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Familles et domesticités
Revue « Enfances Familles Générations », n°50
Published on Friday, December 08, 2023
Abstract
Dans les années 1980 et 1990 se multiplient les travaux sur les domestiques qui circulent entre campagnes et villes, dans les Suds comme dans les Nords, au Moyen-Âge comme au XXIe siècle. L’impact à long terme des « chaînes mondiales du care », le poids des héritages esclavagistes et coloniaux comme les formes spécifiques de violence, d’exploitation et de domination qui structurent les relations de service domestique sont tour à tour étudiés. Les résistances individuelles et mobilisations collectives de domestiques sont aussi explorées. C’est à ce champ en pleine ébullition que nous souhaitons contribuer avec ce numéro sur les relations entre familles et domesticités. Dans la foulée des recherches qui montrent en quoi le service domestique participe des rapports sociaux de sexe, de classe, de race, d’âge, ce sont les rapports dissymétriques des domestiques et patron·nes à l’institution familiale que nous voulons éclairer ici. Un premier axe invite à interroger « la famille » — au sens de domus, de maisonnée ou de ménage — en tant que cadre du service domestique. Un deuxième axe se focalise sur les rapports des domestiques (femmes et hommes) à la famille. Un troisième et dernier axe déplace le regard vers ce que produit et signifie le service domestique d’hier ou d’aujourd’hui pour les familles servies.
Announcement
Argumentaire
Selon les estimations du Bureau international du travail, pas moins de 75,6 millions d’adultes — dont trois quarts de femmes et de jeunes filles — travaillent comme domestiques en 2019 (BIT, 2022). Et la demande ne cesse de croître à l’échelle de la planète, favorisant partout l’essor des plateformes numériques et l’« ubérisation » de ce secteur d’emploi (Carbonnier et Morel 2018), lequel échappe très largement aux droits du travail (salaire, temps travaillé, sécurité sociale, droit d’association, etc.). Longtemps pourtant, les spécialistes ont cru à la disparition prochaine du service domestique dans le sillage du développement des États-providence, des sociétés modernes et des technologies ménagères (Sarti, 2014).
Il faut ainsi attendre les années 1980 et 1990 pour qu’émerge un véritable champ d’études. Se multiplient alors les travaux sur les domestiques qui circulent entre campagnes et villes, dans les Suds comme dans les Nords, au Moyen-Âge comme au 21e siècle (Hoerder et al. 2015; Charron, 2018 ; Destremau et Lautier, 2002 ; Jacquemin, 2011). L’impact à long terme des « chaînes mondiales du care » (Hochschild, 2000 ; Morokvaśic, 1984), le poids des héritages esclavagistes et coloniaux comme les formes spécifiques de violence, d’exploitation et de domination qui structurent les relations de service domestique (Nakano Glenn, 1992 ; Kahlenberg, 2020 ; Sassen, 2000) sont tour à tour étudiés. Les résistances individuelles et mobilisations collectives de domestiques, de la fin du 19e siècle à aujourd’hui, des États-Unis au Brésil en passant par Puerto Rico, sont aussi explorées (Amador, 2015 ; Phillips-Cunningham, 2021 ; Delpierre et Malarmey, 2021 ; Acciari, 2020 ; Schwenken, 2011 ; Alsheltawy et Delpierre, 2021).
C’est à ce champ en pleine ébullition que nous souhaitons contribuer avec ce numéro sur les relations entre familles et domesticités. Dans la foulée des recherches qui montrent en quoi le service domestique participe des rapports sociaux de sexe, de classe, de race, d’âge (Rollins, 1985 ; Lepetitcorps, 2018), ce sont les rapports dissymétriques des domestiques et patron.nes à l’institution familiale que nous voulons éclairer ici. Comment les relations de service domestique configurent-elles les vies, les imaginaires et les sentiments familiaux de celles et ceux qui servent, de celles et ceux qui se font servir ? Comment la prise en considération de ces relations conduit-elle à repenser les solidarités et les conflits familiaux, les dynamiques conjugales et générationnelles, les représentations du « chez soi », de l’« intimité » et de la vie « privée », ou encore l’institution familiale, objet de politiques publiques ?
Nous souhaitons également poursuivre la réflexion sur la manière dont la recherche elle-même se développe sur ces relations entre familles et domesticités. Comment sont-elles analysées, à partir de quels questionnements et selon quelles démarches ? Quels sont les angles morts dans ce champ ? Si la maternité à distance ou confisquée des travailleuses domestiques et la prise en charge de leurs enfants par des parentes nous semblent bien étudiées (Hondagneu-Sotelo et E. Avila, 1997 ; Drouilleau-Gay, 2019), la paternité à distance de leurs confrères ou de leurs conjoints fait figure d’impensé (Oso Casa, 2008). De manière générale d’ailleurs, les figures masculines de la domesticité (serviteurs, hommes de ménage, boys, majordomes ou jardiniers) sont sous-étudiées. Que les travailleurs domestiques puissent avoir des conjointes, des mères et des patronnes nous paraît également oublié. Et tandis que le face-à-face entre femmes (domestiques et patronnes) est bien documenté, les hommes servis et leurs relations aux servant.es restent dans l’ombre, sauf peut-être en cas d’exploitation sexuelle, une réalité souvent évoquée, mais rarement examinée à fond.
Enfin, nous voudrions arpenter largement l’espace, le temps et les disciplines. Après tout, les relations entre domesticités et familles varient selon les contextes, dans les Suds aussi bien que dans les Nords. Après tout aussi, elles s’observent dans toutes les périodes de l’histoire, selon des modalités à la fois récurrentes et mouvantes. Enfin, elles font l’objet d’analyses sociologiques ou historiques, démographiques, anthropologiques, juridiques ou politiques que nous souhaitons mettre en discussion.
Partant de là, nous proposons trois grands axes de réflexion.
Un premier axe invite à interroger « la famille » — au sens de domus, de maisonnée ou de ménage — en tant que cadre du service domestique.
Il s’agit alors de caractériser ce cadre et ses variations sociohistoriques du point de vue du service domestique, en examinant le contenu de ce travail et le sens qui lui est donné, l’ambiguïté des engagements subjectifs et émotionnels qu’il requiert (dévouement, attachement, déférence, distance, retenue), les pratiques de mises au travail (délégation, assignation, supervision), de rétribution (don) mais aussi de résistance au travail qui lui sont propres. Le rôle croissant de divers médiateurs dans l’organisation du service domestique, à l’échelle nationale et internationale (pouvoirs publics, agences de placement, plateformes privées), peut également être discuté.
Un deuxième axe se focalise sur les rapports des domestiques (femmes et hommes) à la famille.
Ce sont leurs propres trajectoires, relations et stratégies familiales mais aussi les regards qu’ils et elles portent sur les familles servies qui nous intéressent ici. Cet axe ouvre ainsi sur deux des thèmes clés de la recherche actuelle sur les domesticités : celui des « familles transnationales » et/ou « séparées » (parentalités, conjugalités et enfances à distance) ; celui de la « conscience dédoublée » des domestiques et des ambivalences de l’univers familial (lieu de travail pour soi et/ou pour autrui, refuge et/ou univers de subordination, espace professionnel et/ou d’attachements). Enfin, cet axe se veut l’occasion de réfléchir à la manière dont les domestiques composent avec et/ou mettent en question l’ordre familial dominant : transmission ou refus du métier de domestique, revendications d’un droit à la vie de famille, dénonciations des conditions de vie, de travail ou des violences subies dans la famille des employeur.es, recours aux solidarités familiales comme (res)sources de soutien ou de contestation, etc.
Un troisième et dernier axe déplace le regard vers ce que produit et signifie le service domestique d’hier ou d’aujourd’hui pour les familles servies.
L’analyse des modes de vie, cultures et relations familiales (conjugales et parentales) telles qu’elles sont configurées par le recours au service domestique en fait partie. L’étude des statuts différenciés de maîtres et de maîtresses de maison, de patrons et de « femmes de » patrons, de pères et de mères de famille, s’y intègre également, de même que celle des rapports d’autorité et de proximité des filles et fils de patrons vis-à-vis des employé.es. Parmi les autres pistes de réflexion possibles, figurent enfin les logiques de (re)distribution des tâches selon le sexe et l’âge, les pratiques de gestion des espaces et des frontières de l’intime et de la vie privée (/professionnelle) ainsi que les imaginaires des employeur.es sur les vies intimes et familiales de leurs employé.es.
Modalités de soumission
Les chercheuses et chercheurs de diverses disciplines en sciences sociales sont invité.e.s à soumettre un article original.
Les propositions (résumés) doivent être soumises sur notre site
pour le 8 avril 2024.
Veuillez sélectionner le titre du numéro thématique dans le formulaire de soumission.
Les propositions d’article devront comprendre un titre provisoire, un résumé (1500 à 2000 caractères, espaces compris) et les coordonnées des autrice/teur·s.
Les autrice/teur·s des propositions retenues devront remettre leur manuscrit au plus tard le 30 septembre 2024.
Parution : automne 2025
Pour consulter les règles d’édition de la revue.
Les manuscrits sont acceptés ou refusés sur la recommandation de la direction de la revue et des responsables du numéro après avoir été évalués à l’aveugle par deux ou trois lectrices/teurs externes.
Responsables scientifiques
- Elsa Galerand, professeure en sociologie, Université du Québec à Montréal (Canada)
- Anne Calvès, professeure en sociologie, Université de Montréal (Canada)
- Aline Charles, professeure en histoire, Université Laval (Canada)
Références
Alsheltawy, R. et A. Delpierre. 2021. « Introduction. Petites et grandes résistances dans les domesticités », L’Homme & la Société, no 1-2.
Amador, E. 2015. « Organizing Puerto Rican Domestics: Resistance and Household Labor Reform in the Puerto Rican Diaspora after 1930 », International Labor and Working-Class History, no 88, p. 67-86.
Carbonnier, C. et N. Morel. 2018. Le retour des domestiques, Paris, Le Seuil.
Charron, C. 2018. Aux marges de l’emploi. Parcours de travailleuses domestiques québécoises 1950-2000, Montréal, Remue-Ménage.
Delpierre, A. et H. Malarmey. 2021. « Introduction. Domesticités dans les Suds, des droits encore fragiles », Revue internationale des études du développement, vol. 2, no 246, p. 7-35.
Destremau, B. et B. Lautier. 2002. « Femmes en domesticité (les domestiques du Sud, au Nord et au Sud) », Revue Tiers Monde, vol. 43, no 170, p. 249-264.
Drouilleau-Gay, F. 2019. Secrets de familles. Parenté et emploi domestique à Bogota (Colombie, 1950-2010), Paris, Pétra.
Nakano Glenn, E. 1992. « From Servitude to Service Work: Historical Continuities in the Racial Division of Paid Reproductive Labor », Signs, vol. 18, no 1, p. 1-42.
Hoerder, D., E. van Nederveen Meerkerk et S. Neunsinge (dir.). 2015. Towards a Global History of Domestic and Caregiving Workers, Brill, Leiden.
Hochschild, R. 2000. « Global care Chains and Emotional Surplus Value », dans On the Edge. Living with Global Capitalism, A. Giddens et W. Hutton (dir.), New York, Free Press.
Hondagneu-Sotelo, P. et E. Avila. 1997. « I’m here but I’m there: the meanings of Latina transnational motherhood », Gender and Society, vol. 11, p. 548-571.
Jacquemin, M. 2011. « Migrations juvéniles féminines de travail en Côte-d’Ivoire », Journal des africanistes, vol. 81, no 2, p. 61-86.
Kahlenberg, C. 2020. « New Arab Maids: Female Domestic Work, “New Arab Women,” and National Memory in British Mandate Palestine », International Journal of Middle East Studies, vol. 52, no 3, p. 449-467.
Le Petitcorps, C. 2018. « Le service domestique comme rapport social. Subjectivités au travail, emplois à domicile et migrations féminines en France », Recherches Féministes, vol. 31, no 2, p. 197-214.
Morokvaśic, M. 1984. « Birds of passage are also women », International migration review, vol. 18, no 4, p. 886-907.
Oso Casas, L. 2008. « Migration, genre et foyers transnationaux : un état de la bibliographie », Les cahiers du CEDREF, no 16, p. 125-146.
Parreñas, R. S. 2021. Servants of globalization: women, migration, and domestic work, Standford, Standford University Press.
Phillips-Cunningham, D. 2021. « Slaving Irish ‘Ladies’ and black ‘Towers of strength in the labor world'. Race and women’s resistance in domestic service », Women's History Review, vol. 30, no 2.
Rollins, J. 1985. Between Women: Domestics and Their Employers. Labor and Social Change, Philadelphia, Temple University Press.
Sarti, R. 2014. « Historians, social scientists, servants, and domestic workers: Fifty years of research on domestic and care work », International Review of Social History, vol. 59, no 2, p. 279-314.
Sassen, S. 2000. « Women's burden: Counter-geographies of globalization and the feminization of survival », Journal of international affairs, vol. 71, no 2, p. 503-524.
Schwenken, H. 2011. « Mobilisation des travailleuses domestiques migrantes : de la cuisine à l’Organisation internationale du travail », Cahiers du Genre, vol. 2, no 51, p. 113-133.
Bureau international du travail. 2022. Faire du travail décent une réalité pour les travailleurs domestiques, Genève, BIT, p. 4 et 10.
Subjects
- Sociology (Main category)
- Society > Sociology > Sociology of work
- Society > Ethnology, anthropology > Social anthropology
- Society > Geography > Migration, immigration, minorities
- Society > Sociology > Gender studies
- Society > History > Women's history
Places
- 385 R. Sherbrooke E
Montreal, Canada (H2X 1E3)
Date(s)
- Monday, April 08, 2024
Attached files
Keywords
- famille, domesticité, service domestique, domestique, ménage, patronne de maison, patron de maison
Contact(s)
- Amélie Cousineau
courriel : efg [at] inrs [dot] ca
Reference Urls
Information source
- Amélie Cousineau
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To cite this announcement
« Familles et domesticités », Call for papers, Calenda, Published on Friday, December 08, 2023, https://doi.org/10.58079/1cc0