AccueilCorps extrêmes
Publié le jeudi 01 juin 2023
Résumé
La revue Perspective : actualité en histoire de l’art consacrera son n° 2024 – 2 au thème « Corps extrêmes ». À partir de cette question, il s’agit de mettre au jour les manières dont les images participent à la fabrique des corps, à la diffusion d’une norme et des contraintes exercées sur les corps pour y accéder, mais aussi les manières dont elles proposent parfois leurs subversions. C’est à partir du corps normé, pensé plus comme modèle ou objectif à atteindre que comme aurea mediocritas (Horace, Odes, II, X, 5), incarnation du juste milieu éloigné des excès, que nous souhaitons aborder les problématiques liées aux corps extrêmes.
Annonce
Argumentaire
« Personne, il est vrai, n’a jusqu’à présent déterminé ce que peut le corps… »
Spinoza, Éthique, 1677, III, « Des affects », prop. 2, note.
Si en 1934 Marcel Mauss invitait les anthropologues, les sociologues et les historiens à prendre en compte le corps et ses techniques, c’est depuis les années 1970 en France, notamment à partir des travaux de Michel Foucault, que le corps est devenu « un objet historique dont la dimension défie toute tentative de synthèse véritable », nécessitant ainsi un travail par essence interdisciplinaire (Corbin, 2005). Le corps et ses images s’inscrivent dans des époques et des cultures spécifiques, ils sont « tributaire[s], dans [leur]s formes, et [leur]s mises en scène, de conditions matérielles et culturelles qui varient » (Corbin, Courtine, Vigarello, 2005). L’étude du corps et des corps a généré une littérature conséquente dans les sciences sociales en général et constitue pour l’histoire de l’art un enjeu capital.
Les représentations artistiques du corps, dans sa dimension performante mais aussi par les techniques qu’il met en jeu, ont fait l’objet de synthèses transhistoriques (Laneyrie-Dagen, [1997] 2006) ou d’études circonscrites par des bornes chronologiques (Prost, Wilgaux, 2006 ; Wirth, 2013 ; Heck, 2014 ; Nessah, 2014 ; Gherchanoc, 2015). Parmi elles, le corps soumis à des canons politiques, sociaux ou esthétiques, et les représentations normatives du corps ont largement été étudiés, notamment les liens entre anatomie et représentations du corps dans l’art de la première modernité (Olmi, 2004 ; Laurenza, 2010, 2012 ; Kleinbub, 2020). Claire Barbillon a bien identifié, à partir de la fin du xviiie siècle, le retour d’une « ambition canonique » et normative dans le champ de la création artistique « du néoclassicisme à Le Corbusier », en s’appuyant sur ce qu’elle a nommé les « sciences et pseudo sciences du corps » (Barbillon, 2004 ; voir aussi Baridon, Guédron, 1999).
Ainsi, pour son numéro à paraître à l’automne 2024, Perspective souhaite interroger les corps extrêmes. À partir de cette question, il s’agit de mettre au jour les manières dont les images participent à la fabrique des corps, à la diffusion d’une norme et des contraintes exercées sur les corps pour y accéder, mais aussi les manières dont elles proposent parfois leurs subversions. C’est à partir du corps normé, pensé plus comme modèle ou objectif à atteindre que comme aurea mediocritas (Horace, Odes, II, X, 5), incarnation du juste milieu éloigné des excès, que nous souhaitons aborder les problématiques liées aux corps extrêmes. L’imposition sociale et culturelle d’une norme engendre nécessairement en retour des écarts, généralement perçus négativement. Les corps extrêmes peuvent en effet être des corps altérés, mutilés ou diminués (Korff-Sausse, 2006). Cependant, ils sont aussi ceux qui répondent à la norme en la poussant à son paroxysme ou bien qui la subvertissent en performant excessivement ses caractères.
Les propositions et les futures contributions devront s’inscrire dans la ligne éditoriale de la revue et exposer, selon des enjeux historiographiques précis, la manière dont l’histoire de l’art s’est emparée des corps extrêmes comme sujets propres (dans l’iconographie) et comme outils méthodologiques et heuristiques, pour penser et questionner la fabrique de la norme, des canons, et leur subversion ainsi que la fabrique des corps extrêmes eux-mêmes. Il serait pertinent d’interroger par exemple la manière dont les images de corps extrêmes ont matérialisé des préoccupations sociales et ont, par conséquent, exercé une forme d’agentivité sur des corps réels nourris de telles références (pensons à l’étude comparée de Charcot sur les démoniaques dans l’art et les corps de ses patient[e]s ; Bouchara, 2013). De même, on pourrait examiner l’agentivité de certains corps extrêmes sur la création artistique.
Parmi les axes possibles, qui pourront être enrichis par les propositions, il sera possible d’interroger :
- Les corps « hors norme » : ils sont considérés comme extrêmes car ne correspondent pas ou plus à une norme en vigueur. Cet axe permet d’interroger les processus de transformation des corps en corps extrêmes lorsqu’ils sont produits par les formes elles-mêmes (maniérisme, cubisme), mais également lorsqu’ils sont générés par le temps ou l’expérience. En cela, les études portant sur les corps « supérieurs » (super-héros, saintes et saints…), les corps souffrants, mais également les problématiques posées par les champs des études sur l’âge (aging studies) ou des études sur le handicap (disabilities studies) peuvent nourrir une réflexion sur les écarts par rapport à une norme s’incarnant dans un corps jeune ou fonctionnel. On peut aussi questionner les récents mouvements de revalorisation des corps vieillissants ou des corps handicapés comme sujets de représentations ou porteurs d’une forme d’agentivité sur la production artistique (qu’est-ce que l’âge ou le handicap font à l’art ? [Laneyrie-Dagen, Archat, 2021]).
- Les corps « modèles » : il s’agit de corps performants, situés au croisement de l’esthétique et du politique, tels que les corps paradoxaux des dirigeants, pensés et construits comme des modèles inatteignables car nécessairement uniques, ou encore les corps guerriers et sportifs. La popularisation progressive du sport au cours de la période contemporaine a certes « bouleversé la définition des canons et des codes de l’apparence au sein des représentations » (Cerman, Laugée, Gorguet-Ballesteros, Maillet, 2021), les corps sportifs, considérés dans une optique de résultats mais également à des fins politiques, sociales ou esthétiques, ont aussi été forgés à partir d’un héritage issu des modèles classiques (Squire, 2011). Si les études sur la mode ont montré comment le vêtement et sa confection sont partie prenante d’une réflexion sur la norme (Charpy, 2015), elles ont aussi mis en lumière un paradoxe : les vêtements et accessoires (corset, chaussures) visant à faire entrer les corps dans la norme ont en effet pu aboutir à leur déformation, voire à la formation de corps hors normes. Enfin, « surperformer » une norme peut également être une manière de l’interroger, de porter un regard critique sur celle-ci, ou de subvertir un horizon d’attente comme c’est le cas des pratiques artistiques drag et queer (Butler, [1990] 2005 ; Koutsougera, Kontou, 2023).
- Les corps « limites » : ils permettent de reconduire la question spinoziste – jusqu’où un corps peut-il échapper à la norme et être encore reconnu comme un corps ? Dans le cas des corps hybrides ou augmentés où sont connectés systèmes biologiques et systèmes technologiques, se pose la question de l’unité du corps face aux formes de mixité corporelle (Andrieu, 2013). Le caractère extrême de tels corps ne doit plus alors être pensé comme un état, mais comme renvoyant à leur engagement dans un processus d’hybridation. Les images de corps limites interrogent les appartenances à un genre, à une espèce (limites entre l’humain et l’animal, monstres…) voire à une nature (corps divins versus corps humains). Les propositions pourront porter tant sur les processus de construction des images de ces corps limites que sur leur réception. Objets d’admiration, de curiosité ou de troubles (Alberti, Fenech Kroke, à paraître), ces représentations ont aussi été les sujets de réflexions et de recherches scientifiques et ont participé à la création d’une nouvelle imagerie.
Ces axes pourront être abordés sous différents angles, pourvu que la réflexion soit toujours ancrée dans une perspective historiographique.
Éditeur invité
Fabien Lacouture (INHA)
Perspective : actualité en histoire de l’art
Publiée par l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) depuis 2006, Perspective est une revue semestrielle dont l’ambition est d’exposer l’actualité plurielle d’une recherche en histoire de l’art qui soit toujours située et dynamique, explicitement consciente de son historicité et de ses articulations. Elle témoigne des débats historiographiques de la discipline sans cesser de se confronter aux œuvres et aux images, d’en renouveler la lecture, et de nourrir ainsi une réflexion globale, intra- et interdisciplinaire. La revue publie des textes scientifiques offrant une perspective inédite autour d’un thème donné. Ceux-ci situent leur propos dans un champ large, sans perdre de vue l’objet qu’ils se donnent : ils se projettent au-delà de l’étude de cas précise et interrogent la discipline, ses moyens, son histoire et ses limites en inscrivant leurs interrogations dans l’actualité – celle de la recherche en histoire de l’art, celle des disciplines voisines, celle enfin qui nous interpelle toutes et tous en tant que citoyens.
Perspective invite ses contributeurs à actualiser le matériel historiographique et le questionnement théorique à partir duquel ils élaborent leurs travaux, c’est-à-dire à penser, à partir et autour d’une question précise, un bilan qui sera envisagé comme un outil épistémologique. Ainsi, chaque article veillera autant que possible à tisser des liens avec les grands débats sociétaux et intellectuels de notre temps.
La revue Perspective est pensée comme un carrefour disciplinaire ayant vocation à favoriser les dialogues entre l’histoire de l’art et d’autres domaines de recherche, des sciences humaines notamment, en mettant en acte le concept du « bon voisinage » développé par Aby Warburg. Toutes les aires géographiques, toutes les périodes et tous les médiums sont susceptibles d’y figurer.
Modalités de contribution
Prière de faire parvenir vos propositions (un résumé de 2 000 à 3 000 signes, un titre provisoire, une courte bibliographie sur le sujet et une biographie de quelques lignes) à l’adresse de la rédaction (revue-perspective@inha.fr)
avant le 19 juin 2023.
Perspective prenant en charge les traductions, les projets seront examinés par le comité de rédaction quelle que soit la langue. Les auteurs des propositions retenues seront informés de la décision du comité de rédaction en juillet 2023, tandis que les articles seront à remettre pour le 15 novembre 2023. Les articles soumis, d’une longueur finale de 25 000 ou 45 000 signes selon le projet envisagé, seront définitivement acceptés à l’issue d’un processus anonyme d’évaluation par les pairs.
Comité de rédaction
- Francesca Alberti chargée de mission pour l’histoire de l’art, Académie de France à Rome – Villa Médicis
- Philippe Bettinelli conservateur du patrimoine, nouveaux médias, Musée national d’art moderne – Centre Pompidou
- Vivian Braga dos Santos pensionnaire, INHA
- Baptiste Brun maître de conférences en histoire de l’art contemporain, université Rennes 2
- Jean-Sébastien Cluzel maître de conférences en histoire de l’art et archéologie de l’Extrême-Orient, université Paris-Sorbonne
- Sophie Cras maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
- Servane Dargnies-de Vitry conservatrice du patrimoine, peintures et décors peints de 1870 à 1914, Petit Palais – musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
- Nikolaus Dietrich Junior professor, archéologie classique, Universität Heidelberg
- Pierre-Olivier Dittmar maître de conférences, EHESS
- Charlotte Foucher chargée de recherches, CNRS
- Alicia Knock conservatrice du patrimoine, création contemporaine et prospective, Musée national d’art moderne – Centre Pompidou
- Jérémie Koering chargé de recherche, CNRS
- Guy Lambert maître de conférences, École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville
- Hélène Leroy conservatrice du patrimoine, chargée de la coordination des collections, musée d’Art moderne de Paris
- Anne-Orange Poilpré maîtresse de conférences en histoire de l’art médiéval et moderne, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
- Magdalena Ruiz-Marmolejo Conservatrice du patrimoine, cheffe de projet d’exposition, Musée de l’Homme – Muséum national d’histoire naturelle
- Ida Soulard École des Beaux-Arts de Nantes
- Nancy Thebaut Assistant Professor, European Medieval Art and Architecture, Skidmore College
Catégories
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Dates
- lundi 19 juin 2023
Fichiers attachés
Mots-clés
- corps
Contacts
- Marie Caillat
courriel : marie [dot] caillat [at] inha [dot] fr
Source de l'information
- Marie Caillat
courriel : marie [dot] caillat [at] inha [dot] fr
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« Corps extrêmes », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 01 juin 2023, https://doi.org/10.58079/1b9p