HomeAmus(é)ement : du musée pop à l’artialisation populaire
Published on Monday, September 11, 2023
Abstract
Amus(é)ement entend interroger les mécanismes à l’œuvre qui tendent d’une part, à populariser le musée et, d’autre part, à valoriser artistiquement la culture populaire. Si son entrée dans l’espace muséal procède à une artification de la culture pop (Shapiro, 2004), la démocratisation des savoirs et savoir-faire liés aux compétences artisanales entraîne, de son côté, une artialisation de la culture populaire, évolution naturelle s’il en est du paysage culturel contemporain. C’est par ce biais que l’artialisation populaire prend forme et que la culture participative telle qu’envisagée entre autres par Henry Jenkins, aboutit à la volonté de certain·es de faire par et pour eux-mêmes, devenant ainsi consommacteur·ices de leur culture.
Announcement
Le Mans Université, Jeudi 28 mars 2024
Argumentaire
Dans son investigation du monde de l’art contemporain, Catherine Millet pose la question suivante : « l’art est-il dans l’objet qui incarne l’idée ou dans l’idée elle-même ? » (Millet, 120) Lors de cette journée d’étude, ce n’est pas tant l’incarnation même de l’art dans et par l’objet identifié comme artistique qui sera étudiée, mais plutôt son intégration dans notre quotidien, et les fonctions aussi bien culturelles que sociales que cette dernière implique. Cette intégration, d’abord très codifiée et clairement spatialisée dans l’enceinte des musées, semble devenir de moins en moins rigide, et semble également induire une circulation moins verticale des œuvres et des valeurs qui y sont adossées.
La multiplication des galeries d’art spécialisées dans la photographie ou les lithographies, allant parfois même jusqu’à la franchisation comme avec les boutiques Yellow Korner, ou bien la création de musées d’arts décoratifs, d’artisanat, ou d’autres arts visuels comme la bande dessinée ou le cinéma (feu-le musée Art ludique quai d’Austerlitz à Paris, devant prochainement rouvrir ses portes Gare Saint-Lazare et qui s’est distingué par des expositions toujours très médiatisées sur Pixar, Ghibli, Marvel ou DC Comics), induit également une porosité nouvelle. L’accueil d’expositions temporaires d’icônes de la culture populaire dans des musées nationaux comme stratégie de modernisation de ces espaces, encore souvent perçus comme immuables et parfois élitistes, provoque également un dialogue autour des valeurs artistiques intrinsèques de ces objets pourtant très différents. Dans Artificial Hells : Participatory Art and the Politics of Spectatorship, Claire Bishop analyse ces stratégies visant à impliquer toujours davantage les visiteurs avec un art se voulant de plus en plus participatif. Selon Bishop, le visiteur doit devenir un spectateur actant et ainsi participer à la vie de l’œuvre pour que l’œuvre l’atteigne.
Comment penser un espace muséal comme le musée Grévin ou son équivalent britannique devenu une franchise internationale, Madame Tussauds, véritables musées tabloïds de la célébrité et de la façon dont les visiteurs vont interagir avec les œuvres ? Que dire également de la franchise américaine des musées Ripley’s Believe It or Not, eux-mêmes inspirés d’une chronique de presse à la longévité inégalée ? Il en va de même pour le célèbre musée du sexe d’Amsterdam, du musée Ragnarock de Roskilde, du country museum de Nashville, mais aussi, dans un tel prolongement, des multiples Hard Rock Cafe de par le monde et des nombreux instruments qui y sont exposés et protégés comme autant d’objets historiques. Un mouvement voisin se repère dans des musées qui exposent des objets du quotidien et de la culture populaire du passé, lesquels semblent dépourvus de valeur artistique particulière, mais possèdent néanmoins une grande valeur historique qui matérialise une époque dont le souvenir est la finalité. Pensons, dans une optique mémorielle, aux musées commémoratifs d’événements historiques comme le musée de la Seconde Guerre mondiale au mémorial de Caen ou, dans un registre plus léger, au Musée des arts modestes de Sète.
La nature de « l’objet-de-musée » tel qu’envisagé par Marie-Pierre Julien et Céline Rosselin dans La Culture Matérielle se diversifie en intégrant de plus en plus d’objets issus de la culture populaire. Mais ce faisant, « l’objet-de-musée » ne devient-il-pas renforcé dans le statut social qu’il occupe de par les cultures transnationales qu’il génère et réunit ? « L'objet », écrivent en effet les deux théoriciennes, « permet ainsi aux individus de se retrouver en tant que membres d'un groupe, d'une culture, de commémorer, de se réunir physiquement par la visite, idéalement par le principe de restitution du patrimoine » (Julien & Rosselin, 38). L’autre versant consiste néanmoins à envisager la thèse de Robert Janes qui pense que l’ouverture des musées à la culture populaire n’est que le reflet d’intérêts capitalistes dans une économie muséale dépendante de la fréquentation des établissements : « The dominant ideology of capitalism and the decline of public funding for museums have combined to produce a harmful offspring – a preoccupation with the marketplace and commerce, characterized by the primacy of economic interests in institutional decision-making. » (Janes, 57)
Cette question d’une forme de mercantilisme associée aux pratiques de muséalisation trouve aussi à s’incarner dans de nouvelles hétérotopies au statut incertain : ni tout à fait musées, ni tout à fait parcs d’attractions. Ces dernières proposent au spectateur une visite permettant moins de prendre la mesure des qualités artisanales nécessaires au développement des décors de ses fictions fétiches (lesdits décors n’étant jamais que des reproductions de ceux employés à l’écran) que de proposer une forme d’immersion au sein même de certaines des œuvres les plus cultes de la culture populaire contemporaine en tirant profit des mécanismes de la feintise ludique partagée (Schaeffer). De telles expositions se multiplient sous la forme d’installations provisoires qu’il s’agit d’arpenter, et dont la durée limitée de présence dans les plus grandes villes du monde participe de l’engouement qu’elles génèrent. Désormais appelées expériences plutôt qu’expositions, elles promettent par leur titre même de se plonger au sein de la fiction, de réaliser ce fantasme absolu de la culture fan contemporaine de faire partie du monde fictionnel. Pensons par exemple aux reproductions des décors de Friends ou de Stranger Things (Friends Experience, Stranger Things : the Experience). A travers une installation permanente, The Making of Harry Potter dans les studios Warner Bros. de Londres propose une expérience voisine : moins limitée à la seule réalisation de selfies, elle constitue aussi un hommage potentiel aux artisans du septième art qui ont œuvré sur les films de la saga tout autant qu’un lieu de pèlerinage pour les Potterheads du monde entier.
Ainsi, en s’intéressant aux qualités historiquement attribuées à l’art au prisme des institutions muséales, cette journée d’étude entend interroger les mécanismes à l’œuvre qui tendent d’une part, à populariser le musée et, d’autre part, à valoriser artistiquement la culture populaire. C’est par ce biais que l’artialisation populaire prend forme et que la culture participative telle qu’envisagée entre autres par Henry Jenkins, aboutit à la volonté de certain.e.s de faire par et pour eux-mêmes, devenant ainsi consommacteur.ice.s de leur culture.
De ce point de vue, la journée pourrait aussi aborder l’ensemble des pratiques de fans qui n’ont pas besoin d’institutions muséales officielles pour se développer, mais qui, au contraire, s’incarnent en musées domestiques qui sont autant de cabinets de curiosités. Conservateur de sa culture pop, le fan collectionne et constitue alors une sorte de musée individuel, un espace d’exposition intime dans lequel des visiteurs occasionnels sont invités. Les collections sont infinies, d’une variation d’objets à la fonction identique, collection que Baudrillard considère comme système marginal, aux collections thématisées à la façon des « man caves » américaines dans lesquelles des hommes adulescents entreposent des jeux d’arcade, des statues de super-héros numérotées, des lithographies limitées de pages de comics, ou encore des répliques d’accessoires de films. C’est dans ces espaces individuels de collections toutes personnelles que certains trésors dorment parfois puisque de valeur modeste à leurs sorties des lignes de productions, certains de ces objets valent aujourd’hui plusieurs milliers de dollars ou d’euros…
Les propositions de communication pourront interroger les axes suivants, sans que ces derniers ne soient tenus pour exhaustifs :
- Extension des limites de l’art et du musée, porosité grandissante et formes de résistances entre les frontières du savant et du populaire.
- Considérations mercantiles : le musée vend-il son âme en accueillant des expositions d’arts populaires ? L’artialisation dans la confection des objets populaires à grande circulation diminue-t-elle la valeur de l’objet muséal ?
- Ethos du spectateur : Les nouvelles modalités d’artialisation du populaire sont-elles de nature à engendrer de nouveaux régimes spectatoriels ? Quelles sont les formes, mais aussi les limites de la dimension participative ?
- Espaces muséaux et espaces de fans : quelle valeur donne-t-on à l’espace d’exposition et/ou de collection ? Sanctuaire de l’intime v. sanctuaire de l’histoire ?
- Pratiques muséales et pratiques de fans : Qui est conservateur de quoi ? Quand le fan devient l’artisan de ses propres œuvres, qu’advient-il du musée ?
- Le lieu qui expose v. l’exposition du lieu. Les monuments historiques comme espaces d’accueil d’expositions temporaires.
Modalités de contribution
Les propositions de communications seront à envoyer aux deux adresses suivantes : charles.joseph@univ-lemans.fr et victor-arthur.piegay@univ-lorraine.fr
pour le 10 décembre 2023.
Les notifications d’acceptation ou de refus seront envoyées autour du 20 décembre 2023.
Comité de sélection
- Charles Joseph, Le Mans Université, Laboratoire 3L.AM
- Victor-Arthur Piégay, Université de Lorraine, Laboratoire LIS
Bibliographie
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Bishop, Claire, Artificial Hells: Participatory Art and the Politics of Spectatorship, London: Verso, 2012.
Booth, Paul, Playing Fans : Negotiating Fandom and Media in the Digital Age, Iowa City : University of Iowa Press, 2015.
Crenn, Gaëlle, « « You can dance, you can jive… » : Inscription de l’auditeur et pratiques d’écoute dans l’exposition « Abbaworld », » Volume ! Vol.10 n°1, 2013, https://journals.openedition.org/volume/3796
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Vangindertael, Zoé, « Le musée et la bande dessinée : enjeux d’une relation symbiotique, » Marges n° 19, 2019, https://journals.openedition.org/marges/2122
Young, Clive, Homemade Hollywood : Fans Behind the Camera, New York : Continuum Books, 2008.
Subjects
- Representation (Main category)
- Mind and language > Representation > Cultural history
- Mind and language > Representation > History of art
- Mind and language > Representation > Heritage
- Society > Sociology > Sociology of consumption
- Mind and language > Representation > Visual studies
- Mind and language > Information > History and sociology of the media
- Mind and language > Representation > Cultural identities
Places
- Le Mans, France (72)
Date(s)
- Sunday, December 10, 2023
Attached files
Keywords
- musée, culture populaire, politique culturelle, pratique culturelle, collection, consommation, loisir créatif, artialisation
Information source
- Charles Joseph
courriel : charles [dot] joseph [at] univ-lemans [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Amus(é)ement : du musée pop à l’artialisation populaire », Call for papers, Calenda, Published on Monday, September 11, 2023, https://doi.org/10.58079/1brg