HomeÉloge du « politiquement correct »
Éloge du « politiquement correct »
Pour une réévaluation d’un discours de modération contemporain
Published on Tuesday, October 31, 2023
Abstract
L’objectif de ce colloque est de réévaluer le concept de « politiquement correct », en tenant compte des critiques précédentes, mais en le recentrant sur son acception première : celle d’un discours de modération et d’intégration face à des pratiques discriminatoires. D’une part, ce concept – reconsidéré selon sa facette positive – est d’une actualité brûlante en ce début de XXIe siècle où l’on voit une montée des discours d’exclusion, tant sur les réseaux sociaux que dans les sphères médiatiques et politiques. D’autre part, envisagé comme un discours de régulation sociale favorisant le vivre ensemble, il constitue un concept à la fois cohérent et souple que des notions voisines, comme celle de « discours inclusif », ne recouvrent qu’en partie.
Announcement
Ancien Collège
Montauban, 3-5 juillet 2024
sous le patronage de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban
Problématique
Apparu aux États-Unis dans les années 1970 et vulgarisé en français une vingtaine d’années plus tard, le terme « politiquement correct » s’avère profondément ambigu à travers ses enjeux linguistiques, sociaux et politiques.
Dans l’espace anglo-saxon et nord-américain, ce terme désigne essentiellement les formes de discours destinées à lutter contre les discriminations affectant les minorités et les groupes marginalisés. De telles discriminations recouvrent un large spectre englobant le racisme, le sexisme, l’homophobie et des modes d’exclusion plus spécifiques, comme celle liée au handicap. À la fois façon de penser et projet linguistique, le politiquement correct (correct suggérant une idée de conformité éthique, mais aussi de bienséance) présuppose qu’une action volontariste sur la langue peut modifier les comportements dans le sens d’une reconnaissance des différences, d’une valorisation de l’autre et d’une meilleure harmonie sociale (Larrazet, 2010). Concrètement, il se traduit par la mise en place d’une langue non-discriminante fondée sur des procédures de renomination lexicale positivante, de recatégorisation sémantique ou de neutralisation syntaxique (cas des articles ou des pronoms personnels avec l’écriture inclusive). D’un point de vue communicationnel, cette transformation de la langue privilégie la relation (dans l’acception de Watzlawick et al., 1972), vu qu’il s’agit d’estomper le potentiel menaçant des discours et de ménager les faces du public discriminé suivant une visée d’intégration.
Cependant, et particulièrement en France, le politiquement correct a suscité de nombreuses critiques. Sur le plan linguistique, on lui a reproché d’instaurer un nouveau conformisme langagier, invariablement valorisant, composé de stéréotypes, de lieux communs et de formulations euphémisantes. C’est pourquoi sa nouvelle phraséologie conventionnelle a pu faire douter de sa sincérité, d’autant plus qu’en agissant sur les mots, il ne remédie pas forcément aux maux qu’il se propose de combattre. Sur le plan idéologique, par son « hygiène verbale radicale » (Cameron, 1995 : 8), le politiquement correct a été vu comme un instrument de contrôle sur la pensée, destiné à influencer – voire manipuler – l’opinion publique. Dans cette optique, on a tour à tour critiqué son « totalitarisme » (Volkoff, 2001 : 11), son « hégémonisme culturel » (Allan & Burridge, 2006 : 127) ou sa « tyrannie de l’opinion » (Delporte, 2009 : 299), sans parler de ses effets souvent contre-productifs, à l’opposé de ses objectifs consensuels : « On égare le citoyen vers des attitudes d’autocensure, d’inhibition, on verrouille le blocus social » (Mercury, 2001 : 134). Comme le note Krieg-Planque (2021), cette perception négative du politiquement correct est si forte que les locuteurs évitent fréquemment de le prendre en charge pour qualifier leurs discours, l’attribuant aux propos d’autrui qu’ils dénoncent. À ces problèmes s’ajoute le fait que le politiquement correct pâtit parfois d’une extension difficilement contrôlable hors de la sphère stricte de la discrimination sociale, ce qui en dilue la portée conceptuelle. C’est ainsi qu’il s’est vu étendu aux domaines les plus variés : sport, droit, culture, etc., comme en témoignent les ouvrages de Volkoff (2001) ou de Merle (2011). En cela, il tend à se confondre avec la langue de bois ou avec les processus généraux de l’euphémisation du langage.
Objectif et axes
L’objectif de ce colloque est de réévaluer le concept de « politiquement correct », en tenant compte des critiques précédentes, mais en le recentrant sur son acception première : celle d’un discours de modération et d’intégration face à des pratiques discriminatoires. D’une part, ce concept – reconsidéré selon sa facette positive – est d’une actualité brûlante en ce début de XXIe siècle où l’on voit une montée des discours d’exclusion, tant sur les réseaux sociaux que dans les sphères médiatiques et politiques. D’autre part, envisagé comme un discours de régulation sociale favorisant le vivre ensemble, il constitue un concept à la fois cohérent et souple que des notions voisines, comme celle de « discours inclusif », ne recouvrent qu’en partie. Ce colloque se veut donc une sorte d’« éloge » du politiquement correct, débarrassé autant que possible de sa gangue dogmatique. S’adressant aux chercheurs/euses en linguistique, en littérature et en sciences de la communication, mais également aux psychologues et aux pédagogues, il se propose de contribuer à la modélisation d’une pratique discursive qui invite à l’échange, à l’écoute et au respect de l’autre.
Sur ces bases, les axes d’étude suivants peuvent être privilégiés :
a ) Approches sociolinguistiques et communicationnelles
- Comment le contexte et les conditions de production du politiquement correct ont évolué ces dernières années par rapport à la fin du XXe siècle ?
- Quel bilan peut-on dresser sur la réception récente du politiquement correct ? Quels blocages freinent ou empêchent sa réception positive ?
- Une étude comparative entre les pratiques du politiquement correct dans divers pays permet-elle de le réévaluer positivement ?
- Où en sont actuellement les relations entre le politiquement correct, la langue de bois et le discours inclusif ?
- En quoi les théories de la politesse et des faces (Brown & Levinson, Charaudeau, Goffman, Kerbrat-Orecchioni…) favorisent-elles une meilleure compréhension du politiquement correct ?
b) Approches discursives et rhétoriques
- En quoi les dimensions énonciatives (jeu sur les points de vue, actes de langage indirects, etc.), lexico-sémantiques (création néologique, recatégorisations verbales…) et grammaticales (action sur les pronoms, les adjectifs, la syntaxe…) du discours participent-elles à une orientation positive du politiquement correct ?
- Comment est-il possible de raviver l’expression du politiquement correct à travers des formes langagières novatrices et moins conventionnelles ?
- Comment la rhétorique des figures (euphémismes, ironie, litotes, humour, etc.) est-elle en mesure de valoriser le politiquement correct ?
- Les stratégies rhétoriques fondées sur l’éthos et/ou le pathos peuvent-elles contribuer à lutter contre les discours de discrimination ? Comment les rhétoriques de l’éloquence, en synchronie et en diachronie, sont-elles à même de renforcer les relations interindividuelles ?
- En quoi le recours à l’argumentation s’avère-t-il efficace pour contrecarrer les pratiques discriminantes ?
c) Approches psychologiques et pédagogiques
- Comment éviter que le politiquement correct devienne un discours de manipulation ?
- Le politiquement correct tend-il nécessairement au stéréotypage et à une doxa conformiste, comme le pensent ses détracteurs ? En quoi peut-il contrer les idéologies et les représentations communes reposant sur le rejet de l’autre ?
- Comment sensibiliser efficacement les élèves ou les étudiant/e/s au politiquement correct dans un cadre scolaire et universitaire ? Les manuels pédagogiques sont-ils adaptés pour une telle sensibilisation ?
- Peut-on encore tenir un discours « politiquement correct» devant des élèves qui baignent dans une société de plus en plus tiraillée entre l’individualisme et le communautarisme ? Si « oui », à quel prix et comment ? À l’heure d’Internet et des réseaux sociaux numériques, comment l’école peut-elle toujours s’affirmer comme le lieu où l’on forme l’enfant à honorer la cité et à devenir le citoyen d’une démocratie ?
- Comment diffuser auprès des élèves les instructions officielles relatives au politiquement correct, alors que les parents sont souvent divisés sur cette question ?
d) Études de cas particuliers
Des études de cas plus spécifiques combinant ces différentes approches seront également les bienvenues. Celles-là peuvent porter sur des productions textuelles variées (littérature, médias sociaux, Internet, discours politiques, médiatiques et administratifs). Elles peuvent se concentrer sur un corpus précis ou adopter une perspective comparative. L’essentiel est qu’elles s’attachent à montrer comment le politiquement correct revisité fournit un contre-discours efficace pour faire face aux discours discriminants, notamment xénophobes, racistes, sexistes ou homophobes.
Modalités pratiques
Les propositions de communication, d’une longueur de 300 à 400 mots, doivent être envoyées conjointement aux adresses suivantes :
- michael.rinn@univ-brest.fr
- marc.bonhomme@unibe.ch
avant le 20 décembre 2023.
Les notifications d’acceptation seront envoyées aux participant/e/s avant le 31 janvier 2024. L’ensemble des conférences aura lieu en présentiel.
Les frais d’inscription sont de 50 euros (pauses café, repas de gala, frais d’impression).
La publication d’un ouvrage collectif et/ou d’un numéro thématique dans une revue est envisagée. Des précisions sur ce point viendront par la suite.
Responsables du colloque
- Michael Rinn, Professeur, Université de Bretagne Occidentale, Brest.
- Marc Bonhomme, Professeur émérite, Université de Berne, Suisse.
- Pierre Marillaud, Inspecteur d’Académie honoraire, ancien chercheur associé à l’Université Jean Jaurès (Toulouse), membre de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban
Comité d’organisation
- Philippe Bécade, chirurgien, Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban
- Christophe Cosker, Université de Bretagne Occidentale
- Pierre Chartier, Université de Bretagne Occidentale
- Pierre Marillaud, Inspecteur d’Académie honoraire, Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban
- Michael Rinn, Université de Bretagne Occidentale
Comité scientifique
- Ruth Amossy (Université de Tel Aviv, Israël)
- Patrick Charaudeau (Université de Paris 13/CNRS, France)
- Béatrice Fleury (Université de Lorraine, France)
- Margareta Kastberg (Université de Franche-Comté, France)
- Roselyne Koren (Université Bar-Ilan, Israël)
- Alice Krieg-Planque (Université Paris-Est Créteil, France)
- Montserrat López Diaz (Université de Saint-Jacques de Compostelle, Espagne)
- Paola Paissa (Université de Turin, Italie)
- Josias Semujanga (Université de Montréal, Canada)
- Ndiémé Sow (Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal)
- Anita Staron (Université de Lodz, Pologne)
- Jacques Walter (Université de Lorraine, France)
Éléments bibliographiques
Allan, K. & Burridge, K. (2006), Forbidden Words, Cambridge, Cambridge University Press.
Amossy, R. (2021), L’Argumentation dans le discours, Paris, Armand Colin.
Austin, J. L. (1970 [1962]), Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil.
Bonhomme, M., de La Torre, M. & Horak, A. (2012), Études pragmatico-discursives sur l’euphémisme / Estudios pragmático-discursivos sobre el eufemismo, Frankfurt am Main, Peter Lang.
Brown, P. & Levinson, S. (1987), Politeness. Some Universals in Language Usage, Cambridge, Cambridge University Press.
Cameron, D. (1995), Verbal Hygiene, London, Routledge.
Charaudeau, P. (2014), « Étude de la politesse, entre communication et culture », in Cozma A.-M., Bellachhab A. & Pescheux M. (dirs), Du sens à la signification. De la signification aux sens. Mélanges offerts à Olga Galatanu, Bruxelles, Peter Lang, p. 137-154.
Clouscard, M. (2013), Le Capitalisme de la séduction, Paris, Delga.
Delporte, C. (2009), Une histoire de la langue de bois, Paris, Flammarion.
Fracchiolla, B. (2023), « Politiquement correct », in Lorenzi Bailly N. & Moïse C. (dirs), Discours de la haine et de radicalisation. Les notions clés, Lyon, ENS Éditions, p. 283-289.
Goffman, E. (1974), Les Rites d’interaction, Paris, Minuit.
Jaubert, A. (2008), « Dire et plus ou moins dire. Analyse pragmatique de l’euphémisme et de la litote », Langue française, n° 160, p. 105-116.
Kerbrat-Orecchioni, C. (2005), Le Discours en interaction, Paris, Armand Colin.
Koren, R. (2019), Rhétorique et éthique, Paris, Classiques Garnier.
Krieg-Planque, A. (2021), « Politiquement correct », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. En ligne : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/politiquement-correct/
Larrazet, C. (2010), « Politically correct : une guerre des mots américaine », Hermès, n° 58, p. 111-112.
Lebouc, G. (2007), Parlez-vous le politiquement correct ?, Bruxelles, Éditions Racine Lannoo.
López Diaz, M. (2014), « L’euphémisme, la langue de bois et le politiquement correct », L’Information grammaticale, n° 143, p. 47-55.
Mercury, Th. (2001), Petit lexique de la langue de bois, Paris, L’Harmattan.
Merle, P. (2011), Politiquement correct. Dico du parler pour ne rien dire, Paris, Éd. de Paris-Max Chaleil.
Piaget, J. (1923), Le Langage et la pensée chez l’enfant, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
Pick, P. (2017), Qui va prendre le pouvoir ? les grands singes, les hommes politiques ou les robots, Paris, Odile Jacob.
Prak-Derrington, E. & Dias, D. (dirs) (2022), Le Discours et la langue, n° 13.2, « Politiquement incorrect ».
Rinn, M. (2012), « Du bien parler en Euphémie. Le handicap dans la cité honnête, utile et agréable », in Bonhomme M., de La Torre M. & Horak A. (dirs), Études pragmatico-discursives sur l’euphémisme, Frankfurt a. M., Peter Lang, p. 209-221.
Rinn M. et Sherlaw W. (2018), « Santé publique et communication », MEI, n° 44-45.
Rosier, L. (2020), « Politiquement correct », La Revue Nouvelle, n° 5, p. 64-69.
Volkoff, V. (2001), Manuel du politiquement correct, Paris, Éditions du Rocher.
Watzlawick, P, Beavin, J. H. & Jackson Don D. (1972), Une logique de la communication, Paris, Le Seuil.
Subjects
- Language (Main category)
- Mind and language > Language > Linguistics
Places
- 25, Allée de l'Empereur
Montauban, France (82)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Wednesday, December 20, 2023
Keywords
- politiquement correct, discours de modération, époque contemporaine
Contact(s)
- Michael Rinn
courriel : michael [dot] rinn [at] univ-brest [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Christophe Cosker
courriel : christophecosker [at] gmail [dot] com
License
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To cite this announcement
« Éloge du « politiquement correct » », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, October 31, 2023, https://doi.org/10.58079/1c2n