HomePour d’autres espèces d’espaces. Penser, produire, pratiquer l’espace en arts numériques
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Published on Monday, October 23, 2023

Abstract

De quel espace voulons-nous parler dans ce colloque ? De l’espace de l’œuvre, de l’espace dans l’œuvre, de l’espace de réception / d’interprétation ; de l’œuvre dans une perspective topoïétique, c’est-à-dire à la fois en tant qu’espace de création et création d’espace (Guérin, 1997). Cependant c’est moins l’espace en soi — pour autant qu’on puisse l’appréhender en ces termes— que l’on entend examiner que le « faire espace » propre à l’œuvre (Maldiney, 1973). Et, à partir de l’analyse de pratiques artistiques contemporaines où les technologies numériques ne sont pas un simple outil de création mais davantage un instrument de réflexivité, nous souhaitons observer ce que cette production d’espace (Lefebvre, 1974) dit de notre monde, dans quelle politique ou poétique elle l’insère, quel système de relations / interrelations / interactions elle met à jour ; quelles formes, quels enchevêtrements, quelles marges, quels écarts elle fait expérimenter. 

Announcement

Colloque international organisé par l’ésam Caen-Cherbourg (Laboratoire Modulaire), en collaboration avec l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 (RIRRA21) 13-15 mai 2024 (Caen)

Argumentaire

L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne » (Perec, 1974). Dans cette tentative d’épuisement de l’espace que constitue Espèces d’espaces, Georges Perec appréhende l’espace comme « un doute » qu’il convient d’interroger.

Prendre en charge l’espace, tel est précisément l’enjeu de ce colloque international porté par le Laboratoire Modulaire de l’ésam Caen-Cherbourg. Initié en 2019, ce lieu d’expérimentation artistique et théorique sur les pratiques artistiques en environnement numérique a consacré son premier cycle de recherche-création à la notion de « spatialisation », à travers deux axes complémentaires, l’immersion et la décentralisation. Il s’agit dans ce colloque d’ouvrir la perspective et, dans la lignée perecquienne, de remettre l’espace en jeu. Explorer dans les oeuvres numériques comment l’espace se courbe, se fissure, éclate, cogne, se rassemble, se confond… devient autre (Foucault, 1967). Mais aussi comment l’on passe d’un espace à un autre (physique, simulé, représenté, perçu, vécu, symbolique), comment l’on expérimente des « laps d’espace » (Perec, 1974) — littéralement des espaces de temps d’espace —, et enfin comment ces mouvements de glissement, d’écoulementnous affectent. L’entreprise est sans doute incertaine, car la notion d’« espace » est non seulement polysémique mais fondamentalement instable : elle s’est construite à partir de la philosophie et des mathématiques, avant d’être investie notamment par la physique, la géographie, la sociologie, la psychologie, l’anthropologie, les arts… Ses acceptions ont évolué selon le contexte historique et les disciplines : étendue, dimension, milieu, intervalle de temps, distance, ensemble mathématique, surface ; « grand réceptacle » (Platon), essence de la matière (Descartes), ordre et diffusion du lieu (Leibnitz), « forme a priori de la sensibilité » et pure extériorité (Kant), support de virtualités oniriques (Bachelard, 1957), condition de la perception subordonnée au « corps propre » (Merleau Ponty, 1945), produit d’interrelations (Massey, 2005), système de relations et produit social (Lefebvre, 1974)… L’espace ne serait-il au final qu’ « une variable non pertinente » (Bourdelais et Lepetit, 1986) ou au contraire, par son instabilité, son incertitude même, un concept inlassablement productif ? 

De quel espace voulons-nous parler dans ce colloque ? De l’espace de l’oeuvre, de l’espace dans l’oeuvre, de l’espace de réception/d’interprétation ; de l’oeuvre dans une perspective topoïétique, c’est-à-dire à la fois en tant qu’espace de création et création d’espace (Guérin, 1997). Cependant c’est moins l’espace en soi — pour autant qu’on puisse l’appréhender en ces termes— que l’on entend examiner que le « faire espace » propre à l’oeuvre (Maldiney, 1973). Et, à partir de l’analyse de pratiques artistiques contemporaines où les technologies numériques ne sont pas un simple outil de création mais davantage un instrument de réflexivité, nous souhaitons observer ce que cette production d’espace (Lefebvre, 1974) dit de notre monde, dans quelle politique ou poétique elle l’insère, quel système de relations/interrelations/interactions elle met à jour ; quelles formes , quels enchevêtrements, quelles marges, quels écarts elle fait expérimenter. 

Trois axes seront envisagés :

1) Configuration

Selon Michel Guérin, « [l]’oeuvre se met en oeuvre (en place) en tant qu'elle s’approprie un espace qui ne lui préexiste pas, mais qu’elle produit en se produisant elle-même. Toute création dans l’espace est inséparablement espace de création et création d’espace » (Guérin, 1997 : 133). Comment, dans les oeuvres numériques hybrides, hétérogènes, se configure ce double processus ? Comment informent-elles l’espace ? Comment le défigurent-elles ? Font-elles naître « des espaces improbables, impossibles ou impensables : apories, fables topiques » (Didi Huberman, 1999), des « passages » (Benjamin, 1982), des « tiers espaces » (Bhabha, 1994), des « non-lieux » (Augé, 1992), des « espaces lisses » (Deleuze et Guattari, 1980), ou encore « des 

hétérotopies », « espaces autres », « sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés » (Foucault, [1967] 2004 : 15) ? En reconfigurant les formes de création et de diffusion, l’Internet et les technologies numériques — en particulier la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle — ont modifié radicalement l’appréhension de l’espace. Elles favorisent la construction de fictions d’espaces qui sont autant d’espaces de fiction. Mais que nous racontent ces fictions, selon quelles modalités spatiales ? Comment transforment-elles la perception et l’expérience esthétique ? 

2) Machination

Fondées sur le codage, l’automation, la simulation, les technologies numériques participent autant d’une « compression de l’espace-temps » (Harvey, 1989), que d’une dislocation de l’espace, dans laquelle le simultané, le juxtaposé, le proche, le lointain se superposent (Foucault, [1967] 2004 : 12). Par quels dispositifs machiniques se matérialise cet « espace des flux », tel que l’a défini Manuel Castells ? L'espace des flux « relie des lieux distants autour de fonctions et de significations partagées sur la base de circuits électroniques et de corridors de transport rapide, tout en isolant et en soumettant la logique de l'expérience incarnée dans l'espace des lieux » (Castells, 2001 : 155). Comment les oeuvres numériques rendent-elles compte de cette dynamique paradoxale ? L’ancien cyberespace et l’actuel (ou le potentiel) métavers en sont-ils les manifestations les plus symptomatiques ? Comment, en façonnant de nouvelles corporéités et imaginations spatiales, les espaces virtuels éprouvent-ils notre « espace subjectif » (corporel) au sens phénoménologique ? Nous plongent-ils dans « un espace critique » où « la limitation de l’espace devient une commutation (…), activités d’échanges incessants, transferts entre deux milieux, deux substances » (Virilio, 1984 : 18), ou nous font-il expérimenter un « entr’espace » « articulant l’espace solide (…) avec des spatialités fluides » (Moujan, 2013 : 210) ? Plus largement, quels nouveaux agencements interfacés entre l’homme, la machine et le monde émergent de ces conduites créatrices qui questionnent le numérique ? 

3) Transaction

Les travaux sur la psychologie de l’espace de Jean Piaget ont montré que l’espace est « le produit d’une interaction entre l’organisme et l’environnement dans lequel il est impossible de dissocier l’organisation de l’univers perçu de l’activité elle-même ». Sur un plan artistique, John Dewey  considère que « l’expérience est esthétique dans la mesure où l’organisme et l’environnement coopèrent pour instaurer cette expérience au sein de laquelle les deux sont si intimement intégrés que chacun disparaît » (Dewey, [1934] 2005 : 107). Ce dernier substituera d’ailleurs dans ses travaux ultérieurs la notion de « transaction » à celle d’ « interaction » pour insister sur les rapports 

que l’homme entretient avec ses propres artefacts (Dewey, 1989). Or, « les transactions se développent dans les interstices, aux interfaces » (Foucart, 2013 : 73). On propose dans ce dernier axe d’interroger précisément ces interstices et d’aborder l’espace dans une perspective transactionnelle, c’est-à-dire en mettant l’accent sur sa capacité à faire émerger des « mondes communs ». On s’aperçoit en effet que de nombreuses oeuvres contemporaines travaillent l’espace comme « milieu » dans lequel se nouent des interrelations productives entre humains et non humains. Comment questionnent-elles les logiques de co-dépendance ou de co-appartenance entre des espèces hétérogènes ? Comment s’y manifeste cet « entre » propre à « faire émerger de l’autre » (Jullien, 2012 : 230) ? Permettent-elles d’envisager un « devenir-avec », et donc un « devenir du monde » (Haraway, 2007 : 35) ? Induisent-elles d’autres espaces politiques ? 

Modalités de soumission

Dans un esprit pluridisciplinaire et ouvert, le colloque s’adresse autant aux chercheuses et chercheurs en arts, en sociologie, en philosophie, etc., qu’aux artistes. Les propositions doivent comprendre : > Le titre de la communication > L’axe choisi > Un résumé de 4000 signes (espaces comprises) > Une courte biographie de l’autrice ou de l’auteur, incluant ses principales publications ou oeuvres récentes. Les propositions peuvent être rédigées en français ou en anglais. Les communications pourront se faire également en français ou en anglais.

Les propositions sont à envoyer avant le 30 décembre 2023 à : labo.modulaire@esam-c2.fr

Calendrier

30/12/2023 - Date limite d’envoi des propositions

31/01/2024 - Réponse aux autrices et auteurs

13-15/05/2024 - Colloque à Caen

Comité scientifique

  • Philippe Bédard (Mc Gill University)
  • Luc Brou (Oblique/s, Hacnum, Laboratoire Modulaire, Festival ]interstice[)
  • Claire Chatelet (Université Paul-Valéry Montpellier 3, RIRRA21
  • David Dronet (ésam Caen-Cherbourg, Laboratoire Modulaire, Station Mir, Festival ]interstice[)
  • Jean-Paul Fourmentraux (Université Aix-Marseille, Centre Norbert Elias et EHESS)
  • Brice Giacalone (ésam Caen/Cherbourg)
  • Antoine Idier (Sciences po, Saint Germain-en-Laye)
  • François Millet (Le Dôme, Caen)
  • Valérie Perrin (Directrice Espace Multimédia Gantner, Territoire de Belfort)
  • Karine Pinel (Université Paul-Valéry Montpellier 3, RIRRA21)
  • Camille Prunet (Université Toulouse Jean-Jaurès, LLA-CREATIS)
  • Marc Ries (Hochschule für Gestaltung Offenbach am Main, University of Art and Design)
  • Bérénice Serra (University of Applied Sciences and Arts Northwestern Switzerland FHNW) 

Places

  • 17 cours caffarelli
    Caen, France (14)

Date(s)

  • Saturday, December 30, 2023

Keywords

  • art, numérique, espace, interface, dispositif, spatialisation, machine, milieu, immersion,

Contact(s)

  • Modulaire Laboratoire
    courriel : labo [dot] modulaire [at] esam-c2 [dot] fr

Reference Urls

Information source

  • Brice Giacalone
    courriel : b [dot] giacalone [at] esam-c2 [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Pour d’autres espèces d’espaces. Penser, produire, pratiquer l’espace en arts numériques », Call for papers, Calenda, Published on Monday, October 23, 2023, https://doi.org/10.58079/1c12

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