Home(Re)définir la citoyenneté : gouvernance des infrastructures en réseau, représentations et pratiques quotidiennes

Home(Re)définir la citoyenneté : gouvernance des infrastructures en réseau, représentations et pratiques quotidiennes

*  *  *

Published on Monday, October 30, 2023

Abstract

La littérature récente sur les infrastructures des services en réseau s’est appuyée sur la notion de citoyenneté pour comprendre divers aspects politiques liés à l’accès aux infrastructures(eau, déchets, énergie, mobilité, etc.), allant de la reconnaissance des usagers en tant que sujets politiques, aux formes de mobilisations et de revendications, ou encore à l’implication croissante des collectifs issus de la société civile dans la transformation des pratiques quotidiennes face aux urgences environnementales. Ce numéro spécial de Flux vise à élargir ces débats récents sur citoyenneté et infrastructures, en interrogeant les usages, représentations, normes et pratiques qui lient la notion de citoyenneté aux transformations infrastructurelles contemporaines, dans différents contextes géographiques et sociopolitiques.

Announcement

Coordinatrices

Francesca Pilo’, Caroline Gallez, Hélène Nessi

Argumentaire

La littérature récente sur les infrastructures des services en réseau  s’est appuyée sur la notion de citoyenneté pour comprendre  divers  aspects politiques liés à l’accès aux infrastructures(eau, déchets, énergie, mobilité, etc.), allant de la reconnaissance des usagers en tant que sujets politiques, aux formes de mobilisations et de revendications, ou encore à l’implication croissante des collectifs issus de la société civile dans la transformation des pratiques quotidiennes face aux urgences environnementales. Ce numéro spécial de Flux vise à élargir ces débats récents sur citoyenneté et infrastructures, en interrogeant les usages, représentations, normes et pratiques qui lient la notion de citoyenneté aux transformations infrastructurelles contemporaines, dans différents contextes géographiques et sociopolitiques.

Depuis le « tournant infrastructurel » en sciences sociales, les infrastructures ont été considérées comme des systèmes sociotechniques qui façonnent et organisent les modes de vie et les relations politiques (McFarlane et Rutherford, 2008). Les infrastructures, parmi d’autres entités non humaines, ont permis de mieux comprendre la “matérialité politique” des villes, à savoir le rôle des objets dans la médiation des relations de pouvoir entre humains (Pilo’ et Jaffe, 2020). En outre, les infrastructures font partie des arrangements matériels associés aux pratiques sociales quotidiennes (Shove, 2010 ; Baptista, 2015). Ce sont des systèmes critiques pour l’organisation de la circulation des flux d’énergie et de matières, qui conditionnent la manière dont les personnes satisfont leurs besoins fondamentaux. En tant que tels, ils ont fait l’objet de mobilisations récurrentes de la part des usagers ou des habitants, notamment autour de la mise en œuvre d’un droit universel aux services essentiels, ou d’une meilleure participation des usagers à la gouvernance ou aux décisions concernant la transformation des réseaux et des services. Dans la littérature récente, de nombreux auteurs qui s’intéressent à des contextes sociaux, politiques et géographiques très différenciés ont eu recours à la notion de « citoyenneté » ou de « pratiques citoyennes » pour analyser et caractériser ces mobilisations impliquant les infrastructures.

Pendant longtemps, la citoyenneté est restée principalement un objet de science politique, et abordée sous l’angle du statut juridique, de l'appartenance à une communauté politique nationale ou de la participation aux processus électoraux. Depuis les années 2000, les anthropologues proposent de dépasser la citoyenneté comme statut ou comme état, pour aborder la question de « ce qui est appelé citoyenneté » (Neveu, 2013) et la manière dont les discours et les pratiques de la citoyenneté varient selon les espaces géographiques et évoluent dans le temps. Marion Carrel et Catherine Neveu (2015) invitent à saisir la citoyenneté à travers des formes de politisation ordinaire, ou des actes à travers lesquels les personnes définissent ou revendiquent une reconnaissance, des droits, un rôle politique en tant que citoyens. Dans cette perspective, la citoyenneté est saisie à travers la manière dont les personnes revendiquent l’appartenance à une communauté politique, qu’elle soit nationale, internationale ou locale (Lazar, 2019). Les travaux sur les infrastructures techniques se sont saisis de ces approches pour caractériser la manière dont se transforment les relations entre l’État, les opérateurs de réseaux et les usagers.

La notion de citoyenneté a été utilisée pour qualifier les mobilisations des usagers ou de leurs collectifs face aux inégalités d’accès aux réseaux et les enjeux de reconnaissance politique des usagers. En ville, les infrastructures ont été considérées comme cruciales pour appréhender la nature différenciée de la citoyenneté, notamment entre le statut formel de citoyen (“citoyenneté formelle”) et la capacité réelle des citoyens à revendiquer les droits que leur confère ce statut (“citoyenneté substantive”) (Holston, 2008). Elles contribuent ainsi à remettre en question la vision libérale moderne de la citoyenneté en termes d'égalité des droits. Les infrastructures sont apparues comme des sites privilégiés pour observer des formes de protestation visant à réclamer des droits auprès de l'État (Von Schnitzler, 2008), mais aussi la manière dont les gens négocient leur accès aux services essentiels par le biais de réseaux, de pratiques et de relations informelles (Anand, 2017), ou dont les infrastructures deviennent un moyen vital d'action politique et un outil pour la formation d'identités collectives (Fredericks, 2018). Récemment, la notion de « citoyenneté infrastructurelle » a été élaborée pour explorer comment l’expérience et l’interaction des citoyens avec les infrastructures (re)produisent les identités citoyennes (Lemanski, 2018).

La notion de citoyenneté a été également utilisée en référence à l’implication (individuelle ou collective) des usagers et des habitants dans la transformation des infrastructures et de leurs modes de gestion, ainsi que dans le changement des pratiques quotidiennes associées aux infrastructures des services en réseau (mobilité, tri des déchets, consommation d’électricité, etc.). Le qualificatif de « citoyen » ou de « citoyenneté » a d’abord été utilisé par les mouvements sociaux, pour réclamer ou endosser un rôle dans la gouvernance des infrastructures (ex. coopératives énergétiques[1][1]). Cet engagement des usagers a ensuite donné lieu à diverses conceptualisations dans le champ académique, par exemple la « citoyenneté énergétique » évoque un engagement actif des particuliers dans la transformation durable des systèmes énergétique (Devine-Wright et Devine-Wright, 2004). Enfin, le vocabulaire de la citoyenneté est également employé par les autorités publiques et les opérateurs qui cherchent à promouvoir les pratiques telles que le tri des déchets, de recyclage et de compostage comme des « actes civiques » (Audigier, 2007) et des preuves de « bonne citoyenneté ». Cette appréhension normative de la citoyenneté a fait l’objet d’analyses critiques, qui dénoncent notamment une invisibilisation des problématiques d’inégalités et d’exclusion (Lennon et al., 2020).

Comme le souligne ce bref état des lieux, les différentes utilisations et conceptualisations de la citoyenneté ont conduit à diverses interprétations des relations entre la citoyenneté et les infrastructures de services en réseau et les pratiques associées. Ce numéro de Flux a pour objectif d’engager une réflexion critique sur cette notion et d’approfondir les débats sur les infrastructures techniques et la citoyenneté en se référant en particulier aux trois axes suivants.

1) Gouvernance non étatique des infrastructures et citoyenneté

La littérature actuelle aborde le lien entre les infrastructures et la citoyenneté principalement sous l'angle des rapports entre le citoyen et l’État. Or, les infrastructures ont été façonnées et appropriées par de multiples acteurs non étatiques qui interviennent directement ou indirectement dans la relation entre le citoyen et l’État. Les fournisseurs privés, les collectifs d’usagers ou d’habitants, les organisations d'autoconsommation collective et, dans certains contextes, les acteurs criminels (par exemple, les gangs et les milices), ont été relativement peu pris en considération. En quoi l’intervention d’acteurs non étatiques dans la gouvernance des infrastructures transforme-t-elle la définition, les discours et les normes de la citoyenneté ? Dans quelle mesure leur intervention correspond-elle ou compense-t-elle le désengagement de l'État ou de la puissance publique ? Comment ces acteurs, en se substituant à l’État, interrogent-ils son rôle dans l’organisation des réseaux et participent même parfois à le disqualifier ?

2) Représentations de la citoyenneté et infrastructures

Les infrastructures techniques sont souvent associées à des représentations politiques, qui sont elles-mêmes porteuses de valeurs, de normes et de règles visant à réguler les usages (Picon, 2018). Par exemple, le modèle du grand réseau centralisé qui incarnait l’idéal politique d’un accès universel à l’énergie est aujourd’hui questionné, alors que les projets de « communautés énergétiques » sont valorisés et soutenus au nom de l’implication des « citoyens » dans la transition. Habitants, usagers, entreprises, État et collectivités territoriales produisent différentes représentations de la figure du citoyen et de ses relations à l'infrastructure qu’ils s’agissent de l’organisation des réseaux, de leur gestion quotidienne ou de leur usage. Ces représentations peuvent se révéler lors de la mise en place de dispositifs matériels qui en institutionnalisant l’accès au réseau participent de la reconnaissance de certains droits ou au contraire peuvent être perçus comme une forme de contrôle et susciter des contestations (cf. compteurs Linky). Comment ces représentations façonnent-elles concrètement les formes de participation, les droits et les responsabilités des usagers ? À l’inverse, comment les réflexions autour de l’organisation des infrastructures et de leur évolution révèlent-elles des représentations diverses de la citoyenneté ? En quoi la technologie et d'autres objets infrastructurels non technologiques matérialisent-ils les représentations ? Comment la notion de citoyenneté varie-t-elle et circule-t-elle dans différents contextes selon le rôle de l’État dans l’équipement et l'accès aux services de réseau ?

3) Citoyenneté et pratiques quotidiennes des infrastructures

Certains travaux proposent de saisir la “citoyenneté en actes” à partir des usages quotidiens des infrastructures et des services en réseau. Il s’agit en particulier de rendre compte des actions entreprises par des usagers ou des groupes d’usagers pour accéder légalement ou non aux infrastructures (à travers, par exemple, la négociation des raccordements aux réseaux d'eau et d'électricité), ou pour proposer des alternatives aux systèmes de production et de gestion dominants. Face aux enjeux environnementaux, un nombre croissant de collectifs de la société civile s’empare des enjeux de transformation durable des modes de consommation ou de production (mobilité, recyclage des déchets, énergies renouvelables, etc.). Soulignant les dysfonctionnements des systèmes existants, ils agissent en vue de s’autonomiser dans leurs pratiques quotidiennes et de jouer un rôle dans la transition écologique. Dans quelle mesure ces initiatives individuelles ou collectives peuvent-elles être considérées comme des actes politiques ? Quelles valeurs, formes d’inclusion sociale et visions sociétales sont-elles prises en compte dans ces revendications ou dans ces mobilisations collectives ? En quoi ces pratiques ouvrent-elles des perspectives nouvelles dans l’analyse de la citoyenneté ?

Cet appel invite à soumettre des articles fondés sur des recherches empiriques approfondies, qui contribuent à questionner ou à approfondir la mise en relation entre citoyenneté et infrastructures de services en réseau. Nous appelons à des analyses situées, qui mettent clairement en avant les approches différenciées de la notion de citoyenneté et discutent sa portée en fonction des espaces, des périodes, ou des groupes sociaux concernés, sous différents angles disciplinaires (études urbaines, géographie, anthropologie, planification, histoire, etc.). Les trois axes d’analyses proposés ne sont pas exhaustifs et peuvent être articulés entre eux.

Modalités de contribution

Date limite pour les résumés : 16 décembre 2023

Les contributeurs doivent envoyer un résumé de 4 000 caractères maximum, ainsi que les noms des auteurs et leurs affiliations institutionnelles, à :

  • f.pilo@uu.nl 
  • caroline.gallez@univ-eiffel.fr 
  • nessi.h@parisnanterre.fr 

Date limite pour les articles complets (première version) : 20 mai 2024

Sur la base des résumés pré-validés par le comité de rédaction de la revue Flux, les auteur.e.s auront jusqu’au 20 mai 2024 pour envoyer la version complète de leur article. Celui-ci correspondra aux standards de la revue (cf. note aux auteurs), à savoir un texte de 50 000 caractères maximum (espaces compris), un résumé de 1000 à 1500 caractères en français et en anglais, ainsi qu’une notice biographique de 600 caractères environ.

Plus d’informations sur la revue Flux et le guide pour les auteurs : http://www.cairn.info/revue-flux.htm

La publication de ce numéro spécial de Flux est prévue pour mars 2025.

Bibliographie

Anand N., 2017, Hydraulic City: Water and the Infrastructures of Citizenship in Mumbai, Durham, NC: Duke University Press.

Audigier F., 2007, L’éducation à la citoyenneté dans ses contradictions. Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°44, p. 25-34.

Baptista I., 2015, We Live on Estimates’: Everyday Practices of Prepaid Electricity and the Urban Condition in Maputo, Mozambique, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 39, n°5, p. 1004–19. 

Carrel M., Neveu C., 2015, Citoyennetés ordinaires. Pour une approche renouvelée des pratiques citoyennes. Paris: Khartala.

Devine-Wright H., Devine-Wright P., 2004, From Demand Side Management to Demand Side Participation: Tracing an Environmental Psychology of Sustainable Electricity System Evolution, Revista de Psihologie Aplicata/Journal of Applied Psychology, 6(3-4).

Fredericks R., 2018, Garbarge Citizenship: Vital Infrastructures of Labor in Dakar, Senegal. Durham:Duke University Press.

Holston J., 2008, Insurgent Citizenship: Disjunctions of Democracy and Modernity in Brazil. Princeton University Press.

Lazar S., 2019, Citizenship. Oxford Bibliographies. https://www.oxfordbibliographies.com/view/document/obo-9780199766567/obo-9780199766567-0222.xml#

Lemanski C., 2018, Infrastructural Citizenship. Spaces of living in Cape Town, South African, in Ward K., Jonas A. E. G., Miller B., Wilson D.  (edited by), The Routledge Handbook on Spaces of Urban Politics, London: Routledge, p. 350–360.

Lennon B., Dunphy N., Gaffney C., Revez A., Mullally G., O’Connor P., 2020, Citizen or consumer? Reconsidering energy citizenship, Journal of Environmental Policy & Planning, Vol. 22, 2020 - Issue 2, p. 184-197. DOI : 10.1080/1523908X.2019.1680277

Mc Farlane C., Rutherford J., 2008, Political Infrastructures: Governing and Experiencing the Fabric of the City, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 32, n°2, p. 363–374. DOI : 10.1111/j.1468-2427.2008.00792.x.

Neveu C., 2013, « E pur si muove ! », ou comment saisir empiriquement les processus de citoyenneté, Politix, n°103, p. 205-222. DOI : 10.3917/pox.103.0205

Picon A., 2018, Urban infrastructure, imagination and politics: from the networked metropolis to the smart city, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 42, n°2, p. 263-275.

Pilo’ F., Jaffe R., 2020, The Political Materiality of Cities: Introduction, City & Society, vol. 32, n°1.

Shove E., 2010, Social Theory and Climate Change, Theory, Culture & Society, vol.27, n°2-3, p.277-288. DOI : 10.1177/0263276410361498

Von Schnitzler A., 2008, Citizenship Prepaid: Water, Calculability, and Techno-Politics in South Africa, Journal of Southern African Studies, vol. 34, n°4, p. 899–917. DOI : 10.1080/03057070802456821

Note

[1] L’exemple de la fédération européenne REScoop.eu, fondée en 2013, illustre bien la volonté des citoyens de peser face aux États et aux opérateurs dans les transformations politiques, infrastructurelles et techniques en lien avec les impératifs de transition énergétique.


Date(s)

  • Saturday, December 16, 2023

Keywords

  • citoyenneté, gouvernance, infrastructure, sociopolitique, géographie

Contact(s)

  • Caroline GALLEZ
    courriel : caroline [dot] gallez [at] univ-eiffel [dot] fr
  • Hélène NESSI
    courriel : nessi [dot] h [at] parisnanterre [dot] fr
  • Francesca PILO
    courriel : f [dot] pilo [at] uu [dot] nl

Information source

  • Aurélie BUR
    courriel : aurelie [dot] bur [at] enpc [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« (Re)définir la citoyenneté : gouvernance des infrastructures en réseau, représentations et pratiques quotidiennes », Call for papers, Calenda, Published on Monday, October 30, 2023, https://calenda.org/1105249

Archive this announcement

  • Google Agenda
  • iCal
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search