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Le religieux des politistes

Religion and political scientists

Socio-histoire d’objets « encombrants » dans une discipline

A socio-historical look on “inconvenient” objects in the discipline

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Publié le mercredi 15 février 2023

Résumé

L’objet de cette journée d’étude est de remettre sur l’ouvrage la question du religieux en science politique, en interrogeant les manières dont la discipline se saisit de la question du « religieux » (indépendamment de débats sur ses définitions) depuis les quarante dernières années. Nous souhaitons prolonger des réflexions initiées en sociologie (Lambert, Michelat, et Piette 1997 ; Béraud, Duriez, et Gasquet 2018) et développées plus récemment en science politique (Jouanneau et Raison du Cleuziou 2012 ; Frégosi et Silhol 2017), en direction d’un travail à la fois épistémologique et empirique sur la légitimité et les impensés de ces objets (Altglas et Wood 2018).

Annonce

Argumentaire

L’objectif est d’apporter un écho contemporain aux travaux initiés dans plusieurs réflexions collectives depuis les années 1990, du Groupe thématique « Religion, démocratie, démocratisation » de l’AFSP (Association française de science politique) entre 1992 et 1998, au groupe de recherche comparatif « Croire et politique » au CERI entre 2001 et 2003 (Capelle-Pogăcean, Michel, et Pace 2008), en passant par la Chaire d’études sur le religieux (CERI, Sciences Po) et le récent « Observatoire international du religieux » (OIR, CERI et GSRL). À ce titre, la journée d’étude part du constat préliminaire de la place versatile du « religieux » dans la science politique. Malgré un apparent surinvestissement lié à l’actualité récente (notamment les attentats de 2015), l’importance accordée aux questions religieuses semble s’estomper. On compte un nombre réduit et inégal de sections spécialisées sur le « religieux », de près ou de loin, aux congrès de l’AFSP sur les vingt dernières années (aucune en 2002 et 2005, 4 en 2007, 2 en 2013, 1 en 2015, 4 sur 99 en 2017, aucune en 2019, 2 sur 66 en 2022).

Malgré une forte visibilité de divers « problèmes religieux » depuis près de trente ans (signes religieux dans les écoles, « sectes », enseignement du fait religieux, gestion communale des lieux de culte, radicalisation, etc.), les travaux de recherche épars semblent suivre des intérêts cycliques ou évolutifs. On ne peut pas parler d’un sous-champ d’études à part entière et légitime en science politique, bien que des demandes institutionnelles existent ponctuellement (ministères, Commission européenne, etc.) et que des thèses soutenues manifestent cet intérêt. Si les débats exacerbés et les problèmes publics tendent à « autonomiser » certaines représentations sociales (la radicalisation en prison, les abus sexuels de clercs, le marché du halal, etc.) vis-à-vis d’institutions, de groupes et de ce qu’on pourrait appeler un champ religieux (Beckford 1990), les analyses ancrées en science politique restent relativement discrètes.

L’expression d’« objets encombrants » permet de condenser plusieurs dimensions. En premier lieu, la métaphore permet de se référer à des objets qui, par leur poids, leur forme ou leur volume, gênent dans un espace, pour penser des objets dans l’espace d’une discipline académique. L’analogie vaut jusqu’à ce que le traitement de ces objets sorte des mains des spécialistes entraînés à les manier et à les déplacer. En témoignent les difficultés à traiter l’action publique sur du « religieux » avec les outils habituels de la discipline mais « en-dehors » de la sociologie des religions (Jouanneau 2013 ; Ollion 2017). Toutefois, l’encombre est aussi une notion à connotation morale, au sens d’embarras ou d’obstacle. L’héritage de la laïcisation des disciplines en Sorbonne à la fin du XIXe siècle (Baubérot 2002), les logiques longues de spécialisation disciplinaire, de même qu’une prudence incorporée vis-à-vis de ces thèmes (Maître et Bourdieu 1993), montrent une difficulté reconnue à banaliser ces objets. Pour autant, d’autres logiques entrent en compte, notamment d’ordre générationnel parmi les politistes. D’une part, la focalisation sur des sujets à forte demande institutionnelle, comme la (dé-)radicalisation, n’empêche pas une perte de visibilité d’autres objets plus classiques, sur les religions et la démocratie (Michel 1993) ou sur le militantisme (Lagroye et Siméant-Germanos 2003 ; Fretel 2004). D’autre part, force est de constater la multiplication de recherches où des objets « religieux » sont imbriqués sans être nécessairement centraux : mobilisations de citoyens avec une composante confessionnelle minoritaire (Trucco 2015) ou conservatrice (Geay 2014 ; Balas 2021 ; Della Sudda 2022), dispositifs participatifs et mosquées (Torrekens 2012 ; O’Miel et Talpin 2015), élites religieuses musulmanes (Dazey 2021) ou discussions sur la « théologie politique » en sociologie de l’État (Skornicki 2015), etc. Ces chercheurs.ses, souvent en début de carrière, ne sont pas loin s’en faut, toujours spécialisé.e.s sur des objets « religieux », et s’y intéressent de manière ponctuelle, pour une partie d’enquête de thèse ou au cours d’un contrat postdoctoral, sans y consacrer toutes leurs enquêtes.

Il convient de penser le paradoxe « tout le monde parle du religieux, peu l’étudient », par l’enquête sur les conditions de production de savoirs de politistes sur ces objets. Pour ce faire, nous émettons l’hypothèse de la spécialisation sous contraintes des études sur le « religieux ». Cette expression désigne des formes d’identification de carrières individuelles à cet objet par des facteurs subjectifs (parcours, publications, groupes de travail…) et objectifs (commandes institutionnelles, visibilité dans un champ d’études…). Ces contraintes suivent des temporalités différentes. Sur le long-terme, il s’agit des conditions de structuration et d’autonomisation de la discipline science politique en France. À moyen-terme, on peut penser à la formation de collectifs de recherche sur le religieux (GIS, laboratoires…), aux cycles d’attention médiatique (« les signes religieux ostentatoires », les sectes, etc.), mais également aux orientations de carrières professionnelles. Enfin, à plus court terme, il peut s’agir des présentations de soi du personnel enseignant-chercheur, des projets financés, des CV ou des logiques de recrutement.

Ainsi, la spécialisation sur des problèmes publics liés au « religieux », en France, était minoritaire parmi les politistes spécialistes de l’islam dans les années 1990-2000. Les conditions sont différentes pour des politistes ayant soutenu leurs thèses dans les années 2010, qui abordent ces questions en sociologie politique, en théorie politique, en politiques publiques ou en relations internationales. Cette diminution des contraintes à la spécialisation individuelle peut s’opérer indépendamment d’une visibilité accrue d’objets (mouvements islamistes, questions de genre et catholicisme…), au risque d’une sur-étude sous l’angle « sécuritaire » par exemple sur l’islam en Europe (Amiraux 2012).

Pourtant, les travaux existants sur les politistes et le religieux soulignent que la science politique, anglophone (Kettell 2012 ; Barb 2018) comme francophone (Frégosi et Silhol 2017), s’intéresse depuis longtemps à des faits religieux, qui traversent les évolutions structurelles de la discipline. Ce sont donc les traitements dispersés et les valorisations changeantes dans les sous-champs d’études, voire les ambiguïtés en termes d’inscriptions théoriques et d’affichage des carrières professionnelles, qui méritent d’être abordés. Il ne s’agit pas de plaider pour créer un nouveau champ d’études, mais bien pour suggérer une réflexion collective (Kettell 2015) sur ces objets « encombrants », en utilisant des outils de la sociologie des sciences, de la socio-histoire des disciplines (Cohen 2017) et de la sociologie de l’action publique (de Galembert 2018). Quelle variété d’approches, de carrières et de tendances peut recouvrir un « regard politiste sur le religieux » ? Comment sont produits des savoirs sur le religieux qui participent de questionnements généralistes en science politique ?

Deux axes structurent cette réflexion. En premier lieu, il s’agit d’étudier la place des questions religieuses dans la science politique, au prisme de leurs évolutions et traitements dans une perspective socio-historique. Un deuxième axe questionne les façons dont les politistes, en tant que professionnel.le.s de la recherche et de l’enseignement, se positionnent par rapport à cette thématique, notamment en lien avec les commandes publiques et les contraintes institutionnelles. Les propositions devront s’appuyer sur des matériaux originaux de types sociohistoriques, quantitatifs ou qualitatifs.

Axes de réflexion

Axe 1 : Contributions à une sociohistoire de la science politique et du religieux

L’approche sociohistorique de la discipline peut contribuer à identifier les études et auteur.e.s pionnier.e.s dans la discipline ainsi que la focalisation sur un religieux « problématique », « sensible » et/ou « pathologique ».

Il faut considérer ici l’héritage juridique de la science politique, ainsi que ses relations avec des disciplines où les questions religieuses ont une place notable : la sociologie, l’anthropologie et l’histoire. La construction des objets centraux devant beaucoup à l’héritage juridique, c’est dans cette veine que la science politique a envisagé le religieux en objet « comme un autre ». Celui-ci est une variable parmi d’autres dans l’explication du vote (Michelat et Simon 1977 ; Dargent 2021), du développement (Badie 1986), de la construction de l’État (Birnbaum 1985), ou comme un thème de pensée politique (Portelli 1974). Cependant, rares sont alors les travaux de science politique qui abordent l’objet religieux en tant que tel.

Dans cet axe, il s’agira également de questionner empiriquement la sous-étude du religieux par des secteurs de la discipline comme la sociologie de l’action publique (De Galembert 2018), qui peut cohabiter avec une visibilité élevée dans d’autres secteurs (sociologie du militantisme et des mobilisations) et dans d’autres pays.

De même, une attention pourra être portée au poids des études aréales qui cantonnent d’une certaine manière l’étude du religieux à des aires culturelles spécifiques plus ou moins identifiables. À ce titre, les travaux orientalistes, puis les sciences sociales des « mondes arabes et musulmans » ont, d’une certaine façon, préfiguré et configuré l’étude des mobilisations islamistes (Geisser 2012).

Axe 2 : Comment l’objet religieux s’impose ou s'évanouit dans les travaux de science politique ?

Cet axe porte sur des travaux relatifs à des objets dits religieux en science politique et sur les manières dont ils ont été construits, qu’il s’agisse de la question de la démocratisation, de la pensée politique, des relations internationales (Allès 2021), des mobilisations religieuses, de la laïcité (Portier 2016). Une attention pourra également être portée sur les usages de l’analogie religieuse dans des travaux de science politique sur des objets tels que les « religions séculières », le communisme ou les partis politiques (Pudal 1989).

Les contributions pourront aborder la façon dont le religieux s’impose dans des recherches, par exemple sur des pratiques d’agents dans l’administration des migrants (Darley 2014) ou sur les matrices de l’engagement en mai 1968 (Pagis 2010). Cela inclut également l’étude des conditions de spécialisations individuelles et collectives, ainsi que des trajectoires de « sortie du religieux » au profit d’autres thématiques de recherche. On peut s’inspirer de l’analyse de telles trajectoires et de reconversions de la « première génération » de sociologues des religions en France (Lassave 2019).

Nous attacherons également une attention particulière aux enquêtes qui explorent les effets de la reconnaissance de la science politique dans les « savoirs de gouvernement » (Déloye, Ihl et Joignant 2013) ainsi qu’aux conséquences de la gouvernance politique de la recherche sur le religieux. Trois grandes questions semblent avoir concentré l’intérêt politique et l’essentiel des commandes : l’islam dans les pays occidentaux, les sectes et la radicalisation. Plusieurs dimensions peuvent être explorées : le rôle de conseil des politistes auprès des autorités politiques (ministères, administrations centrales, etc.), les logiques de partenariat et de financement avec les administrations publiques, l’enrôlement des chercheur.se.s dans des controverses (de Galembert 2009), les programmes de recherche et les sujets de thèse (Bréjon de Lavergnée et Teinturier 2017).

Modalités de participation

Les propositions en français ou en anglais (1 à 2 pages, format .doc, .docx ou .odt) devront préciser le titre, le nom et l’affiliation institutionnelle de l’auteur.e ou des auteur.e.s. Elles devront également proposer une problématique et apporter des précisions sur les matériaux empiriques utilisés. Elles doivent s’inscrire principalement dans un axe identifié.

Elles seront envoyées aux adresses électroniques loic.le-pape@univ-paris1.fr et guillaume.silhol@unibo.it

avant le 17 mars 2023.

Elles seront évaluées après réception par le comité scientifique.

Un papier de 35.000 signes maximum sera attendu en amont du colloque.

Comité d’organisation

  • Loïc Le Pape, maître de conférences, CESSP (UMR 8209), Paris-1 Panthéon-Sorbonne
  • Guillaume Silhol, postdoctorant, Département de sciences politiques et sociales, Université de Bologne, Italie, associé à MESOPOLHIS (UMR 7064), Sciences Po Aix-en-Provence

Comité scientifique

  • Franck Frégosi, directeur de recherches CNRS, GSRL (UMR 8582), EPHE - Paris-Sorbonne
  • Claire de Galembert, chargée de recherches CNRS HDR, ISP (UMR 7220), Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
  • Juliette Galonnier, maîtresse de conférences, CERI (UMR 7050), Sciences Po Paris
  • Vincent Geisser, chargé de recherches CNRS, IREMAM (UMR 7310), Aix-Marseille Université
  • Laurent Jeanpierre, professeur des universités, CESSP (UMR 8209), Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences HDR, Institut de recherche Montesquieu (EA 7434), Université de Bordeaux
  • Isacco Turina, chercheur, Département de sciences politiques et sociales, Université de Bologne, Italie
  • Dilek Yankaya, maîtresse de conférences, MESOPOLHIS (UMR 7064), Sciences Po Aix-en-Provence

Organisation

CESSP - Mesopolhis - Département SPS de l’Université de Bologne

8 juin 2023 (sous réserve), Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne

Lieux

  • CESSP, Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne 14, rue Cujas
    Paris, France (75005)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • vendredi 17 mars 2023

Mots-clés

  • science politique, religieux, socio-histoire disciplinaire, réflexivité

Contacts

  • Guillaume Silhol
    courriel : guillaume [dot] silhol [at] unibo [dot] it

Source de l'information

  • Guillaume Silhol
    courriel : guillaume [dot] silhol [at] unibo [dot] it

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Le religieux des politistes », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 15 février 2023, https://doi.org/10.58079/1ajo

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