Le secret dans le processus de recherche
Découvrir l’indicible du sport et du corps
Published on Thursday, June 08, 2023
Abstract
Après deux journées d’étude questionnant la construction de l’objet durant la thèse et le corps et l’épreuve de la thèse (laboratoire C3S, UFR STAPS de Besançon), ce troisième événement organisé par et dédié aux jeunes chercheurs se consacre au secret.
Announcement
Argumentaire
Après deux journées d’étude questionnant la construction de l’objet durant la thèse et le corps et l’épreuve de la thèse(laboratoire C3S, UFR STAPS de Besançon), ce troisième événement organisé par et dédié aux jeunes chercheurs se consacre au secret.
La simple évocation de ce terme n’est pas sans susciter certaines interrogations : un enquêté qui ne dévoile qu’une partie de ses archives initie-t-il un secret ? Que dire de la difficulté d’accéder à des informations lors d’un entretien ? Omission, préservation de la vie privée, maladresse méthodologique ou bien véritable secret, ces situations peuvent être déroutantes pour le jeune chercheur et leur interprétation potentiellement sources de biais. Cette troisième rencontre invite les doctorants et les jeunes docteurs issus des STAPS et, plus largement, des différentes sciences humaines et sociales, à s’appuyer sur leur expérience de thèse pour questionner la place du secret au sein du processus de recherche.
Le secret peut être défini comme englobant deux grandes catégories : celle du caché dont le prototype est le non-dit, et celle du déguisé qui « s’appuie sur une modulation active des apparences, de ce qui est donné à voir et à comprendre », dont le prototype est le mensonge (Petitat, 1998, p.15). En se révélant plus ou moins « essentiel », « permanent » et « lourd » (Zarka, 2006), le secret peut avoir des conséquences sur le travail de recherche. En effet, il peut devenir l’objet même de la recherche ou encore être un mystère à élucider pour le chercheur. Partant de cette thématique qui concerne nombre d’entre nous, il s’agira d’abord d’appréhender le secret à travers les mécanismes qu’il renferme. Des interrogations méthodologiques et épistémologiques pourront également être envisagées. Pour finir, le secret soulève des tensions déontologiques et éthiques qu’il sera possible d’aborder.
Axe 1 : le secret pour révéler des mécanismes
Les travaux sur le secret montrent à quel point il « s’inscrit dans des cadres sociaux qui déterminent son statut et ses usages » (Saunier et Schepens, 2016). Le secret n’existant pas « en dehors des relations sociales et du rapport à autrui » (Mellinni et al., 2016), il apparaît comme une entrée pertinente pour comprendre l’organisation sociale d’un groupe. En effet, il peut être envisagé comme une norme de comportement distinguant ce qui peut être divulgué de ce qui doit être tenu « caché » lorsqu'on appartient à une communauté. Il questionne aussi le rapport de l’individu au groupe et celui du groupe à l’individu. Il provoque une scission entre les individus « dedans », c’est-à-dire inclus dans la confidence et ceux qui sont autres, « dehors » (Petitat, 1998). Partager un secret peut ainsi illustrer une appartenance commune à un groupe et devenir un facteur de cohésion sociale et d'identité. Selon cette logique, la compréhension du secret à l'œuvre dans la formation des communautés sportives permettra d’en apprendre davantage sur celles-ci. Par exemple, au sein des équipes féminines de rugby, certaines pratiques corporelles ne doivent pas sortir de la confidentialité du vestiaire (Saouter, 2000).
Au-delà des relations sociales, les lieux sont aussi vecteurs de stratégies de camouflage d’une information gardée confidentielle. Par exemple, les stades, en tant qu’enceinte circonscrite et enclavée, renferment souvent les secrets des entraînements. L’étude du secret permettrait-elle alors de comprendre les territoires sportifs ?
Après avoir identifié les personnes impliquées ou non dans le secret et les raisons qui les conduisent à ne pas révéler certaines informations, il s'agira de se questionner sur ce que peut nous apprendre le secret sur notre terrain.
En résumé, ce premier axe s’attache à étudier comment le chercheur peut faire du secret un élément éclairant son terrain ou un moyen de produire du savoir et d’enrichir la construction de son objet. À titre d’exemple, dans les activités physiques de pleine nature, les lieux de pratique sont souvent tenus secret par les pratiquants pour éviter l’envahissement de l’espace par des touristes, des novices ou bien même des concurrents sur les compétitions. Entrevoir la multiplicité de ces lieux et la manière dont les individus gardent leur localisation secrète permet alors d’identifier les frontières séparant diverses communautés de pratiques au sein d’une activité sportive (Lemarié, 2016). Par le prisme du secret, l’enjeu est d’initier de nouveaux questionnements et d’explorer des axes qui n’auraient pas été explorés.
Axe 2 - Questions de méthode
Une première difficulté méthodologique pour bon nombre de chercheurs est d’accéder aux matériaux nécessaires à l’analyse et à l’interprétation des phénomènes observés. Pour cela, il s’agit souvent de réussir à faire parler les enquêtés. Cet axe vise à interroger les manières dont le chercheur peut se confronter au secret et/ou le contourner. Comment recueillir les données que recèle le terrain ? Comment découvrir des non-dits ? Comment démasquer des informations déguisées ?
Pour guider les réflexions des futurs communicants, nous proposons d’identifier plusieurs types d’obstacles. Le premier pourrait être l’identification du secret par le chercheur. La tâche semble déjà ardue. Plusieurs outils seraient susceptibles de permettre au chercheur la découverte de certaines informations précieuses pour la suite de son enquête. Cela peut être verbalisé par l’enquêté : « Je ne peux pas vous dire cela » ; « Je ne m’étendrai pas sur ce sujet ». Au sein de l’entretien, les ruptures d’interactions (Goffman, 1974), les « blancs », les hésitations, les retraits ou encore des signes somatiques apparaissent comme autant d’indices verbaux et corporels pouvant annoncer le déguisement intentionnel d’informations de la part de l’enquêté. Par ailleurs, la prise de connaissance des règlements d’institutions ou d’établissements interdisant aux enquêtés de dévoiler des informations confidentielles peut révéler l’existence du secret. C’est le cas du secret médical. En outre, l’acteur peut considérer l’un de ses attributs comme stigmatisant (Goffman, 1975) dans le cadre d’un échange avec un chercheur et ajuster son comportement corporel pour ne pas le montrer. Ainsi, les stratégies de gestion de l’information sociale pourront être abordées par les communicants sous le prisme du secret.
Un deuxième type d’obstacle auquel peut être confronté le chercheur souhaitant élucider le secret est sa « révélation ». L’identité du chercheur et la manière dont il se présente ou encore le rôle endossé lors d’une observation participante sont autant de paramètres conditionnant les informations accessibles. L’enquêteur peut ainsi lier une relation de confiance avec l’enquêté en multipliant ses visites, en partageant des temps de convivialité ou des émotions au fil des participations à des activités communes. Par exemple, l'historien, devant les réticences d’un acteur à dévoiler ses archives privées, peut également avoir besoin de construire une relation cordiale et de renforcer ce lien de confiance. Dans le cas d’une biographie d’un défunt, où la famille peut être encore très affectée plusieurs années après, les archives peuvent être le dernier moyen de le sentir encore parmi eux. Ainsi, les donner à des personnes qui ne font pas partie du cercle familial peut être vécu comme difficile et paraître intrusif. L’historien peut également se confronter à des archives dont la loi n’autorise pas le dévoilement de certaines informations avant plusieurs années.
Plus largement, qu’il s’agisse d’entretiens, d’archives personnelles, médiatiques ou même institutionnelles, l’enquêteur doit avoir conscience que les matériaux et discours qu’il récolte sont aussi conditionnés par la situation de communication dans laquelle ils ont été produits (Charaudeau, 2009). La triangulation des données et des méthodologies (Denzin, 2015) constitue alors une précieuse option. L’observation participante ou les entretiens informels apparaissent comme des ruses méthodologiques permettant d’accéder à des éléments qui ne sont pas livrés en entretien (Guénot, 2016) et de rompre avec les significations qu’il tend à favoriser pour accéder aux backstages, ou aux « discours personnels » (Dahlgren, 1990). En outre, comment le chercheur peut-il savoir qu’il a élucidé le secret ? Dans la démarche de recherche lorsque le croisement de nouvelles sources et données n’apporte plus de nouvelles informations, c’est-à-dire le moment où il arrive à saturation des données (Olivier de Sardan, 2008), est-il le signe que le terrain n’a plus de secret pour lui ? Dans la relation d’entretien, la diminution des ruptures d’interactions, l’expressivité émotionnelle s'estompant ou s’accentuant, les signes somatiques s’apaisant sont-ils des indicateurs d’une révélation achevée ?
Pour autant, il est vain de penser que le secret existe dans chaque recherche ou encore que sa découverte en est toujours l’objectif. D’ailleurs, comment savoir qu’il y a un intérêt à élucider le secret ? Pour qui ? À titre d’exemple, le secret ne semble pas avoir le même enjeu pour l’historien cherchant à décrire un passé ou pour l’analyste de discours qui prend le discours lui-même comme objet en l’étudiant comme un réel en soi.
Axe 3 : Les questionnements déontologiques et éthiques du secret
Comprendre un secret, le découvrir, l’expliquer ou encore le dévoiler ne vont pas de soi. Le secret est lié à des enjeux déontologiques et éthiques. Là où la déontologie configure l’ensemble des devoirs régissant le monde professionnel de la recherche universitaire, l’éthique interroge les valeurs morales propres au chercheur. Faut-il percer le secret ? Est-ce le rôle du chercheur de l’élucider ? Est-il parfois souhaitable de le préserver ? Un chercheur étudiant les cultures corporelles alternatives peut rencontrer un acteur tatoué par des illustrations subversives. L’enquêteur peut-il alors les mentionner dans ses publications universitaires au risque de le mettre en difficulté dans sa profession ? Quelles barrières autres que celles imposées par la déontologie professionnelle le chercheur se fixe-t-il lui-même ? À travers l’éthique, n’est-ce pas le rapport du chercheur à son objet, au milieu universitaire qu’il convient d’interroger ?
D’abord, le secret peut être associé à la « honte » ou à des « mauvais souvenirs » traumatisants. Dès lors, soucieux de ses potentielles conséquences, l’enquêteur peut se demander jusqu’où aller dans l’élucidation du secret lorsque ce dernier existe. Ensuite, si il a finalement connaissance du secret, il est possible de se demander quelles pourraient être les conséquences potentielles de son dévoilement sur les institutions et les individus impliqués ? Ainsi, à partir de quand, comment et sous quelle forme le secret peut-il apparaître dans des travaux de recherche ? Dans quelles circonstances le secret doit-il être conservé ? De plus, si le chercheur est amené à restituer ses résultats aux personnes rencontrées, il se doit aussi de les protéger. Dès lors, pour atteindre ce but, le chercheur peut mettre en œuvre certaines stratégies, comme l'anonymisation. Cependant, changer les noms des enquêtés ne suffit pas toujours à les rendre anonymes pour les lecteurs.
D’autre part, le chercheur peut être soumis au silence d’un point de vue légal par des clauses de confidentialité signées avec des acteurs privés (entreprises, équipes sportives professionnelles, etc.) ou publics (armée, etc.) qui limitent toute divulgation. À titre d’exemple, dans le cadre d’innovations de matériels sportifs, les chercheurs sont tenus au secret jusqu’au dépôt officiel du brevet. En effet, en STAPS les sciences de la vie et de la santé peuvent également être concernées par ces questionnements. Dans ce cas, que peut faire le chercheur des données qu’il est tenu de garder pour lui ? L’enjeu pour ce dernier peut être de trouver le « juste équilibre entre secret et transparence » (Saunier & Schepens, 2016).
Nous invitons également les intervenants à questionner le rôle du chercheur dans la construction ou la prolongation du secret. En effet, le chercheur pourrait être tenté de valoriser ses travaux en répondant aux attentes présumées de certains publics dont la curiosité est aiguisée par cet accès à l’intimité du secret. En outre, le mystère et le secret sont des moyens de rendre la science attrayante et de susciter l’intérêt du public. Ainsi, s’il peut être utilisé comme un ressort pour vulgariser sa recherche en la rendant séduisante, le secret pourrait aussi participer à sa mise en récit (ou storytelling (Lewis, 2011)) et contribuer à sa spectacularisation. Dès lors, dans quelle mesure le secret peut-il constituer un ressort de la mise en intrigue du travail d’écriture ou de diffusion de la connaissance ? Ainsi, en produisant des discours sur le secret, le chercheur ne prend-il pas le risque de participer à la construction de mythes, dans le sens d’idées communément tenues pour vrai, autour de son objet, et qu’il conviendrait au contraire de déconstruire ? Le travail journalistique ou d’investigation pouvant être confronté à ces mêmes enjeux déontologiques, il s’agira en outre de se questionner sur ce qui est ou non propre au chercheur en sciences humaines et sociales.
Modalités de contribution
Un résumé d’environ 3 000 caractères devra être envoyé sous un format .pdf .doc ou .odt, à l’adresse suivante : journee-jeunes-chercheurs-c3s@univ-fcomte.fr
avant le 15 juillet 2023.
Vous pouvez également poser vos questions à cette même adresse.
Ce résumé devra également comprendre :
- Un titre
- 5 mots-clés
- Une bibliographie
- Une présentation de l’auteur
Suite à l’expertise, une notification de décision du comité scientifique sera envoyée avant le 15 juillet 2023.
Les journées d’étude se dérouleront les 16 et 17 octobre 2023, en présentiel, à l’UFR STAPS de Besançon.
Les participants auront la possibilité de réaliser des podcasts a posteriori pour valoriser et diffuser leur communication (https://laboratoire-c3s.fr/?page_id=1691)
Comité d’organisation
- Pauline Déodati, doctorante (C3S – EA 4660)
- Sacha Thiebaud, doctorant (C3S – EA 4660)
- Nicolas Voisin, doctorant (C3S – EA 4660)
- Valérie Cruzin-Polycarpe, doctorante (C3S – EA 4660)
- Hugo Gerville-Réache, doctorant (EHIC - EA 1087)
- Willy Hugedet, docteur (C3S – EA 4660)
- Orlane Messey, doctorante (C3S – EA 4660)
- Nolwenn Chesnais, docteure (C3S – EA 4660)
- Guillaume Rayot, doctorant (C3S – EA 4660)
Références
Charaudeau, P. (2009). Dis-moi quel est ton corpus, je te dirai quelle est ta problématique. Corpus, 8, Art. 8. https://doi.org/10.4000/corpus.1674
Dahlgren, P. (1990). Les actualités télévisées. A chacun son interprétation (A.-M. Gamberini, Trad.). Réseaux, 9(44), 297-312. https://doi.org/10.3406/reso.1990.1810
Denzin, N. K. (2015). Triangulation. In The Blackwell Encyclopedia of Sociology. John Wiley & Sons, Ltd. https://doi.org/10.1002/9781405165518.wbeost050.pub2
Guenot, M. (2016). « Que puis-je faire pour vous? » : Réflexion méthodologique sur les conditions d’une enquête sociologique dans des Groupes d’Intervention Régionaux. ¿ Interrogations ? Revue pluridisciplinaire de sciences humaines et sociales, 22. http://www.revue-interrogations.org/Que-puis-je-faire-pour-vous,502
Goffman, E. (1974). Les rites d’interaction. Les éditions de minuit.
Germiyanoglu, O. (2016). Le chercheur et le haut fonctionnaire : Enjeux du secret en diplomatie. ¿ Interrogations ? Revue pluridisciplinaire de sciences humaines et sociales, 22. http://www.revue-interrogations.org/Le-chercheur-et-le-haut
Laura, M., Mileti Francesca, P., & Michela, V. (2016). Migrantes et séropositives en Suisse : Les stratégies de l’agir secret. ¿ Interrogations ? Revue pluridisciplinaire de sciences humaines et sociales, 22. http://www.revue-interrogations.org/Migrantes-et-seropositives-en
Lemarié, J. (2016). Genèse d’un système global surf. Regards comparés des Hawai’i à la Californie : traditions, villes, tourisme et subcultures (1778-2016), thèse en sociologie, Université Paris 10.
Lewis, P. J. (2011). Storytelling as Research/Research as Storytelling. Qualitative Inquiry, 17(6), 505–510. https://doi.org/10.1177/1077800411409883
Olivier de Sardan, J-P. (2008). La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l'interprétation socio-anthropologique. Academia-Bruylant.
Petitat, A. (1998). Secret et formes sociales. Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.petit.1998.01
Saouter, A. (2000). Être rugby. Jeux du masculin et du féminin. Éditions de la Maison des sciences de l’homme.
Saunier, E., & Schepens, F. (2016). Préface du dossier « L’enquêteur face au secret ». ¿ Interrogations ? Revue pluridisciplinaire de sciences humaines et sociales, 22. http://www.revue-interrogations.org/Preface-au-No22-L-enqueteur-face
Zarka, Y. (2006). Éditorial : Ce secret qui nous tient. Cités, 26, 3-6. https://doi.org/10.3917/cite.026.0003
Subjects
Places
- 31 rue de l'Épitaphe
Besançon, France (25)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Saturday, July 15, 2023
Attached files
Keywords
- secret, méthodologie, sport, corps
Contact(s)
- Pauline Déodati
courriel : journee-jeunes-chercheurs-c3s [at] univ-fcomte [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Pauline Déodati
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To cite this announcement
« Le secret dans le processus de recherche », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, June 08, 2023, https://doi.org/10.58079/1bb9