AccueilLes larmes, entre corps et esprit

Les larmes, entre corps et esprit

Entre el cuerpo y el espíritu : las lágrimas

Tears: between body and mind

*  *  *

Publié le vendredi 27 octobre 2023

Résumé

Il s'agit de réfléchir sur ce que disent les larmes, comme forme d'expression dans toutes sortes de contexte et dans les arts. Les organisatrices de ce colloque souhaitent une ouverture des perspectives culturelles et anthropologiques. C'est pourquoi les points de vue sur l'histoire de la représentation des larmes ou sur leur distribution genrée sont également attendus.

Annonce

Argumentaire

« Les paroles, que sont-elles ? Une larme en dira plus », ainsi Franz Schubert fait-il « l’éloge des larmes ». S’il est d’usage de considérer que les larmes, de même que le rire, sont une expression proprement humaine, leurs significations et leurs enjeux dépendent toutefois de la part attribuée à l’affectivité ou à l’intellect, entre approche cynique et stoïcienne notamment. C’est pourquoi Baltasar Gracián dans L’honnête homme nous invite à dépasser l’apparente dichotomie de deux modèles topiques récurrents, annonciateurs en quelque sorte de Jean qui rit et Jean qui pleure : « on ne doit pas toujours rire avec Héraclite ni toujours pleurer avec Démocrite ».

À la différence du rire qui fuse de façon impalpable, les larmes qui s’écoulent sont concrètes. Elles ont de surcroît la transparence de l’eau et la forme de perles. Picasso choisira d’ailleurs de représenter des yeux en forme de larmes. Car les larmes qui s’écoulent parlent un langage que d’aucuns interprètent différemment selon les époques et les codes sociétaux. Roland Barthes invite en tous les cas à questionner la puissance originelle des larmes lorsqu’il écrit qu’elles sont « le milieu liquide de l’expansion cordiale dont on sait qu’elle n’est rien d’autre que la véritable force génitrice ». En effet, de quel secret ce signe visible est-il le révélateur ? Faut-il y déceler une force ou une faiblesse et n’y voir qu’une simple expression de passions et de compassions ? Quelle est en somme la part du corps, de l’esprit et de la culture dans les pleurs ? Car les larmes, comme l’écrit Jean Loup Charvet, sont chargées d’« une éloquence où les yeux se font bouche » et véhiculent dès lors des formes de discours, entre douleur, rage et joie, résilience et résistance.

Le paradoxe de la larme, révélatrice à la fois de l’intime et de conventions sociales, mérite donc d’être questionné, et ce quelles que soient les époques et les approches considérées. On ne saurait éluder les dimensions physiologiques et psychanalytiques du liquide lacrymal. Jacques Lacan soutient d’ailleurs que « quand le corps est supposé penser secret, il a des sécrétions ». Avant l’approche du corps pulsionnel par Freud, Empédocle (Ve siècle av. J. C.) considérait que du fait de la perturbation des passions de l’âme, le sang se transformait en larmes. Plus tard, les théories hippocratiques et cérébro-centriques prétendirent que les larmes étaient liées au cerveau, soit comme production cérébrale soit comme humeur. Le XVIIIe siècle, avec l’introduction de la sensibilité, repensera les pleurs et la poétique des larmes. Le XIXe siècle scindera quant à lui émotions féminines et masculines jusqu’à opposer larme et virilité et déboucher sur une mare de larmes (« Pool of tears ») chez la jeune Alice de Lewis Caroll.

Il n’empêche que si les larmes sont souvent associées au féminin, nombreux sont les héros épiques – Ulysse, Achille, le Cid… – qui versent d’abondants pleurs. On pense également à la douleur d’un roi déchu, comme Boabdil perdant Grenade, au chagrin d’un père, Pleberio, confronté au suicide de sa fille, dans la Celestina ou à l’injonction du roi Richard II, – « faisons de la poussière notre papier, et de nos yeux qui pleuvent, écrivons la tristesse sur le sein de la terre »–, à la « voie humide » évoquée par le cousin du protagoniste éponyme Lucien Leuwen de Stendhal ou à l’interdiction de pleurer du poème de John Donne, « A Valediction: of Weeping », aux Souffrances du jeune Werther de Goethe ou encore au désespoir amoureux mis en exergue dans Die bitteren Tränen der Petra von Kant (Les larmes amères de Petra von Kant) de Rainer Fassbinder.

Au XXe siècle, les anthropologues étudient les origines et les fonctions des rites piaculaires significativement présents dans diverses cultures et religions. Les pleureuses, les larmes du Christ, des saints et saintes y renvoient dans tous les types de représentations. Marie-Madeleine, Jérémie, entre péché et grâce, pleurent, parlant ainsi aux chrétiens. D’ailleurs les larmes dessinent une verticalité entre le ciel et la terre, tout en extériorisant le feu des douleurs physiques et morales, individuelles ou collectives, et dès lors participent de la symbolique des quatre éléments. On ne saurait oublier également la nature labile des larmes qui peuvent devenir sang.

Langage et métalangage du corps et de l’esprit, entre visible et invisible, les larmes par nature non verbales, et cathartiques, conventionnelles ou manipulatrices, sont assurément à l’origine d’une riche phraséologie : « pleurer à chaudes larmes », « pleurer de rire », « pleurer d’un œil », « les larmes de crocodiles » ou « lágrimas de cocodrilo », « llorar a lágrima viva », « las lágrimas de san Lorenzo », « to cry crocodile tears », « to be bored to tears », « blood, sweat and tears », « in floods of tears » ; Jemanden zu Tränen rühren, den Tränen nahe, bittere Tränen weinen, etwas unter Tränen gestehen, ihm/ihr kommen die Tränen.

Par ailleurs, on peut parler du développement de modèles larmoyants en littérature et en iconographie, véhiculés par des genres, planctus, élégie, épitaphe, tragédie, par exemple, et par des topoï textuels et gestuels ou encore par des procédés rhétoriques. On pense, entre autres, aux divers échos intertextuels depuis la vallée des larmes (Lacrymarum valle) dans la Bible jusqu’aux représentations diversifiées de la mater dolorosa. Il conviendra d’interroger la structuration de ces modèles, entre valorisation et dépréciation des larmes, dans divers pays d’Europe et d’Amérique, de l’Antiquité à nos jours.

Ce colloque transdisciplinaire invite donc à réfléchir, soit en synchronie, soit en diachronie, que ce soit par des approches linguistiques, littéraires, iconographiques, cinématographiques, musicologiques, anthropologiques ou psychanalytiques, sur les perceptions et les représentations des larmes, notamment à partir des axes suivants :

  • Le sexe des larmes
  • Code(s) et modèle(s) larmoyant(s)
  • Les larmes/arme individuelle ou collective
  • Les larmes dans l’histoire de la sensibilité
  • Rires et larmes
  • Larmes et sang
  • Le(s) langage(s) des larmes
  • Larmes et mises en scène
  • Les écritures et réécritures des larmes

Conditions de soumission

Les propositions de communication (entre 5 et 10 lignes), accompagnées d’un titre et d’une courte présentation biobliographique (avec rattachement institutionnel et coordonnées), sont à envoyer à cecile.bertin@unilim.fr à florence.dumora@univ-lemans.fr et à christine.orobitg@univ-amu.fr 

au plus tard le 15 mars 2024.

Une réponse sera donnée en mai 2024.

Le colloque aura lieu les 14-15 novembre 2024 à l'université du Mans (France)

Des frais d’inscription seront demandés à hauteur de 30€ pour la prise en charge des repas.

Coordination scientifique et organisation

  • Cécile Bertin-Elisabeth (EHIC, Université de Limoges)
  • Florence Dumora (3LAM, Le Mans université)
  • Christine Orobitg (TELEMMe Aix Marseille Université)

Comité scientifique

  • Damien Boquet, (Historien) Aix Marseille Université, TELEMMe
  • Carmen Cortes Zaborras, Littérature française, Université de Málaga (Espagne)
  • Anne Coudreuse (Lettres Modernes), Université Paris 13, Pléiade
  • Christophe Couderc (Hispaniste), Nanterre Université 
  • Dominique Berthet (Arts plastiques, esthétique), Université des Antilles, CRILLASH
  • Cécile Iglesias (Hispaniste), Université de Bourgogne, TIL
  • Nicolas Darbon (Musicologie), Université d’Aix-Marseille, CRILLASH
  • Nathalie Leprince (Lettres, philosophie) Le Mans Université, 3LAM
  • Encarnación Medina Arjona, Littérature française, Université de Jaén (Espagne)
  • Corinne Mencé-Caster (Linguistique, Moyen-Âge), Sorbonne-Université, RELIR
  • Nathalie Martinière (Angliciste), Université de Limoges, EHIC
  • Sandrine Persyn (Germaniste) Le Mans Université, 3LAM
  • Odile Richard (Lettres Modernes), Université de Limoges, EHIC
  • Laetitia Tabard (Lettres), Le Mans Université, 3LAM

Éléments bibliographiques

Barthes Roland, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil, 1977

Michelet, in Œuvres complètes, tome 1, Paris, Flammarion, 1974

Bastien Pascal, Deruelle Benjamin, Roy Lyse, Émotions en bataille XVIe-XVIIIe siècle. Sentiments, sensibilités et communautés d'émotions de la première modernité, Paris, Hermann (« Les collections de la République des Lettres »), 2021, https://www-cairn-info.ezproxy.unilim.fr/emotions-en-bataille-xvie-xviiie-siecle--9791037007209.htm

Bazin, Maëlle, « Peuples en larmes, peuples en marches : la médiatisation des affects lors des attentats de janvier 2015 », Mots. Les langages du politique, n° 118, 2018, http://journals.openedition.org.ezproxy.unilim.fr/mots/23653 

Boquet, Damien et Piroska Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l'Occident médiéval, Paris, Seuil 2015

Boquet, Damien et Piroska Nagy, Lidia Zanetti Domingues (dirs.), Histoire des émotions collectives. Epistémologie, émergences, expériences, Paris, Garnier « Classiques », 2022

Brailowsky, Yan, « Les larmes de sang et les corps déchiquetés dans le théâtre élisabéthain : eschatologie et fantasme », Littératures classiques, 2010/3, n°73, p. 325-335, https://www-cairn-info.ezproxy.unilim.fr/revue-litteratures-classiques1-2010-3-page-325.htm

Chaunu Pierre, « L’Irréfutable : le sang et les larmes », in Pierre Chaunu (dir.), Au cœur religieux de l'histoire, Paris, Perrin, « Pour l'histoire », 1986, p. 154-160, https://www-cairn-info.ezproxy.unilim.fr/au-coeur-religieux-de-l-histoire--9782262003883-page-154.htm

Charvet, Jean Loup, « Les larmes à l’époque baroque, un paradoxe éloquent » in Mélanges de l’école française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 105, n°2, 1993, p. 539-566

Connan Cathy, « Êtres en larmes », Gestalt, 2015/2 (n° 47), p. 39-53, https://www-cairn-info.ezproxy.unilim.fr/revue-gestalt-2015-2-page-39.htm

Corbin, Alain, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dirs.), Histoire des émotions, Paris, Points, 2016

Coudreuse, Anne, Le Goût des larmes au XVIIIe siècle, Paris, PUF (coll. « Ecriture »), 1999, rééd. Desjonquères, 2013

Cuenca-Godbert, Marta, « Le langage des larmes dans La Dorotea de Lope de Vega », Bulletin hispanique, 112-1, 2010, http://journals.openedition.org.ezproxy.unilim.fr/bulletinhispanique/1123 ; DOI : https://doi-org.ezproxy.unilim.fr/10.4000/bulletinhispanique.1123

Lacan Jacques, Le séminaire, livre XX, Paris, Seuil, 1975

Lignereux Cécile, « Bonne humeur contre belle humeur : la valorisation des larmes au xviie siècle », Corps, 2010/1, n° 8, p. 33-39, https://www-cairn-info.ezproxy.unilim.fr/revue-corps-dilecta-2010-1-page-33.htm

Longé Thierry, « L’oubli des larmes ou Freud castillan », Essaim, 2010/2, n° 25, p. 97-109, https://www-cairn-info.ezproxy.unilim.fr/revue-essaim-2010-2-page-97.htm

Monsacré Hélène, Les Larmes d’Achille. Le Héros, la femme et la souffrance dans la poésie d’Homère, Paris, Félin, 2010

Navarro Ramírez Sergio, « ‪Llantos auxiliados: los oratorios barrocos de Juan Gelman y Ada Salas‪ », Bulletin Hispanique, 2022/2, n°124-2, p. 341-360,

https://www-cairn-info.ezproxy.unilim.fr/revue-bulletin-hispanique-2022-2-page-341.htm

Nievas Rojas, Adalid, « La elegía de Cernuda a Lorca en su tradición: notas para un estudio de las fuentes de A un poeta muerto (F.G.L.) », Bulletin hispanique, n° 120-2, 2018, http://journals.openedition.org.ezproxy.unilim.fr/bulletinhispanique/6643 

Pinhas Richard, Les larmes de Nietzsche. Deleuze et la musique, Paris, Flammarion, 2001

Rey Sarah, « Les larmes romaines et leur portée : une question de genre ? », Clio, n° 41, 2015, p. 243-263

Rimé Bernard, Le partage social des émotions, Paris, Presses Universitaires de France (« Quadrige »), 2009, https://www.cairn.info/le-partage-social-des-emotions--9782130578543.htm

Schmitt Jean-Claude, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, Gallimard, 1990

Vincent-Buffault Anne, « Constitution des rôles masculins et féminins au XIXe siècle : la voie des larmes », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 42ᵉ année, n° 4, 1987. p. 925-954, https://doi.org/10.3406/ahess.1987.283425

Id., Histoire des larmes. XVIIIe-XIXe siècles, Marseille, Rivages, 1986

Lieux

  • Université du Mans, bd Paul d'Estournelles de Constant
    Le Mans, France (72)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • vendredi 15 mars 2024

Mots-clés

  • larmes, esthétique, langage, expression, genre, jeu

Contacts

  • Florence Dumora
    courriel : florence [dot] dumora [at] univ-lemans [dot] fr
  • Cécile Bertin-Elisabeth
    courriel : cecile [dot] bertin [at] unilim [dot] fr
  • Christine Orobitg
    courriel : christine [dot] orobitg [at] univ-amu [dot] fr

Source de l'information

  • Florence Dumora
    courriel : florence [dot] dumora [at] univ-lemans [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les larmes, entre corps et esprit », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 27 octobre 2023, https://doi.org/10.58079/1c1x

Archiver cette annonce

  • Google Agenda
  • iCal
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search