AccueilLes conjugalités à l’épreuve de l’expérience transnationale

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Publié le mardi 21 mars 2023

Résumé

Que se passe-t-il lorsque les conjugalités et les intimités qui sont confrontées à l’expérience transnationale ? Face à l’intensification des circulations, comment se reconfigurent les rapports conjugaux, les relations intimes et les rapports de genre lorsqu’ils se retrouvent pris dans le mouvement et la mobilité ? Le numéro de la Revue des politiques sociales et familiales s’organise autour de trois axes. Un premier axe s’attache à topographier ces conjugalités, quelles sont celles qui sont effectivement confrontées à l’expérience transnationale ? Une deuxième axe vise à explorer les impacts de la circulation sur les arrangements concrets qui s’opèrent au sein des conjugalités et des intimités. Enfin, un troisième axe, plus épistémologique et méthodologique, entend questionner la conceptualisation transnationale dans ses potentialités et limites heuristiques

Annonce

Coordination

  • Laure Sizaire (Centre Max Weber / Institut Convergences Migrations),
  • Nadia Mounchit (CMW / Université Lumière Lyon 2),
  • Clothilde Arnaud (CMW / Université Lumière Lyon 2)

Présentation

« Famille », « maternité », « parentalité » sont autant d’objets de recherche investis à partir de la focale transnationale depuis une vingtaine d’années (Le Gall, 2005 ; Yépez, Ledo et Marzadro, 2011 ; Grysole, 2020). Régulièrement soumise à la critique (Waldinger, 2006 ; Potot, 2018), cette perspective a néanmoins permis de renouveler le regard porté sur les migrations en veillant à éviter toute forme de nationalisme méthodologique (Wimmer et Glick Schiller, 2002) et en donnant à voir et à entendre les capacités d’action des personnes engagées dans des circulations transnationales face aux contraintes auxquelles elles font face (Basch, Glick Schiller et Szanton Blanc, 2005 [1993]).

Si la notion de famille a largement été explorée depuis une perspective transnationale (Razy et Baby-Collin, 2011 ; Merla et Minonzio, 2016 ; Le Gall, Therrien et Geoffrion, 2021), les chercheurs et chercheuses ont moins approfondi celle de la « conjugalité », à l’exception de quelques travaux (Charsley, 2012; Le Gall et Therrien, 2013; Le Bail, Lieber et Ricordeau, 2018). Prenant en compte le flou qui entoure les processus matrimoniaux (Antoine et al., 2006), nous envisageons les conjugalités dans une acception large et ouverte, incluant les mariages, la vie conjugale avec différents degrés de formalisation ainsi que le célibat ou la sortie d’union, dans le cas des séparations et des divorces (Fresnoza-Flot et de Hart, 2022). Plus largement, ce sont les relations intimes qui seront appréhendées dans toute leur diversité en étudiant aussi bien leurs prémices, que leur construction ou leur stabilisation. 

Notre questionnement est le suivant : en quoi le déplacement, la circulation ou encore les obstacles au mouvement participent-ils de la reconfiguration des intimités ? De quelles manières l’expérience transnationale s’immisce-t-elle (ou non) dans la sphère privée ? Que se passe-t-il lorsque, en migrant, les personnes se trouvent confrontées à d’autres régimes d’intimité, de genre, ou encore de parenté ? Dans quelle mesure les modèles normatifs deviennent-ils négociables voire discutables, dès lors qu’ils sont mis à l’épreuve du déplacement géographique de l’un ou des deux membres du couple ?

Plusieurs enquêtes, pour la plupart anglophones, ont ouvert des pistes de recherche fécondes en mobilisant le prisme transnational adossé à un usage fort des études de genre pour analyser les relations intimes ou matrimoniales en contexte migratoire (Constable, 2003; Pessar et Mahler, 2003 ; Brennan, 2004 ; Riaño et Baghdadi, 2007 ; Bloch, 2017). Deux types de travaux se distinguent. Certains s’attachent à comprendre les mariages transnationaux impliquant des partenaires de nationalités différentes. D’autres abordent les effets des migrations internationales sur les relations conjugales et les rapports de parenté, comme lorsque les hommes migrent, laissant derrière eux épouses et enfants, ou lorsque les couples migrent ensemble. Dans ce numéro, ces deux axes de recherche nous intéressent car, à chaque fois, il s’agit bien d’étudier des formes conjugales a priori touchées par l’expérience transnationale, incluant dans l’analyse des personnes aussi bien mobiles qu’immobiles (Levitt et Lamba-Nieves, 2011).

Par ailleurs, outre-Atlantique, les conjugalités sont, depuis les années 2000, largement questionnées à partir du qualificatif « cross-border » que l’on pourrait traduire littéralement par « au-delà des frontières » ou encore, comme nous choisissons de le faire ici, par « transnational ». Sur le plan analytique, cette conceptualisation permet d’englober aussi bien les unions endogames que celles qui ne le sont pas, sans les distinguer au préalable, pour au contraire, les penser ensemble en tant que relations intimes confrontées à la migration et à des processus globalisés (Williams, 2010). Cette approche évite l’écueil selon lequel seuls les couples binationaux seraient aux prises avec une expérience transnationale pour englober toutes les conjugalités, qu’il s’agisse de couples ayant migré ensemble, de couples dont les deux membres ont migré séparément ou encore de couples dans lesquels un seul des partenaires a migré. 

Les contributions attendues auront donc vocation à enrichir notre connaissance des intimités au sein desquelles des dynamiques transnationales entraînent une recomposition ou des transformations, tout en interrogeant aussi celles où le prisme transnational n’apparaît finalement pas comme un élément saillant dans l’élaboration de nouvelles formes d’intimité. A. Portes, par exemple, proposait d’user de l’appellation transnationale pour les « activités de type économique, politique ou culturel nécessitant que les protagonistes y consacrent la majeure partie de leur temps de manière régulière » (Portes, 1999, p. 22). Quels seraient alors les critères permettant de déterminer si la sphère conjugale et intime est bel et bien touchée par le phénomène transnational ? Les choix conjugaux transnationaux ont déjà fait l’objet d’études approfondies et révélé des logiques internationales endogames (Beck-Gernsheim,

2007; Santelli et Collet, 2013), mais d’autres dimensions restent encore dans l’ombre de l’analyse. Expérimenter la conjugalité en ayant les « pieds dans deux sociétés » et en maitrisant – ou a minima en étant confrontés à – une pluralité de normes peut-il se constituer en ressource (Mounchit, 2019) ? Quels sont les effets des compétences acquises dans la migration sur les rapports de genre et les hiérarchies conjugales ? Dans quelle mesure la mise à l’épreuve des conjugalités par l’expérience transnationale incarne-t-elle des dynamiques genrées complexes voire contradictoires déjà identifiées dans les processus migratoires (Pratt et Yeoh, 2003 ; Morokvasič, 2010) ? 

Ce numéro vise également à interroger le prisme transnational sur un plan méthodologique et épistémologique. L’approche transnationale n’est-elle réservée qu’à celles et ceux qui bénéficient dans leur pays d’installation d’un titre de séjour et d’un statut stable leur permettant d’être impliqués dans des circulations transnationales régulièrement entretenues (Simon,

2008) ? Ou peut-elle éclairer l’analyse des intimités dans les migrations plus précaires alors même que les personnes ne bénéficient pas (encore) de ressources administratives, économiques ou matérielles leur permettant ni d’être installées, ni de s’inscrire dans des échanges internationaux par leur circulation régulière ou l’accès aux réseaux de télécommunication ? Qu’est-ce qui définit l’implication transnationale des personnes ? En somme, il s’agira d’interroger la capacité de l’approche transnationale à documenter et à analyser ce que les migrations font aux intimités et aux conjugalités sans omettre de porter attention aux contraintes existantes ou, dit autrement, aux processus de stratification et de hiérarchisation de genre, raciales et sociales (Fillod-Chabaud et Odasso, 2020). 

Si le « transnational » est parfois suspecté d’être un « mot-valise », il incarne pourtant un positionnement épistémologique et méthodologique fort qui consiste à ne plus étudier et analyser les migrations depuis un seul État-Nation, proposant ainsi un protocole d’enquête à la hauteur des mots d’A. Sayad (1999) : les personnes immigrées sont d’abord émigrées et il est désormais impensable de ne pas prendre en compte les pays d’origine et de transit dans la compréhension des phénomènes migratoires. Quels sont cependant les outils méthodologiques permettant de saisir le mouvement, le déplacement, la circulation, a fortiori lorsqu’on s’intéresse à l’intime et aux arrangements conjugaux ? 

Ce numéro thématique entend donc réunir des articles originaux, basés sur des données empiriques, documentant des intimités et des conjugalités qui se (re)construisent dans les processus migratoires. Il s’agira de donner à voir la capacité des personnes à produire de nouvelles formes d’intimité dans la circulation en appréhendant, en particulier, comment elles tirent bénéfice d’une vie multisituée. L’attention se portera également sur les modalités des contraintes sociales, économiques, politiques et juridiques, induites par la migration en tant qu’elles façonnent les conjugalités confrontées à l’expérience transnationale. Les articles attendus pourront endosser plusieurs approches disciplinaires (anthropologie, sociologie, études de genre, sciences politiques, démographie, économie, droit) et reposer sur des terrains d’enquête variés. Pour nourrir les différentes interrogations soulevées, nous proposons trois axes de réflexion complémentaires et non exclusifs. 

  • Axe 1 : Topographie des conjugalités et des intimités confrontées à l’expérience transnationale
  • Axe 2 : Circulation des normes et arrangements concrets
  • Axe 3 : Dire et saisir le « transnational » : quels moyens et quelles limites ? 

Axe 1. Topographie des conjugalités et des intimités confrontées à l’expérience transnationale

Il s’agira ici d’étudier les diverses configurations conjugales affectées par des dynamiques transnationales.

Les conjugalités pourront être appréhendées de manière processuelle, à différentes étapes et degrés de formalisation. Bien que les travaux existants ont largement démontré qu’en contexte migratoire, le mariage constitue l’une des voies administratives incontournables autorisant l’installation du couple pour les membres séparés par des frontières nationales (Lesselier, 2004), il serait intéressant de se pencher sur les couples (encore) non légalement liés, pour lesquels le pays de résidence resterait encore à déterminer, sur les unions, en somme, en train de se construire et qui doivent faire avec la distance et/ou la mobilité. En premier lieu, les contributions pourront interroger les mécanismes de formation du couple sur un marché matrimonial globalisé et genré, régi par des systèmes plus larges d’inégalités, basées principalement sur la nationalité, la catégorie de sexe et la situation socioéconomique (Sizaire, 2021b). Quelles sont les scènes de rencontre conjugale identifiées à une échelle transnationale et dans quelle mesure sont-elles empreintes de stratégies individuelles ou familiales ? En dehors des sites et agences matrimoniales internationales ou des réseaux familiaux et communautaires, existe-t-il des circuits de rencontre, plus informels, favorisant une vie conjugale à cheval entre plusieurs pays ? Au-delà des scènes de rencontre, nous attendons ici des propositions d’articles fondées sur des enquêtes empiriques permettant de renseigner les prémices de relations intimes qui se nouent dans des contextes de mobilité (politiques, économiques, touristiques, professionnelles, estudiantines) ou de distance (sites de rencontre, réseaux sociaux, agences). De quelles manières les relations intimes se voientelles alors structurées et au travers de quels éléments le lien affectif peut-t-il trouver une consistance dans ces conditions ? Si la distance ou le déplacement résonnent d’abord comme une contrainte avec laquelle composer pour construire une relation intime, dans quelle mesure sont-ils aussi producteurs de ressources pour leurs protagonistes et selon quelles modalités ? Quel impact la mobilité ou l’immobilité ont-elles sur l’élaboration d’un lien conjugal et sur les rapports de pouvoir entre les membres du couple ? La circulation permet-elle d’explorer d’autres formes de conjugalités mais aussi de sexualités, de dépasser certaines frontières normatives et d’expérimenter des régimes de genre et d’intimité nouveaux et alternatifs ? 

Notre intérêt se porte également sur les relations conjugales (dé)stabilisées et/ou poursuivies en dépit de la distance ou de la mobilité, nous plaçant ainsi dans une analyse des adaptations continues qu’impliquent les conditions de vie transnationales (Miranda, 2010). Parmi les configurations conjugales affectées par des dynamiques transnationales, certains couples ne sont pas nécessairement séparés par une distance géographique mais expérimentent ensemble une mobilité agissant, de fait, sur les modalités de la conjugalité. Les contributions pourront ainsi analyser et décrire les situations dans lesquelles se trouvent les couples binationaux ou les couples qui se déplacent ensemble, aussi bien dans l’exil que dans l’expatriation, ou dans le cas des déplacements transnationaux ayant trait à une « mobilité reproductive » en vue d’une assistance médicale à la procréation (Bonnet et Duchesne, 2014). Outre la question d’une confrontation à une pluralité de normes et ses effets sur la reconfiguration des intimités, il s’agira ici d’interroger et de mesurer les arbitrages opérés par chacun et chacune en termes reproductif mais aussi domestique, parental, familial, financier et professionnel. Ainsi, qu’est-ce que le départ, la circulation, le mouvement, produisent sur la (ré)organisation de la cellule domestique ou sur les investissements matériels engagés par les membres du couple ? De la même façon, comment l'influence parentale s'exerce-t-elle à distance et selon quelles reformulations concédées ou négociées par les membres du couple ? Un dernier aspect qui nous semble central consiste à regarder à quel point s’unir audelà des frontières peut permettre de vivre autrement la conjugalité. Par exemple, la légalisation du mariage homosexuel dans de nombreux pays occidentaux ouvre des questionnements encore insuffisamment explorés : dans quelle mesure permet-elle à certaines personnes d’accéder à une normalisation et à des droits inaccessibles dans le pays d’origine en matière de sexualité ? 

Enfin, de la même façon que nous visons à étudier les formes conjugales au-delà de l’union matrimoniale, nous souhaitons appréhender la vie conjugale en-dehors de l’union elle-même.

Nous serons ainsi très intéressées par les contributions éclairant l’amont de l’union ainsi que son issue mais également les situations de célibat. S’agissant de la sortie d’union, qui reste à mieux investiguer depuis un prisme transnational (Fresnoza-Flot et de Hart, 2022), cette question invite à nous pencher sur l’organisation de la vie post-séparation et sur ses incidences, spécialement dans le cas de la présence d’enfants. Qu’en est-il des négociations réalisées ou de leurs échecs, notamment au regard des différentes législations mises en présence via les pays de résidence et/ou la nationalité des partenaires ? Qu’induit la parentalité transnationale sur les rapports conjugaux et de pouvoir dans l’intimité ? Par ailleurs, le célibat, situation conjugale encore largement absente dans les recherches actuelles, pourra aussi être questionné dans la mesure où les expériences conjugales transnationales peuvent précisément conduire à des sorties d’union et/ou à une volonté de ne plus s’engager.  

Axe 2. Circulation des normes et arrangements concrets

Cet axe vise principalement à interroger ce que la situation transnationale fait aux conjugalités en matière de circulation, de cohabitation, de réappropriations éventuelles des normes sociales, culturelles, religieuses, juridiques et plus particulièrement encore, des normes de genre.

Les espaces transnationaux impliquent une plus grande exposition à des univers de références pluriels et à leurs influences. Les mobilités et le développement des technologies de l’information et de la communication ont assurément contribué au foisonnement normatif auquel font face les individus en général, et particulièrement les personnes en migration, notamment s’agissant de la vie privée. Quels objets culturels (réseaux sociaux, téléfilms, séries télévisées, etc.) contribuent ainsi à marquer les discours et les imaginaires, voire à orienter l’action ? Le pouvoir de l’imagination, souligné dès les années 1990 par l’anthropologue A. Appadurai (1996), joue un rôle majeur dans les processus migratoires et dans le développement des intimités transnationales. Il s’agira ici d’interroger les capacités cognitives (mindwork) déployées par les personnes qui se familiarisent avec d’autres modèles normatifs, qu’elles soient celles qui ont migré ou non, dans leurs manières de concevoir l’intimité, la conjugalité et, plus largement, les rapports de genre (Pessar et Mahler, 2003).

Parallèlement à cette circulation des normes « par le bas », la mobilité et la migration entraînent une exposition à d’autres normes véhiculées par les institutions. Que ce soit dans la société d’origine, d’immigration ou dans les espaces plus ou moins investis au gré des mobilités, quel rôle jouent les différents acteurs (juristes, travailleuses et travailleurs sociaux, et plus largement, intermédiaires) dans le façonnement des conjugalités ? À ce propos, dans quelle mesure le traitement différentiel entre familles migrantes et familles sédentaires (Merla et Sarolea, 2020) contribue-t-il ou non à diffuser des normes spécifiques auprès des personnes en migration ? La pluralité de normes mises en présence en contexte transnational pose aussi la question de leur mise à l’épreuve. Les auteurs et autrices pourront éclairer cette problématique en montrant comment la mobilité géographique des individus les amène à composer avec une diversité de normes (juridiques, culturelles, religieuses, de genre) parfois contradictoires voire conflictuelles, les enjoignant à opérer des arbitrages au sein de leur vie privée. Notamment, de quelles manières la migration et la confrontation à d’autres modèles conjugaux mettent-elles en question les conceptions de ce qu’est un couple, jusqu’alors intériorisées ? Quels types de conflits de loyauté se voient favorisés en la matière ? Comment les personnes naviguent-elles par ailleurs entre les différentes normes légales imposées par les États ? 

Parmi les normes qui entrent en confrontation dans la circulation, celles qui touchent au genre occupent une place tout à fait centrale. En se déplaçant, les membres des couples transnationaux sont susceptibles de naviguer entre différents régimes de genre et d’acquérir une connaissance particulière sur le genre. L’expérience migratoire et la conjugalité transnationale peuvent ainsi favoriser une mise à distance et une mise en comparaison des normes qui deviennent dès lors discutables, négociables, révisables : elles ne sont plus pensées sur le mode de l’évidence ou du naturel (Sizaire, 2021a). La confrontation à d’autres normes de genre et de parenté amène-t-elle à engager des négociations dans l’intimité et si oui, de quels types ? Dans quelle mesure le passage d’un régime de genre à un autre met-il en péril la possibilité de « faire le genre » (West et Zimmerman, 2009 [1987] ? Mais aussi, jusqu’à quel point des normes sociales et conjugales alternatives sont-elles accessibles aux différentes couches sociales ? 

Sur la question des normes de genre, nous serons notamment intéressées par les contributions cherchant à renseigner le (re)déploiement des masculinités, pensées dans le champ intime, en contexte migratoire et transnational. Qu’ils soient ceux qui migrent ou ceux originaires du pays d’installation du couple, rares sont les travaux qui donnent la parole aux hommes et qui les décrivent aussi finement que les femmes dans les projets qu’ils poursuivent ou dans leur trajectoire biographique. Fréquemment dépeints comme des hommes réactionnaires lorsqu’ils sont occidentaux ou comme des hommes profiteurs quand ils sont originaires d’un pays « des Suds », ces figures masculines ne permettent pas de renseigner les situations diverses qui peuvent conduire à la concrétisation d’une relation conjugale transnationale. 

Si les réagencements normatifs qui s’opèrent dans la sphère intime en situation transnationale sont au cœur de cet axe, les arrangements quotidiens auxquels ils donnent lieu font également l’objet de notre attention. Ainsi, de quelles façons la cohabitation ou la conciliation des normes se convertit-elle au sein des pratiques et des relations personnelles investies ? Qu’il s’agisse des relations au sein du couple ou plus largement dans la parenté, les auteurs et autrices pourront donner à voir les réappropriations quotidiennes par les individus de leurs rôles sociaux et conjugaux en identifiant les dynamiques en jeu, incluant les épreuves auxquelles le déplacement géographique les soumet à l’image des expériences de discrimination et de racisation, susceptibles d’entraver les processus d’autonomisation en cours (Moujoud, 2008). 

Axe 3. Dire et saisir le « transnational » : quels moyens et quelles limites ? 

Le troisième axe de réflexion invite à faire un pas de côté pour aborder la focale transnationale dans une perspective épistémologique ou méthodologique. 

Critiqué tantôt parce qu’il décrit des phénomènes à la nouveauté toute relative tantôt parce qu’il constitue un mot-valise attrapant des situations très hétérogènes qui manquent de liant, le concept de transnationalité (a) fait l’objet de vifs débats. Les auteurs et autrices pourront ici discuter la plus-value du concept dans le cadre des recherches conduites. Qu’est-ce que le prisme transnational réussit ou non à saisir là où d’autres concepts ont échoué dans l’étude des dimensions de la vie privée en contexte de mobilité géographique ? Les réflexions terminologiques et épistémologiques qui se feront à l’appui des observations empiriques issues des terrains de recherche sont particulièrement attendues. Les développements proposés pourront également exprimer une inclination pour d’autres concepts en substitution ou en complément du concept transnational en donnant à voir les limites de ce dernier pour appréhender des objets à l’intersection des migrations et des intimités. Par l’accueil de ces analyses, notre objectif est ici de participer au débat scientifique et de continuer à « tester » la fonction révélatrice du regard transnational.

Les auteurs et autrices sont par ailleurs invitées à proposer des contributions exposant les méthodes employées, dans la singularité de leur(s) discipline(s) d’appartenance, pour saisir les processus qui se jouent à une échelle transnationale. Si la mobilisation d’une optique transnationale peut mettre ou non en lumière des pratiques transnationales (Levitt, 2012), quelles sont les méthodes concrètes les plus à même d’appréhender la simultanéité des expériences, leur déploiement ici et là-bas et les conséquences d’une vie à l’intersection de différents espaces sociaux et normatifs ? Cette question se pose d’une manière d’autant plus vive pour qui s’intéresse à la sphère de la vie privée compte tenu des difficultés d’accès à l’intime qui se posent dans le domaine conjugal et/ou affectif, plus ou moins dicible, plus ou moins observable et plus ou moins restituable a posteriori. Enquêter sur l’intime est déjà une gageure en contexte non migratoire, on peut alors s’interroger sur les manières d’étudier les questions de genre, de sexualité, de conjugalité, lorsqu’elles se déploient sur différents continents. Comment, par exemple, comparer les régimes de genre, d’intimité ou encore de parenté sans les réifier ? Quels sont les outils disponibles pour sortir d’un nationalisme méthodologique et pour éviter les écueils essentialistes (Faist, 2012) ? Quelles formes peut prendre sur le terrain un cosmopolitisme méthodologique cherchant à saisir les continuités et discontinuités entre des contextes sociétaux et des lieux divers (Roulleau-Berger, 2012) ? Enfin, quelle position occupent les chercheurs et chercheuses sur leur terrain, et comment restituer ces parcours de recherche semés d’embûches, d’impasses, de bricolage, au cœur de la démarche ethnographique ? Les contributions pourront faire état de leur cheminement épistémologique et méthodologique pour mettre en œuvre une enquête multisituée sur les conjugalités à l’épreuve de l’expérience transnationale.

Ce numéro thématique regroupera des articles scientifiques, des articles de synthèse, d’études et de méthodes et des comptes rendus d’ouvrages et de colloques permettant d’éclairer ces questions sous différents angles. Des articles fondés sur des enquêtes empiriques réalisées en France ou dans d’autres pays sont attendus.

Modalités de contribution

Les auteurs et autrices sont invité.e.s à soumettre un titre d'article, avec son résumé (200 mots env.) et ses mots-clés en indiquant si l’article proposé est un article scientifique ou un article de synthèse, d’étude ou de méthode, ainsi qu’une brève note biographique,

pour le 1er avril 2023

à la rédactrice en chef de la revue (rpsf@cnaf.fr) et aux coordinatrices du numéro thématique : laure.sizaire@gmail.com; nadia.mounchit@hotmail.fr; clothilde1.arnaud@univ-lyon2.fr

Processus éditorial

Les auteurs et autrices enverront d’ici le 1er avril un résumé (200 mots env.) et ses mots-clés en indiquant la rubrique pour lesquels l’article est proposé, ainsi qu’une brève note biographique. Si la proposition de résumé est acceptée, l’article est à envoyer pour le 1er octobre au plus tard pour être expertisé (double évaluation) et discuté en Comité de rédaction.

Il n’y a donc pas de garantie de publication de l’article avant validation par les experts scientifiques et acceptation de l’article en Comité de rédaction au premier semestre 2024.

Les consignes aux auteurs et autrices de la revue (en français et en anglais), à respecter pour tous les articles soumis, sont sur le site de la RPSF.

Calendrier

  • 1er avril 2023 : date limite d’envoi des propositions de résumés

  • 1er octobre 2023 : envoi des V0 des articles aux coordinatrices, suivis d’échanges avec les auteurs et autrices
  • 25 novembre 2023 : soumission des articles à la rédactrice en chef et envoi en expertise
  • Février 2024 : Comité de rédaction
  • 15 mai 2024 : soumission des V2
  • Juin 2024 – décembre 2024 : réexpertises des articles, secrétariat de rédaction et maquettage
  • Février 2025 : Parution du numéro

Références bibliographiques mentionnées dans l’appel

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Dates

  • samedi 01 avril 2023

Mots-clés

  • intimité, conjugalité, transnational, genre, expérience migratoire, formation du couple, inégalité, sexualité

Contacts

  • Laure Sizaire
    courriel : laure [dot] sizaire [at] gmail [dot] com
  • Nadia Mounchit
    courriel : nadia [dot] mounchit [at] hotmail [dot] fr
  • Clothilde Arnaud
    courriel : clothilde1 [dot] arnaud [at] univ-lyon2 [dot] fr

Source de l'information

  • Laure Sizaire
    courriel : laure [dot] sizaire [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les conjugalités à l’épreuve de l’expérience transnationale », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 21 mars 2023, https://doi.org/10.58079/1aty

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