Ce colloque se propose de penser le vivre-ensemble dans une perspective internationale, pluridisciplinaire et pluri-épistémologique afin de mieux en comprendre la place et les enjeux qui l’accompagnent dans les sociétés contemporaines. Il s’agira donc d’ouvrir la voie à une réflexion scientifique quant à la conceptualisation du vivre- ensemble et son appréhension dans divers champs des sciences humaines et sociales. De même, nous souhaitons que ce colloque soit un lieu de présentation et d’échange quant aux pratiques portées par le vivre-ensemble, tant au niveau institutionnel qu’associatif, scolaire, thérapeutique, culturelle, artistique etc...

Argumentaire

C’est à partir des travaux menés sur la représentation de la notion de vivre-ensemble à La Réunion (Liang-Ko-Yao, 2023), île de l’océan Indien, singulière par sa forte diversité culturelle, religieuse et son métissage (Tibère, 2013 ; Malbert, 2015), ou encore caractérisée comme un laboratoire du monde (Ghasarian, 2002 ; Verges, 2008), que nous souhaitons penser et questionner la notion de vivre-ensemble.

Dans un contexte mondial fragilisé par des crises sanitaires, économiques, migratoires et climatiques, cette notion tend à favoriser des logiques de rencontres apaisées nécessaires et indispensables dans des situations de diversité en contact. Les crispations identitaires dues à la crainte et à la peur de ne plus exister (Laplantine, 2015) ressurgissent parfois en des mouvements de repli sur soi et de fermeture à l’autre, on parlait déjà dans les années 90 de choc de civilisations (Huntington, 2000).

Parallèlement à cela, à partir de la fin du XXème siècle, la notion de vivre-ensemble apparait progressivement dans le sens commun et son expression se diffuse particulièrement à travers les médias et les acteurs publics. Ainsi, l’utilisation de la notion de vivre-ensemble dans les différents espaces institutionnels pose la question de sa finalité. Sert-elle à exprimer un mode opératoire d’une société qui se voudrait inclusive ? Ou bien à invisibiliser et masquer certaines réalités sociales ? Ou encore à servir de crédo rassembleur pour tendre à multiplier les interconnaissances entre les communautés et agir vers la diminution des conflits ?

Pourtant, la notion de vivre-ensemble ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique, ni même dans les différentes instances religieuses ou associatives (Liang-Ko-Yao, 2023). Jusqu’à présent, l’essentiel de la recherche sur la définition et la compréhension du vivre-ensemble s’est fait en Amérique du Nord (Fall, 2013, 2015 ; Jourdan, 2008, 2015 ; Lamoureux, 2015 ; Meintel, 2012, 2015 ; Saillant, 2015 ; White, 2015) et peu en Europe (Arendt, 1983 ; Barthes, 2002 ; Touraine, 1997). La pluralité des disciplines dans lesquelles est abordé le vivre-ensemble permet d’interroger la notion sous différents angles : graphique, comment écrire le vivre-ensemble ? (Fall, 2015), épistémique, le vivre-ensemble est-il à considérer comme une notion ou un concept ? (Dumez, 2011), historique, le vivre-ensemble est-il spécifique à chaque société ? (Saillant, 2015), politique, quelles sont les stratégies d’utilisation du vivre-ensemble ? (Arendt, 1983 ; White, 2015), ou encore disciplinaire, à partir de quel autre concept déjà scientifiquement éprouvé peut-on penser le vivre-ensemble ? (Paugam, 2008 ; Augé & Colleyrn 2018)

Ainsi, ce colloque se propose de penser le vivre-ensemble dans une perspective internationale, pluridisciplinaire et pluri-épistémologique afin de mieux en comprendre la place et les enjeux qui l’accompagnent dans les sociétés contemporaines. Par ailleurs, au-delà des réalités quotidiennes et des relations entre individus, de nouvelles formes d’interaction et de vie collective s’installent maintenant pleinement dans les espaces numériques, ce qui nous permet de considérer également pour ce colloque le vivre-ensemble à l’ère des nouvelles technologies. Par le biais d’internet, des réseaux sociaux etc, les sociétés humaines se sont rapprochées les unes des autres, en même temps que les individus se sont éloignés. Les relations interindividuelles connaissent de moins en moins de contacts directs en présence et s’élaborent de plus en plus à distance. Ce phénomène, conceptualisé sous l’appellation alone together (Turkle, 2011), invite à réfléchir sur la notion de vivre-ensemble et pose la question de la place de l’être humain à travers l’évolution des sociétés contemporaines privilégiant parfois le matériel et la consommation à l’interaction sociale.

Il s’agira donc d’ouvrir la voie à une réflexion scientifique quant à la conceptualisation du vivre- ensemble et son appréhension dans divers champs des sciences humaines et sociales. De même, nous souhaitons que ce colloque soit un lieu de présentation et d’échange quant aux

pratiques portées par le vivre-ensemble, tant au niveau institutionnel qu’associatif, scolaire, thérapeutique, culturelle, artistique etc...

Les objectifs de ce colloque, organisé par les précurseurs de la recherche sur le vivre-ensemble à l’université de La Réunion, se déclinent en quatre points. Le premier objectif est de promouvoir et confronter les études menées à La Réunion et dans l’océan Indien avec des recherches menées dans d’autres espaces civilisationnels et culturels sur cette notion. Le second objectif est d’amener une réflexion sur l’application des résultats des recherches scientifiques portant sur la notion de vivre-ensemble et leurs enjeux dans le cadre institutionnel des instances politiques, éducatives, médicales, sociales, judiciaires... Le troisième objectif est de penser le vivre-ensemble dans nos sociétés contemporaines comme un prérequis à la paix. Les recherches sur cette notion peuvent-elles alors contribuer au développement d’un nouveau cadre de pensée propice à alimenter les programmes de recherche et de formation portant sur la paix dans le monde ? Enfin, il s’agira d’ouvrir un espace de partage aux associations économiques, culturelles et sociales, aux ONG internationales, aux créateurs et artistes afin de mieux comprendre comment leurs actions et leurs créations se saisissent de cette notion. Comment le vivre-ensemble peut-il apparaitre aujourd’hui au centre de leurs représentations et du vécu des formes d’hybridation contemporaine ?

Les communications s’inscriront dans l’un des quatre axes :

Axe 1 : Approche contextuelle du vivre-ensemble

Cet axe permet aux participants de penser la recherche et son état actuel sur la notion de vivre-ensemble à travers les différents contextes des sociétés contemporaines. Les contributions proposées pourront conduire par la suite à de nouvelles pistes de réflexion. Qu’il s’agisse du contexte nord-américain (Saillant, 2015; White, 2015, 2019), du contexte européen (Touraine, 1997 ; Barthes, 2002) ou encore du contexte de l’océan Indien (Martin, 2011 ; Asgarally, 2012 ; Malbert, 2015 ; Liang-Ko-Yao, 2023), chaque société aborde le terme et la représentation du vivre-ensemble différemment. Les contributions peuvent ne pas se limiter à des zones géographiques étendues, mais peuvent s’intéresser à des entités plus restreintes, comme le voisinage (Martouzet, 2016), les communautés religieuses (Meintel, 2015) ou encore les associations (Liang-Ko-Yao, 2023). En lien avec la pluralité des approches contextuelles et des représentations sociales à l’origine de cette notion, il sera tout aussi intéressant de considérer la pluralité des graphies qui existent dans la littérature scientifique.

Axe 2 : Approche intégrative du vivre-ensemble

Le second axe concourt à nourrir la réflexion sur l’application de la recherche sur la notion de vivre-ensemble dans les différents cadres institutionnels. À La Réunion, Le terme vivre- ensemble apparait dans les années 90 et se renforce au début des années 2000 avec les évènements organisés par le Groupe de Dialogue Interreligieux de La Réunion (Rafidinarivo & Malbert, 2015). Au-delà de La Réunion, cette notion est de plus en plus utilisée par les acteurs pour définir leurs stratégies en matière de gestion sociale, économique et politique. Également

présente dans les écoles (Duhamel et Estivalèz, 2013), les hôpitaux, les centres sociaux et les prisons, elle apparait comme une logique de reliance sociale à atteindre. Il est donc pertinent d’analyser les enjeux et les différentes applications du vivre-ensemble dans ces différents milieux stratégiques et comprendre comment ces acteurs se l’approprient et l’adaptent dans leur réalité concrète et leur quotidien. Aussi, il sera intéressant d’appréhender comment les instances nationales, territoriales et locales (municipalité), privées ou publiques, œuvrent pour intégrer cette notion dans leurs politiques sociales d’empowerment auprès des populations.

Axe 3 : Approche épistémique de la paix à travers la notion de vivre-ensemble

Dans la prolongation de la journée d’études du 21 septembre 2023 (Université de la Réunion), réalisée à l’occasion de la journée internationale de la paix, le troisième axe porte sur l’une des finalités pratiques de la notion de vivre-ensemble, à savoir la construction de la paix. Cette notion qui peut parfois paraitre abstraite est pourtant portée par plusieurs instances internationales (ONU, UNESCO, ICESCO...) où elle apparait comme un vecteur de sociabilité favorisant un rapport pacifique à l’altérité. En ce sens, l’ONU a proclamé en 2017, avec le concours de l’ONG AISA, la date du 16 mai comme la Journée Internationale du Vivre- Ensemble en Paix (JIVEP) : « La journée internationale du vivre ensemble est un projet d’avenir pour un monde à venir, dont l’objectif est de se rassembler sans se ressembler, de rassembler pour assembler » (Bentounes cité par Meyer, 2017, p.326). Ainsi, notre choix de tenir ce colloque le 16 mai 2024 permettra d’inscrire notre réflexion sur la relation que peuvent avoir le vivre-ensemble et la paix. Il s’agira d’apprécier les fondements théoriques et l’élaboration de pensées reliant le vivre-ensemble à la construction de la paix. Les communications portant sur cet axe permettront d’engager une réflexion sur les réponses aux questions suivantes : le vivre-ensemble est-il un prérequis à la paix ? Ou inversement, la paix est-elle un prérequis au vivre-ensemble ? Les différents acteurs (universitaires, politiques, acteurs de terrains, etc.) réunis pourront penser le vivre-ensemble, comme un outil facilitant l’état, le processus ou le résultat de la paix.

Axe 4 : Le vivre-ensemble dans une vision culturelle et artistique

Les organisateurs souhaitent également ouvrir ce colloque à des propositions culturelles et artistiques. Comment le vivre-ensemble se donne à voir lorsqu’il est abordé à partir de telles approches ? L’art peut d’ailleurs être au cœur de la démarche éducative pour le vivre- ensemble (Morel, 2020). Les projets artistiques et culturels peuvent-il participer à une concrétisation de la notion de vivre-ensemble ? Les artistes et acteurs culturels ont-ils un rôle à jouer pour penser et diffuser les valeurs du vivre-ensemble ? En quoi le milieu associatif est- il facilitateur de l’imprégnation de la notion de vivre-ensemble auprès des publics ? Autant de questions que nous serons ravis d’aborder à travers la présentation d’œuvres et de dispositifs culturels et artistiques autour de la notion de vivre-ensemble.

Les propositions de communications scientifiques et professionnelles, comme les projets artistiques, pourront être en lien avec les trois axes et thématiques spécifiques présentées ci- dessus.

Modalités de soumission

Ce colloque se tiendra le 14, 15 et 16 mai 2024 à l’université de La Réunion en mode hybride. Les communications pourront donc être proposées pour être présentées en présentiel ou à distance. Les propositions de communication devront être envoyées au plus tard le 15 décembre 2023 aux adresses suivantes :

• thierry.malbert@univ-reunion.fr
• zahir.liang-ko-yao@univ-reunion.fr

Les propositions de communication seront constituées comme suit :

• Un résumé entre 200 et 400 mots
• 3 à 5 mots-clés
• Identité du ou des auteurs avec affiliations
• Biographie succincte (100 à 150 mots)
• Modalité de présentation envisagée : présentiel ou distanciel

Calendrier général :

• Date limite de soumission de propositions de communication : 15 décembre 2023
• Réponse aux auteurs : 10 janvier 2024
• Colloque : 14, 15, 16 mai 2024

Comité d'organisation

Thierry MALBERT, Zahir LIANG-KO-YAO Laboratoire LCF, Université de La Réunion

Comité scientifique

• Abhijit Karkun, Université Jawaharlal Nehru, New-Delhi, Inde
• Bob White, Université de Montréal, Québec
• Dany Rondeau, Université du Québec à Rimouski, Québec
• Emmanuel Jovelin, CNAM, Paris, France
• Laurence Tibère, IRD, La Réunion, France
• Marc Maesschalck, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique
• Rachid Oulahal, Université de La Réunion, Laboratoire DIRE, La Réunion, France
• Serge Paugam, CNRS, France
• Thierry Malbert, Université de La Réunion, Laboratoire LCF, La Réunion, France

Bibliographie

• Arendt, A. (1983). Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy coll. Pocket Agora.
• Asgarally, I. (2012). L’interculturel ou la guerre. Alizés : Revue angliciste de La Réunion, Faculté des Lettres et Sciences humaines (Université de La Réunion), 2012, Intégration/exclusion des minorités à la lumière de l’interculturalité, pp.37-51. hal-02340746
• Augé, M., Colleyn, J-P. (2018). L’anthropologie, Paris, QSJ 3e éd, PUF
• Barthes, R. (2002). Comment vivre ensemble. Cours et séminaires au Collège de France (1976 – 1977), Paris, Seuil coll. Traces écrites.
• Duhamel, A., et M. Estivalèzes. (2013). « Vivre-ensemble et dialogue : Du programme québécois d’éthique et culture religieuse à la délibération démocratique », Revue des sciences de l’éducation de McGill, vol. 48, no 1, p.79-98.
• Dumez, H. (2011). Qu'est-ce qu'un concept?. Le Libellio d'AEGIS, 71, Printemps-Supplément, 67-79.
• Fall, K. (2013). Les mots de la diversité : distance et familiarité, CERII, coll. Fall, K. (2015). De quoi l’expression « le vivre-ensemble » est-t-il le nom ? Cartographie d’une notion, in Saillant F., (dir.), Pluralité et vivre ensemble, p.(21- 36), PUL, Laval
• Ghasarian, C. (2002). La Réunion: acculturation, créolisation et réinventions culturelles. Ethnologie française, 37(2), 663-676.
• Huntington, Fidel, Joublain, Jorland, & Pédussaud. (2000). Le choc des civilisations (Poches Odile Jacob 19).
• Jourdan, C. (2008). «The Cultural in Pidgin Genesis», dans J. Singler et S. Kouwenberg (dir.), The Handbook of Pidgins and Creoles, Londres, Blackwell Publishers, p. 243-268.
• Jourdan, C. (2015). La langue créole ou l’obligation du vivre-ensemble, in, Saillant F. (dir). Pluralité et vivre ensemble, PUL, Laval.
• Lamoureux, D. (2015). Penser le vivre ensemble à partir du non commun, dans Saillant F., (dir.), Pluralité et vivre ensemble, (p.63-80). PUL, Laval.
• Laplantine, F. (2015). Nous tous et nous autres, dans Saillant F., (dir.), Pluralité et vivre ensemble, (p.101- 119). PUL
• Liang-Ko-Yao, Z. (2023). Analyse de la notion de « vivre-ensemble » à La Réunion dans les milieux religieux, interreligieux et associatifs. Thèse de doctorat en anthropologie. Université de La Réunion, 494 pp.
• Malbert, T. (2015). Le dialogue interreligieux, au cœur d’une logique interculturelle reconnue : le Vivre Ensemble réunionnais, in Les mouvements sociaux à l’épreuve de l’interculturel, N. Hajji, O. Lescarret (dir.), coll. « Espaces interculturels », L’Harmattan, 272 p., p. 237-245.
• Malbert, T., & Pithon, G. (2016). Familles et éducation dans l'océan Indien. Revue Internationales en éducation familiale (RIEF) n° 36. Editions L'Harmattan.
• Martouzet, D. (2016). Voisinage et injonction au vivre-ensemble : analyse relationnelle. Nouvelles perspectives en sciences sociales, 11(2), 261–285. https://doi.org/10.7202/1037109ar
• Meyer, C. (2017). Journée internationale du vivre ensemble : entre rassemblement, paix et tolérance. Revue Lumen Vitae, LXXII, 325-329. https://doi.org/10.2143/LV.00.0.0000000
• Meintel, D. & C. Gélinas (2012). « Religion et Intégration », Diversité urbaine, vol. 12, no 2, p. 5-11.
• Meintel, D. (2015). La religion et le vivre-ensemble au-delà de la laïcité, dans Saillant F. (dir.), Pluralité et vivre ensemble, (p.175- 191). PUL
• Morel, M. (2020). Les arts au cœur de la démarche éducative pour le vivre ensemble. Une expérience de formation d’enseignants du primaire. Nouvelles pratiques sociales 1 (31), 40-57.
• Paugam, S. (2008). Le lien social, QSJ, PUF, Paris.
• Rafidinarivo, C. Malbert, T. (2015). Dialogue interreligieux et cohésion sociale à La Réunion, in Liberté religieuse et cohésion sociale, Laurence Faberon (dir.), PUAM.
• Saillant, F. (2015). Pluralité et vivre ensemble, PUL, Laval, Québec.
• Tibère, L. (2013). Alimentation et vivre-ensemble : Le cas de la créolisation. Anthropologie et Sociétés, 37(2), 27–43. https :// doi.org/10.7202/1017904ar
• Touraine,A. (1997). Pourrons-nous vivre ensemble ? Égaux et différents, Fayard, Paris.
• Turkle, S. (2011). Life on the Screen. Simon and Schuster.
• Verges, F. (2008). La Réunion : un modèle de vivre ensemble. In : Hommes et Migrations, hors-série novembre 2008. L'interculturalité en débat. pp.20-29 White B., (2015). Le « Vivre- Ensemble » comme scénario de l’interculturel au Québec In Pluralité et vivre ensemble dans Saillant F. (dir), Pluralité et vivre ensemble, (pp.39-62) PUL, Laval.