. Elle favorise alors la compréhension de certains processus sociaux par le biais des trajectoires sociales, individuelles ou collectives. C’est le cas par exemple de l’étude de l’exercice du pouvoir au village proposée par Giovanni Levi ou des recherches sur la construction de l’identité collective des Juifs avant et pendant l’occupation nazie de la France menées par Nicolas Mariot et Claire Zalc[10]. À l’approche microhistorique s’ajoutent les méthodes prosopographiques qui connaissent un véritable succès depuis les années 1990. Elles participent à l’actualité de la notion de trajectoire sociale, en proposant un outil qui permet de « dégager les caractères communs d’un groupe d’acteurs historiques en se fondant sur l’observation systématique de leurs vies et de leurs parcours »[11]. Liée à l’exploitation de corpus documentaires parfois conséquents, la prosopographie porte sur la compréhension de la structure des groupes et des discours qui les concernent (de l’intérieur et de l’extérieur). Elle encourage également des travaux comparatifs entre les groupes ainsi étudiés[12].
Dans le cadre de la sixième journée des jeunes chercheurs du CRULH, nous souhaitons engager une réflexion sur cette notion de trajectoires individuelles ou collectives en histoire, mais aussi dans les autres disciplines représentées par le laboratoire : histoire de l’art, archéologie et musicologie.
Les discussions pourront porter sur des exemples de trajectoires individuelles ou collectives. Il s’agira alors de se pencher sur l’articulation entre ces trajectoires et les structures de la société. L’expérience vécue des individus ou des groupes pourra être interrogée dans cette perspective, permettant alors de mesurer l’appropriation ou le rejet des structures ou des normes sociales, étatiques ou religieuses par exemple. Une réflexion pourra également porter sur les stratégies développées par les acteurs sociaux par rapport à leur position sociale, en particulier celle qui leur est assignée de l’extérieur. Pourquoi par exemple revendiquer une position ou une identité sociale à un moment de la vie et la taire ensuite, comme c’est le cas des colporteurs alpins à l’époque moderne[13]? Dans cette perspective, la compréhension des tranches de vie semble indissociable d’une réflexion sur les temporalités et les contextes. Les phénomènes mis en exergue à l’échelle d’une vie ou d’une tranche de vie, les choix faits par les acteurs sociaux ne peuvent se comprendre que dans un contexte géographique, politique, économique ou social donné. L’interrelation entre les trajectoires individuelles et collectives pourra aussi être mise en avant. Comment, en effet, l’appartenance à un groupe peut faire évoluer ou conditionner la trajectoire d’un individu ? Le rôle des relations et des différents contextes sociaux sera ici à questionner. Les exemples de trajectoires pourront également porter sur l’aspect mémoriel. En effet, l’écriture autobiographique ou la constitution de mythes collectifs invitent à voir comment les trajectoires individuelles ou collectives peuvent être perçues et recomposées par les acteurs sociaux eux-mêmes. Quelle est alors la sélection des évènements, des identités sociales, permettant à un individu de reconstituer son chemin de vie et à quelles fins ?
Outre les études précises de trajectoires individuelles et collectives, des réflexions plus larges sur les méthodes et la pertinence de cette approche seront les bienvenues. Une discussion sur les sources disponibles pour retracer les parcours individuels ou collectifs, tout comme sur les outils, numériques ou plus anciens comme les dictionnaires biographiques, pourra être engagée. Il s’agira d’ouvrir le débat sur les difficultés de cette approche par la trajectoire. On peut penser, entre autres, à la complexité de reconstituer les trajectoires de certaines populations, à l’image des femmes ou de minorités religieuses ou politiques, en raison du manque de matériau. Ici encore la relation entre trajectoires individuelles et collectives peut apparaître comme une piste pour combler les absences[14]. Il s’agira également de souligner les potentialités qu’offre cette approche, en n’excluant pas son articulation avec d’autres méthodes et perspectives de recherche. Enfin, il pourrait être intéressant de souligner l’usage diversifié de cette notion de trajectoire entre l’histoire, l’histoire de l’art ou encore l’archéologie.
Si ce panorama et ces quelques pistes de réflexion – loin d’être exhaustives – ont suscité un intérêt chez vous, vous pouvez proposer une communication pour la sixième journée d’études des jeunes chercheurs du CRULH. La parole sera donnée aux doctorants et jeunes docteurs, ainsi qu’aux étudiants de Master recherche de première et seconde année.
Modalités de contributions
- Doctorants et étudiants de Master 2 recherche : la présentation se fera sous forme d’exposés oraux de 25 minutes pour les doctorants et de 15 minutes pour les Master 2, suivis de 5 minutes de question dans les deux cas. Pour participer, nous vous invitons à nous faire parvenir une proposition de communication n’excédant pas 3 000 signes, accompagnée d’un CV universitaire par mail à l’adresse suivante : collectifcrulh@gmail.com.
- Étudiants de Master 1 recherche : un atelier sera organisé en fin de journée sous la forme de courts exposés de 5 minutes où les étudiants pourront proposer un résumé de leur sujet de recherche puis échanger avec l’auditoire. Nous vous invitons à envoyer votre candidature avec un résumé de votre sujet de mémoire n’excédant pas 2 000 signes ainsi qu’un CV universitaire à l’adresse : collectifcrulh@gmail.com.
La date limite d’envoi des propositions est fixée au dimanche 12 février 2023 (minuit).
Une publication des actes de la journée d’études sur le carnet Hypothèses du collectif des jeunes chercheurs du CRULH sera proposée sur le principe du volontariat.
Parrainage
Journée parrainée par :
- Catherine Bourdieu (Maîtresse de conférence en histoire de l’art, Université de Lorraine, Metz)
- Jean-Noël Grandhomme (Professeur des universités en histoire contemporaine, Université de Lorraine, Nancy)
Organisation
Collectif des jeunes chercheurs du CRULH
Elise Bidon, Raphaël Tourtet, Lylian Etienne, Quentin Muller, Julie Belotto, Arthur Fagnot.
Notes
[1] « Trajectoire » in Le Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2014, p. 2597.
[2] Fournier-Plamondon Anne-Sophie et Racine-Saint-Jacques Jules, « (Re)Constituer la trajectoire », Conserveries mémorielles. Revue transdisciplinaire, 10 mai 2014, no 15. [En ligne, consulté le 05/12/2022 : http://journals.openedition.org/cm/1740].
[3] Bourdieu Pierre, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 1986, vol. 62, no 1, p. 69‑72.
[4] Fournier-Plamondon Anne-Sophie et Racine-Saint-Jacques Jules, « (Re)Constituer la trajectoire », op. cit., § 4 ; Gingras Yves, « Pour une biographie sociologique », Revue d’histoire de l’Amérique française, 2000, vol. 54, no 1, p. 123‑131.
[5] Grignon Claude, « Sur les relations entre les transformations du champ religieux et les transformations de l’espace politique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1977, vol. 16, no 1, p. 9. Cité dans Fournier-Plamondon Anne-Sophie et Racine-Saint-Jacques Jules, « (Re)Constituer la trajectoire », op. cit., §4.
[6] Lepetit Bernard, Les formes de l’expérience : une autre histoire sociale, Paris, France, Albin Michel, impr. 1995, 1995, p. 13‑14.
[7] Le Goff Jacques, « Comment écrire une biographie historique aujourd’hui ? », Le Débat, 1989, vol. 54, no 2, p. 48‑53 ; Avezou Laurent, « La biographie. Mise au point méthodologique et historiographique », Hypothèses, 2001, vol. 4, no 1, p. 13‑24.
[8]Le Goff Jacques, Saint Louis, Paris, France, Gallimard, 1996, 976-12 p. ; Rosé Isabelle, Odon de Cluny (vers 879-942): itinéraire et ecclésiologie d’un abbé réformateur entre aristocratie carolingienne et monde féodal, Thèse doctorat, Cultures et Environnements. Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge, Nice, 2005, 1047 p.
[9] Dosse François, « Biographie, prosopographie », in Historiographies: concepts et débats, I., Paris, Gallimard, vol.1, p. 82 ; Revel Jacques (dir.), Jeux d’échelles: la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard : Seuil, 1996, 243 p. Voir par exemple : Ginzburg Carlo et Aymard Monique, Le fromage et les vers: l’univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, France, Flammarion, 1980, 220 p. ; Foa Jérémie, Tous ceux qui tombent: visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Paris, France, La Découverte, 2021, 349‑VIII p.
[10] Levi Giovanni, Le pouvoir au village: histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989, 230 p. ; Mariot Nicolas et Zalc Claire, Face à la persécution: 991 Juifs dans la guerre, Paris, France, O. Jacob, 2010, 302 p.
[11] Delpu Pierre-Marie, « La prosopographie, une ressource pour l’histoire sociale », Hypotheses, 2015, vol. 18, no 1, p. 265.
[12] Quelques exemples de travaux prosopographiques : Frija Gabrielle, Les prêtres des empereurs: le culte impérial civique dans la province romaine d’Asie, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2012, 323 p. ; Ferrier-Viaud Pauline, Épouses de ministres: une histoire sociale du pouvoir féminin au temps de Louis XIV, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022, 323 p. ; Roubaud-Quashie Guillaume, Les jeunes communistes en France (1944 - fin des années 1970): les mutations d’une expérience politique en milieux juvéniles et populaires, Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, France, 2020.
[13] Voir par exemple les questions ouvertes sur ces stratégies par Fontaine Laurence, Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales : XVIIe-XVIIIe siècle, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2003, 247 p.
[14] Par exemple : Corbin Alain, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot: sur les traces d’un inconnu, 1798-1876, Paris, Flammarion, 1998, 336 p.
Subjects
Places
- Nancy, France (54)
Event attendance modalities
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Sunday, February 12, 2023
Attached files
Keywords
- trajectoire, prosopographie, biographie, individuel, collectif
Contact(s)
- Collectif des jeunes chercheurs du CRULH
courriel : collectifcrulh [at] gmail [dot] com
Reference Urls
Information source
- Raphaël Tourtet
courriel : raphael [dot] tourtet [at] univ-lorraine [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Trajectoires individuelles, trajectoires collectives », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, December 22, 2022, https://doi.org/10.58079/1a8u