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Antiféminisme(s), LGBTphobie(s) et antisémitisme(s)

Perspectives historiques et avancées de la recherche (XIXe-XXIe siècle)

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Published on Monday, January 23, 2023

Abstract

Portée par le mois du genre et la semaine de lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui se tiennent à l’université d’Angers au mois de mars, cette journée d’étude propose d’interroger l’articulation des schèmes antiféministes, LGBTphobes et antisémites dans les discours, les imaginaires politiques et les représentations culturelles d’hier et d’aujourd’hui. Dans cette perspective sont sollicitées des interventions en sciences humaines et sociales éclairant l’histoire et/ou l’actualité de ce carrefour des haines du XIXe siècle à nos jours.

Announcement

Argumentaire

Lors de cette journée, nous voulons étudier les liens, les convergences et les intersections entre plusieurs formes d’aversion que la recherche a clairement identifiées et définies mais encore peu croisées. En ce sens, elle s’inscrit dans la continuité des colloques sur l’antiféminisme qui se sont tenus à Angers depuis les années 1990, notamment le colloque international de 2017 intitulé « Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui », dont plusieurs communications invitaient déjà à une réflexion sur l’ « intersectionnalité des haines » [Christine Bard].

Une telle réflexion doit s’appuyer sur une définition rigoureuse des notions que nous proposons d’explorer. L’antisémitisme peut être envisagé comme l’ensemble des formes d’hostilité ciblant les juifs et les juives au travers des siècles. Si cette notion désigne une haine systématique portée à l’encontre de personnes identifiées comme porteuses de caractéristiques biologiques et culturelles qui les placent du côté de l’altérité, la recherche tend aujourd’hui à déconstruire la distinction entre un antijudaïsme traditionnel d’inspiration religieuse, qui aurait visé les juifs avant leur émancipation, et l’antisémitisme moderne d’essence raciale né dans le dernier tiers du XIXe. Plusieurs travaux ont établi les « continuités du sentiment anti-juif sur une longue durée » [Marie-Anne Matard-Bonucci] et démontré la porosité des frontières entre antisémitisme politique et religieux [Nina Valbousquet]. L’analyse des divers modes d’expressions de l’antisémitisme a déjà permis de mettre en lumière les croisements possibles entre les discours de dénigrement des femmes et les attaques contre les juifs. Aussi, le stéréotype du « juif efféminé », si prégnant au XIXe siècle [Jérémy Guedj], procède-t-il d’une conception dévalorisante de la féminité couplée d’une forte composante homophobe. En tant que « contre-mouvement de pensée et d’action qui s’oppose au féminisme » [Christine Bard], l’antiféminisme se nourrit bien souvent de ces discours dévalorisants, mais il les dépasse et ne doit être confondu avec la seule misogynie ou le sexisme. C’est bien le rejet des aspirations à l’émancipation féminine et les manifestations d’animosité envers celles et ceux qui, d’hier à aujourd’hui, ont œuvré en faveur de cette émancipation que nous entendons réexaminer au prisme des motifs antisémites, et vice-versa. Cet objet d’étude inclut également les LGBTphobies dont les intimes connivences avec l’antiféminisme et l’antisémitisme ont alimenté et continuent d’alimenter une « autre intersectionnalité », celle des peurs et des haines.

Les études d’histoire et civilisation germaniques ont ouvert la voie aux rapprochements entre ces thématiques montrant la fécondité de tels croisements. On peut ici se référer aux travaux pionniers de Rita Thalmann qui mena des recherches croisées entre histoire du nazisme et histoire des femmes, en ciblant les formes et les discours de l’exclusion et de l’antisémitisme. Le séminaire « Sexe et race », créé en 1984, entreprit pendant une décennie de déconstruire les concepts-clés de race et de sexe. Par la suite, la publication de l’ouvrage de Jacques Le Rider, Le cas Otto Weininger, racines de l'antiféminisme et de l’antisémitisme, (1992) souligna l’étroite imbrication de ces deux manifestations de haine à la fin du XIXe siècle. Le travail de Francine Muel-Dreyfus sur "Vichy et l'éternel féminin", vint ensuite souligner ces articulations dans la construction de la "Révolution nationale". Le croisement de ces thématiques intéresse tout à la fois l’histoire, la littérature mais également la sociologie comme le souligne en 2009, l’article de Gisèle Sapiro, « Antisémitisme et antiféminisme dans le champ intellectuel » ou les travaux de Natacha Chetcuti et Fabrice Teicher sur les mobilisations de la Manif pour tous (2013).

Se plaçant dans la continuité de ces recherches pionnières, notre journée entend explorer ce qui demeure encore un angle mort historiographique et stimuler les études qui se trouvent à la confluence de ces champs de recherche. La période retenue court des années d’éclosion du mouvement féministe à nos jours. Aucun type d’approche, aucun objet d’étude n’est privilégié dans la seule mesure où les propositions s’attachent à décrypter les mécanismes d’interaction entre antisémitisme, antiféminisme et/ ou LGBTphobie et ne se focalisent pas sur l’une ou l’autre de ces notions. Les contributions pourront disséquer les affinités antisémites d’un mouvement, d’une pensée, d’un media antiféministe/LGBTphobe et à l’inverse proposer une relecture genrée d’un événement ou d’une parole antisémite. Elles pourront également cibler les acteurs/ actrices ou les victimes de ces discours. Nous ne posons aucune limite géographique a priori. Les propositions devront en revanche s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants :

Axe 1. Antiféminisme(s), LGBTphobies et antisémitisme dans le champ politique

C’est d’abord dans le champ politique que se rencontrent antisémitisme, antiféminisme et LGBTphobie. Cette rencontre n’intervient certes pas systématiquement, mais elle engendre un ensemble de discours et de mythes qu’il s’agit de décrypter. Retraçant l’histoire de la Ligue pour lutter contre l’émancipation des femmes allemandes (DHV. 1912-1920), Diane Guido rappelle combien antiféminisme et antisémitisme participent alors d’un même discours visant à préserver l’hygiène et la pureté de la « race » allemande d’un risque de dégénérescence. Ciblant à des fins dépréciatives l’origine supposément juive du féminisme, la parole antisémite sert ici une pensée anxiogène, préoccupée par la défense d’une identité menacée. Mais si cette pensée doit être historicisée, elle ne constitue en rien une spécificité propre à l’Allemagne du début du XXe siècle. Aussi, aux États-Unis, les antiféministes ont-ils établis ces dernières années et en plusieurs occasions, des listes de féministes américaines juives, sous le thème : le féminisme est une création juive. Les haines antisémite, antiféministe et homophobe qui se conjuguent presque inévitablement à l’extrême droite peuvent également épouser d’autres idéologies et imprégner l’intégralité du spectre politique. Le premier axe de la journée d’étude sera dédié à l’analyse – par des monographies ou des comparaisons – de la manière dont ces haines s’expriment, se rejoignent, se renforcent dans différents contextes idéologiques et nationaux. À différentes époques également : il conviendra ainsi d’interroger la persistance et les mutations des représentations antisémites à l’heure des réseaux sociaux, du féminisme intersectionnel, de l’opposition à ladite « théorie du genre » et du développement de la transphobie.

Axe 2. Convergences et croisements des haines dans le champ culturel

De Shylock au Juif Süss, des représentations iconographiques de Judas Iscariote aux caricatures antidreyfusardes, le monde des arts et des lettres a largement contribué à faire circuler des représentations négatives des Juifs. De nos jours, l’antisémitisme continue de s’exprimer avec force dans le champ culturel où il épouse volontiers des théories conspirationnistes et négationnistes dont témoignent en France, par exemple, les spectacles de Dieudonné. La dimension culturelle de l’antiféminisme est également incontournable. Elle s’affirme tant dans le déni opposé à la créativité des femmes – « Les grands génies sont des hommes » assénait encore Éric Zemmour en 2011 – que dans l’imagerie véhiculée par un certain nombre d’œuvres où les féministes ainsi que les femmes émancipées font figure d’éternelles castratrices ou de viragos. Quant à la parole LGBTphobe, elle trouve également dans la sphère culturelle une voie d’expression privilégiée. « J’aime pas les hommes qui s*** des hommes et qui volent le travail des femmes », scandait il y a encore peu le rappeur Tovaricht dans un couplet qui transpire à la fois l’homophobie et le sexisme. Rares sont les recherches qui, à l’instar de celles de Chantal Meyer-Plantureux pour le théâtre et le cinéma, associent l’analyse de ces différentes formes de rejet dans le champ culturel. Ce dernier offre pourtant une multiplicité de supports d’expression – littérature, caricatures, séries télévisées, jeux vidéo, musique ... – qui seront investigués dans le deuxième axe de la journée.

Axe 3.  La riposte : quand le féminisme anti antisémite contre-attaque

« Juive et fière » : en 2021, sur les murs de Marseille, des militantes juives allient par ces mots collés féminisme et judaïsme. Acte de riposte féministe du XXIe siècle, ces collages suggèrent l’existence de discours et/ou de mobilisations de contre-attaque, visant à mettre au jour et à déconstruire cette imbrication des haines antiféministe et antisémite. En résonance avec les communications portées par les axes 1 et 2, le dernier axe pourra d’abord se nourrir des pistes de réflexions sur l’agentivité des cibles de cette intersectionnalité des haines : comment riposter ? selon quelles modalités et avec quels effets ? Dans le sillage des travaux de Nelly Las, pourront être interrogés l’engagement des femmes juives dans les mouvements féministes et la confrontation spécifique à la double altérité. Comment les mouvements féministes, d’une manière générale, réagissent-t-ils face à l’antisémitisme de leurs adversaires ?

Selon les périodes, pourront également être explorés les différents types de réactions aux attaques antisémites nourries par des stéréotypes de genre, comme celle de la figure du « juif efféminé ». Ainsi, pourront notamment être abordées, les actions des associations de jeunesse sionistes du début du 20e siècle (notamment en Europe centrale et orientale), qui ripostent par le genre aux injonctions discriminantes des antisémites. Sur une période plus contemporaine, pourront faire l’objet d’une étude, les réactions féministes et queer à ce double système de domination, en s’intéressant par exemple aux actions menées par des associations comme le « groupe juif gay et lesbien de France » Beit Haverim, né en 1977. Enfin, cet axe permettra de repérer dans le temps et dans l’espace des acteurs et actrices de la résistance théorique, ayant consacré tout ou partie de leurs travaux à dénoncer ces rapprochements haineux voire à proposer des contre-argumentaires. Les propositions de témoignages, en particulier de militant.e.s, sont les bienvenues.

Modalités de soumission

Les propositions d’intervention de 1 500 signes, suivies d’une courte biographie, sont à envoyer aux organisatrices : christine.bard@univ-angers.fr ; chrystele.bayon@gmail.com ; camille.cleret@univ-tours.fr

avant le 10 février 2023.

Comité d’organisation

Christine Bard, professeure d’histoire contemporaine, Université d’Angers, membre Senior IUF, Chrystèle Bayon, professeure d’histoire-géographie, diplômée du master d’études sur le genre, Camille Cleret, docteure en histoire contemporaine, attachée temporaire d’enseignement et de recherche, Université de Tours.

Comité scientifique

Pierre Birnbaum, professeur émérite de sociologie politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Katell Brestik, maîtresse de conférences en études germaniques, Université d’Angers, Natacha Chetcuti-Osorovitz, sociologue et anthropologue, enseignante-chercheuse à CentraleSupelec et IDHES ENS-Paris-Saclay, Valérie Dubslaff, maîtresse de conférences en histoire et civilisation du monde germanique, Université Rennes II, Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique, Université du Québec à Montréal, Michel Dreyfus, historien, directeur de recherche émérite au CNRS, Patrick Farges, professeur d’histoire et études germaniques, Université Paris Cité, Julie Gottlieb, professeure d’histoire contemporaine, The University of Sheffield, Nancy Green, historienne, directrice d’études EHESS, Zoé Grumberg, docteure en histoire contemporaine, post-doctorante, Université d’Angers, Nelly Las, historienne, Université hébraïque de Jérusalem, Elissa Maïlander, historienne, professeure associée, Centre d’histoire de Sciences Po, Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’histoire contemporaine, Université Paris 8, David Paternotte, chargé de cours en sociologie, Université libre de Bruxelles, Pauline Peretz maîtresse de conférences habilitée en histoire contemporaine, Université Paris 8, Chantal Meyer-Plantureux, historienne, professeur émérite en arts du spectacle, Université de Caen, Gisèle Sapiro, sociologue, directrice de recherche EHESS/ CNRS, Sylvie Steinberg, historienne,  directrice de recherche EHESS et Vincent Vilmain, maître de conférences en histoire contemporaine, Université du Mans.

Travaux mentionnés et propositions bibliographiques

Bard Christine, Blais, Dupuis-Déri Francis (dir), Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, Paris, PUF, 2019.

Birnbaum Pierre, La France aux Français : histoire des haines nationalistes, Paris, Seuil, 2006.

Birnbaum Pierre, Le moment antisémite : un tour de la France en 1898, Paris, Hachette, 2015.

Chetcuti Natacha et Teicher Fabrice, « De La Manif pour tous au rap identitaire et dissident, circulation des discours antiféministes, hétérosexistes et antisémites en France », in Sandra Boehringer, Sandra Bornand et Alice Degorce (dir.), Jouer avec le genre dans les arts de la parole, Cahiers de Littérature orale, n° 82, Paris, Presses de l’Inalco, p. 121-145.

Gervais Pierre, Huret Romain, et Peretz Pauline. « Une relecture du « dossier secret » : homosexualité et antisémitisme dans l'Affaire Dreyfus », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 55, n° 1, 2008, p. 125-160.

Guedj Jérémy, « La figure du juif efféminé. Genre, homophobie et antisémitisme dans la France des années 1930 à travers les discours d'extrême droite », in Régis Revenin (dir.), Hommes et masculinités de 1789 à nos jours, Paris, Autrement, 2007, p. 220-235.

Guido Diane, The German League for The Prevention of Women’s Emancipation. Antifeminism in Germany (1912-1920), New York, Peter Lang, 2010.

Las Nelly, « Jewish Attitudes Facing Antisemitism : A Gender Analysis », in Robert S. Wistrich (dir.), Anti-Judaism, Antisemitism And Delegitimizing Israel, Lincoln and London, University of Nebraska Press, 2016, p. 155-169.

Le Rider Jacques, Le Cas Otto Weininger. Racines de l’antiféminisme et de l’antisémitisme, Paris, PUF, 1982.

Matard-Bonucci Marie-Anne, « Antisémitisme(s) : un éternel retour ? », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 62, n° 2-3, 2015, p. 7-14.

Meyer-Plantureux Chantal, Antisémitisme et homophobie. Clichés en scène et à l’écran, Paris, CNRS éditions, 2019.

Sanos Sandrine, The Aesthetics of Hate. Far-Right Intellectuals, Antisemitism and Gender in 1930’s France, Stanford, Stanford University Press, 2012.

Sapiro Gisèle, « Antisémitisme et antiféminisme dans le champ intellectuel », Regards sociologiques, n° 37-38, 2009, p. 139-147

Valbousquet Nina, Catholique et antisémite. Le réseau de Mgr Benigni, 1918-1934, Paris, Éditions du CNRS, 2020.

 

 

 

Places

  • Université d'Angers, campus de Beile-Beille
    Angers, France (49)

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Friday, February 10, 2023

Keywords

  • antisémitisme, antiféminisme, LGBTphobies, intersectionnalité, haine

Contact(s)

  • Camille Cleret
    courriel : c [dot] cleret76 [at] gmail [dot] com
  • chrystèle Bayon
    courriel : chrystele [dot] bayon [at] gmail [dot] com

Information source

  • Camille Cleret
    courriel : c [dot] cleret76 [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Antiféminisme(s), LGBTphobie(s) et antisémitisme(s) », Call for papers, Calenda, Published on Monday, January 23, 2023, https://doi.org/10.58079/1ada

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