HomePerte de sens au travail et désengagement ? De quelles manières les transformations contemporaines du travail affectent-elles l’engagement des salarié·es, les pratiques managériales et le syndicalisme ?
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Published on Monday, July 17, 2023

Abstract

Cet appel à contribution vise à interroger les effets de ces dégradations sur les formes de (dés)engagement des salarié·es. Comment les transformations du travail percutent-elles la manière dont les salarié·es s’engagent dans leur travail et les formes de résistance qu’ils peuvent adopter ? Comment les directions d’entreprise adaptent-elles leurs pratiques managériales et les dispositifs de (re)mobilisation des salarié·es et avec quels effets ? Quelles sont les conséquences, potentiellement contradictoires, de ces transformations du travail sur les conditions de l’engagement dans les organisations syndicales ? C’est autour de ces trois axes de questionnement, qui peuvent évidemment s’articuler, que nous sollicitons des contributions pour ce 14e numéro de la revue Chroniques du travail.

Announcement

Argumentaire

Perte de sens au travail et désengagement ? De quelles manières les transformations contemporaines du travail affectent-elles l’engagement des salarié·es, les pratiques managériales et le syndicalisme ? et Varia

À rebours des discours actuels sur la crise de la « valeur travail », les « pénuries de main d’œuvre », la « grande démission », etc. qui ont fleuri à la suite de la pandémie, nombre d’enquêtes rappellent que les français·es entretiennent en réalité, depuis longtemps, un rapport paradoxal à leur travail. Elles et ils sont parmi les européens les plus attachés·es à leur activité professionnelle, mais aussi les premier·es à souhaiter qu’elle occupe moins de place dans leur vie[1]. Si ce « paradoxe français » s’explique par les aspirations à une meilleure conciliation vie personnelle et professionnelle, il est aussi étroitement lié à la dégradation des conditions de travail.

La France se distingue en effet de ses voisins européens par la dureté des conditions de travail et la prégnance des pénibilités physiques et psychiques. Sous l’effet de l’intensification du travail à l’œuvre depuis les années 1990 et de la montée des pratiques du management par le chiffre (objectifs, reporting, process, etc.), l’ampleur des salariés·es confrontés à des facteurs psychosociaux de risques (importante charge de travail, manque d’autonomie, conflits de valeurs, insécurité économique, conflits au travail, etc.) n’est plus à démontrer[2]. Dans des organisations en perpétuelles restructurations, sous l’effet de l’intensification des contraintes économiques qu’imposent la financiarisation de l’économie et les réformes néo-libérales de l’État, les salariés·es du public et du privé sont plus nombreux à avoir le sentiment que leur travail perd de « son sens ». Et, même si les inégalités sociales face aux risques, physiques comme psychiques, restent très fortes, la quête de sens dans le travail n’est pas réservée aux salariés·es les plus qualifiés·es[3].

Cet appel à contribution vise à interroger les effets de ces dégradations des conditions de travail sur les formes de (dés)engagement des salariés·es au travail, que ce soit au sens de leur implication dans leur activité professionnelle ou de leur rapport à l’action syndicale. Comment les transformations du travail percutent-elles la manière dont les salarié·es s’engagent dans leur travail et les formes de résistance qu’ils peuvent adopter ? Comment les directions d’entreprise adaptent-elles en conséquence leurs pratiques managériales et les dispositifs de (re)mobilisation des salarié·es et avec quels effets ? Quels sont les conséquences potentiellement contradictoires de ces transformations du travail sur les conditions de l’engagement dans les organisations syndicales ?

C’est autour de ces trois axes de questionnement, qui peuvent évidemment s’articuler, que nous sollicitons des contributions pour ce 14e numéro de la revue Chroniques du travail.

Axe 1. Transformations du travail et (dé)engagement des salarié·es

Alors que les motifs d’insatisfaction au travail s’aiguisent et que s’intensifient les plaintes des directions d’entreprise sur leurs difficultés à recruter et à mettre au travail les salarié·es, l’adhésion syndicale a connu un nouveau recul[4], tandis que l’intensité des grèves[5] et, plus largement, des autres formes d’action collective[6] ont-elles aussi diminué. Pour reprendre la célèbre typologie d’Albert Hirschman (exit, voice, loyalty)[7], si l’insatisfaction au travail ressentie par un nombre croissant de salarié·es ne conduit pas nécessairement à une augmentation de la conflictualité collective, contribue -t-elle alors au développement de formes d’apathie (absentéisme, arrêts de travail), de désengagement ou d’exit (démissions, reconversion, etc.) ? On peut aussi bien sûr penser à d’autres formes de résistances souterraines que peuvent opposer les salarié·es pour subvertir les règles prescrites par la hiérarchie afin de se réapproprier leur travail[8]. Dans un contexte où se diffusent des discours très généraux sur le désengagement au travail, notamment sur des jeunes salarié·es, il semble opportun de les confronter à l’étude de cas empiriques, permettant de prendre concrètement la mesure de ces attitudes de désengagement, d’en comprendre le sens et les déterminants sociaux et organisationnels[9], ce qui a encore rarement été entrepris dans la littérature française.

Axe 2. Le (dés)engagement dans le travail comme enjeu pour les directions d’entreprise

Un second axe porte sur les enjeux qui se jouent autour des questions liées à l’engagement dans le travail des salarié·es pour les directions d’entreprise. Celles-ci considèrent-elles cette question de l’engagement des salariés·es et du sens du travail comme un enjeu ? S’emparent-elles des indicateurs de désengagement (turn-over, absentéisme, démission, arrêts de travail, etc.) pour transformer leurs pratiques managériales ?

Si dans certains secteurs le turn-over de la main d’œuvre est intégré aux pratiques de gestion, comme dans la logistique[10], dans d’autres les entreprises déploient un ensemble de pratiques visant à renforcer l’implication des salariés·es. Au-delà des dispositifs de contrôle, l’individualisation des politiques rémunération, par exemple, participe de la volonté de renforcer l’engagement des salariés·es en soutenant leur adhésion aux objectifs économiques de l’entreprise[11]. Des travaux ont également mis l’accent sur les dispositifs de « moralisation du capitalisme »[12] (promotion de la « diversité », politique de la RSE) mis en œuvre pour cultiver le sentiment d’identification à l’entreprise et remobiliser les salarié·es. Qu’en est-il du recours aux dispositifs du management dit participatif et d’expression des salariés, aux outils de la QVCT ou autres dispositifs « innovants » d’organisation au travail ? Dans quels types de configurations peuvent-ils être investis comme des instruments managériaux de production des dévouements au travail ?

Tout en étudiant la panoplie des outils que les directions ont à leur disposition pour tenter de redonner du sens au travail des salarié·es, il s’agit de s’interroger sur leurs objectifs et leurs effets. Ces dispositifs managériaux ouvrent-ils de nouveaux espaces de débat sur le travail ou contribuent-ils d’abord à canaliser les discours critiques et le cas échéant, avec quel succès ? Comment les salarié·es investissent-ils ces dispositifs ? Qu’en font les représentants syndicaux, et que font ces politiques managériales à l’action syndicale ?

Axe 3. Transformations des conditions de travail et ressorts de l’action collective et syndicale

Le dernier axe vise à interroger plus frontalement la manière dont les réorganisations du travail ont pu affecter le rapport à l’action syndicale des salarié·es et la capacité des syndicats à les mobiliser. Alors même que la présence syndicale dans l’entreprise contribue à de meilleures conditions d’emploi mais aussi de travail[13], quels liens peut-on faire entre la forte dégradation des conditions de travail, la détérioration du « sens au travail » et la (dé)mobilisation collective et syndicale des salariés·es ? Au-delà des effets liés à la précarisation de la condition salariale, largement documentée par la sociologie du syndicalisme[14], dans quelle mesure les transformations du travail ont-elles pu aussi déstabiliser les possibilités d’engagement dans le syndicat, et ce jusque dans les segments plus stabilisés du salariat dans le secteur public (hôpital, université, administration, service public de l’emploi, etc.) comme dans le secteur privé[15] ? Les attitudes de désengagement des salarié·es viennent-elles se substituer à l’action syndicale ou au contraire peuvent-elles lui servir de point d’appui ?

Ce dernier axe sera également l’occasion de questionner le rapport entretenu par les syndicalistes à ces enjeux du travail, de son organisation, de son sens, que les directions confédérales ont encouragé à remettre au centre de l’action militante afin de remobiliser les salarié·es[16]. Les équipes syndicales perçoivent-elles ce sujet comme un champ d’intervention prioritaire à réinvestir ? Parviennent-elles à s’en emparer ? Quelles résistances, notamment patronales, rencontrent-elles pour repolitiser l’organisation du travail et intervenir sur ce terrain ?

Varia

Ce numéro accueillera, en parallèle de l’appel thématique, une rubrique Varia. Aussi, toutes les contributions de chercheur·es en sciences humaines et sociales, en lien avec les questions de travail et d’emploi, portant sur d’autres thématiques que celles développées ci-dessus sont bienvenues.

Les auteurs et autrices peuvent donc soumettre des textes à la revue dans la rubrique Varia dont la vocation est de regrouper des articles scientifiques hors dossier.

Modalités de soumission

Les contributions correspondent à un texte complet qui ne doit pas dépasser 60.000 signes. Les références bibliographiques sont à mettre en note de bas de page. Les articles doivent être accompagnés d’un résumé de 10 lignes maximum.

Ces contributions et résumés seront soumis exclusivement par courriel à irt-contact@univ-amu.fr et à remy.ponge@univ-amu.fr

avant le 1er février 2024

Calendrier

  • Date limite de réception des communications : 1er février 2024
  • Réponse du Comité de rédaction aux auteur·es : 15 mars 2024
  • Retour des versions définitives : 1er mai 2024

Comité scientifique

  • Jessica Attali-Colas, maîtresse de Conférences en Droit privé, CORHIS, Université Paul Valéry Montpellier III
  • Christophe Baret, professeur des Universités en Gestion, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU
  • Thierry Berthet, politiste, directeur de recherches au CNRS, directeur du LEST, UMR 7317 CNRS, AMU
  • Paul Bouffartigue, directeur de Recherche émérite CNRS, sociologue, LEST, UMR 7317, AMU ;
  • Alexis Bugada, professeur des Universités en Droit social, directeur du Centre de Droit Social (CDS), UR 901, AMU
  • Mario Correia, maître de Conférences en Sociologie du travail, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU
  • Vanessa di Paola, maîtresse de Conférences en Économie, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU, directrice du Centre associé régional au Céreq
  • Arnaud Dupray, ingénieur de recherche au Céreq en socio-économie et chercheur associé au LEST, UMR 7317 CNRS,
  • Henri Eckert, professeur en Sociologie, GRESCO (EA 3815), Université de Poitiers
  • Céline Gasquet, directrice Scientifique, Céreq, Marseille ;
  • Jérôme Gautié, professeur des Universités en Sciences économiques, Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne ;
  • Baptiste Giraud, maitre de Conférences en Sciences politiques, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU
  • Annie Lamanthe, professeure des Universités en Sociologie, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU ;
  • Arnaud Mias, professeur des Universités en Sociologie, PSL (Paris Sciences et Lettres), Université Paris- Dauphine, IRISSO UMR 7170 ;
  • Philippe Mehaut, directeur de Recherche émérite CNRS, économiste, LEST, UMR 7317, AMU
  • Ariel Mendez, professeure des Universités en Sciences de gestion, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU
  • Claire Morin, maîtresse de Conférences en Droit social, CDS, UR 901, AMU ;
  • Philippe Mossé, directeur de Recherche émérite CNRS, économiste, LEST, UMR 7317, AMU ;
  • Stéphanie Moullet, maîtresse de Conférences en Économie du travail et de l’éducation, EST, UMR 7317 CNRS, AMU ;
  • Jean-François Paulin, maître de Conférences en Droit privé, IUT (Université Claude Bernard Lyon 1), CNRS, (UMR 5137, Erds-CERCRID, Saint-Etienne) ;
  • Rémy Ponge, maître de Conférences en Sociologie, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU
  • Olivier Pujolar, maître de Conférences en Droit privé, vice-Président en charge des Partenariats et des Territoires, Université de Bordeaux ;
  • Michel Rocca, professeur des Universités en Sciences économiques, Université Grenoble Alpes, CREG EA 4625 ;
  • Caroline Vanuls, enseignante-chercheure en Droit social, LEST, UMR 7317 CNRS, AMU ;
  • Pierre-Yves Verkindt, professeur émérite à l’École de Droit de la Sorbonne, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne
  • Serge Volkoff, statisticien, HDR en Ergonomie, chercheur affilié au CEET-CNAM. (* lorsque nécessaire, le Comité a recours à des rapporteurs externes)

Notes

[1] Bigi (M.), Méda (D.), « Prendre la mesure de la crise du travail en France », Sciences Po -Liepp « Que sait-on du travail ? » mai 2023, https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/maelezig-bigi-dominique-meda-prendre-la-mesure-de-la-crise-du- travail-en-france.html

[2] Équipe Sumer, Chiffres clés sur les conditions de travail et la santé au travail, DARES, DGT, Santé publique France, 2021.

[3] Coutrot (T.), Perez (C.), Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, Paris, Seuil, 2022, p. 41.

[4] Pignoni (M. T.), « Léger repli de la syndicalisation en France entre 2013 et 2019 : dans quelles activités et pour quelles catégories de salariés | DARES », DARES-Analyses, (6), 2023.

[5] Blavier (P.), Haute (T.), Penissat (É.), « La grève, entre soubresauts et déclin », Mouvements, n° 103 (3), 2020.

[6] François (P.), Pélisse (J.), Voldoire (T.), « Une décennie sans conflits ? La conflictualité sur les lieux de travail en France dans la décennie 2010 », Chroniques du travail, (13), 2023.

[7] Albert Hirschman, Défection et prise de parole, Fayard, 1995.

[8] Paul Bouffartigue, Baptiste Giraud, Conflictualités au travail, Nouvelle Revue du Travail, n° 15, 2019.

[9] Paul Edwards, Hugh Scullion, The Social Organization of Industrial Conflict, Basil Blackwell, 1982.

[10] Benvegnù (C.), Tranchant (L.), « Warehousing consent ? », Travail et emploi, 162 (3), 2020.

[11] Bernard (S.), Le nouvel esprit du salariat. Rémunérations, autonomie, inégalités, Paris, PUF, 2020.

[12] Bosvieux-Onyekwelu (C.), Boussard (V.), « Moraliser le capitalisme ou capitaliser sur la morale ? », Actes de la recherche en sciences sociales, 241 (1), 2022.

[13] Arnaud Mias, Les risques professionnels, Ellipses, 2010, p. 160-176.

[14] Baptiste Giraud, Karel Yon, Sophie Béroud, Sociologie politique du syndicalisme, Armand Colin, 2018.

[15] Join-Lambert (O.), Mias (A.), Pigenet (M.), « Les syndicats face aux transformations du secteur public », Sociologie du travail, 59 (1), 2017.

[16] Brugière (F.), Fortino (S.), Goussard (L.), Tiffon (G.), « Derrière le masque du consensus… Analyse des divergences syndicales autour des enjeux de santé mentale au travail », Revue française des affaires sociales, (4), 2022 ; Ponge (R.), « La santé au travail au secours de l’action syndicale ? Retour sur la « sanitarisation » d’un répertoire d’action militant », Politix, 3 (135), 2021.


Date(s)

  • Thursday, February 01, 2024

Keywords

  • managériale, dégradation, engagement, désengagement

Information source

  • Rémy Ponge
    courriel : remy [dot] ponge [at] univ-amu [dot] fr

License

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To cite this announcement

« Perte de sens au travail et désengagement ? De quelles manières les transformations contemporaines du travail affectent-elles l’engagement des salarié·es, les pratiques managériales et le syndicalisme ? », Call for papers, Calenda, Published on Monday, July 17, 2023, https://doi.org/10.58079/1bkw

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