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Circonférences de l’improvisation : faire corps autrement

Circumferences of improvisation : forming bodies differently

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Veröffentlicht am Dienstag, 21. März 2023

Zusammenfassung

L’improvisation dans les divers arts performatifs (danse, musique, théâtre, etc.) paraît présenter une multiplicité hétérogène, et à chaque fois singulière, de formes, y compris corrélativement au cadre dans lequel elle se produit : selon qu’il s’agit en particulier d’une improvisation en atelier, ou bien d’une improvisation en performance. Habituellement, on se plaît à opérer des distinctions en évoquant des improvisations « libres » et des improvisations « structurées », ou bien des improvisations « en solo » et des improvisations « en groupe », etc. Cependant, ces commodités de langage ne trahiraient-elles pas en réalité une spécificité de l’expérience improvisée, inadaptée dans sa structuration discursive à ces découpes conceptuelles ? En d’autres termes, l’expérience improvisée ne déconstruirait-elle pas, par nature, l’opposition même entre les genres en rejetant tout binarisme ? Pour ce faire, nous avons choisi d’analyser la thématique centrale du « corps de l’improvisation » sous trois axes spécifiques : l’axe du savant et du populaire ; l’axe du volontaire et de l’involontaire ; et l’axe de l’individuel et du collectif.

Inserat

Dans le cadre de la semaine de l’improvisation qui se tiendra à Nice du 11 au 17 septembre 2023, le Centre de Recherches en Histoire des Idées et le Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants organisent, le vendredi 15 septembre 2023, un colloque sur le thème de l’improvisation dans les arts performatifs.

Argumentaire

L’improvisation dans les divers arts performatifs (danse, musique, théâtre, etc.) paraît présenter une multiplicité hétérogène, et à chaque fois singulière, de formes, y compris corrélativement au cadre dans lequel elle se produit : selon qu’il s’agit en particulier d’une improvisation en atelier (comme recherche d’une pratique ou expérimentation sur soi), ou bien d’une improvisation en performance (comme présentation à des observateurs d’une recherche en cours). Habituellement, on se plaît à opérer des distinctions au sein de ce qui apparaîtrait comme un « genre » de l’improvisation, en évoquant des improvisations « libres » et des improvisations « structurées », ou bien des improvisations « en solo » et des improvisations « en groupe », etc. Cependant, ces commodités de langage ne trahiraient-elles pas en réalité une spécificité de l’expérience improvisée, inadaptée dans sa structuration discursive à ces découpes conceptuelles entre ce qui relève du spontané et ce qui relève de la technicité, ou entre ce qui résulte de l’individuel et ce qui résulte du collectif ? En d’autres termes, à défaut de créer des « sous-genres » au sein d’un « genre » commun que serait la figure de l’improvisation, l’expérience improvisée ne déconstruirait-elle pas, par nature, l’opposition même entre les genres en rejetant tout binarisme ? Pour ce faire, nous avons choisi d’analyser la thématique centrale du « corps de l’improvisation » sous trois axes spécifiques – ni exclusifs les uns des autres, ni nécessairement exhaustifs : l’axe du savant et du populaire, se référant à l’ambivalence entre le corps discipliné des danses et musiques savantes et le corps prétendument spontané de l’improvisation ; l’axe du volontaire et de l’involontaire lié à la déconstruction méthodique des codes gestuels par la pratique de l’improvisation (à travers la double voie possible du dépouillement et du débordement du corps) ; et l’axe de l’individuel et du collectif (où la tension entre l’expérimentation de soi et l’expérimentation du commun, entre le corps individuel du praticien et le groupe que les praticiens forment ensemble en « faisant corps », paraît incarner une duplicité irréductible dans les pratiques improvisées).

Axe 1 : Aller au-delà du binarisme « corps savant »/« corps populaire »

On pourrait a priori penser que l’improvisation corporelle dans les arts dits « vivants » a de tout temps existé : par exemple, dès le IVe siècle av. J.-C., Aristote note dans sa Poétique le rôle de l’improvisation (qu’il nomme « inspiration ») dans l’émergence du théâtre antique. On retrouve une certaine pratique de l’improvisation également à l’époque médiévale (avec, par exemple, la pratique de la Dialectica ou joute oratoire entre étudiants au sein de l’enseignement universitaire), ou encore à l’époque de la Renaissance italienne (avec la célèbre Commedia dell’arte, également nommée Commedia All’Improvviso (à l’improviste), qui improvise des spectacles directement sur les places publiques). Néanmoins, l’improvisation s’assimilait alors davantage à une expression spontanée de la vie, c’est-à-dire à une pratique quotidienne, qui existait dans les faits, et sur laquelle on ne s’interrogeait pas du fait de son omniprésence factuelle. Il faudra, plus précisément, attendre 1642 pour que le verbe « improviser » entre dans la langue française et 1807 pour que le nom d’ « improvisation » émerge dans le contexte pré-romantique, ce qui fera dire notamment à Jean-François de Raymond que le mot apparaît quand la réalité que ce mot recouvre disparaît progressivement, au profit de sa supplantation par les notations et partitions en musique, en danse, en théâtre, et au profit de l’avènement des Beaux-arts où la beauté des formes des « danses mesurées » et de la « musique savante » deviendra prédominante. Il appert ainsi que ce n’est que face à la raréfaction du phénomène de l’improvisation que les hommes ont pu commencer à s’interroger sur l’existence et sur la valeur de ce phénomène. Que nous révèle dès lors ce retournement contemporain en faveur de l’improvisation ? S’agit-il d’un simple retour à une pure spontanéité du geste improvisé, en-deçà des techniques ayant formaté le corps à travers l’histoire classique et moderne des arts ? La fin du XIXe siècle et surtout le XXe siècle offrent en effet à l’improvisation la possibilité de devenir un outil de formation de l’acteur (Stanislavski, puis plus tard Grotowski) ou du danseur (dès le début du XXe siècle, avec Loïe Fuller, Ruth Saint Denis, Doris Humphrey, puis surtout au milieu du XXe siècle dans les classes entre autres d’Anna Halprin et de Robert Dunn), ou encore un outil reconnu d’innovation en musique (dans le Jazz, dans la popularisation des ragas de la musique indienne). Et la seconde moitié du XXe siècle offre le cadre pour que l’improvisation devienne le facteur essentiel d’une présentation théâtrale (ex. Le Living Theatre), dansée (le Judson Dance Theater, le Grand Union, le Contact improvisation), etc. Que nous dévoilent, en somme, ces diverses pratiques contemporaines ? L’improvisation, dans ses formes contemporaines, n’apparaîtrait-elle pas désormais, à rebours du binarisme posé historiquement entre spontanéité et technique, tel un ensemble de questionnements, de recherches évolutives, expérimentales et conscientes du et sur le corps, où la technique, à défaut d’être occultée, serait sans cesse transcendée pour développer des gestes constamment inédits et pour éviter de sombrer dans le caractère sclérosant des habitudes ?

Axe 2 : Aller au-delà du binarisme « corps volontaire »/« corps involontaire »

De telles expérimentations conscientes du et sur le corps improvisant qui rejettent à la fois l’inconscience du geste absolument spontané et la fixation de gestes codifiés par la technique, paraissent remettre également en question l’opposition conceptuelle traditionnelle entre l’expression intérieure d’un soi spontané et l’extériorité des règles incorporées au corps par l’apprentissage discipliné d’une technique. Pour le dire autrement, l’expérience improvisée paraît réinterroger le binarisme du dedans et du dehors, du dedans généralement associé à une forme d’autonomie et du dehors pouvant être conjugué à une forme de contrainte, ou encore les binarismes de l’activité et de la passivité, etc. Il en résulte un paradoxe en improvisation, bien connu, qui consiste à « vouloir l’involontaire », ou qui consiste à se laisser affecté par l’implication du dehors dans la mesure où le corps peut ensuite interagir avec les affordances du milieu.

Dans ce cadre, les pratiques somatiques, largement diffuses dans la communauté de danse contemporaine, invitent à considérer les corps improvisants comme des corps expérimentaux qui réinterrogent le comportement de notre corps dans l’action (par le biais du sentir, du percevoir, du faire), en proposant, à côté des techniques de surgissement spontané du geste, un ensemble de pratiques faisant du « geste » un champ d’expérimentations conscientes. Ces techniques initialement intérieures du geste (où l’on se focalise sur les mécanismes posturaux, perceptifs, attentionnels et relationnels, sur les sensations de balancement du poids dans notre corps, sur les forces et les mouvements qui y sont à l’œuvre, etc.), pratiquent une « voie de dépouillement » en cherchant à soustraire à notre corps ses habitudes, réflexes, volitions ou désirs personnels. En quoi un tel dépouillement, un tel « suspendre », une telle « inhibition », ou un tel « évidement » (comme dirait Jacques Gaillard) au sein de ces pratiques permettent-ils de conduire à de nouvelles corporations, en se laissant investir et pénétrer par l’expérience en jeu, par ce qui se trouve « en jeu » dans l’expérience improvisée ? Est-ce que cette faculté de se rendre d’autant plus sensible à notre vécu ne serait pas parallèlement une faculté de se rendre disponible à ce qui nous environne, la présence d’autrui, comme de l’autre en général (l’espace, le sol, la nature, les autres, etc.) ? Est-ce que le corps ouvert à soi ne serait pas dans le même temps un corps ouvert à l’altérité et à l’extériorité ? En quoi, pour le dire autrement, une forme de « perte de son corps » permet par la suite de « reprendre corps » (Alice Godfroy), et de susciter ainsi de nouvelles formes d’agentivité, à la fois en devenant l’élément fondamental de la reconstruction du sujet et en modifiant notre rapport à l’intersubjectivité comme à l’intercorporéité ? Ces questionnements seront bien sûr à rapprocher du contexte d’émergence anti-capitaliste et anti-individualiste des pratiques d’improvisation (par exemple, concernant la danse, des années 50 et 60 aux Etats-Unis et des expérimentations des danseurs post-modernes).

Cette voie de « dépouillement » (par défaut) du corps improvisant en danse, qui mêle volontaire et involontaire, ne pourrait-elle pas, par ailleurs et au contraire, être une voie de « débordement » (par excès) du corps improvisant dans d’autres arts, comme en musique ? N’y aurait-il pas au moins deux voies de détournement des codes par le geste improvisé : la voie de l’époché d’une part, et la voie de l’ivresse d’autre part ? ; ou encore, la voix d’une certaine forme de mise en retrait de soi pour faire émerger le sentiment d’un collectif d’un côté et, d’un autre côté, la voix d’une certaine forme de sur-individualisation du moi à partir du collectif ? Et en quoi cette seconde voie du débordement rejouerait autrement la déconstruction du binarisme entre volontaire et l’involontaire ? S’émanciper, en effet, de corps disciplinés, dressés, construits en pratiquant jusqu’à l’extrême ce dressage, cette discipline, dans la tentative finalement de se l’approprier et de renverser sa force de contrainte en une force de libération, ne conduit-il pas à vouloir l’involontaire d’une autre manière ? Par ailleurs, dans le cadre de la musique, cela ne conduit-il pas également à réinterroger l’opposition entre le « corps » humain et le « corps » de l’instrument ? Si, effectivement, le musicien, à force de pratiques, finit par domestiquer l’instrument en renversant la force « obligatoire » de ses gestes en une force d’« émancipation », cela pourrait n’être possible que dans la mesure où il parvient à ne faire qu’un, à « faire corps » avec son instrument. Et cette possibilité de « faire corps » entre le « corps » du musicien et le « corps » de l’instrument, lequel ne s’assimilerait plus à un simple objet passif mais deviendrait un « actant » à proprement parler, peut-elle s’étendre aux « corps » des autres musiciens du groupe et aux « corps » de leurs instruments ?

Axe 3 : Aller au-delà du binarisme « corps individuel »/« corps collectif »

Quand Steve Paxton, initiateur en 1972 du Contact improvisation, affirme : « Solo dancing does not exist » (la danse en solo n’existe pas), que veut-il dire ? Que « le danseur danse avec le sol : ajoutez un autre danseur, vous aurez un quatuor : chaque danseur l’un avec l’autre, et chacun avec le sol ». C’est dire que l’improvisation, y compris en « solo », ne pourrait être stricto sensu « solus », seule, ou encore individuelle, et ne pourrait, à l’inverse, faire disparaître toute singularité. Par conséquent, elle pourrait n’être toujours que « trans-individuelle » (comme le souligne notamment la philosophe canadienne Erin Manning), en rendant indissociable, à la suite des travaux entre autres de Gilbert Simondon, à la fois le psychique et le social, la personnalisation singulière des individus et le devenir social du groupe, sans  sombrer ni dans un pur social ni dans un agrégat d’individus réunis artificiellement. La « trans »-individualité soulignerait à la fois le dépassement et le prolongement d’une forme d’individuation où le « Je » et le « Nous » se co-constitueraient mutuellement. En bref, la rupture des binarismes entre volontaire et involontaire, entre dedans et dehors, pourrait conduire la pratique individuelle de l’improvisation à n’être toujours que transie par un collectif, dans une association rendue possible entre l’un et le multiple, que ce collectif ou que ce multiple soit le rapport de l’improvisateur au sol, à la gravité (ou à la puissance de la terre), à l’espace, à son entourage, ou encore aux autres improvisateurs et au public.

Plus précisément, le fait de dé-centrer le sujet, par un dé-pouillement ou un dé-bordement (axe 2), conduit à récuser l’auto-centration du sujet dans l’histoire des idées pour promouvoir une hétéro- ou une extéro-centration du sujet vécue à travers le corps dans l’expérience improvisée (d’une manière parallèle ou peut-être conjointe aux pensées post-modernes d’un Deleuze ou d’un Derrida). Il en résulte que l’ultime savoir que les improvisateurs pourrait tirer de ces savoirs expérientiels ou situés que sont les pratiques d’improvisation est que l’appui « princeps » n’émane jamais d’un moi pré-existant, mais émerge toujours d’une « relation » avec l’autre (au sens large), laquelle conduit à réviser son corps et sa subjectivité comme un processus d’individuation toujours en cours, comme un acte pur de « relationnement », où les choses « me dansent », où je suis à la fois bougeant et bougé (Emma Bigé) au sein d’un flow collectif. Ce « relationnement » qui permet d’ouvrir à l’indétermination, à l’imprévisible, en bref à la création en improvisation ouvre enfin à d'autres horizons pour finir de spécifier le faire dansé ou le faire musical improvisé. Cela ouvre notamment à un nouveau vécu de la temporalité qui ne se trouve plus fondé sur une conduite formelle et linéaire du temps à venir, mais qui s’enracine dans une présence (au présent et dans l’espace), dans une « présentification » pouvant faire l’objet d’une « présentation » au cours d’une performance, dans laquelle on éprouve la singularité d’une ouverture constante des possibles (voir notamment l’épochè de l’instant chez Erwin Straus, ou encore l’état d’enregistrement — aufnahmezustand — dont parle Mauricio Kagel). Cela ouvre consécutivement à une nouvelle appréhension de l’espace, devenue multi-directionnelle ou omni-englobante (Erwin Straus) et qui fait corps avec les corps des praticiens. Et ce « partage » du temps et de l’espace, dans des rapports de co-présence au présent, dans des mouvements de co-duration, bref dans de nouveaux contextes spatio-temporels, est aussi finalement ce qui pourrait permettre d’entrevoir l’improvisation comme favorisant de nouveaux « faire ensemble », de nouvelles « écologies pratiques » : une nouvelle éthique (au sens d’une expérience partagée à plusieurs), voire une nouvelle politique (au sens du sentiment d’une communion et d’un faire de la collectivité). En somme, ces analyses sur l’expérience vécue du geste improvisé, et entre autres sur le rejet du binarisme entre l’individuel et le collectif, permettraient de réintégrer, mais peut-être différemment, l’entreprise des Cultural studies étudiées par les pays anglo-saxons pour se référer aux pratiques de performance et d’improvisation.

Modalités de contribution

Les propositions de communications (2500 signes espaces compris) sont à envoyer, accompagnées d’un CV, à Grégori Jean (Gregori.JEAN@univ-cotedazur.fr)

pour le 2 mai 2023.

Organisateurs

  • Alice Godfroy,
  • Grégori Jean,
  • Alessandra Randazzo,
  • Jean-François Trubert

 

 

Kategorien

Orte

  • Nizza, Frankreich (06)

Veranstaltungsformat

Veranstaltung vor Ort


Daten

  • Dienstag, 02. Mai 2023

Schlüsselwörter

  • improvisation, corps, performance

Informationsquelle

  • Alessandra Randazzo
    courriel : alessandra [dot] randazzo [at] univ-cotedazur [dot] fr

Lizenz

CC0-1.0 Diese Anzeige wird unter den Bedingungen der Creative Commons CC0 1.0 Universell .

Zitierhinweise

« Circonférences de l’improvisation : faire corps autrement », Beitragsaufruf, Calenda, Veröffentlicht am Dienstag, 21. März 2023, https://doi.org/10.58079/1are

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