HomePop culture et politique : instrument ou contre-pouvoir ?

HomePop culture et politique : instrument ou contre-pouvoir ?

*  *  *

Published on Wednesday, July 12, 2023

Abstract

La journée d’étude « Pop culture et politique : instrument ou contre-pouvoir ? » prévue le 15 décembre 2023 propose de multiplier les cas d’étude et d’ébaucher un état des lieux des questions soulevées par les diverses formes politiques de la pop culture autour de trois axes : usages politiques de la pop culture : l’image pop-culturelle comme instrument de mobilisation ; politiques des subcultures ; les cadres théoriques pour penser la politique de la pop-culture : renouvellement méthodologique, sociologie de la culture et héritages critiques.

Announcement

Argumentaire

Alors que le numérique joue un rôle croissant dans la mobilisation politique, la redirection politique de codes issus de la “pop culture” pose question. La “pop culture” se présente au premier abord comme un divertissement destiné au plus grand nombre, distincte de cultures traditionnelles élitaires, réservées au petit nombre en ayant les moyens économiques et symboliques. Esthétiquement, elle se caractérise par la répétition de formes narratives (les tropes) et l’usage de codes plastiques censés attirer rapidement une attention qui se monnaie chèrement. Récréative et répétitive, la pop culture n’aurait donc pas vocation à susciter d’interrogation politique ou à proposer de représentation d’une quelconque réalité sociale. 

Pourtant, celle-ci est régulièrement mobilisée politiquement. Dans un tweet du président Macron diffusé à l’occasion de l’ouverture du pass culture aux 15-17 ans, un tome du manga One Piece était visible sous une pile d’ouvrages traitant de politique. Des sympathisant-es de la France Insoumise ont également pu proposer une série de jeux appelée Fiscal Kombat lors de l’élection présidentielle de 2017. Des symboles issus de la pop culture trouvent ainsi leur place dans une guerre des images visant à mobiliser les électorats jeunes. L’image pop culturelle permettrait de s’adresser à une jeunesse qui ne répondrait pas aux codes du marketing politique classique. Le potentiel politique de la pop culture reposerait alors sur son pouvoir de mobilisation symbolique. 

La politique de la pop culture ne se résume cependant pas à sa dimension instrumentale. La politique de la pop culture peut se jouer en son sein même. Les communautés de fans semblent occasionnellement constituer leur propre politique. Le 20 juin 2020, le candidat Trump a été pris de revers. Alors qu’on lui a annoncé un stade plein pour son meeting à Tulsa dans l’Oklahoma, une foule clairsemée l’attend, des centaines de sièges ayant été réservés pour être laissés inoccupés. A l’origine de l’opération, des militant-es démocrates mobilisé-es à travers Tiktok et les réseaux de fans de K-pop. Une telle mobilisation a été possible parce qu’une partie de la fanbase est sensible aux questions d’injustices raciale et sociale aux Etats-Unis, quand bien même le produit artistique ne vise pas initialement à produire une mobilisation coordonnée. Des mouvements politiques peuvent ainsi émerger au sein de communautés initialement constituées à d’autres fins, qu’il s’agisse de consommateurs-rices comme de producteurs-rices de contenus culturels. 

On peut s’interroger sur les formes politiques singulières de cultures qui se construisent contre des formes culturelles élitaires tout en s’installant dans des codes symboliques pouvant s’inscrire dans une hégémonie culturelle. L’inscription du breaking parmi les épreuves de compétition aux JO de Paris 2024 a marqué un tournant pour les acteurs de la culture hip-hop, qui a d’abord émergé sous des formes de contestation politique des injustices sociales et de la brutalité policière. Conséquence de sa popularisation, cette mise en lumière des performances des B-Boys et des B-Girls (danseurs-euses de breakdance) vient questionner son statut de culture alternative. Alors que leur présence dans la rue attestait d’une volonté de réappropriation de l’espace public, la charge subversive initiale serait une ombre projetée au sein de l’arène médiatique, sous forme de divertissement. Les différentes politiques de la pop culture se feraient alors dans leur rapport avec la notion de culture populaire. Si les produits pop-culturels sont destinés au peuple, leur conception et leur réception engagent alors une lutte possible quant à la définition de ce “peuple” et de ces attributs, comme l’avance Stuart Hall dans ses “Notes sur la déconstruction du “populaire”” (1981). Les tensions qui traversent la conception et la réception des représentations animant les œuvres pop-culturelles sont alors révélatrices d’enjeux politiques. 

Les politiques de la pop culture peuvent donc être approchées à travers différentes grilles d’analyse, qu’on peut tisser ensemble en interrogeant centralement les rapports entre communautés de fans, groupes sociaux et mouvements politiques institutionnels ou spontanés. 

L’entente large de la notion proposée ici peut poser un certain nombre de difficultés. La pop-culture englobe potentiellement des divertissements très variés : séries télévisées, jeux vidéos, chansons populaires, musiques urbaines, bandes dessinées, danses etc. Ces différences sont aussi socio-économiques, entre des produits marchands soigneusement conçus et diffusés par des acteurs-rices économiques légitimes et des œuvres amatrices à destination de niches culturelles, commercialisées dans des réseaux potentiellement informels. Les rapports entre les différents réseaux de production et de diffusion des œuvres pop-culturelles peuvent ainsi soulever des questions sociologiques. Dans l’optique de la présente journée d’étude, nous souhaitons nous concentrer sur le rapport entre la constitution de ces réseaux et des formes de mobilisation politiques. 

L’inscription de la pop culture dans une forme de culture mondialisée peut également poser question, tout comme l’usage de la pop culture comme arme culturelle dans une politique de soft power. Dans le cadre de cette journée d’étude, nous souhaitons laisser ces questionnements de côté pour nous concentrer sur les interactions entre les objets pop-culturels et leurs lectures politiques.

Axes de recherche

Usages politiques de la pop culture : l’image pop-culturelle comme instrument de mobilisation 

Les exemples d’usage politique des codes issus de la pop culture sont nombreux. Ceux-ci s’inscrivent dans des formes nouvelles de marketing politique, attentives aux évolutions de la communication. Alors que les réseaux sociaux permettent une communication axée sur les images, les figures issues de la pop culture se multiplient dans les messages diffusés par les organisations politiques. On peut à ce titre s’interroger par exemple sur les usages politiques du meme

On peut également s’interroger sur l’absorption de codes fictionnels comme outil d’intelligibilité politique au-delà de la seule communication linguistique. En quelle mesure les références à des divertissements bien connus du grand public peuvent-elles permettre à des organisations de mobiliser? On peut ainsi réfléchir à l’usage de codes esthétiques issus des jeux vidéo guerriers dans certaines campagnes de recrutement militaire. 

Ces différents exemples suscitent de nombreuses questions. Comment sont choisies les images destinées à porter des messages? Comment les imaginaires sont-ils retravaillés pour porter des messages politiques donnés? Quelles difficultés posent la traduction d’un message politique dans une forme pop-culturelle? Comment ces formes de communication sont-elles reçues par les publics cibles ou commentées par les acteurs-rices politiques?

Les politiques des subcultures 

Cet axe vise à interroger la possibilité de politiques propres à la pop-culture à partir d’études de formes de politisation émanant des communautés de fans. Nous émettons l’hypothèse que celles-ci émergent souvent quand des contenus pop-culturels alimentent des subcultures, c’est-à-dire à dire des groupes qui se constituent autour de pratiques culturelles alternatives. Comment des communautés marginales et/ou contestataires s’emparent-elles d'œuvres pop-culturelles? En quoi consistent les “alternatives” qui les caractérisent ? 

Nous aimerions réfléchir aux dynamiques de constitution de ces publics et plus particulièrement aux enjeux de la politisation de produits marchands. En quelle mesure cette saisie politique est-elle anticipée par les créateurs-rices et les promoteurs-rices d’un contenu? Jusqu’à quel point est-elle planifiée et contrôlée dans le cadre de stratégies de vente? L’usage commercial de prédispositions sociopolitiques peut soulever des questions éthiques et politiques. Comment se vit-on à la fois comme membre d’une communauté politique et cible d’une stratégie marketing? Comment des communautés minoritaires et/ou contestataires articulent-elles attitudes de rejet de la domination et de formes d’hégémonie culturelle, et comportements de consommation? Sous quelles conditions la mobilisation politique prend-elle le pas sur le divertissement collectif au sein d’espaces sous-culturels? Comment s’articulent espaces de sociabilité et espaces de mobilisation politique? 

On peut également s’interroger sur les rapports que les formes contemporaines de mobilisation politique au sein d’espaces sous-culturels entretiennent avec la notion de contre-culture. Y a-t-il une permanence des dynamiques établies à partir des années 60 dans la mobilisation politique de comportements culturels alternatifs? À partir de l’analyse d’Andy Bennett (2012), on peut également se demander si cette notion, initialement portée par des intellectuels-elles engagé-es (Theodore Roszak notamment) et les compte-rendus médiatiques de la période des sixties et des seventies, est encore pertinente pour rendre compte des phénomènes contemporains. 

Les cadres théoriques pour penser la politique de la pop-culture : renouvellement méthodologique, sociologie de la culture, héritages critiques

En parallèle de ces cas d’étude, nous aimerions réfléchir aux cadres théoriques généraux permettant de penser la politique de la pop-culture. Il s’agit de réfléchir à la fois aux outils d’analyse des phénomènes contemporains (théorie de l’acteur-réseau, théorie des communautés interprétatives, herméneutique de la pop culture, philosophie des objets ordinaires) et aux théories macrosociologiques qui peuvent s’y rattacher (sociologie de la culture, cultural studies, théories critiques, pragmatismes). 

Comment analyser des phénomènes politiques qui émergent à la lisière de formes de mobilisations politiques bien connues? Cette question se pose d’autant plus fortement que la politique de la pop culture s’élabore largement par des outils numériques dont les clefs d’analyse sociologique sont en cours d’élaboration. Nous aimerions nous pencher sur le renouvellement méthodologique que peut imposer l’étude des formes politiques de la pop culture, tant du point de vue de l’invention de nouveaux outils conceptuels que des questionnements éthiques et épistémologiques qui l'accompagnent. Est-il nécessaire d’adopter les théories de l’acteur-réseau ou une philosophie des objets ordinaires (telle que l’a développée Stanley Cavell) pour comprendre la politique de la pop culture? Ces réflexions doivent-elles être articulées à une conception de la culture de masse comme arraisonnement industriel des forces émancipatrices traversant les sociétés modernes? 

Dans cette optique, l’héritage de la théorie critique dans les réflexions sur la pop culture mérite d’être interrogé. Les travaux de Max Horkheimer, Theodor Adorno et Walter Benjamin permettent-ils de penser les phénomènes contemporains? Les réflexions sur la catégorisation au centre de l’industrie culturelle au service d’une hiérarchisation des tâches sociales dans La Dialectique de la Raison (1944) sont-elles applicables aux formes de productions culturelles contemporaines? Peut-on s’inspirer des réflexions de Walter Benjamin sur la reproductibilité technique et ses dimensions politiques pour rendre compte de formes de politisation contemporaines? Quelles leçons tirer de la controverse sur le potentiel émancipateur de la reproductibilité technique ayant lieu dans la correspondance entre Adorno et Benjamin ? Peut-on se réapproprier les réflexions d’Adorno sur la “musique légère” de son temps, notamment dans les pistes émancipatrices qu’elles esquissent, ou est-il nécessaire d’en pointer les limites pour dessiner un modèle plus complet de compréhension de celle-ci ? 

Ces interrogations sur la possibilité d’une culture émancipatoire dans le cadre des industries contemporaines peuvent également être abordées sous l’angle des débats au sein de la sociologie de la culture française, tels que Dominique Pasquier en rend compte dans l’article “La “culture populaire” à l’épreuve des débats sociologiques” (2005). On peut en effet s’interroger sur la pertinence de l’héritage bourdieusien dans l’interprétation de la culture populaire dans son seul rapport avec la culture dite légitime. Cette approche aurait tendance à laisser de côté le travail des acteurs-rices pour donner du sens aux représentations médiatiques qui leur sont présentées. De l’autre côté de l’Atlantique, les cultural studies proposeraient au contraire de se concentrer sur les dynamiques de pratiques culturelles localisées. Dès lors, on pourrait s’interroger sur le privilège donné à l’étude des milieux sur l’analyse des structures sociales et des dynamiques des réseaux qui les composent. Comment construire une sociologie de la culture interagissant avec ces modèles sans rester prise dans leurs limites? 

Au-delà de ces réflexions sur l’héritage francfortois et sur les débats de la sociologie de la culture française, quelle politique de la pop culture les démarches critiques contemporaines (critiques féministes et postcoloniales, théories critiques de la race) dessinent-elles? Peut-on penser l’analyse de la pop culture comme un terrain privilégié de la critique sociale? 

Nous souhaitons également nous interroger sur l’influence des différentes démarches critiques dans les analyses politiques de la pop culture émanant d’acteurs-rices non-institutionnels-les. Par exemple, en quelle mesure la forme du video essay relève-t-elle de la théorie critique? Une telle tendance relève-t-elle de la constitution d’une “imagination sociologique”, selon l'expression de Charles Wright Mills (1959) ? Quelle place les études issues des cultural studies y tiennent-elles? Quels liens ces réceptions critiques de produits pop-culturels entretiennent-elles avec les différents discours académiques sur la pop culture ? On peut notamment s’interroger sur l’articulation d’usages de références académiques et le rejet partiel des codes institutionnels qui les accompagnent, pour souligner et interpréter la part d’autonomie que ces formes de discours peuvent éventuellement revendiquer. 

Modalités de contributions

Les contributions peuvent relever de la science politique, de la sociologie politique, d’études de communication politique, de l’histoire des idées, de la théorie politique et de la philosophie sociale et politique. Les propositions de communication (environ 700 mots) sont à adresser à poppolitique2023@gmail.com

jusqu’au 24 juillet. 

Comité scientifique

  • Keivan Djavadzadeh, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris VIII
  • Sandra Laugier, professeure de philosophie à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne
  • Nelly Quemener, professeure des universités au CELSA - Sorbonne université et membre du GRIPIC

Places

  • Paris, France (75)

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Monday, July 24, 2023

Keywords

  • pop culture, politique, cultural studies, philosophie sociale

Contact(s)

  • Alice Lasvergnas
    courriel : poppolitique2023 [at] gmail [dot] com

Information source

  • Alice Lasvergnas
    courriel : poppolitique2023 [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Pop culture et politique : instrument ou contre-pouvoir ? », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, July 12, 2023, https://doi.org/10.58079/1bk1

Archive this announcement

  • Google Agenda
  • iCal
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search