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Le monde en crise

La responsabilité de l’écrivain francophone

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Published on Monday, April 17, 2023

Abstract

Cette rencontre scientifique s’inscrit dans l’axe thématique Crises et gestion de crises. Elle se propose d’ouvrir le débat sur le rôle de l’écrivain dans un contexte global cristallisé par des conflits divers. Elle entend questionner les contours esthétiques et idéologiques des productions littéraires de l’espace francophone aux fins d’analyser ses inférences sur un univers qui ploie sous des problématiques aussi variées que celles de la pauvreté, l’extrémisme violent, les crises politiques et institutionnelles, etc. Interrogeant la figure de l’écrivain face à la question sociale, cette journée d’étude entend renouveler le débat sur la fonction de la littérature aujourd’hui.

Announcement

Argumentaire

La responsabilité de l’écrivain est une notion qui émerge chez Sartre pendant les années de guerre en Occident. Le philosophe qui, avant, faisait de la liberté la condition de l’acte fait ressortir le lien qu’il y a selon lui entre l’écriture et l’action. Il fonde ainsi la responsabilité absolue de l’intellectuel et donc la figure de l’intellectuel engagé. On pourrait aujourd’hui penser que cette responsabilisation sartrienne de l’écrivain est passée de mode ; surtout quand on fait entrer en ligne de compte les orientations formalistes de la critique en Europe et dans le monde anglo-saxon, donnant lieu à un statut autotélique de la littérature ou une relative autonomisation de celle-ci vis-à-vis de l’histoire, du politique et du social. Cette tendance analytique a connu diverses appellations en fonction des espaces et nuances y afférentes. Dès le tout début du siècle (1920), l’initiative s’origine d’abord de l’Europe de l’est où l’épithète « formalistes » qualifie de jeunes intellectuels russes et tchèques qui visaient à instaurer, contre l’histoire littéraire académique et contre la critique impressionniste, une nouvelle science de la littérature essentiellement tournée vers l’étude de la littérarité. On voit se développer un phénomène similaire dans le monde anglo-saxon où, à partir des années 1930, nait l’expression New Criticism désignant un groupe de critiques qui conçoivent l’œuvre littéraire comme un tout structuré dont ils proposent une analyse immanente. Ils se distancient de la curiosité historico-biographique pour tendre à l’objectivité scientifique de l’analyse. Sous l’influence des mouvements d’idée tels que l’existentialisme, le marxisme, la psychanalyse, la phénoménologie, on parlera en France de Nouvelle critique dans les années 50. Il s’agissait de nouvelles perspectives d’interprétation se développant contre la tradition universitaire de l’histoire littéraire et de son érudition.

Ainsi depuis 1960, le formalisme désigne en Occident des approches critiques qui pratiquent une analyse limitée aux structures immanentes de l’œuvre. Les théories de formalisme littéraire auraient fait perdre à la littérature occidentale ou européenne en générale et française en particulier son pouvoir critique, sa réflexivité contestatrice et sa vitalité anthropologique. Une telle idée aurait émergée dans la négligence totale de l’absolue vérité que « la littérature est une entité dotée d’une énergétique propre, agissant par elle-même dans l’histoire » (Alexandre Gefen, 2021 : 17). C’est dire que l’acte d’écrire échappe difficilement aux conjonctures de l’histoire. Celle-ci étant reprise, retranscrite, transformée par des techniques spécifiques aux lettres. S’en tenant à la vague des romans de l’ère du soupçon dans la littérature française, leur déstructuration des catégories du personnage et de l’histoire est, d’un certain point de vue, esthétiquement expressif des crises de la raison, du sens et des désillusions politiques provoquées par les deux guerres. La littérature est toujours inscrite dans un contexte politique et social selon les enjeux esthétiques mobilisés à cette fin. Un texte écrit porte toujours les marques de l’époque qui l’a vu naitre.

On ne saurait définitivement assassiner la littérature, pour reprendre une inquiétude

Pamphlétaire de Todorov (2007 : 88). Deux années avant Todorov, Jean Bessières, dans Qu’est-il arrivé aux écrivains français ? D’Alain Robbe-Grillet à Jonathan Littell (2006), s’interroge sur la difficulté dans laquelle se trouve la littérature française contemporaine. Comme il le note dans son introduction, les écrivains qui ont commencé à écrire ou à s’imposer dans les vingt-cinq dernières années semblent affectés, en raison de leur fixation sur la littérature des « années 1960, 1970 », par un double malaise : une « cécité face à la réalité » et une « addiction à redire le passé de manière vaine » (Bessières, 2006 : 5). Bessières et Todorov ne cachent pas leurs appréhensions à propos d’une littérature (occidentale ou française) qui serait devenue objet langagier clos, autosuffisant, absolu, anhistorique, désanthropologisé et stérilement mimétique d’un avant-gardisme résolument révolu. Au point où il est des avis qui soulignent aujourd’hui « le retour du romanesque » notamment avec les œuvres d’auteurs comme Patrick Modiano et Michel Houellebecq, qui manifestent une volonté de rompre avec l’influence formaliste en réhabilitant le sens et l’histoire.

D’autres voix d’ailleurs, venant de l’Afrique, face à ce qui a été considéré comme une « proclamation d’autonomie artistique et [de] recherche [absolue] du beau » (Todorov, 2007 : 66), se prononcent pour une littérature africaine engagée. Ainsi en est-il de Mongo Beti pour qui « L’écriture n’est plus en Europe que le prétexte de l’inutilité sophistiquée, du scabreux gratuit, quand chez nous, elle peut ruiner des tyrans, sauver les enfants de massacres, arracher une race à un esclavage millénaire, en un mot servir. Oui, pour nous, l’écriture peut servir à quelque chose, doit donc servir à quelque chose » (1979 : 91). Sur les pas de Mongo Beti, Patrice Nganang quant à lui parle d’une écriture préemptive en Afrique, celle-là qui prévient des catastrophes, des soubresauts de l’histoire et diagnostique les crises.

Il est vrai que certains théoriciens et critiques tels que Waberi (1998), Bennetta (1998), Cazenave (2003) et Chevrier (2006), présentent la génération actuelled’auteurs des littératures d’Afrique comme écrivains, écoliers ou défenseurs des courants inscrits dans les nouvelles logiques nomades et cosmopolites. Ces auteurs sont dits opposés à la négritude, aux philosophies nationalistes et aux positions sociopolitiques des ainés d’hier. « Écrivains voyageurs », « Migrant writers », « Ecritures vagabondes », « Migritude », « Migrance », « Diversalité » ou « Diversaliture », « Identité rhizomatique », etc., tels sont, entre autres, les nouvelles avenues qui mobilisent les études autour et sur ces littératures.Cependant, quoique la jeune génération d’écrivains africains actuels se démarque des anciens, les analyses exclusives axées sur cette différence d’avec les ainés font parfois ombrage sur l’ancrage national et le référent politique ou idéologique des auteurs africains de l’heure. Les lettres négropolitaines contemporaines ne sont pas seulement des confessions des êtres vivants dans l’errance, parfois embrigadées dans les narrations de soi (identitairement parlant). Elles sont aussi des cris d’appartenance à une terre vis-à-vis de laquelle le sentiment de désolation consécutif au visage de décrépitude qu’elle affiche, donne l’impression d’un rejet, d’un élan de désappartenance. Pour cet aspect en particulier, la migritude est un avatar de la négritude.

En effet, le roman africain contemporain d’expression française est d’autant plus socialement, politiquement, idéologiquement et philosophiquement construit qu’il est produit dans un contexte mondial de révoltes démocratiques, de « brutalisme » et des « politiques de l’inimitié » (Mbembe, 2016 et 2020), de reconfigurations géostratégique, économique et politique, de problématiques postcoloniales, écologiques, démographiques et migratoires qui font émerger, (re)construire de nouveaux discours à propos du continent.

De toute évidence, l’écrivain est d’abord un orfèvre de l’imagination, un artisan des mots, un conteur virtuose ; ses écrits pouvant aussi être une verbalisation de son âme et de son moi. Ceci étant, il partage un monde avec des semblables qui parfois le responsabilisent à son corps défendant ; attendant de son écriture un questionnement et une analyse du vécu. Ainsi chaque génération attend toujours plus ou moins du littérateur qu’en plus de plaire, séduire et enchanter par la puissance de ses mots et la fécondité de son imagination, qu’il sache aussi susciter des espoirs, nourrir des rêves, s’engager pour le meilleur des mondes possibles.

Chaque époque vient avec ses grandes questions, des idées qui lui sont propres et qui s’invitent dans tous les discours. Le 21e siècle se particularise par une interrogation accentuée descrises (de la sexualité et des genres, de l’autonomie, de l’écologie, de la santé, de la culture et de l’identité, de la géopolitique et des nouvelles reconfigurations géostratégiques du monde, des valeurs etc.). Elles posent des questions relatives à la décolonialité, à l'invention d'utopies sociales, à la condition planétaire de la question africaine, à la quête de nouvelles formes de production du politique, de l'économique et du social, à l'articulation de l'universel et du singulier, de l’homme et de la nature, à la littérature et à l'art, à la reconstruction de l'estime de soi, à la pensée de l'en-commun. Aussi se demande-t-on non seulement comment l’écrivain francophone se positionne-t-il face à ces préoccupations, mais surtout comment il les prend en charge dans ses œuvres ? Quels regards les écrivains de langue française actuels portent-ils sur notre monde et ses crises ? Comment représentent-ils celles-ci ? Quels paradigmes sont mis en jeu et quelles dynamiques déployées pour susciter des utopies, prêcher ou défendre des idéaux, symboliser ou représenter des valeurs conjurant des crises ?

Sans se prévaloir d’une certaine exhaustivité, les axes ci-après peuvent être interrogés :

  • L’écrivain francophone face à la politique
  • L’écrivain francophone et l’activisme social 
  • L’écrivain francophone en contexte de guerre
  • L’écrivain francophone et la critique
  • Les violences basées sur le genre ;
  • Crises des genres (au sens littéraire aussi) et des sexualités ;
  • Catastrophes, crises environnementales et utopies écologiques ;
  • Crises des repères, des valeurs ;
  • Crises religieuses et regain des traditions ;
  • Cultures et identités en crise ou crises des identités ;
  • Crise des langues et des littératures ;
  • Crise du politique et désillusion ;
  • Crise du sémantisme de la langue ;
  • Crises des idéologies, de la pensée et du bon sens ;
  • Crises des professions et perspectives face à l’intelligence artificielle
  • Crises sociales ;
  • Crises des valeurs et humour grivois ;
  • ...

Modalités de contribution

Les propositions de communications (300 mots maximum) suivies de quatre mots clés et d’une notice biographique, sont à envoyer aux adresses suivantes : fokuero@yahoo.fr ; bencoeurblanc@gmail.com et yontaeve@yahoo.fr

au plus tard le 1er juin 2023.

Échéancier

  • Réception des projets de communication : 1er juin 2023
  • Notification aux contributeurs : 15 juin 2023
  • Déroulement de la journée d’études : 18 novembre 2023
  • Réception de projets d’articles : 15 décembre 2023
  • Retour aux contributeurs : 15 janvier 2024
  • Acceptation définitive des articles : 15 mars 2024
  • Date probable de publication : Août 2024

Comité scientifique

  • Gaétan Brulotte, Pr, Université de Louisiane à Lafayette
  • Flora Amabiamina, Pr, Université de Douala
  • Cheryl Toman, Pr, Université de l’Alabama
  • Robert FotsingMangoua, Pr, Université de Dschang
  • Jacques Evouna, MC, Université de Maroua
  • Jean Jacques Rousseau Tandia, Pr Université de Dschang
  • Martial LozziMeutemKamtchueng, MC, Université de Maroua
  • Patrice Nganang, Pr, Université de Stony Brook
  • Jean Claude Abada Medjo, MC, Université de Yaoundé 1

Coordonnateurs du Projet

  • Nankeu Bernard Bienvenu, MC/FALSH, Université de Maroua (Email :bencoeurblanc@gmail.com)
  • Fopa Kuete Roger, MC/FALSH, Université de Maroua (Email : fokuero@yahoo.fr)
  • Yonta Jacqueline Eve, CC/FALSH, Université de Maroua, (Email : yontaeve@yahoo.fr)

Bibliographie sélective

Bessieres Jean, Qu’est-il arrivé aux écrivains français ? D’Alain Robbe-Grillet à Jonathan Littell, Loverval, Editions Labor, 2006.

Bessières Jean, Littératures Francophones et politiques, Paris, Karthala, 2009.

Bessières Jean, Le Roman contemporain ou la Problématicité du monde, PUF, Paris, 2010.

Bessieres Jean, Quel statut pour la littérature9 ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2001.

Bisanswa K. Justin, Roman africain contemporain : fictions sur la fiction de la modernité et du réalisme, Honoré Champion, Paris, 2009.

Bouju Emmanuel, L’engagement littéraire, Presses Universitaires de Rennes, 2005.

Bourquin Guy, 1990, « L’humour de la langue, ou le double jeu de l’humour, du langage et du savoir », in Humoresques, n°2 : 35-46.

Cazenave Odile, Afrique sur seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris. Paris, L’Harmattan, 2003

CazenaveOdile, Contemporary Francophone African Writers and the Burden of Commitment, University of Virginia Press, CharlottesVille/London, 2011.

FelwineSarr, Traces. Arles: Actes Sud. 2022

FelwineSarr, Afrotopia, Philippe Ray, 2016

Gefen Alexandre, « Responsabilités de la forme. Voix et détours de l’engagement littéraire contemporain », in L’engagement littéraire, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2005, pp. 75-84.

Gefen Alexandre, L'idée de littérature: de l'art pour l'art aux écritures d'intervention, Paris, Corti, 2021.

Gordimer Nadine, l’écriture et l’existence, Trad. de l’anglais par Wauthier et Fabienne Teisseirie, Plon, Paris, 1994.

Jaubert Anna, 2015, « Humour et désacralisation à travers les genres les enjeux d’un ethos discursif libertaire » in Humour et identités dans l'espace public : Nouveaux sentiers, Université de Gafsa Iseah Gafsa, 77-90.

Leonora Miano, Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste, Paris, Grasset, 2020

Mabanckou Alain, Penser et écrire l'Afrique aujourd'hui, textes issus d'un colloque organisé le 2 mai 2016 au Collège de France, Paris, Seuil, 2017

Mongo Beti, « Choses vues au festival des arts africains de Berlin-Ouest », in Peuples noirs-Peuples africains, sept-oct. 1979, no 11.

Mongo-Mboussa Boniface, « l’inutile utilité de la littérature », in Africultures, l’engagement de l’écrivain africain, no 59, 2004. Disponible sur http://www.africultures.com

Nganang Patrice, Manifeste d’une nouvelle littérature africaine. Pour une écriture préemptive, Paris, Homnisphères, 2007.

Nganang Patrice, Le Principe dissident, Interligne, Yaoundé, 2005.

Sartre, Jean Paul, Situations II.Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1975.

Todorov Tzvetan, La Littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007.

Viart Dominique, « Fictions critiques : la littérature contemporaine et la question du politique », in Jean Kaempfer, Sonya Florey & Jérôme Meizoz (dir.), Formes de l’engagement littéraire (XVe – XXIe siècles), Éditions Antipodes, Lausanne, 2006, pp. 185-

Places

  • Maroua, Cameroon (PO Box/ BP 644 Maroua)

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Thursday, June 01, 2023

Keywords

  • littérature, francophone, écrivain, engagement, crise

Contact(s)

  • Bernard Bienvenu Nankeu
    courriel : bencoeurblanc [at] gmail [dot] com
  • Roger Fopa Kuete
    courriel : fokuero [at] yahoo [dot] fr

Information source

  • Jacqueline Eve Yonta
    courriel : yonta [dot] eve [at] hebergeur [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Le monde en crise », Call for papers, Calenda, Published on Monday, April 17, 2023, https://doi.org/10.58079/1ayg

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