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Published on Monday, February 13, 2023
Abstract
Le conflit entre spiritualisme et phénoménologie n’aura plus lieu. Mieux, c’est dans leur rencontre et leur choc en retour que se jouera une nouvelle fécondité pour la pensée. Le « cas » Maine de Biran devient alors le type exemplaire d’un autre commencement « à la française » de la métaphysique d’une part et de la phénoménologie d’autre part. Nouveau « Colomb de la métaphysique », comme il se nomme lui-même, Maine de Biran, lu « autrement », pourrait ainsi et pour aujourd’hui initier un nouveau commencement à la pensée.
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Argumentaire
« Il n’y a rien de plus instructif pour l’homme éveillé que l’histoire des songes, comme rien de plus utile pour l’homme raisonnable que l’histoire de la folie » (Maine de Biran, Considérations sur le sommeil, les songes et le somnambulisme [1809]).
Le conflit entre spiritualisme et phénoménologie n’aura plus lieu. Mieux, c’est dans leur rencontre et leur choc en retour que se jouera une nouvelle fécondité pour la pensée. Le « cas » Maine de Biran devient alors le type exemplaire d’un autre commencement « à la française » de la métaphysique d’une part et de la phénoménologie d’autre part. Mais le philosophe de Bergerac (Dordogne) est lu le plus souvent « en plein » et non pas « en creux ». Il serait le penseur de la « liberté et de la conscience » (spiritualisme) ou du « moi intime et du corps propre » (phénoménologie). Mais c’est oublier les exceptions au fait primitif de l’« effort intérieur » (maladie, sommeil, somnambulisme, folie, corps objet, moi extime…), qui consacrent l’œuvre biranienne comme l’un des sommets d’une pensée qui échappe à la phénoménalité et confère une véritable consistance à la corporéité. Nouveau « Colomb de la métaphysique », comme il se nomme lui-même, Maine de Biran, lu « autrement », pourrait ainsi et pour aujourd’hui initier un nouveau commencement à la pensée.
Intervenant
Emmanuel Falque, professeur, doyen honoraire de la Faculté de philosophie de l’Institut Catholique de Paris. Spécialiste en philosophie patristique et médiévale, phénoménologie et philosophie de la religion. Auteur de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues (en particulier aux Etats-Unis). Dernier livre paru : Hors phénomène, Essai aux confins de la phénoménalité, Paris, Hermann, coll. « De visu », 2021.
Programme
Six conférences par Emmanuel Falque, Professeur à l’Institut Catholique de Paris, seront données dans le cadre de la Chaire de métaphysique Etienne Gilson de l’Unité de Recherche “Religion, Culture et Société” de l'Institut Catholique de Paris les 7, 8, 9, 14, 15 et 16 mars 2023.
Mardi 7 mars 2023
Introduction : Le Colomb métaphysicien
« Qui sait tout ce que peut la réflexion concentrée et s’il n’y a pas un nouveau monde intérieur qui pourra être découvert un jour par quelque Colomb métaphysicien ? ».
Cette annotation du Journal de Maine de Biran datée du 23 Juillet 1816, “en marge et d’une autre encre”, dit peut-être tout de la soif d’aventure du penseur de Bergerac. Qu’on ne s’y trompe pas cependant. La découverte de son “nouveau monde” tient moins selon nous dans le seul « sentiment intime de soi » qu’on ne cesse de ressasser, que dans la “résistance en creux” à laquelle elle fait droit. À savoir, être alienus ou « hors de soi » : « Notre expérience naturelle la plus intime nous apprend que cet acte que nous appelons connaître est d’être dans cet état où l’on est soi ou en soi, opposé à cet autre que la langue vulgaire elle-même distingue très bien par cette formule : être hors de soi […]. Dans les états de manie, de délire, d’ivresse, de somnambulisme, comme dans les passions véhémentes et subites, l’individu [est] hors de toute connaissance parce qu’il est en effet hors de lui-même » (Essai sur les Fondements de la psychologie, 1812). L’incroyable pérégrination de Maine de Biran – de son Journal en trois tomes aux dix-huit volumes aujourd’hui publiés (chez Vrin) en comparaison de ses deux ou trois textes édités de son vivant –, nous fera découvrir un personnage dont la vie mondaine (à Paris) n’aura rien à envier à sa vie retirée (au manoir de Grateloup) : Qui bene latuit bene vixit – “qui s’est bien caché a bien vécu” (Ovide).
Première section : « De moi à moi »
Mercredi 8 mars 2023
Constitution du moi
« Chercher à objectiver le moi ou à le saisir par le dehors, c’est comme si l’on voulait se mettre à la fenêtre pour le voir passer ».
Cette remarque de Maine de Biran dans sa « Dernière philosophie » [Existence et anthropologie], suffit à dire qu’il aura mené de bout en bout un débat, voire un combat, sinon contre Descartes, au moins à partir de Descartes. Il s’agit certes de « se tenir en soi » pour ensuite, et éventuellement, se découvrir « hors de soi » en certaines expériences limites. Mais à quelles conditions constituer l’ego ? Loin de toute « substantification du sujet », le penseur de Bergerac voit par avance qu’on ne peut générer le moi que dans une “réduction” loin de toute objectivation, soit dans le « sentiment de soi » en guise de « fait primitif ». Est-ce à dire pour autant qu’il ne s’agit là que de phénoménologie ? Rien n’est moins sûr. Car il en va aussi du spiritualisme non pas de ne pas séparer l’âme du corps, mais de tourner leur unité tout entière vers l’auto-aperception de la conscience. Par ce “choc en retour” du spiritualisme sur la phénoménologie, pourra alors être défini ce que Maine de Biran nomme à proprement parler « métaphysique » : « Une science réelle et positive : celle des phénomènes intérieurs et de toutes les idées qui peuvent s’en déduire en tant qu’elle partira du fait de conscience comme donnée primitive » (Essai sur les fondements de la psychologie).
Jeudi 9 Mars 2023
En quête de la chair
« Le moi ne peut exister pour lui-même, sans avoir le sentiment ou l’aperception immédiate interne de la coexistence du corps, voilà bien le fait primitif ».
Cette formule de Maine de Biran tirée de son Essai sur les fondements de la psychologie, dit assez combien l’esprit ne saurait cette fois se concevoir, et même se vivre, sans le corps. Avec le fameux « exemple de la statue » (Condillac / Maine de Biran), tout est affaire de “touchant-touché” – paradigme dans lequel s’engouffre cette fois l’interprétation phénoménologique de Maine de Biran (Michel Henry, Maurice Merleau-Ponty, Paul Ricœur). Mais on loue ordinairement l’effort interne chez Biran contrer la résistance externe chez Condilllac. Il convient cependant de ne pas aller si vite en besogne. Tout dépend de ce qu’on nomme « résistance », en tant que « résistance de la présence » davantage que « don du présent ». « Elle sera donc une odeur de rose » écrivait Condillac à propos de la statue (Traité des sensations), et « Je suis odeur de rose » transcrit Maine de Biran pour en critiquer et en rejeter l’analyse (Essai sur les fondements de la psychologie). Le diable se cache toujours dans les détails. Peut-être pourrait-il en effet se faire que le sujet « hors je(u) » dans l’écart au sentiment du moi, devienne aussi, et selon le penseur de Bergerac lui-même, « hors chair » en certaines situations limites : « sommeil, somnambulisme, songe, folie, effets des drogues, etc. ».
2ème section : Hors de soi
Mardi 14 mars 2023
« Etranger à soi »
« Mais je connais toute la faiblesse de mes moyens ; je sens combien ils sont disproportionnés au but même de cet essai. Je quitte le port, je vais m’enfoncer dans une mer souterraine, mais sans espérer de toucher ses rivages si éloignés et de pouvoir m’écrier : Italiam ! Italiam ! ».
Incroyable aveu, ou plutôt cri, du “Colomb métaphysicien” à l’heure d’achever l’introduction de l’Essai sur les fondements de la psychologie (1812). Reconnaissant que jamais il ne touchera terre et s’enfoncera donc toujours davantage dans une « mer souterraine », il n’est pas ce Napoléon conquérant qu’il connaît, fréquente, et admire – avec modération pourtant. Italiam ! Italiam ! – cela vaut pour l’empereur qui contemple du col de Tende les plaines du Piémont à vaincre et à envahir. Mais à Bergerac, et même à Paris, on ne l’entend pas ainsi. En des expériences extrêmes, le « hors de soi » prime soudainement sur l’expérience du moi, et « l’épaisseur du corps » sur le vécu de la chair. Voilà que l’on devient soudainement « étranger à soi » – alienus – tant du point de vue de l’esprit (à l’envers du spiritualisme) que du corps propre ou de la chair (à l’envers de la phénoménologie). Plus jamais on ne pourra dire avec Descartes, ou tel qu’il fut interprété, que « l’homme pense toujours » – et même qu’il s’auto-affecte ou « se sent » toujours. Inventeur “en creux” d’un « inconscient organique » aperçu mais jamais développé (Henry), voire d’une « vie psychique purement passive hors de la zone où il y a ce je senti dans l’effort » (Gouhier), Maine de Biran anticipe moins sur le « ça » de Freud qu’il ne préfigure le « Soi » de Nietzsche.
Mercredi 15 mars 2023
Une contre histoire de la folie
« Il n’y a rien de plus instructif pour l’homme éveillé que l’histoire des songes, comme rien de plus utile pour l’homme raisonnable que l’histoire de la folie ».
Cette formule, tirée des Nouvelles considérations sur le sommeil, les songes et le somnambulisme (1809), invite alors à lire Maine de Biran comme un penseur de l’extrême, ou qui touche aux extrêmes. Toujours à traquer l’indissoluble lien de l’organique au psychique, le futur député de la Dordogne se meut en médecin – de l’âme – en dialoguant même avec les médecins et les chirurgiens du corps (élu président de la société médicale de Bergerac en 1807). Il ne cessera alors de déployer des descriptions physiologiques, mais aussi phénoménologiques, des expériences limites. Effets des narcotiques et des spiritueux, délires, altérations mentales, rêves érotiques…, seront autant de moyens de retourner vers notre « sensibilité passive ou animale » où se produit « l’éclipse totale du sentiment de moi » (Rapport du physique et du moral de l’homme, 1811). Le Mémoire sur la décomposition de la pensée (1805) pourra alors, et paradoxalement, se lire comme une « décomposition » non plus en plein comme son analyse ou son articulation, mais plutôt en creux en guise de “destruction de la pensée”, ou acte de “dé-penser”. Loin de donner à croire que se produit une « exclusion de la folie » dans L’histoire de la folie à l’âge classique (Foucault), Maine de Biran la réintroduit au contraire, et même la réinterroge, après que Descartes l’eut provisoirement écartée. De quoi nourrir substantiellement, et même ostensiblement, tous les débats contemporains sur une psychiatrie renouvelée à l’aune de la phénoménologie (Heidegger, Binswanger, Maldiney…).
Jeudi 16 mars 2023
Conclusion : Trois vies en une
« Il s’agit de se faire dans son âme une solitude où le monde ne puisse pas pénétrer […]. Puisse notre intérieur devenir un temple digne de Dieu ! ».
Dans cette double déclaration du Journal à la date du 6 et du 20 décembre 1823, soit quelques mois avant sa mort (le 20 juillet 1824), Maine de Biran exprime donc une aspiration religieuse qu’on ne lui avait pas connue auparavant. Il aura certes déjà reconnu, et depuis longtemps, que « la religion se présente à la fin de la vie comme la grande, l’unique source de consolation et de force morale » (note du 21 septembre 1818). Mais il semble cette fois vouloir en faire l’expérience, comme il en serait du Mémorial de Pascal : « “Ô Dieu ! Prenez mon cœur, puisque je ne sais pas (ou que je ne puis pas) vous le donner, ayez pitié de moi malgré moi-même !” Prière sublime de Fénelon, qui convient parfaitement à mon insensibilité à l’égard de Dieu, à la faiblesse de mes sentiments religieux » (note du Carnet rouge, datée de septembre 1821). Mais à quel titre, et aussi à quel prix ? Ici surgit l’altérité en guise de grande oubliée dans le sentiment intérieur de soi : « il me semble qu’il y a en moi un sens supérieur et comme une face de mon âme qui se tourne par moments » (Journal, Avril 1820). Et pourtant, il convient de faire de son âme « une solitude où le monde ne puisse pas pénétrer » (supra). De quelle façon entendre ici ce « noyau de solitude » où ni le monde ni autrui ne sauraient habiter – excepté Dieu ? Au « hors de soi » du trauma, répond ici le « hors de soi » de l’absorption en Dieu. Commentant lui aussi le prologue de l’Evangile de Jean (à l’instar de Michel Henry), la question alors se pose de savoir ce qu’il en est “vraiment” pour Maine de Biran du sens de l’incarné. Telle sera la condition pour que de « trois vies » – « vie animale (ou organique), vie propre de l’homme (sujet sentant et pensant), et vie spirituelle (l’esprit qui connait Dieu et lui-même) » [Nouveaux essais d’anthropologie, 1821] –, on puisse aussi n’en faire qu’« une ».
Inscription indispensable
Les conférences seront données en format hybride (présentiel et distanciel).
https://chairegilson2023.eventbrite.fr
Subjects
- Thought (Main category)
- Mind and language > Thought > Philosophy
Places
- 74 rue de Vaugirard
Paris 06 Luxembourg, France (75006)
Event attendance modalities
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Tuesday, March 07, 2023
- Wednesday, March 08, 2023
- Thursday, March 09, 2023
- Tuesday, March 14, 2023
- Wednesday, March 15, 2023
- Thursday, March 16, 2023
Attached files
Keywords
- philosophie, phénoménologie, métaphysique
Contact(s)
- Vice-Rectorat à la Recherche
courriel : recherche [at] icp [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Vice-Rectorat à la Recherche
courriel : recherche [at] icp [dot] fr
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To cite this announcement
« Spiritualisme et phénoménologie : le cas Maine de Biran », Lecture series, Calenda, Published on Monday, February 13, 2023, https://doi.org/10.58079/1aj3