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Travail informel, travail illégal

Revue « L’Homme et la société » (2024)

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Published on Thursday, October 05, 2023

Abstract

Ce numéro de L’Homme et la société entend s’intéresser à la diversité des formes et des acteurs du travail informel et illégal. Trop souvent associé aux économies dites « en développement », et présenté comme un phénomène de marge, nécessairement transitoire ou minoritaire, le travail informel ou illégal a pourtant joué et continue de jouer un rôle central dans nos sociétés. Ces pratiques laborieuses, qui ne sont régies (délibérément ou non) par aucune norme officielle sont au cœur de transformations très contemporaines du travail salarié, comme celle de la précarisation croissante d’une section du marché du travail. L’enjeu de ce numéro est ainsi de mettre au jour l’implication et le rôle joué par les différents acteurs (travailleu.r.se.s, donneu.r.se.s d’ordre/ donneurs d’ouvrage, mais aussi autorités locales, nationales ou supra-étatique) dans la mise en œuvre et la (non-)régulation de ces formes de travail.

Announcement

Argumentaire

Trop fréquemment présentée et décrite comme un « secteur » à part entière, distinct des formes réglementaires du travail, et souvent enfermée dans le champ des études économiques comme un phénomène de « marge »[1] au service du développement d’une économie souterraine, l’informalité du travail est pourtant au cœur de nos sociétés[2]. L’informalité caractérise, – au sens le plus littéral – un travail qui s’écarte des normes imposées par l’État, ou par d’autres autorités régulatrices, voire qui n’est régit par aucune norme officielle. L’in-formel devient illégal lorsqu’il déroge au respect du droit et de la loi. Il peut alors prendre la forme de travail dissimulé, marchandage et prêt illicite de main-d’œuvre proscrits par le Code du travail, d’un cumul irrégulier d’emplois ou encore de fausses déclarations en matière de chômage[3]. Loin de se restreindre aux pratiques « de débrouille » ou de survie, et à une économie parallèle transitoire et limitée aux espaces du monde en développement, le travail informel s’observe à toutes les échelles et dans de nombreux espaces/temps, comme un mode de fonctionnement complexe et cohérent de nos sociétés.

Le travail informel et/ou illégal peut ainsi s’exercer en parallèle d’un travail légal, souvent dans le cadre de la précarisation de celui-ci. Au contraire, il peut-être la manifestation d’une exclusion, totale ou partielle, des travailleurs du marché d’emploi légal, liée aussi bien aux politiques publiques, aux stratégies entrepreneuriales, aux crises économiques exogènes, ou à l’application du droit national qui exclue certains travailleurs étrangers des cadres d’emploi formels et légaux.

 L’encadrement, le contrôle et la répression de ces formes de travail pourront être étudiés, notamment à travers le rôle joué par les institutions régulatrices aux échelles locales, étatiques ou supra-étatiques. Il s’agit également de s’intéresser aux formes de tolérance, voire d’incitation à l’informalité et à l’illégalité par ces mêmes autorités. Dans le cadre néolibéral très contemporain, l’État profite et contribue même parfois activement à la construction d’environnements propices au développement de l’informalité et à l’illégalité du travail, en permettant – voire en encourageant – les pratiques dérogatoires au droit du travail. L’informalité, longtemps marquée de connotations péjoratives, est aujourd’hui célébrée par un discours politique libéral qui en fait une valeur de « flexibilité » délivrée du carcan régulateur, jugé trop protecteur et trop figé, du cadre légal[4] . Informalité et illégalité, nourrissent alors un système de précarisation à plus ou moins grande échelle[5] : en les privant de la protection des règlementations, les donneurs d’ordre transforment les travailleurs et travailleuses informels en main-d’œuvre exploitée. L’intérêt de ce dossier est de montrer qu’il ne s’agit pas d’un phénomène contemporain, mais qu’il existe dans la très longue durée. Les articles qui mettent en perspective historique sont donc les bienvenus, tout comme les contributions sociologiques, géographiques, anthropologiques, économiques etc…

Axes thématiques :

Quel travail, quels travailleurs et travailleuses ?

Le premier enjeu de ce numéro est de s’intéresser aux cadres, aux formes et aux acteurs et actrices du travail informel. Nous encourageons les contributions soulignant la diversité des travailleu.r.se.s, ainsi que celles de leurs éventuels employeurs (statuts, catégorie sociales, d’âge, de nationalité, de genre…). Le travail informel peut même être à l’origine de nouvelles hiérarchies dominées selon, par exemple, des critères d’origine nationale. Les temps du travail (activité temporaire, complémentaires ou à temps plein), ainsi que les cadres informels, voire totalement illégaux, imposés par les donneurs d’ordre (marchandage, prêt de main d’œuvre et sous-traitance illicite, travail non déclaré, ubérisation) devront également être interrogés. Les contributions pourront interroger la stricte opposition entre secteur légal/formel et secteur informel, s’intéresser aux zones grises et à la construction de ces deux secteurs par différents acteurs (État, institutions…).

Régulation, répression, négociation

Les dispositifs de régulation et de répression policière et judiciaire, ainsi que l’étude des discours condamnant ou célébrant ces formes de travail, peuvent également faire l’objet de propositions. De même, les dispositifs de tolérance, de négociation, voire d’encouragement, du travail informel et illégal par les autorités locales, étatiques ou supra-étatiques, peuvent être interrogés. En créant des normes et des lois, les autorités sont productrices, en creux, d’informel et d’illégalité : en ce sens, leur rôle pourra être questionné. Enfin, les contributions pourront s’intéresser aux attitudes parfois contrastées des autorités de différents types (police, politiques, etc.) ou intervenant dans des territoires/à des échelles variées.

Rémunérations : fabrique d’informalité, d’illégalité ?

La question des rémunérations est également un enjeu crucial : quelles formes (rémunération en nature, échanges de service, numéraires) et dans quels cadres sont-elles distribuées ? Les modalités de rémunérations peuvent elles-mêmes contribuer à l’informalité, voire à l’illégalité, du travail (rémunération au pourboire, ou encore corruption). La fiscalisation de ces rémunérations imposées ou tolérées par les autorités même en cas de pratiques illégale (travail fiscalisé des étrangers en situation irrégulière), ou encore les dispositifs de contournement mis en place pour s’y soustraire, sont également à approfondir. 

L’accès aux droits, l’institutionnalisation et la gestion de l’informel 

Si ces formes de travail peuvent relever du choix – voire du positionnement politique en opposition avec un ordre social dominant – elles apparaissent bien souvent, au contraire, comme une contrainte : le seul recours permettant l’accès à l’activité et surtout à une rémunération. En ce sens, travail informel et illégal peuvent être analysés en termes d’accès inégal aux droits liés à l’activité laborieuse, renforcé par une situation de discrimination, de précarité, parfois de clandestinité. La parole et les formes de mobilisation des travailleurs et travailleuses, constituent également un axe de réflexion. Si la rémunération et le temps du travail peuvent faire l’objet de revendications, les conditions du travail et l’exposition renforcée aux maladies, risques et accidents dans le cadre du travail informel et/ou illégal, font également l’objet de mobilisations et de luttes individuelles ou collectives pour des travailleurs et travailleuses qui demandent la sortie de l’informalité ou de l’illégalité. Inversement, la pratique de labeurs informels – voire illégaux – peut également être revendiquée, comme le signe d’une opposition, ou d’une mise-en-marge de la société et de ses normes. Là encore, la question politique est centrale et les modalités de l’organisation militante syndicale, en réseau, en collectifs[6], ou encore individuelle, doivent être explorées. Les contributions s’attacheront à mettre en avant l’expérience vécue par les travailleurs et travailleuses. De manière plus générale, nous invitons les propositions traitant des marges de manœuvre des travailleurs et travailleuses, et de leur façon de « gérer » l’informalité ou l’illégalité.

L’espace et les lieux du travail illégal, informel :

Enfin, la question des espaces et des lieux où évoluent ces formes particulières de travail est à étudier. Travail illégal et travail informel participent parfois à la vitalité économique d’un territoire : leur ampleur par rapport au travail légal ou leur impact sur l’économie d’un territoire pourront être explorés et mesurés. Les modalités de l’appropriation de leur espace par les travailleurs et travailleuses ainsi que de leurs employeurs, en particulier lorsque celui-ci s’exerce dans l’espace public ou commun, constituent également un enjeu social et souvent politique (les lieux du trafic ou ceux de la prostitution et du proxénétisme, mais aussi l’appropriation de la ville par des entreprises de livraisons ubérisées et leurs livreurs parfois employés illégalement).

Conditions de soumission

Merci d’envoyer vos propositions de contribution sous la forme d’un résumé de 250 mots environ aux coordinatrices du numéro : doctorants.afhmt@gmail.com

Pour le 30 janvier 2024

Les articles complets publiés dans la revue L’Homme et la société et soumis à son comité de rédaction, sont attendus pour le 1er juin 2024. Les articles ne devront pas dépasser les 45 000 caractères espaces compris.

Coordinatrices scientifiques

  • Léa Leboissetier, doctorante en Histoire contemporaine, ENS de Lyon, LARHRA – CHXIX
  • Corine Maitte, Professeure d’Histoire moderne, Université Gustave Eiffel-laboratoire ACP
  • Juliette Milleron, doctorante en Histoire moderne, Université́ Paris 1 Panthéon-Sorbonne, IDHE.S

Notes

[1] Virginie MILLIOT, « La ville informelle et le travail des marges », dans  Virginie MILLIOT, Yann-Philippe TASTEVIN, Les archipels de la Goutte d'Or. Analyse anthropologique d'une métropolisation par le bas, Rapport de recherche pour le programme "Culture et territoires en Ile-de-France", [https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/les_archipels.pdf], p. 6 et suivantes.

[2] Bruno LAUTIER, Claude de MIRAS, Alain MORICE, L’État et l’informel, Paris, Éditions de l’Harmattan, 1991, p. 5.

[3] Pierre-Yves Verkindt, « Travail illégal », dans Michel MARGAIRAZ, Michel PIGENET (dir.), Le prix du travail, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, p. 228.

[4] Alain SUPIOT, Le travail n’est pas une marchandise. Contenu et sens du travail au XXIe siècle, Paris, Collège de France, 2019, p. 20.

[5] Cf. Sarah ABDELNOUR, Sophie BERNARD, « Vers un capitalisme de plateforme ? Mobiliser le travail, contourner les règlementations », La Nouvelle Revue du Travail, 13/2018.

[6] Constellations, trajectoire révolutionnaire du jeune 21e siècle, Paris, Éditions de l’éclat, 2014.


Date(s)

  • Tuesday, January 30, 2024

Keywords

  • travail, travailleur, informel, illégal, loi, norme, marge, subordination,

Contact(s)

  • Corine Maitte
    courriel : corine [dot] maitte [at] u-pem [dot] fr
  • Juliette Milleron
    courriel : juliette [dot] milleron [at] orange [dot] fr
  • Léa Leboissetier
    courriel : lea [dot] leboissetier [at] ens-lyon [dot] fr

Information source

  • Juliette Milleron
    courriel : juliette [dot] milleron [at] orange [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Travail informel, travail illégal », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, October 05, 2023, https://doi.org/10.58079/1bx8

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