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La dégradation du travail au XXIe siècle ?

Lectures contemporaines de Harry Braverman

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Published on Monday, November 20, 2023

Abstract

Cinquante ans après la publication de Travail et capitalisme monopoliste (TCM) – publié en anglais en 1974, traduit en français chez Maspero en 1976 et réédité en 2023 aux Éditions sociales – les analyses de Harry Braverman continuent de faire l’objet de nombreux débats. Le livre s’est imposé comme un classique dès sa parution : son édition anglaise s’est vendue à plus de 150 000 exemplaires, si bien qu’au moment de sa sortie, on a pu parler d’une véritable « Bravermania ». L’ouvrage a fait l’objet de nombreuses traductions et a donné naissance à un courant de recherche, la Labour Process Theory, qui a toujours une forte vitalité internationale. Qu’est-ce qu’une relecture de TCM peut apporter à la recherche en sciences sociales aujourd’hui ? Cette journée d’étude souhaite interroger les lectures contemporaines de Harry Braverman. Elle accueillera prioritairement des propositions de communication ancrées empiriquement qui discutent, débattent ou contestent les analyses de Braverman.

Announcement

Argumentaire

Cinquante ans après la publication de Travail et capitalisme monopoliste (TCM) – publié en anglais en 1974, traduit en français chez Maspero en 1976 et réédité en 2023 aux Éditions sociales – les analyses de Harry Braverman continuent de faire l’objet de nombreux débats.Le livre s’est imposé comme un classique dès sa parution : son édition anglaise s’est vendue à plus de 150 000 exemplaires, si bien qu’au moment de sa sortie, on a pu parler d’une véritable « Bravermania » (Littler et Salaman, 1982). L’ouvrage a fait l’objet de nombreuses traductions et a donné naissance à un courant de recherche, la Labour Process Theory, qui a toujours une forte vitalité internationale.

TCM est tout d’abord une reconstitution critique de la pensée de l’organisation en tant que pensée du contrôle sur la force de travail. L’organisation du travail se développe comme un« mouvement dans un milieu résistant parce qu’il implique le contrôle de masses réfractaires » (Braverman, 2023, p. 62). En effet, Braverman décrit celle-ci comme un« démembrement du travailleur » ayant un double objectif : d’une part, décomposer le travail en des opérations élémentaires, et donc rendre moins cher l’embauche de travailleur·euses « partiel·les » qui ne maîtrisent plus l’ensemble du processus de travail, et, d’autre part, accroître le contrôle de la direction sur le processus du travail à travers une destruction des anciens métiers ouvriers, « cellule centrale » du processus de travail selon Braverman, voire« cellule élémentaire » du corps social au XIXe siècle selon l’historien Yves Lequin (1997).

Le taylorisme serait la systématisation de cette démarche car, bien qu’il n’invente ni la parcellisation des tâches, ni la chaîne de montage, il cherche à imposer une « façon précise défaire le travail » (one best way), à travers la dissociation entre conception et exécution :« Enlever le contrôle de l’atelier d’usinage des mains des ouvriers pour le placer entièrement dans celles de l’encadrement, c’est-à-dire substituer le contrôle scientifique à l’empirisme » (Taylor, cité par Pouget, 1998, p. 73). L’originalité de Braverman se trouve également dans le choix de ne pas s’en tenir seulement à l'étude du monde industriel et d’étendre son analyse au monde des employé·es, qui devient un « vaste empire de papier » et« un processus de travail en soi » (Braverman, 2023, p. 251). Progressivement, le travail des employé·es fait aussi l’objet de l’application méthodique de l’organisation scientifique du travail : autrefois proches du pôle patronal, ils et elles sont déclassé·es aux côtés des ouvrier·es et des travailleur·euses manuel·les. Suite à la généralisation du taylorisme dans les entreprises, le processus de travail existe donc une première fois sur le papier, entre les mains de la direction, avant d’exister dans les ateliers, les magasins ou les bureaux.

TCM a ensuite influencé les recherches sur le changement technologique en s’intéressant aux rapports entre technologie et organisation du travail. En considérant les machines comme des« artefacts sociaux », pouvant être étudiés selon différents points de vue et intérêts sociaux, Braverman a contribué notamment aux recherches critiques du déterminisme technologique (Thompson et Laaser, 2021). Malgré les ambiguïtés de Braverman sur la neutralité de la technologie, TCM a eu une influence décisive sur les travaux ultérieurs qui ont mis l’accent sur les choix sociaux et politiques derrière le changement technologique au travail (Noble,1984 ; Knights et Willmott, 1988 ; Williams et Edge, 1996).

De la même façon, TCM apporte des éléments de réponse aux discours optimistes contemporains, médiatiques ou demi-savants, sur le rapport entre changement technologique et qualifications. Ces discours évoquent sur le ton de l’évidence les nouveaux besoins de qualifications associés aux technologies digitales, quand ils n’évoquent pas le risque d’un chômage technologique. Pour ceux-ci, les nouveaux emplois deviendraient plus intéressants et les salariés plus autonomes à mesure que le capital incorpore de plus en plus de connaissances scientifiques dans le processus de travail (Kohler et Weisz, 2016). Cependant, pour Braverman, ces discours cachent une dynamique de fond qui prolonge et augmente les logiques tayloriennes (Moore et Woodcock, 2021). Autrement dit, au lieu d’être libératrices, ces technologies consolident la domination au travail.

Enfin, le travail de Harry Braverman garde une grande actualité dans les débats contemporains sur le « sens du travail » (Coutrot et Pérez, 2022), la motivation au travail, les bullshit jobs (Graeber, 2018 ; Soffia, Wood, et Burchell, 2022), le quiet quitting, la « grande démission » (Dares, 2022) ou l’« épidémie de flemme » (Fondation Jean Jaurès/Ifop, 2022). Au moment où Braverman écrit TCM, la question de la motivation de la main-d'œuvre, tant dans l’industrie que dans les services, est centrale dans les débats publics sur le travail aux États-Unis. Le « blues du col bleu » se double d’un « blues du col blanc » : absentéisme, freinage et turnover sont vus comme la preuve d’un problème de motivation dans les entreprises (Zernan, 1974). De la même façon, sa contribution consiste à montrer que derrière les discours médiatiques sur le mécontentement des salarié·es, la question de l’organisation du travail demeure centrale : le mécontentement tient à la « dégradation du travail », fruit d’une rationalisation des milieux professionnels.

Qu’est-ce qu’une relecture de TCM peut apporter à la recherche en sciences sociales aujourd'hui ? Cette journée d’étude souhaite interroger les lectures contemporaines de Harry Braverman.

Elle accueillera prioritairement des propositions de communication ancrées empiriquement qui discutent, débattent ou contestent les analyses de Braverman. Le but de cette journée est de les mettre à l’épreuve du terrain, de données quantitatives ou de sources documentaires. Cette journée interdisciplinaire est ouverte à des contributions issues de la sociologie, de l’économie, et de la gestion, principales disciplines où Travail et capitalisme monopoliste a fait l’objet de débats, de discussions et de prolongements.

Axes thématiques :

1. Déqualification, requalification et polarisation des emplois

Une des thèses les plus débattues de Braverman est celle qui concerne la déqualification du travail. L’organisation du travail sous le capitalisme produit selon lui un « abaissement incessant de la classe ouvrière dans son ensemble au-dessous de son état antérieur dequalification et de travail » (Braverman, 2023, p. 17). Des recherches ont pourtant montré que la déqualification pouvait être l’effet d’un changement dans les horaires de travail (Grimaud, 2018), du recours à l’emploi précaire (Tranchant, 2018), et parfois, ne pas résulter d’une stratégie envisagée par les directions (Friedman, 1977 ; Edwards, 1979). Cependant, au-delà de ces nuances, la déqualification reste une tendance lourde dans les mondes du travail aujourd’hui. Quels sont ses vecteurs contemporains ? Inversement, quels sont les facteurs qui peuvent favoriser la qualification des salarié·es ?

2. Nouvelles formes de gestion de la main-d’œuvre

Cet axe envisage d’étudier les nouvelles formes de gestion de la main-d'œuvre ainsi que les outils de gestion (Chiapello et Gilbert, 2013). Cela peut concrètement s’incarner dans le management algorithmique (Lee et al., 2015), les transformations récentes du management comme l’individualisation de la gestion (Linhart, 2018), pensée comme réaction formulée à propos des contestations de l’organisation taylorienne ou encore les transformations organisationnelles engendrées par la financiarisation des entreprises (Baud et Chiapello,2015). Cet axe sera également l’occasion d’interroger les résistances, appropriations ou réactions à ces nouvelles formes de gestion par les salarié·es.

3. Changement technologique au travail

Au moment où Braverman s’intéresse à la question des machines, l’informatisation du travail n’en est qu’à ses débuts. Depuis, une vaste littérature s’est intéressée aux effets des nouvelles technologies sur le travail, mettant à jour un « (néo)taylorisme assisté par ordinateur » (Coriat, 1984 ; Lutz et Hirsch-Kreinsen, 1988). Les transformations contemporaines du travail, telles que l’émergence d’un capitalisme de plateforme (Abdelnour et Bernard, 2018 ; Gandini, 2019), interrogent la permanence de logiques tayloriennes contenues dans les nouveaux dispositifs numériques. Assiste-t-on au développement d’un «taylorisme digital » (Cole et al., 2020 ; Gautié et al., 2020) au travail ? Quel rôle a le télétravail dans la gestion de l’autonomie des salarié·es au travail ? Quelles formes dequalification ou de déqualification suscitent les nouvelles technologies digitales ?

4. Transformations de la structure de la main-d'œuvre

Dès sa sortie, TCM suscite à la fois l’intérêt et une série de réserves chez les chercheuses féministes. Si Braverman est loué pour avoir mis en lumière la place centrale qu’occupent désormais les femmes dans la classe ouvrière en général et dans ses secteurs les moins bien rémunérés en particulier, il lui est dans le même temps reproché de ne pas avoir suffisamment tenu compte des effets du sexisme et de l’articulation entre travail domestique et travail salarié dans son analyse du processus de travail. Cinquante ans plus tard, TCM s’est-il finalement révélé « une contribution majeure à l’analyse féministe » (Fraad Baxandall, Ewen, Gordon, 1976) ?

Parallèlement, la race reste un des grands impensés de TCM. Pourtant, la labour process theory commence à être déployée avec profit dans des contextes postcoloniaux (Kenny et Webster, 2021) et dans l’analyse des dynamiques raciales au travail à l’étranger (Piro et Sacchetto, 2021). Quels sont les rapports entre racialisation des salarié·es et le processus de travail et son organisation en France ?

Modalités de contribution

  • Les propositions de communication consisteront en un résumé d’environ 2 500 caractères bibliographie incluse et 4 à 5 mots-clefs. Elles doivent être envoyées à journee.braverman@gmail.com
  • Date limite de soumission de propositions de communications : 1er février 2024
  • Réponse aux communicant·es : 1er mars 2024
  • L’envoi des communications écrites d’approximativement 40 000 signes est attendu pour le 7 mai 2024

Journée : le 30 mai 2024

Subjects

Places

  • Université Paris-Dauphine, Pl. du Maréchal de Lattre de Tassigny, 75016 Paris
    Paris, France (75)

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Thursday, February 01, 2024

Keywords

  • labour process theory, Braverman, travail, marxisme,

Contact(s)

  • Carbonell Juan Sebastian
    courriel : journee [dot] braverman [at] gmail [dot] com

Information source

  • Rondeau du Noyer Lucie Beauvalet Marion
    courriel : journee [dot] braverman [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« La dégradation du travail au XXIe siècle ? », Call for papers, Calenda, Published on Monday, November 20, 2023, https://doi.org/10.58079/1c45

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