Published on Wednesday, November 22, 2023
Abstract
Cet appel à communications invite les jeunes chercheurs à réfléchir à la place des intellectuels, savants et experts dans l’Antiquité. Il s'agira de questionner les acceptions données par les historiens à des réalités anciennes, et notamment d'identifier les acteurs de ce groupe, selon des dénominations choisies par eux-mêmes ou non. Se posera aussi la question de l'élaboration du savoir et de l'expertise, à l'échelle individuelle comme collective, ainsi que sa réception, notamment par le pouvoir. Enfin, il s'agira également de questionner le concept de « lieu de savoir » et de chercher à comprendre comment les anciens pensaient les espaces, privés comme public, dans l'élaboration de la pensée et du savoir. L’enjeu est de se saisir de l’originalité antique du travail intellectuel, de l’élaboration d’idées et de pensées, ou plus largement d’œuvres, et d’établir d’après quels standards cette expérience a été rendue possible dans une Antiquité qui ne soit pas restreinte à la « civilisation gréco-romaine », mais intégratrice de l’espace oriental.
Announcement
Argumentaire
Le substantif « intellectuel » apparaît durant l’affaire Dreyfus pour qualifier « l’homme de culture » pleinement impliqué dans les débats du temps. L’expert et le savant tiennent un rôle différent. Ils ne sont pas imprégnés d’un engagement proprement politique. L’expert désigne celui que l’on consulte, qui établit un rapport technique. Il propose un avis réputé informé, mais non contraignant. Il éclaire, il conseille, il ne décide pas. Le savant est celui qui est reconnu socialement comme maîtrisant toutes les facettes d’une discipline particulière, celui qui le plus souvent exerce un magistère. On peut s’y référer dans le débat mais il n’intervient pas en personne. L’emploi de catégories modernes, comme celles d’intellectuel, d’expert et de savant, rend-il compte de l’expérience antique ? L’anachronisme apporte-t-il un supplément de sens, comme l’a défendu N. Loraux ?
Plusieurs interrogations apparaissent. D’abord, peut-on identifier, dans l’Antiquité, des figures d’intellectuels ? Ainsi qu’E. Fantham le soutient à propos de César. Socrate ou Cicéron, dont les fins tragiques mettent en exergue le coût de cette participation à la vie civique, peuvent-ils être vus comme tels ? Il s’agira pour les participants de préciser la nature des relations entre ces différentes figures et les pouvoirs.
Ensuite, on peut se demander si les grammatici, les rhéteurs, les philosophes, les historiens ou encore les jurisconsultes et les scribes, sans oublier les poètes et les médecins, sont des savants ou des experts. La taxinomie classique « lettres », « sciences », « arts », a-t-elle un ou plusieurs antécédents antiques ?
Corrélativement, il importe de ne pas oublier la formulation antique elle-même, ni les concepts propres à ces sociétés. Ainsi, on peut se demander comment le travail de l’esprit a été nommé, pensé, pratiqué, reconnu, voire conceptualisé. L’enquête doit comprendre un volet spatial : les idées sont exposées en public, mais aussi débattues, voire disputées, ce qui participe tant de l’élaboration que de la réception. La production littéraire est éminemment importante pour appréhender la production intellectuelle, mais il importe de ne pas négliger sa dimension concrète, soit les espaces et les individus. Les figures que nous nous proposons d’étudier doivent servir à interroger « les antiquités ».
Les participant.e.s pourront notamment discuter l’un des axes suivants :
La construction antique d’une catégorie ?
Ce premier axe vise à identifier les acteurs, individuels comme collectifs, de ce groupe des intellectuels, savants et experts, notamment au travers de critères et de dénominations clairement définis, ou non, par les acteurs eux-mêmes. La figure de l’intellectuel est par ailleurs centrale, puisque de par son intervention dans l’espace public et dans la sphère politique, les sources antiques lui donnent une place privilégiée. Il s’agit lors de cette journée de chercher à déterminer si ces figures étaient libres de leur engagement public, et de quelle marge de manœuvre elles ont pu bénéficier. Quelles sont les pratiques propres à l’élaboration intellectuelle ? Quels contextes y sont propices ? Enfin, la place des intellectuelles dans des sociétés ouvertement patriarcales, leur image et les différents rapports sociaux qu’elles entretiennent sont à questionner. L’historien peut se saisir de figures particulièrement marquantes, comme celle d’Aspasie, érudite métèque parvenant à naviguer dans les plus hautes strates de l’élite politique athénienne, ou de Cornelia, dont l’éducation et la formation intellectuelle données à ses fils, les Gracques, ont été largement mises en avant par les sources. Il s’agit d’interroger alors la place de l’érudition et de la formation intellectuelle de ces femmes, leur implication au cœur de ces milieux, ainsi que leur perception par les Anciens. Les mondes antiques voient par ailleurs se constituer différents groupes, plus ou moins formels, comme le cercle des Scipions, les écoles philosophiques ou rhétoriques, mais aussi les associations de poètes ou de scribes. Entre ces groupes, des interactions naissent, de la rivalité à l’entraide en passant par l’indifférence, interactions que les participants sont invités à étudier. Il serait aussi instructif d’interroger la réception sociale de l’affiliation à ces groupes et les conséquences possibles de pareilles appartenances.
La dimension politico-sociale
Au-delà des dénominations (qui sont un enjeu de cette journée d’étude), il s’agira de comprendre comment « le travail de l’esprit » s’est construit sur un plan sociopolitique. La question de l’ajustement entre fonction intellectuelle et statut social est au cœur de la journée d’étude. Comment est socialement perçu l’engagement intellectuel ? Des arbitrages individuels sont-ils possibles ? L’otium romain est à cet égard un point central. La notion désigne ce qui est extérieur aux activités politiques, mais Cicéron puis Sénèque s’efforcent d’en faire un complément.
La mise en place de politiques excluant ou intégrant certains groupes d’intellectuels est également à interroger. Les différents pouvoirs se sont souvent saisis de la question, de la mise à l’écart des sophistes à Athènes à la fondation du Mouseîon par Ptolémée Ier. Il s’agira également pour les participants d’interroger les mécanismes d’appropriation de l’expertise et du savoir par les différents pouvoirs politiques, Par ailleurs, la multiplicité des disciplines et des écoles a mené à la mise en place de normes et, peut-être, à une hiérarchisation des sciences. Il s’agira pour les participants de montrer si certaines disciplines étaient plus valorisées que d’autres, et s’il s’agissait seulement d’un élément de la pensée antique ou un état de fait. Les distinctions sont-elles simplement nominales ou recouvrent-elles des différences de statuts ayant nécessité l’intervention du droit ? Il sera également possible de questionner la source de légitimité de ces savants, experts et intellectuels. Au travers de ce prisme, il s’agira d’aborder la formation intellectuelle des anciens et leur légitimation par les pairs.
La perspective spatiale
Un troisième axe peut être consacré à la dimension spatiale, dans la veine du renouveau historiographique propre aux « lieux de savoirs ». L’ambition est d’appréhender les espaces, les individus et les communautés, qui se construisent autour et en leur sein. Les Anciens ont-ils pensé ces espaces comme dédiés aux savoirs ? Ou est-ce une conséquence de la pratique, presque un « heureux hasard » ? La place et les fonctions des espaces publics, et donc de l’engagement de l’intellectuel, du forum à la cour des souverains peuvent être abordés par les participants. Il s’agira également de questionner la place des espaces privés dans l’élaboration des savoirs et des discours, bien que plus difficilement perceptibles dans les sources.
In fine, l’attention est portée tant sur les acteurs que sur les pratiques intellectuelles. L’ambition de cette journée n’est pas d’identifier des archétypes, d’établir un catalogue des figures, de retrouver l’idéal-type de « l’intellectuel ou l’expert antique », de proposer une seconde « École d’Athènes ».
L’enjeu est de se saisir de l’originalité antique du travail intellectuel, de l’élaboration d’idées et de pensées, ou plus largement d’œuvres, et d’établir d’après quels standards cette expérience a été rendue possible dans une Antiquité qui ne soit pas restreinte à la « civilisation gréco-romaine », mais intégratrice de l’espace oriental.
Conditions de soumission
Les communications en français dureront 25 minutes et seront suivies d’un temps de discussion.
Les propositions de 400 mots maximum, accompagnées d’un CV, sont à envoyer aux responsables scientifiques
avant le 7 janvier 2024.
Les résultats seront communiqués au plus tard en février.
La journée d’étude aura lieu le samedi 20 avril à l’Institut National d’Histoire de l’Art.
Les frais d’hébergement peuvent être pris en charge par les organisateurs.
Responsables scientifiques
- Gregory Spadacini (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Anhima) Gregory.Spadacini@univ-paris1.fr
- Maxence Badaire (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Anhima) maxence.badaire@univ-paris1.fr
Bibliographie
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CLANCIER Ph., Les bibliothèques en Babylonie dans la deuxième moitié du ler millénaire av. J.-C., Münster, 2009.
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GARCIA QUINTELA M. V., HELMER E., MACE A., VILLACEQUE N. (dir.), Les lieux de savoir dans l’Athènes démocratique, Dialogues d’Histoire Ancienne, [À paraître].
GLASSNER J.-J., « Lignées de lettrés en Mésopotamie », dans JACOB Chr. (dir.), Lieux de savoir, Espaces et communications, Paris, 2007, p.134-156.
JACOB Chr., Lieux de savoir : Espaces et Communautés, t. 1, Paris, 2007 ; Lieux de savoir : Les Mains de l’intellect, t. 2, Paris, 2011.
JOANNES F., « De Babylone à Sumer, le parcours intellectuel des lettrés de la Babylonie récente », dans Revue Historique, n°302, 2000, p. 693-717.
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LEGRAS B., Éducation et culture dans le monde grec. VIIIe siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C., Paris, 2002.
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LORAUX N., et MIRALLES C. (dir.), Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne, Paris, Belin, 1998.
RAWSON E., Intellectual life in the Late Roman Republic, Baltimore, 1985.
SAVALLI-LESTRADE I., Les philoi royaux dans l'Asie hellénistique. Genève, 1998.
VAN DIKJ. J., La sagesse suméro-accadienne: Recherches sur les genres littéraires des textes sapiéntiaux, Leiden, 1953.
Subjects
- Prehistory and Antiquity (Main category)
- Mind and language > Representation > Cultural history
- Mind and language > Thought > Intellectual history
- Periods > Prehistory and Antiquity > Greek history
- Periods > Prehistory and Antiquity > Roman history
- Periods > Prehistory and Antiquity > Eastern world
- Periods > Prehistory and Antiquity > Ancient Egypt
- Society > History
Places
- Salle Vasari - Institut National d’Histoire de l’Art, Galerie Colbert, 2 rue Vivienne
Paris, France (75002)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Sunday, January 07, 2024
Attached files
Keywords
- expert, intellectuel, savant, lieu de savoir
Contact(s)
- Maxence Badaire
courriel : maxence [dot] badaire [at] univ-paris1 [dot] fr
Information source
- Maxence Badaire
courriel : maxence [dot] badaire [at] univ-paris1 [dot] fr
License
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To cite this announcement
« L’intellectuel, le savant et l’expert : réalité antique ou construction moderne ? », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, November 22, 2023, https://doi.org/10.58079/1c7x