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Visiter et revisiter la parole

L’entretien, du recueil au réemploi 

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Publié le mercredi 25 janvier 2023

Résumé

Chaque année, les doctorant·es du laboratoire Analyse comparée des pouvoirs (ACP) de l’université Gustave Eiffel organisent une journée d’étude pluridisciplinaire. Cette année, le thème porte sur la revisite de la parole recueillie dans le cadre de l’entretien, y compris pour des périodes anciennes. Si l’enregistrement de la parole au cours de l’entretien a fait l’objet de nombreuses recherches, un point a été moins étudié : celui de la réutilisation de l’entretien a posteriori, tant par celui ou celle qui l’a réalisé que par d’autres enquêteur·ices. L’objectif de cette journée est donc de réfléchir à la façon dont les chercheur·ses en sciences sociales, notamment en histoire, géographie, sociologie, anthropologie, sciences politiques ou encore en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) conservent, retravaillent et exploitent la parole énoncée lors d’entretiens réalisés pour des enquêtes antérieures.

Annonce

Présentation 

La parole, sous sa forme écrite ou sonore, est incontournable pour l’ensemble des sciences sociales, dont l’histoire des périodes anciennes. Les avancées techniques, épistémologiques et méthodologiques ont accompagné la construction de la légitimité de la source orale en histoire. Désormais, sa banalisation la rapproche des autres types de sources, notamment des paroles passées conservées uniquement sous leur forme écrite. Les réflexions sur la parole recueillie, questionnée dans ses aspects historiques et sociaux, de sa fabrique à sa collecte et son exploitation, croisent celles des disciplines reposant sur l’entretien telles que l’ethnographie, la géographie, ou la sociologie. Aujourd’hui, les conditions de production, de conservation et d’accessibilité de la parole dans la longue durée continuent de poser des enjeux de réflexivité. 

Ces questions se posent de manière aiguë dans la revisite de l’entretien - a posteriori et dans le cadre d’une recherche en sciences sociales. Relus et réécoutés, les entretiens placent tout·e chercheur·se dans une position analogue à celle de l’historien·ne face à ses sources. Par un court-circuit - dont il s’agira aussi de penser les limites - on veut donc tenter d’envisager les formes anciennes de mise par écrit d’enquêtes au même titre que l’enregistrement des “entretiens” habituels aux sciences sociales, pour les considérer de manière similaire et avec les mêmes outils critiques. Le rapport à l’enquêté·e doit faire l’objet d’une réflexivité, même dans le cas d’une revisite ou de la relecture historienne d’un entretien ancien : triangulaire, il n’en engage pas moins le scientifique absent de la discussion initiale. L’entretien est quant à lui, malgré l’impression d’immédiateté de la parole, à considérer dans l’épaisseur de sa temporalité. D’une part, celle de l’entretien particulier est spécialement visible lors de sa revisite. D’autre part, la temporalité générique de sa généalogie judiciaire et mémorielle unit les sciences sociales en les ramenant à leur dimension de quête de vérité par le biais de l’enquêté·e, témoin privilégié d’une réalité à laquelle l’enquêteur·ice veut accéder et soupçonné de lui faire écran. 

Axe 1 : De la parole au document d’archive : revisiter la parole conservée  

Le premier axe de cette journée d’études vise à explorer la transformation de la parole en document d’archives, condition et effet de sa revisite. Quels sont les effets de la production, de l’archivage et de la conservation de l’entretien, dans leurs dimensions techniques, matérielles et institutionnelles, sur les interprétations qui en sont possibles ?  

Le passage par l’écrit est généralement rendu nécessaire par les règles de la critique historique (Descamps 2001) car il s’agit d’analyser, de comparer et de croiser les entretiens entre eux et avec d’autres sources, notamment écrites. Au-delà de l’histoire, l’écrit est omniprésent dans les pratiques scientifiques (Latour et Woolgar 1988). Certaines méthodes l’imposent (textométrie) et la restitution des résultats, académique ou de vulgarisation, est encore majoritairement écrite en dépit de l’usage croissant d’autres media : audio, vidéo, bande dessinée... (Gavras 2018). Dans la mesure où l’enregistrement de la parole correspond à des choix de format (sonore, écrit, vidéo), de logiciels et de transcription, les techniques employées ont des conséquences sur la pratique de revisite d’un entretien antérieur, qu’il soit produit directement par l’enquêteur·ice ou non. A chaque medium correspond une “perte d’information” déterminée par les conditions techniques et matérielles du support et de sa conservation. 

La possibilité même de la revisite est conditionnée à sa conservation dans des institutions dont l’existence, les finalités et l’organisation institutionnelle varient en fonction de la source : il n’existe pas de politique d’incitation au dépôt des sources orales, ni de politique systématique de conservation. Les enquêtes écrites conservées le sont d’abord parce qu’elles ont été produites et conservées par des pouvoirs (seigneuriaux, étatiques, coloniaux, parfois par le prisme judiciaire) qu’elles ont - en retour - contribué à constituer. Leur relecture dans un but scientifique doit donc tendre à objectiver et mettre à distance ces aspects (Anheim 2019). La conservation croissante des entretiens plus récents doit elle aussi être interrogée dans ses moteurs et ses effets, y compris en mettant à profit les outils de la critique et l’archéologie documentaires en histoire. 

En outre, l’entretien constituant une « œuvre de l’esprit » selon la loi de 1970 relative à la protection des droits de la personnalité et de la vie privée et le Code de la propriété intellectuelle, l’enquêté·e et sa protection juridique jouent un rôle déterminant dans la possibilité même de la revisite de l’enquête, autorisant ou non la diffusion sous certains supports de ses propos, imposant l’anonymat dans la restitution, voire la destruction des entretiens et des notes de terrain (Laurens 2022). La judiciarisation croissante des entretiens en science sociale reboucle avec leur généalogie judiciaire et les enquêtes anciennes, mettant en jeu les implications d’une volonté de savoir que l’on assouvit en questionnant un tiers. 

Axe 2 : La revisite comme relation triangulaire : enquêté·es, enquêteur·ices, revisiteur·ices 

Le deuxième axe de la journée d’études portera sur la revisite comme une relation triangulaire. Il s’agit de considérer la revisite de l’entretien comme un révélateur de la dynamique relationnelle entre enquêté·e, enquêteur·ice et revisiteur·ice sur le temps long. Par le décalage temporel qu’elle induit, la revisite permet d’appréhender l’évolution de la position de chaque protagoniste au fil du temps. Bien que l’analyse secondaire entraîne un doublement des biais lié à l’intervention des deux enquêteur·ices (Girault 2020 : 118), elle constitue également un atout, dans la mesure où elle permet précisément d’identifier et de critiquer ces biais. 

Il s’agit de comprendre en quoi revisiter un entretien réalisé par soi ou un autre pour une enquête antérieure ou dans le cadre d’une étude longitudinale met en jeu l’historicité à la fois de l’enquêté·e et de l’enquêteur·rice : la revisite fait contraster deux moments distincts entre lesquels la position sociale et le point de vue des protagonistes ont pu changer, ainsi que leur relation interpersonnelle. En outre, l’enquêté·e est rarement unique : en quoi l’analyse que l’on peut faire d’un entretien et de son enquêté·e varie-t-elle par leur mise en série ? Cette dernière peut résider d’abord dans la mise en perspective par un·e même chercheur·se de ses terrains successifs (Clair 2022). Ensuite, la requalification par le.a même chercheur.se ou un.e autre de l’entretien comme source pour la connaissance d’un nouvel objet d’étude contribue à redéfinir le corpus d’entretiens et de documents. Enfin, les transformations propres au groupe d’enquêté·es questionnent la manière dont la connaissance de leurs trajectoires postérieures à l’entretien réoriente l’interprétation, dans une variante du problème classique de “l’illusion biographique” (Bourdieu 1986) ou du risque historien de la téléologie. 

La revisite invite aussi à questionner la relation entre deux enquêteur·ices. Qu’implique la revisite scientifique d’“entretiens” menés par des enquêteur·ices non-scientifiques dans une perspective de collecte mémorielle, documentaire, artistique, judiciaire, etc., en termes de transformation concrète, de différences de perspectives mais aussi d’enjeux éthiques du rapport au travail d’autrui ? Le point de vue scientifique est-il, même malgré lui, solidaire de l’enquêteur·ice initiale dans son rapport à l’enquêté·e, comme l’est l’historien de l’inquisiteur (Ginzburg 2010) ? Inversement, dans quelle mesure le fait de récupérer son travail oblige-t-il le·la revisiteur·ice vis-à-vis de l’enquêteur·ice initial·e, par exemple à partager son projet, respecter ses choix et ses orientations ? 

Enfin, que signifie revisiter l’entretien d’un·e autre chercheur·se , y compris d’une autre discipline ? La revisite s’envisage aussi comme une réitération d’une expérience scientifique permettant de vérifier des travaux antérieurs et de garantir leur scientificité, avec toutes les limites de la proposition (Laferté, Pasquali et Renahy 2018 ; Morsel 2022). A quoi correspond exactement ce geste intellectuel ? Quelle stratégie dans son champ scientifique peut-il traduire, en particulier par rapport à l’enquêteur·ice initial·e ? La perspective peut consister à se placer dans les traces d’un·e prédécesseur·se, de revendiquer son héritage et le·la canoniser, mais aussi de le·la critiquer. Se positionner dans un champ scientifique implique de faire preuve d’une originalité suffisante dans ses travaux ; pourtant, selon la position que l’on occupe dans ce champ, la critique peut être plus ou moins risquée. Les revisites d’entretiens empruntés à d’autres disciplines portent également des enjeux spécifiques. La rentabilité incertaine du travail et le capital symbolique nécessaires à une revisite peuvent être un frein en fonction de la position dans le champ. Inversement, ces positions peuvent se traduire dans la revisite elle-même, par exemple dans l’écart aux choix initiaux de l’enquête revisitée (délimitation du corpus d’entretiens, techniques et concepts d’analyse, combinaison documentaire) ainsi que dans les choix de communication scientifique. 

Calendrier 

  • Retour des propositions au plus tard : vendredi 10 mars 2023 

  • Date de la journée d’études : vendredi 12 mai 2023 

Lieu de la journée d’étude

Université Gustave Eiffel Cité Descartes sur le campus de Marne-la-Vallée Bois de l'Étang, aile C 5 Rue Galilée 77454 Champs-sur-Marne 

Modalités de contribution 

Cette journée d’études se veut pluridisciplinaire et ouverte à différents champs de recherche issus des sciences humaines et sociales. Les communications se feront en français ou en anglais. 

Les intervenant·e·s seront invité·e·s à s’exprimer et à présenter des réflexions sur leur(s) cas d’étude pendant vingt minutes suivies d’une dizaine de minutes de questions et d’échanges. 

Un résumé d’une page au maximum de la communication proposée sur les axes d’études proposés ainsi que le CV de l’auteur est à envoyer à alienor.wagner@svu.fr

avant le 10 mars 2023.

Comité d’organisation 

  • Emily Egan – Doctorante en géographie 
  • Marie Fontaine-Gastan – Doctorante en histoire 
  • Matthieu Gosse – Doctorant en histoire 
  • Idil Kafescioğlu – Doctorante en histoire et en sociologie 
  • Clémence Malavergne – Doctorante en géographie 
  • Lara Martinais – Doctorante en histoire 
  • Pauline Rocca – Doctorante en histoire  
  • Aliénor Wagner-Coubes – Doctorante en histoire 

Comité scientifique 

  • Les membres du Laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs (ACP). 

Références bibliographiques

Anheim 2019 : Etienne Anheim, « Science des archives, science de l’histoire », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2019/3-4 (74e année), p. 505-520, également disponible en ligne : https://cairn.info/revue-annales-2019-3-page-505.htm (dernier accès le 16 janvier 2023). 

Bourdieu 1986 : Pierre Bourdieu, « L'illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 1986 (vol. 62-63), p. 69-72. 

Clair 2022 : Isabelle Clair, « Les temporalités de la comparaison ethnographique », Genèses, 2022/4 (n° 129), p. 153-171, en ligne : https://cairn.info/revue-geneses-2022-4-page-153.htm (dernier accès le 16 janvier 2023). 

Descamps 2001 : Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001. 

Descamps 2019 : Florence Descamps, Archiver la mémoire. De l'histoire orale au patrimoine immatériel, Paris, Editions de l'EHESS, 2019. 

Gavras 2018 : Julie Gavras, Les bonnes conditions, Arte, K.G. Production, Zadig Production, 86 min, 2018. 

Ginzburg 2010 : Carlo Ginzburg, « L'inquisiteur comme anthropologue », dans Le fil et les traces, Lagrasse, Verdier, 2010 [1989], p. 407-424. 

Girault 2020 : Bénédicte Girault, « L’historien, le témoignage et la tradition orale », dans Initiations aux études historiques, Paris, Nouveau Monde Editions, 2020, p. 109-120, également disponible en ligne : https://lib.isiaccess.com/process/reader/book.php?ean=9782380941210&page=115 (dernier accès le 16 janvier 2023). 

Laferté, Pasquali et Renahy 2018 : Gilles Laferté, Paul Pasquali et Nicolas Renahy, Le laboratoire des sciences sociales. Histoires d’enquêtes et revisites, Paris, Raisons d’agir, 2018. 

Latour et Woolgar 1988 : Bruno Latour et Steve Woolgar, La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, Paris, La Découverte, 1988 [1979]. 

Laurens 2022 : Sylvain Laurens, « L’ethnographie en procès. Enjeux contemporains autour de l’éthique de l’enquête de terrain », Genèses, 2022/4 (n° 129), p. 7-13, également disponible en ligne : https://cairn.info/revue-geneses-2022-4-page-7.htm (dernier accès le 16 janvier 2023). 

Morsel et Noûs 2022 : Joseph Morsel et Camille Noûs, « Sortir l’histoire de son berceau judiciaire. Référentialité, vérifiabilité, réplicabilité de l’enquête historienne ? », Genèses, 2022/4 (n° 129), p. 116-137, également disponible en ligne : https://cairn.info/revue-geneses-2022-4-page-116.htm (dernier accès le 16 janvier 2023).

Lieux

  • Université Gustave Eiffel, Campus Descartes, Bâtiment Bois de l'Étang, aile C  - 5 Rue Galilée 
    Champs-sur-Marne, France (77)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • vendredi 10 mars 2023

Mots-clés

  • entretien, enquête, revisite, réflexivité, point de vue, archéologie documentaire

Contacts

  • Marie Fontaine--Gastan
    courriel : consommationslegitimes [at] gmail [dot] com
  • Aliénor Wagner-Coubès
    courriel : alienor [dot] wagner [at] svu [dot] fr

Source de l'information

  • Marie Fontaine--Gastan
    courriel : consommationslegitimes [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Visiter et revisiter la parole », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 25 janvier 2023, https://doi.org/10.58079/1aej

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