AccueilLes préfets dans la première guerre mondiale (France / Europe, 1914-1918)

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Les préfets dans la première guerre mondiale (France / Europe, 1914-1918)

Prefects in the war (France / Europe 1914-1918)

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Publié le lundi 27 mars 2023

Résumé

Le comité d’histoire de l’Institut des Hautes Études du Ministère de l’Intérieur (IHEMI) organisera son prochain colloque sur le thème « Les préfets dans la première guerre mondiale ». L’appel à contribution propose une analyse des pratiques et du travail des préfets et de leur administration pendant la première guerre mondiale ; des relations entretenues avec les autorités militaires, les élus locaux mais aussi les administrés ; des modalités suivant lesquelles les préfets ont vécu et ressenti le conflit. La perspective est ici de comprendre ce que la guerre fait à l’État en faisant le pari que l’observation à l’échelle locale permet de mieux saisir les formes plurielles de l’État en guerre ainsi que l’engagement des hauts fonctionnaires dans le conflit.

Annonce

Argumentaire

Dans les très nombreux travaux qui ont profondément renouvelé l’historiographie de la Grande Guerre depuis le manifeste programmatique publié en 1994 par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker[1], l’État – entendu ici comme « l’ensemble des agents et des institutions qui luttent et travaillent à la concentration de ressources organisationnelles, matérielles et symboliques leur permettant de revendiquer avec succès le monopole de la violence physique et symbolique légitime et d’en assurer les conditions de reproduction »[2] – a été, disons-le, le parent pauvre d’une historiographie très largement dominée par une approche culturelle de la Grande Guerre. Pourtant, le décentrement opéré depuis plusieurs années par de nombreux chercheurs[3] a ouvert la voie à un retour de la place de l’État dans la guerre. De nombreux travaux ont ainsi permis de documenter son rôle dans les « mises en guerre »[4] des sociétés européennes pour comprendre comment l’État fait la guerre (explorer les décisions prises, les stratégies élaborées, les pratiques mises en œuvre dans le cadre d’une guerre dont la longue durée et l’intensité n’ont pas été anticipées) mais aussi ce que la guerre fait à l’État, notamment en interrogeant la manière dont le conflit a pu constituer une rupture ou une accélération vis à vis des dynamiques ou des trajectoires qui lui préexistaient : maximisation ou exubérance de l’État central qui devient omnipotent et omniprésent ; évolution et mutation des « formes du gouvernement »[5]; intensification des pratiques de contrôle et de surveillance des populations mais aussi multiplication des aides et des secours ; accélération des dynamiques de nationalisation ou d’étatisation des sociétés européennes avec en retour des effets sur le rapport des individus ou des groupes sociaux à l’État ; transformation opérée par le conflit dans l’économie des droits et des devoirs qui permet de penser les relations entre celui-ci et les citoyens qui se conçoivent de manière croissante comme des « ayant droit »[6]. Dans cette historiographie – y compris dans les ouvrages les plus récents – le rôle des préfets et sous-préfets a été très peu abordé. S’il a pu être évoqué, il a très rarement fait l’objet d’une étude spécifique[7].

Travailler sur les rôles politiques, administratifs, juridiques des représentants de l’État, conduit à mettre à distance la vision d’un État dont l’action en temps de guerre aurait été coordonnée et « nationalisée ». Le rapport des sociétés locales et des « petites patries » à la guerre était très différent selon que l’on se situait dans des territoires au cœur du conflit ou beaucoup plus éloignés et périphériques. Le regard porté sur les administrateurs départementaux en action constitue alors un point de vue a priori intéressant pour observer les formes différenciées et plurielles de l’État en guerre. En effet, les situations locales étaient très diverses. Dix départements étaient occupés dont un – les Ardennes – totalement. Des combats se déroulaient sur une partie du territoire, si bien que celui-ci était partagé en deux zones : celle des Armées et celle de l’intérieur, avec des régimes de circulation différents. De façon générale, la guerre était loin d’être une réalité homogène selon les départements : les rapports à la République restaient difficiles dans certains d’entre eux ; les territoires étaient plus ou moins requis et plus ou moins désireux de s’engager ; les effets du conflit sur les populations variaient d’un département à l’autre. Dans ces conditions, il s’agira donc d’interroger l’hétérogénéité des pratiques, mais également leurs inflexions au cours du conflit.

Évaluer la capacité de l’État à se renforcer ou encore l’efficacité des mises en guerre conduit à tenir compte des réussites mais aussi des cas d’échecs lorsque l’État, débordé, ne parvient pas à répondre à toutes les demandes. De la même manière, en considérant que la guerre accroît l’emprise étatique, tout autant qu’elle révèle voire étend les possibilités de résistance ou d’adaptation du système économique ou des particuliers[8], l’analyse des résistances, des contestations ou des conflits que suscite l’action des préfets ainsi que des compromis qu'elles exigent apparaît essentielle.

Enfin, ce colloque international voudrait s’inscrire dans un espace de réflexion comparatiste sur la place et le rôle des représentants territoriaux de l’État dans les pays belligérants. L’entreprise scientifique et éditoriale initiée par Jay Winter il y a quelques années plaide ainsi pour une démarche résolument transnationale du moment 14-18[9]. Parallèlement, l’histoire préfectorale connaît actuellement un décloisonnement qui lui permet de dépasser la seule histoire nationale des préfets français[10]. La comparaison permettrait ici de mieux saisir les rôles différenciés et les homologies structurelles de cette institution dans des univers sociaux, politiques et institutionnels parfois opposés. Ces réflexions se déploient ainsi autour d’une série de questions : comment ces serviteurs de l’État, médiateurs d’une part entre le « centre et les périphéries » et d’autre part entre le sommet de la hiérarchie du pouvoir et les populations, perçoivent-ils leur rôle et exercent-ils leur autorité dans le quotidien du conflit[11]? Peut-on déceler au-delà des différences de contextes nationaux une communauté de situation et donc éventuellement de pratiques et de cultures professionnelles entre des administrateurs territoriaux également placés à mi-chemin entre le national et le local (municipalités) et affrontant certains défis communs, notamment la représentation de l’État, l’organisation du maintien de l’ordre et le rappel ou l’imposition de l’unité de l’entité politique qu’ils servent ? Bref, que signifie en définitive administrer un territoire dans un État au cœur de la guerre : avec quels buts, quelles compétences et quels moyens ?

À partir de ces constats et réflexions, cinq axes nous semblent pouvoir être dégagés :

Axe 1 – L’administration préfectorale et l’animation de l’effort de guerre

Sous dimensionnées par rapport à l’ampleur de l’effort dont la durée et l’intensité n’ont pas été anticipés, les administrations préfectorales se trouvent encore affaiblies par l’amputation d’une partie importante de leurs effectifs. Dans le Pas de Calais, sur les 88 agents que compte la préfecture avant le conflit, 51 sont mobilisés[12]. Or la charge de travail s’accroît, soit que les missions traditionnelles s’alourdissent, soit que de nouvelles attributions liées à la guerre apparaissent. L’activité des représentants de l’État et des personnels préfectoraux devient alors particulièrement intense. Elle se déploie autour de multiples leviers : maintenir l’ordre public en assurant la surveillance du territoire et des individus ; soutenir la mobilisation économique au service de la guerre ; protéger et secourir les populations dans le besoin y compris les réfugiés et les victimes de guerre, ravitailler les populations mais aussi réguler la vie économique (rationnement, fixation des prix, moratoire sur les dettes, etc.)[13]. Il s’agit donc d’appréhender le fonctionnement et les pratiques d’une administration aux prises avec de fortes contraintes, en restituant les choix effectués, mais aussi en explorant les transformations induites à l’échelle locale : multiplication des organismes temporaires – comités, commissions consultatives, offices divers – de plus en plus nombreux, mais aussi recrutements de nouveaux personnels dont une grande partie sont des auxiliaires[14]. Dans les organismes nouvellement créés siègent des notables mais aussi des représentants des corps intermédiaires (syndicats, chambre de commerce, etc.) qu’il s’agit d’associer[15]. De la même manière, l’administration des secours – la prise en charge des blessés, le secours aux indigents ou encore l’accueil des réfugiés – exige de faire appel au bénévolat. Le préfet est conduit à effectuer des arbitrages (par exemple, à l’intérieur d’un département, en situation de pénurie, privilégier les grandes villes par rapport aux petites) que peut éclairer notamment l’étude des arrêtés préfectoraux. De quelles marges de manœuvre les préfets disposent-il ? Dans quelle mesure l’action individuelle de grandes personnalités préfectorales peut-elle être mise en lumière par l’historien ? De façon générale, l’analyse des rapports qu’entretiennent les préfets avec les autres représentants de l’État ou avec les notables apparaît indispensable.

Axe 2 – Les préfets dans leurs rapports avec les maires, les autorités militaires et administratives

Si l’on définit l’État comme un champ structuré par des rapports de force ou de collaboration entre diverses composantes ou entre des acteurs variés, l’entrée en guerre bouleverse brutalement les équilibres institutionnels subtils et les règles du jeu politico-administratif. Ainsi, la Troisième République a confié d’importantes compétences aux élus locaux, particulièrement aux maires[16]. C’est un principe de subsidiarité qui caractérise l’assistance mais aussi la politique de santé publique mise en place par la loi de 1902. Mais l’urgence et l’ampleur des difficultés à résoudre conduisent à concevoir d’autres cadres d’action. C’est le cas par exemple dans le domaine de la santé ou du placement[17]. En matière de ravitaillement, la guerre ne va pas dans le sens d’une décentralisation puisque les organismes temporaires créés deviennent des relais de l’État[18]. Pendant la guerre, le préfet est donc l’interlocuteur du maire pour un grand nombre de questions : cantonnement des troupes, assistance aux réfugiés, mise en culture des terres, ravitaillement, etc. Or, rares sont en effet les travaux qui ont abordé directement ce que la guerre a fait au couple maire/préfet (alors même que l’historiographie sur cette « complémentarité conflictuelle », notamment sous la Troisième République, est mieux assurée)[19]. Ainsi, dans l’ouvrage que Louis Fougère, Jean-Pierre Machelon et François Monnier avaient dirigé sur les communes et le pouvoir depuis 1789[20], le moment 14-18 est curieusement oublié. Et lorsque l’historiographie s’intéresse aux conséquences du conflit à l’échelon local, elle penche nettement du côté du pouvoir mayoral[21]. Il conviendrait ainsi d'analyser dans quelle mesure le conflit modifie l’agencement des relations traditionnelles. Plusieurs entrées sont ici possibles : l’exercice de la tutelle a donné lieu depuis le vote de la loi du 5 avril 1884 a une abondante jurisprudence administrative définissant ainsi progressivement les interactions entre les deux autorités. Dans quelle mesure l’irruption du conflit vient-il transformer les équilibres juridiques jusqu’alors définis par le juge administratif ? On pense ici à la jurisprudence dite des « pouvoirs de guerre » (à l’instar de la théorie des circonstances exceptionnelles, CE, Heyriès, 1918) définissant ainsi les contours d’une « légalité de guerre »[22]. Dans quelle mesure la guerre redéfinit-elle de nouveaux rapports au droit pour les administrateurs départementaux ? L’évolution des rapports entre préfets et notables peut également être observée à l’échelle des pratiques quotidiennes et du travail effectué en commun. Si, dans certains départements, les maires se révèlent des auxiliaires précieux, ailleurs, la distribution des allocations aux familles de mobilisés ou aux réfugiés, la mise en œuvre des réquisitions ou bien la gestion des pénuries donnent lieu à des tensions avec les élus locaux, qu’il s’agisse des maires, des députés ou des conseillers généraux, dont l’analyse peut s’avérer éclairante. Plus largement, jusqu’où l’économie des rapports politiques formels et informels que les préfets et sous-préfets entretenaient avec les élus locaux s’est-elle trouvée bouleversée ?

Le déclenchement du conflit modifie également l’équilibre et les rapports entre le pouvoir civil et militaire. En août 1914, le premier abandonne beaucoup au second :  la réactivation de la loi sur l’état de siège datant de 1849 transfère un certain nombre de pouvoirs dévolus aux représentants de l’État aux généraux commandant de régions militaires. Si elle s’étend alors à tout le territoire, la zone des armées se réduit à partir de septembre 1915 aux départements traversés par le front. Toutefois, durant toute la durée du conflit, les préfets et les autorités militaires doivent travailler de concert, qu’il s’agisse des questions de main-d'œuvre, du ravitaillement des troupes ou encore de l’évacuation des civils. Si l'historiographie a documenté les rapports entre autorités civiles et militaires à l’échelle nationale, on sait peu de choses en revanche sur l’échelle locale.

Enfin, l’entrée en guerre modifie aussi les rapports que les autorités préfectorales entretiennent avec les administrations de l’État. Les préfets sont des acteurs charnières entre les administrations centrales (ils sont par exemple chargés de recenser les besoins en charbon) et l'État local. La guerre a-t-elle modifié leurs dialogues avec les différents ministères ? Observateurs des populations locales, vigies de l’opinion publique départementale, fins connaisseurs des réalités sociales et politiques de leur territoire, les représentants de l’État ont-ils pu faire davantage pression (et par là sans doute être mieux et davantage écoutés) sur les ministères pour obtenir toujours davantage de moyens pour maintenir la production agricole et industrielle, soutenir l’industrie de guerre ou approvisionner le front ?

Axe 3 – Administrer en temps de guerre : préfets et sous-préfets dans leurs rapports avec les administrés

Le préfet est le relais essentiel entre le gouvernement et la population. En temps de conflit, il n’apparaît plus seulement comme « le représentant de la République » mais avant tout comme « l’animateur de l’effort de guerre ». Sa figure et ses rapports avec les populations sont susceptibles d’être modifiés. On ne demande plus aux préfets de faire appliquer la loi à l’échelon local mais aussi d’entraîner les populations et de les rallier à l’effort de guerre.

Il s’agit donc d’explorer en premier lieu les efforts déployés pour informer et convaincre les populations afin que celles-ci acceptent de s’exécuter et de faire ce que l’État exige d’elles, qu’il s’agisse de livrer ses récoltes dans le cadre des réquisitions ou de verser son or pour l’emprunt national. La mobilisation de la société civile repose largement sur les maires mais aussi les préfets. Quels sont les arguments, les médias ou les relais mobilisés ? On peut penser notamment à l’affichage, qui pourrait donner lieu à une réflexion spécifique[23]. Cette action incitative se double d’un versant répressif. Les préfets sont chargés de censurer et de maintenir l’ordre pour éviter les troubles qui pourraient entraver voire paralyser l’effort de guerre. Comment cette action répressive s’est-elle déployée ? Quelle a été son ampleur ? S’est-elle accompagnée d’une certaine tolérance ? Alors que la guerre accentue le brouillage entre « main droite » et « main gauche » de l’État[24], comment ces pratiques répressives s’articulent-elles avec les fonctions de protection et de secours ? Les préfets sont, en dernier lieu, chargés de prévenir et d’alerter en informant de tout événement qui pourrait intéresser le gouvernement[25]. Comment le font-ils pendant la guerre et comment interprètent-ils l’état d’esprit perçu de leurs administrés ? Répondre à cette dernière question invite à considérer la manière dont les préfets eux-mêmes perçoivent et vivent le conflit. C’est aussi en arrière-plan toute la question des mutations du métier préfectoral que cet axe souhaiterait aborder. Comment incarne-t-on l’État[26] en temps de guerre ? Comment exerce-t-on et réinvente-t-on son rôle dans l’urgence de la guerre ? En effet, le travail préfectoral n’est pas seulement administratif. Administrer, c’est aussi figurer l'État dans toutes ses dimensions : se déplacer et parcourir le département ou l’arrondissement (l’art d’être là)[27], recevoir et inviter la société locale (bals, réceptions…) en préfecture, multiplier les échanges informels… Or, tout cela devient quasi impossible dans un contexte d’Union sacrée et d’effort de guerre permanent. Dans quelle mesure les représentants de l’État ont-ils dû inventer de nouveaux savoir-faire politiques et administratifs ? Dit autrement, comment « maintient-on l’État » dès lors que l’État est entièrement consacré à la logique de guerre ?

Axe 4 – « La préfectorale dans la tranchée et hors la tranchée » : vivre la guerre comme préfet et sous-préfet

La mobilisation générale n’épargne pas la haute fonction publique[28]. Si certaines figures sont passées à la postérité, telle celle d’Henri Collignon qui s’engage comme simple soldat de première classe au sein du 46e régiment d’infanterie en août 1914[29], l’historiographie de la Grande Guerre (française plus particulièrement) s’est encore très peu attardée sur l’engagement des hauts fonctionnaires[30]. Pourtant de nombreux jeunes hauts fonctionnaires sont mobilisés. Parmi eux, des sous-préfets et certains « jeunes préfets » : 300 membres de l’administration préfectorale partent au front et 44 sont tués[31]. S’il s’agira d’aborder – à l’instar des travaux récents sur les intellectuels – la « question encore trop mal connue de l’inégale exposition aux conditions du front et à la mort »[32] et, plus largement, des rapports de classe au sein des tranchées, cet axe se voudrait également un espace de confrontation aux imaginaires administratifs préfectoraux en temps de guerre. En effet, il y a ceux qui sont mobilisés et au front mais il y a également tous ceux qui – au-delà de l’exercice du métier dans la guerre – vivent le conflit : les sous-préfets et préfets des départements occupés dès les premiers mois de la guerre (ceux qui sont dans l’obligation de quitter leur poste, ceux qui sont faits prisonniers, ceux qui restent face à l’ennemi), les administrateurs de l’arrière mais aussi des départements d’Algérie. Les administrateurs départementaux ont-ils ainsi laissé des traces, des récits, des témoignages, des correspondances intimes, des journaux relatant leurs « jours de guerre »[33] ? Rares sont encore les récits connus, tels celui du préfet du Nord Félix Trépont[34] même si un immense travail de recension de ces « écritures du for privé » a été entrepris ces dernières années dans le cadre de ce “projet mémoriel interactif” qu’a été la « Grande Collecte 1914-1918 ». Cet axe serait aussi l’occasion de dresser un premier inventaire possible de ces récits oubliés de préfets ou sous-préfets en guerre. « Si ces contre-sources épousent au plus près le point de vue et les plis émotionnels des scripteurs, [...] [elles] ne disent pas tant autre chose qu’autrement. Car l’unité ici n’est ni une population, ni un territoire, ni un problème social, mais un geste d’écriture comme un ‘dépôt de soi’ (de sa crainte, son désarroi, sa souffrance [...] ou [de] sa haine) en contrepoint des collectives d’émotions et des temps partagés »[35].

Axe 5 – Préfets et gouverneurs européens dans la Grande Guerre

Ce colloque international se veut aussi un espace de réflexion sur les formes multiscalaires des rapports à la guerre des élites administratives. Peut-on identifier – par-delà – les configurations institutionnelles et politiques les contours d’une culture administrative de guerre dans l’ensemble des États belligérants[36]. Dans quelle mesure les pratiques, les habitus, les comportements, les savoir-faire, les savoir-être, les imaginaires administratifs sont-ils modifiés par la guerre ? Dit autrement, « quelles particularités peut-on relever dans la conception que [ces hauts] fonctionnaires se font de leur métier, de leur responsabilité et de leur devoir en temps de guerre »[37] ? Des réponses ont déjà été apportées, mais elles demeurent encore sans doute trop rares[38]. Une comparaison plus systématique des pratiques administratives (ordre public, ravitaillement, information, soutien aux populations de l’arrière…) des représentants de l’État dans les différents pays en guerre permettrait sans doute de mieux mesurer les écarts mais aussi les continuités de ce que la guerre a fait aux pratiques d’État. Des travaux ont ainsi bien montré que les légitimités bureaucratiques et professionnelles furent profondément bouleversées par la guerre[39]. Peut-on cependant généraliser ces analyses et observations ? Plus largement, la comparaison inviterait à mieux comprendre ce que les différents « états de guerre » (géographie, implication dans le conflit…) ont fait au métier préfectoral.

Modalités de contribution

Pour soumettre votre proposition de communication, merci d’envoyer à l’adresse histoireprefectorale@ihemi.fr un résumé de 3000 à 5000 signes maximum (hors bibliographie) accompagné d’un titre provisoire et d’une courte bibliographie

au plus tard le 1er juin 2023.

Les contributions seront examinées par le comité scientifique dans les semaines qui suivent la date limite de la réponse à l’appel. Une réponse sera apportée au plus tard début juillet 2023. Nous accueillons les contributions venues de plusieurs disciplines (histoire, science politique, droit, anthropologie, sociologie…). La langue de travail sera le français, les papiers pourront être présentés en français et en anglais.

Le colloque se tiendra à Sciences Po Toulouse les 14 et 15 décembre 2023. Il se fait avec le soutien du département d’histoire préfectorale de l’Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI), de Sciences Po Toulouse, du Laboratoire des Sciences Sociales du Politique (LaSSP) et du laboratoire Institutions et Dynamiques Historiques de l'Économie et de la Société (IDHES – UMR 8533) de l’Université Paris Nanterre.

Une publication des actes est prévue.

Responsables scientifiques

  • Laure Machu (IDHES – Paris Nanterre)
  • Gildas Tanguy (LaSSP – Sciences Po Toulouse)

Comité scientifique

  • Pierre Allorant (POLEN – Université d’Orléans)
  • Jean-Michel Bricault (CRDT – Université de Reims)
  • Alain Chatriot (CHSP – Sciences Po)
  • Emmanuelle Cronier (CHSSC – Université de Picardie Jules Verne)
  • Catherine Grémion (CSO – Sciences Po)
  • Pierre Karila-Cohen (TEMPORA – Université Rennes 2 ; IHEMI)
  • Yann Lagadec (TEMPORA – Université Rennes 2 ; Saint-Cyr Coëtquidan)
  • Tiphaine Le Yoncourt (IODE – Université de Rennes)
  • Nicolas Mariot (CESSP – CNRS)
  • Edenz Maurice (IHEMI ; CHSP – Sciences Po)
  • Jean-Paul Pellegrinetti (CMMC – Université de Nice)
  • Pierre André Peyvel (Préfet honoraire – IHEMI)
  • Vincent Viet (Cermes3 – CNRS)

Comité d’organisation

  • Pierre Karila-Cohen (TEMPORA – Université Rennes 2 ; IHEMI)
  • Laure Machu (IDHES – Paris Nanterre)
  • Edenz Maurice (IHEMI ; CHSP – Sciences Po)
  • Pierre André Peyvel (IHEMI)
  • Gildas Tanguy (LaSSP – Sciences Po Toulouse)

Notes

[1] Stéphane Audouin-Rouzeau et Annette Becker, « Vers une histoire culturelle de la première guerre mondiale », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 41, p. 5-8. Plus largement, sur cette nouvelle lecture du conflit et de la notion de « culture de guerre » qui lui est afférente, voir des mêmes auteurs, 14-18, retrouver la Guerre, Paris, Gallimard, 2000. Pour une discussion de la notion, voir Nicolas Offenstadt, Philippe Olivera, Emmanuelle Picard et Frédéric Rousseau, « À propos d’une notion récente : la “culture de guerre” », in Frédéric Rousseau (dir.), Guerres, paix et société, 1911-1946, Neuilly, Atlande, 2004, p. 667-674.

[2] Sylvain Berstchy et Philippe Salson (dir.), Les mises en guerre de l’État. 1914-1918 en perspective, Paris, ENS Éditions, 2018, p. 10.

[3] Voir notamment les travaux menés dans le cadre du Collectif de Recherche International et de Débat sur la guerre de 1914-1918 (CRID 14-18), en particulier André Loez, Nicolas Mariot (dir.), Obéir, désobéir. Les mutineries de 1917 en perspective, Paris, La Découverte, 2008 ; Nicolas Mariot, Tous unis dans la tranchée ? 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple, Paris, Editions du Seuil, 2013.

[4] Ibid. Voir aussi les travaux qui ont été menés ces dernières années sous le parrainage du Comité du Centenaire et du Comité d’histoire du ministère des Finances (CHEFF). Par exemple, Florence Descamps, Laure-Quennouëlle-Corre (dir.), La mobilisation financière pendant la Grande Guerre. Le front financier, un troisième front, Paris, CHEFF, 2015 ; Une fiscalité de guerre ? Contraintes, innovations, résistances 1914-1918, Paris, CHEFF, 2018 ; Florence Descamps, « Le ministère des Finances et la Grande Guerre », Revue française de finances publiques, n° 141, 2018, p. 147-167.

[5] Pour reprendre ici le titre de l’ouvrage classique de Pierre Renouvin, Les formes du gouvernement de guerre, Paris, PUF, 1925. Sur ce que le conflit a fait à l’action politique et gouvernementale, voir Fabienne Bock, « L’exubérance de l’État en France de 1914 à 1918 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 3, 1984, p. 41-51 et son ouvrage, Un parlementarisme de guerre, Paris, Belin, 2002. Cf. aussi, Nicolas Rousselier, La force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France XIXe - XXIe siècles, Paris, Gallimard, 2015, chapitre X, « Le souffle de la Guerre », p. 333-375 et Anne-Laure Anizan, « 1914-1918, le gouvernement de guerre », Histoire@Politique, 2014/1, n° 22, p. 215-232.

[6] Voir par exemple, le dossier Grande Guerre et protection sociale coordonné par Anne Rasmussen dans la Revue d’histoire de la protection sociale. « Introduction. Protéger la société de la guerre : de l’assistance aux “droits sur la nation” », 2016/1, n° 9, p. 9-24.

[7] Alain Jacobzone, « La Grande Guerre des préfets de Maine-et-Loire », in Jean-Luc Marais (dir.), Les préfets de Maine-et-Loire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000. Cf. aussi, Catalogue de l’exposition Femmes et hommes du ministère de l’Intérieur dans la Grande Guerre, Paris, Archives nationales/DICOM, 2015, 54 p.

[8] Jean-François Chanet, « Propos conclusifs sur les logiques ordinaires d’un temps d’exception » dans Sylvain Bertschy, Philippe Salson, Blaise Wilfert-Portal dir., Les mises en guerre de l'État : 1914-1918 en perspective, Lyon, ENS Editions, 2021, p. 321-326. Le conflit multiplie les formes d’évasion face à la règle, que l’on pense au non-respect de l’obligation scolaire ou à la question de l’autoconsommation ou du marché noir pour déjouer le rationnement.

[9] Jay Winter (dir.), La Première Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2013 et 2014 [tome 1 : Combats - tome 2 : États - tome 3 : Sociétés]. Voir aussi, Antoine Prost, Jay Winter, Penser la guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Editions du Seuil, 1994 ; John Horne (dir.), State, society and mobilization in Europe during the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.

[10] Voir notamment, Gildas Tanguy et Jean-Michel Eymeri-Douzans (dir.), Prefects, Governors and Commissioners. Territorial Representatives of the State in Europe, Londres, Palgrave Macmillan, 2021 et Pierre Karila-Cohen (dir.), Prefects and Governors in Nineteenth-century Europe. Towards a Comparative History of Provincial Senior Officials, Londres, Palgrave-Macmillan, 2022.

[11] À l’instar de certains travaux qui ont porté sur d’autres figures de l’État. Voir Jean-François Condette, « Les recteurs d’académie dans la Première Guerre mondiale. Servir la patrie en maintenant l’École (1914-1918) », in Stéphane Le Bras, Laurent Dornel (dir.), Les fronts intérieurs européens. L’arrière en guerre (1914-1920), Rennes, PUR, 2018, p. 111-130.

[12] La préfecture du Pas-de-Calais dans la tourmente de la Première Guerre mondiale, Préfecture du Pas-de-Calais, Publication du centenaire 1914-1918, 2018, p. 8-12.

[13] Stéphane Lembré, La guerre des bouches. Ravitaillement et alimentation à Lille (1914-1919), Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2016.

[14] La préfecture du Pas-de-Calais…, op. cit. Sur le recrutement massif d’auxiliaires pendant les périodes de conflits, voir Quentin Lohou, L’évolution du droit des relations du travail des agents non titulaires de la fonction publique d’Etat, Thèse de doctorat en droit, dir. Jean-Pierre Le Crom, Université de Nantes, 2020.

[15] Patrick Fridenson (dir.), 1914-1918. L’Autre front, Paris, Éditions ouvrières, 1977 ; Stéphane Le Bras, Laurent Dornel (dir.), Les fronts intérieurs européens., op. cit.

[16] Bruno Dumons et Gilles Pollet, « Espaces politiques et gouvernements municipaux dans la France de la Troisième République. Éclairage sur la sociogenèse de l’État contemporain », Politix, 14 (53), 2001, p. 15-32.

[17] On assiste à une centralisation et à une départementalisation de la politique sanitaire afin d’assurer un maillage prophylactique serré du territoire. Les préfets viennent ainsi décharger les maires d’une responsabilité devenue écrasante avec le conflit. Voir Vincent Viet, La santé en guerre 1914-1918, Paris, Presses de Sciences Po, 2015. En matière de placement, les Offices départementaux de placement gérés par des commissions où siègent des représentants des employeurs, des organisations syndicales ouvrières, des élus locaux et des représentants des services préfectoraux, sont créés en 1915 pour pallier aux insuffisances des bureaux municipaux. Voir Thierry Bonzon « Réorganiser le marché du travail à Paris » dans Isabelle Lespinet-Moret, Laure Machu, Vincent Viet (dir.), Mains-d’oeuvre en guerre, Paris, La Documentation française, 2018.

[18] Pierre Chancerel, « L’économie de guerre », in Philippe Nivet. Coraline Coutant-Daydé, Mathieu Stoll (dir.), Archives de la Grande Guerre : Des sources pour l’histoire. Rennes, PUR, 2014, p. 267-277.

[19] Voir notamment Pierre Allorant, Le corps préfectoral et les municipalités dans les départements de la Loire moyenne au XIXe siècle (1800-1914), Orléans, Presses Universitaires d’Orléans, 2007.

[20] Louis Fougère, Jean-Pierre Machelon et François Monnier (dir.), Les communes et le pouvoir de 1789 à nos jours, Paris, PUF, 2002.

[21] Par exemple, Philippe Nivet, « Les municipalités en temps de guerre (1814-1944) », Parlements. Revue d’histoire politique, 2013/2, n° 20, p. 67-88.

[22] François Burdeau, Histoire du droit administratif, Paris, PUF, 1995, p. 308 et s.

[23] Dans le sillage des travaux de Frédéric Graber sur l’affichage administratif au XIXe siècle, en particulier L’affichage administratif au XIXe siècle. Former le consentement, Paris, Éditions de la Sorbonne, à paraître en avril 2023.

[24] Ainsi que le font valoir Sylvain Bertschy, Philippe Salson et Blaise Wilfert-Portal reprenant l’analyse bourdieusienne dans l’introduction de l’ouvrage, Les mises en guerre de l’État, op. cit., p. 10.

[25] Gregory Zeigin, « Les rapports des préfets » in Philippe Nivet. Coraline Coutant-Daydé, Mathieu Stoll (dir), Archives de la Grande Guerre, op. cit., p. 265-266.

[26] Sur ce rôle central des préfets et des sous-préfets, voir Pierre Karila-Cohen, Monsieur le Préfet. Incarner l’État dans la France du XIXe siècle, Ceyzérieux, Champ Vallon, 2021.

[27] Sur cette dimension, voir Gildas Tanguy, « Administrer ‘autrement’ le département. ‘Les préfets en tournées’ (1880-1940). Entre folklore républicain, rituel bureaucratique et pratiques informelles… », in Laurent Le Gall, Michel Offerlé et François Ploux (dir.), La politique sans en avoir l’air. Aspects de la politique informelle, XIXe-XXIe siècle, Rennes, PUR, 2012, p. 35-50.

[28] Voir notamment Le Conseil d’État et la Grande Guerre, Paris, La Documentation française, 2017 et La Cour des comptes dans la guerre de 14-18, Paris, La Documentation française, 2015.

[29] Conseiller d’État, Henri Collignon s’engage à 58 ans. Il avait mené une longue carrière dans la préfectorale sous la Troisième République (sous-préfet puis préfet de Corrèze, de l’Aveyron et du Finistère notamment).

[30] Sans doute parce que les données statistiques sur la composition sociale de l’armée française sont quasi inexistantes. Voir André Loez, « Autour d’un angle mort historiographique : la composition sociale de l’armée française en 1914-1918 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 91, 2008, p. 32-41. Plus largement, sur l’engagement des intellectuels dans la guerre, voir Martha Hanna, The Mobilization of Intellect. French Scholars and Writers during the Great War, Cambridge, Harvard University Press, 1996 ; Nicolas Mariot, Tous unis dans la tranchée, op. cit. et, du même auteur, « Pourquoi les normaliens sont-ils morts en masse en 1914-1918 ? Une explication structurale », Pôle Sud, n° 1, 2012, pp. 9-30 ; « La mobilisation normalienne et le service de l’État », in Sylvain Berstchy et Philippe Salson (dir.), Les mises en guerre de l’État, op. cit. p. 23-45.

[31] Femmes et hommes du ministère de l’Intérieur dans la Grande Guerre, catalogue de l’exposition, DICOM, 2018.

[32] Nicolas Mariot, « La mobilisation normalienne et le service de l’État », op.cit., p. 23.

[33] Yves Pourcher, Les jours de guerre. La vie des français au jour le jour. 1914-1918, Paris, Hachette/Pluriel, 1994.  

[34] Philippe Verheyde, « Journaux du préfet Trépont. Une chronique engagée de la guerre à la déportation (1914-1915) », in Philippe Henwood et Paule René-Bazin (dir.), Écrire en guerre 1914-1918. Des archives privées aux usages publics, Rennes, PUR, 2017, p. 121-133. Le journal du préfet Félix Trépont est déposé aux Archives nationales sous la côte 96 AP.

[35] Philippe Artières et Jean-François Laé, Archives personnelles. Histoire, anthropologie et sociologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 9.

[36] Voir à cet égard, Marc Olivier Baruch, « L’État et les sociétés en guerre en Europe : le cas français », Histoire, économie & société, 2004/2, p. 235-246.

[37] Ibid., p. 245.

[38] Voir notamment Marie-Bénédicte Vincent, « Quand les fonctionnaires doutent de l’État. Le délitement de l’administration allemande pendant la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2012/2, n°59, p. 56-84.

[39] Ibid, p. 72-74.

Lieux

  • Toulouse, France (31)

Dates

  • jeudi 01 juin 2023

Mots-clés

  • préfet, première guerre mondiale, 1914-1918

Contacts

  • Laure Machu
    courriel : lmachu [at] parisnanterre [dot] fr
  • gildas.tanguy@ut-capitole.fr
    courriel :

Source de l'information

  • Laure Machu
    courriel : lmachu [at] parisnanterre [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les préfets dans la première guerre mondiale (France / Europe, 1914-1918) », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 27 mars 2023, https://doi.org/10.58079/1at4

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