Recompositions sociales et inégalités dans les espaces ruraux
Revue « Espaces et sociétés »
Published on Wednesday, February 15, 2023
Abstract
L’intérêt scientifique pour les dynamiques sociospatiales dans les espaces ruraux et les modalités contemporaines du renouveau rural s’est affirmé progressivement et a connu une accélération ces dernières années, en France, en particulier auprès de jeunes chercheurs et chercheuses, ainsi que dans d’autres pays européens et nord-américains. Si d’autres articles de la revue Espaces et sociétés ont abordé des questions relatives aux espaces ruraux, l’objectif de ce dossier est de proposer des éclairages, y compris historicisés, sur les divers processus sociospatiaux qui concernent les espaces ruraux, tels que la gentrification, la marginalisation, la fragmentation. Nous attendons des contributions de diverses disciplines des sciences sociales qui pourront se fonder sur une acception large du rural, potentiellement émancipée de nomenclatures statistiques contraignantes sur le plan analytique et pouvant s’étendre des campagnes proches des villes aux plus éloignées.
Announcement
Argumentaire
L’intérêt scientifique pour les dynamiques sociospatiales dans les espaces ruraux et les modalités contemporaines du renouveau rural s’est affirmé progressivement et a connu une accélération ces dernières années, en France, en particulier auprès de jeunes chercheurs et chercheuses, ainsi que dans d’autres pays européens et nord-américains. La crise de la COVID-19 et les effets du (dé)confinement ont conduit de nombreux ménages à investir des espaces ruraux de toutes natures (isolés, littoraux, de montagne, proches des villes, etc.) et ont attiré l’attention sur les migrations des villes vers les campagnes. En France, ces mobilités, supposément inédites et encore difficiles à mesurer, ont fait l’objet d’innombrables articles de presse et ont également alimenté les débats locaux, parfois nourri l’hymne à la nouvelle idylle rurale, ou alors l’expression du rejet de l’autre, du nouveau venu. Par leur temporalité très singulière et leur spatialité sélective, ces mobilités ne sont qu’une composante complémentaire de dynamiques sociodémographiques plus profondément inscrites dans les campagnes françaises (Kayser, 1990 ; Pistre, 2012). Les recherches en la matière sont régulièrement appliquées à de nouveaux espaces ou à de nouveaux profils de population, par exemple étrangère (Berthomière et Imbert, 2020). En dehors de la France, et notamment dans les contextes européens et nord-américains, le réinvestissement des espaces ruraux a également été attesté, selon des modalités et des temporalités parfois différentes (Barcus, 2004 ; Camarero et Sanpedro, 2020).
Ainsi, par le jeu des mouvements migratoires et des renouvellements plus ou moins rapides et significatifs de populations, les espaces ruraux connaissent des évolutions socioprofessionnelles déjà largement lues par des chercheurs et chercheuses issu-e-s des diverses disciplines des sciences sociales. Depuis la fin des années 2000, plusieurs travaux ont par exemple mobilisé et alimenté le champ (issu des États-Unis) des migrations d’aménités, en particulier dans les zones de montagne, souvent propices à l’observation de l’attractivité des territoires ruraux (Moss, 2006 ; Cognard, 2010 ; Martin et al., 2012 ; Barrioz, 2019). Cette grille de lecture a permis d’analyser les impacts des mobilités sur les espaces ruraux et de considérer la recomplexification sociale qui en résulte. Les campagnes concernées, riches en aménités (environnementales, culturelles, patrimoniales, touristiques, etc.), ont fait l’objet d’investissements qui ont pu rendre les marchés foncier et immobilier locaux inaccessibles aux classes populaires et même moyennes. Si en France, comme dans d’autres pays, les structures sociales des espaces ruraux tendent à s’équilibrer progressivement en faveur des catégories socioprofessionnelles supérieures qui y ont longtemps été très sous-représentées, une partie de ces espaces est désormais réservée aux classes sociales supérieures ou très supérieures et cela traduit de profondes inégalités, des rapports de domination, qui peuvent s’exprimer à plusieurs échelles et de différentes manières. L’environnement, dans sa matérialité biophysique et les représentations qu’il suscite est souvent central dans ces processus (Richard et al., 2017). Des phénomènes de sélection, dont celui de gentrification rurale, travaillent ainsi certains espaces ruraux (Solana-Solana, 2010 ; Cretton, 2018 ; Nelson et Hines, 2018 ; Richard, 2021).
Pour autant, à l’image des migrations résidentielles et autres déclinaisons mobilitaires qui ne touchent pas équitablement tous les espaces, la recherche est peut-être, elle aussi, spatialement sélective, encore peu attirée par les campagnes qui continuent de perdre des habitant-e-s ou, pire, par celles dont les soldes migratoires demeurent négatifs. Certes, démographes, géographes et sociologues restent, en France, pénalisé-e-s par les problématiques d’échelles auxquelles les données sont produites et susceptibles d’être traitées pour les communes de petite taille. Malgré cela s’esquisse une géographie des campagnes populaires, où habitent des populations modestes, précaires, ou même pauvres (Pagès, 2004 ; Coquard, 2019 ; Roche, 2016). Au même titre que la pauvreté elle-même, qui n’a rien de commun entre celle subie par une mère seule non qualifiée, employée à temps partiel, mais intégrée au sein de fortes solidarités familiales, ou celle presque revendiquée par de jeunes porteur-euse-s de projets alternatifs vivant des minima sociaux (lorsqu’ils existent) en habitat léger, ou encore celle de travailleur-euse-s étranger-ère-s (Morén-Alegret et Solana, 2004), les facteurs explicatifs peuvent être très variables. Ils tiennent parfois aussi aux appareils productifs locaux, avec des marchés du travail quelquefois fragiles, proposant ici une agriculture très spécialisée et tendanciellement inapte à générer des revenus dignes, ou là, un long cycle de désindustrialisation qui n’est pas compensée par l’émergence de nouveaux emplois.
Cependant, au-delà des différentes trajectoires sociospatiales, les campagnes ne sont pas homogènes et les deux tendances évoquées peuvent cohabiter, avec en outre chacune ses multiples nuances, à une échelle fine, y compris infracommunale. De même que les recompositions sociospatiales des métropoles ont pu le faire dans les années 2000, celles des campagnes contemporaines n’y entraîneraient-elles pas aussi des formes de fragmentation sociale, avec des coprésences entre populations aux profils sociaux hétérogènes ? Cela ne rend-il pas d’autant plus visibles les inégalités socio-environnementales, inégalités qui « met[tent] en jeu des différences d’exposition et de capacités de protection [face aux risques et nuisances environnementales] d’une part, et d’autre part, d’accès aux ressources et aménités environnementales » (Emelianoff, 2006, p. 36) ? Dans des territoires ruraux gentrifiés par exemple, il est possible d’observer des interstices où résident des populations pauvres ou précaires, dont des populations immigrées aux statuts juridiques divers, parfois employées au service des populations plus fortunées, rendant la confrontation entre les écarts de revenus et de mode de vie d’autant plus intense et tangible. De plus, les profils sociaux peuvent aussi être envisagés dans leurs nuances : on pourrait ainsi considérer le nombre et la part toujours croissants des retraité-e-s, dont les profils vont des ancien-ne-s agriculteur-trice-s ou ouvrier-ère-s locaux-les plus ou moins paupérisé-e-s, aux migrant-e-s aisé-e-s ou très riches, nationaux ou étrangers, aux populations hypermobiles et transnationales.
Si d’autres articles de la revue Espaces et Sociétés ont abordé des questions relatives aux espaces ruraux (par exemple Verhaeghe, 2021 ; Cailly et al. 2022), l’objectif de ce dossier est de proposer des éclairages, y compris historicisés, sur les divers processus sociospatiaux qui concernent les espaces ruraux, tels que la gentrification, la marginalisation, la fragmentation. Cette démarche pourra mettre en avant le caractère systémique de ces évolutions, ainsi que leurs cohabitations, à travers une analyse multiscalaire, de l’échelle internationale à l’échelle microlocale. Trois axes se dégagent plus particulièrement.
- Les espaces ruraux connaissent des trajectoires sociales contrastées, avec des recomplexifications pouvant conduire à des territoires marqués par un entre-soi élitiste, dans d’autres cas à la relégation des populations plus fragiles, sans oublier les différentes formes de coprésence ou de cohabitation. Il s’agira alors d’interroger les formes, les échelles et les temporalités de ces recompositions, mais également les défis méthodologiques et statistiques de cette analyse.
- Ces recompositions sociospatiales peuvent produire ou entretenir des rapports de domination, mais aussi des alliances locales. Ainsi, quels sont les leviers sur lesquels les acteurs s’appuient pour construire ou entretenir les rapports de force, ou à l’inverse pour créer des alliances ? En particulier, l’environnement, y compris en tant que support de pratiques récréatives et touristiques ou encore en étant au cœur de nouveaux enjeux liés aux énergies renouvelables, est souvent structurant dans ces nouveaux rapports sociaux : de quelle manière devient-il un outil de domination au sein des espaces ruraux ? Ou a contrario, peut-il contribuer à créer de nouvelles coopérations ? Quelles nouvelles tensions ou concurrences entre différents groupes sociaux peut-on observer, liés aux multiples usages de l’environnement (espaces résidentiels ou de loisirs, de production agricole ou énergétique, etc.) ?
- Au regard de l’ensemble de ces mutations sociodémographiques, il serait difficile de ne pas s’interroger sur les politiques publiques mises en œuvre par les États et/ou les collectivités territoriales. Comment réagissent ces derniers aux processus de gentrification rurale, à la paupérisation d’une partie de la population, à la fragmentation sociospatiale ? De quels outils disposent-ils et comment les activent-ils, par exemple dans le domaine de l’action sociale, du logement, de l’urbanisme, etc. ?
Nous attendons des contributions de diverses disciplines des sciences sociales qui pourront se fonder sur une acception large du rural, potentiellement émancipée de nomenclatures statistiques contraignantes sur le plan analytique et pouvant s’étendre des campagnes proches des villes aux plus éloignées. Les contributions pourront porter sur des études de cas en France et sur d’autres pays européens ou nord-américains, y compris à travers une démarche comparative, afin d’interroger la dimension transnationale de ces processus ou, au contraire, d’en mettre en lumière les dynamiques spécifiques.
Coordination du dossier
- Philippe Hamman, université de Strabourg,
- Frédéric Richard, université de Limoges,
- Greta Tommasi, université de Limoges.
Modalités de contribution
Envoi des articles au plus tard le 1er septembre 2023
exclusivement en version électronique par courriel aux trois adresses suivantes :
phamman@unistra.fr ; frederic.richard@unilim.fr ; greta.tommasi@unilim.fr
Les auteurs qui s’interrogent sur la pertinence de leur proposition peuvent contacter les coordinateurs.
Attention, la revue n’accepte pas de propositions d’articles, mais des articles complets.
Les articles ne dépassent pas 45 000 signes (espaces comprises) en incluant : texte, notes, références bibliographiques, annexes, mais hors résumés et mots clés.
Les normes de présentation et les conseils aux auteurs sont disponibles sur le site de la revue (pdf)
La revue rappelle que tout auteur peut lui adresser, à tout moment, un article en hors dossier, si celui-ci concerne le rapport espaces, territoires et populations au sens large et s’il respecte les normes de publication.
Subjects
- Sociology (Main category)
- Society > Geography > Rural geography
- Society > Urban studies
- Society > Political studies > Political sociology
- Society > Sociology > Economic sociology
- Society > Sociology > Demography
Date(s)
- Friday, September 01, 2023
Keywords
- espace rural
Contact(s)
- Philippe Hamman
courriel : phamman [at] unistra [dot] fr - Frédéric Richard
courriel : frederic [dot] richard [at] unilim [dot] fr - Greta Tommasi
courriel : greta [dot] tommasi [at] unilim [dot] fr
Information source
- Sophie Henck
courriel : s [dot] henck [at] unistra [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Recompositions sociales et inégalités dans les espaces ruraux », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, February 15, 2023, https://doi.org/10.58079/1ajt